Conclusions et recommandations
En définissant un ensemble de 11 indicateurs de croissance propre, le présent rapport visait trois grands objectifs.
Tout d’abord, il définit ce qu’est la croissance propre (dans le contexte des changements climatiques) : une croissance économique inclusive qui réduit les émissions de gaz à effet de serre, renforce la résilience aux changements climatiques et améliore le bien-être des Canadiens. Cette définition orientera le travail de l’Institut dans ce domaine à l’avenir, mais offre aussi une approche qui pourrait être avantageuse pour tous les ordres de gouvernement au Canada. Une réflexion intégrant les changements climatiques et les enjeux économiques, sociaux et environnementaux peut favoriser l’adoption de solutions collaboratives permettant d’atteindre simultanément plusieurs objectifs pour remplacer l’approche actuelle, axée sur les compromis. Cette façon de faire gagnera en importance avec l’accélération des mesures de lutte contre les changements climatiques.
Ensuite, il établit un cadre pour mesurer les progrès du Canada en matière de croissance propre au fil du temps. En faisant le suivi des indicateurs définis dans ce rapport, le Canada peut quantifier le succès de sa stratégie de croissance propre et alimenter le dialogue au sein et à l’extérieur des gouvernements sur les approches et les politiques optimales. Ces indicateurs de croissance propre ne prétendent pas constituer un guide définitif, mais plutôt le point de départ d’une conversation élargie sur la manière dont le Canada peut lutter contre les changements climatiques tout en réalisant également d’importants objectifs économiques, sociaux et environnementaux. Ce vaste dialogue gagnerait à être nourri par des gens de partout au Canada, aux perspectives, aux origines, aux expériences et aux champs d’intérêt variés.
Enfin, il contribue à mettre en lumière les politiques gouvernementales qui favorisent une croissance propre. Mesurer les progrès réalisés permet de souligner les réussites antérieures et de définir les prochaines étapes de la transition nationale. Si les choses progressent lentement ou reculent dans certains secteurs ou régions, cela signifie parfois qu’il faut créer ou élargir des politiques. À l’inverse, les secteurs ou les régions où les progrès sont considérables peuvent offrir d’importantes leçons qui pourraient être amplifiées ou mises à profit ailleurs.
Notre analyse a permis de tirer trois grandes conclusions, pour chacune desquelles nous formulons ici des recommandations à l’intention des gouvernements. Nous soulignons également les domaines à approfondir lorsque notre analyse, sans produire de recommandations définitives, met plutôt en lumière des options de politiques potentielles ou des questions qui méritent d’être creusées en profondeur.
Mieux nous connaissons les liens entre les mesures liées au climat et les autres, plus nous avons de chances d’atteindre plusieurs objectifs de manière rentable. Notre analyse ne fait qu’effleurer les facteurs complexes et interreliés qui sous-tendent chacun de nos indicateurs de croissance propre. À l’heure où le Canada redouble d’efforts pour réduire les GES et où les répercussions des changements climatiques s’accentuent, il est de plus en plus important de comprendre les liens entre le climat, l’économie et le bien-être.
Si l’on choisit les politiques et les mesures appropriées, la réduction des émissions de GES, le renforcement de la résilience, la stimulation économique et l’amélioration du bien-être peuvent aller de pair. Mais il ne faut pas non plus sous-estimer l’ampleur des efforts à déployer. Il est facile d’affirmer qu’on souhaite à la fois favoriser la croissance économique et réduire considérablement les GES, mais beaucoup plus difficile d’expliquer exactement comment. Il est également facile de clamer que personne ne doit être laissé pour compte, mais beaucoup plus difficile de mettre en place les mécanismes nécessaires pour protéger les Canadiens vulnérables.
Recommandations aux gouvernements
Établir des responsabilités transversales explicites au sein du gouvernement. Afin de réaliser des progrès simultanés en matière de climat, d’économie et de bien-être, les gouvernements devraient concevoir et sélectionner des politiques visant plus d’un objectif. Cela nécessite des orientations claires des dirigeants gouvernementaux (comme une lettre de mandat) et des structures de gouvernance horizontales officielles (comme un comité sur la croissance sobre en carbone) qui clarifieraient les priorités et les objectifs communs. Ces orientations pourraient s’appliquer aux politiques climatiques, économiques, environnementales et sociales de tous les ordres de gouvernement. Bien que certains compromis et certaines concessions soient inévitables, il est souvent possible d’améliorer les résultats généraux grâce à un processus de conception collaboratif pointu et à des mesures complémentaires. Parfois, un seul moyen d’action soigneusement choisi suffira, mais dans bien des cas, la combinaison de plusieurs moyens d’action des différents ordres de gouvernement sera plus efficace.
Domaine à approfondir pour les gouvernements et les chercheurs en politiques
Mener des évaluations stratégiques de la croissance propre. Plusieurs gouvernements canadiens exigent que les propositions de politiques comprennent une évaluation environnementale stratégique. Le gouvernement fédéral considère aussi les grands investissements publics en infrastructure dans une optique climatique. Il serait bon de développer ces outils pour y intégrer explicitement un ensemble de critères plus larges liés aux objectifs de croissance propre. Par exemple, les projets d’infrastructure doivent naturellement tenir compte des objectifs économiques généraux, mais omettent parfois les objectifs de croissance sobre en carbone. Une approche axée sur la croissance sobre en carbone pourrait favoriser des investissements qui soutiennent le développement et l’adoption de technologies sobres en carbone.
Mesurer la croissance propre n’est pas tâche facile. Dans certains cas, les indicateurs ont tellement de facettes qu’il est difficile de les évaluer à partir de quelques statistiques seulement. Dans d’autres cas, les données nécessaires pour bien évaluer les progrès ne sont tout simplement pas accessibles.
Les données sont cruciales pour repérer les liens et les interactions qui touchent à la croissance propre. Elles permettent aux gouvernements de mesurer les progrès et d’effectuer les ajustements nécessaires. En investissant dans de nouvelles données de qualité qui feraient des rapprochements entre changements climatiques, croissance économique et bien-être des Canadiens, on ouvrirait la voie à de nouvelles recherches et à l’élaboration de politiques qui favorisent la croissance propre. L’ampleur et l’ambition des objectifs canadiens en matière de changements climatiques mériteraient que l’on déploie des efforts d’une envergure similaire pour améliorer les données, ainsi que les ressources financières et humaines nécessaires pour y arriver.
Le présent rapport fait état de multiples lacunes dans les données, mais nous présentons ici les grandes priorités pour mesurer la croissance propre.
Recommandations aux gouvernements
- Mieux définir les liens entre les données sur les GES et l’économie. La recherche et l’élaboration de politiques en matière de croissance propre nécessitent des données sur les GES facilement accessibles et corrélées avec des données sur le PIB, l’emploi, le commerce et autres (indicateur 1).
- Améliorer les données sur les GES pour les territoires du Canada. Les chercheurs ont besoin de meilleures données pour inclure les territoires dans des analyses comparatives avec les provinces (indicateurs 1 et 7).
- Recueillir davantage de données de qualité sur les coûts des phénomènes météorologiques extrêmes. Il faut améliorer l’uniformité et l’exhaustivité de la Base de données canadienne sur les catastrophes (indicateur 2).
- Élargir la portée des données sur les technologies propres pour y inclure davantage de technologies liées aux changements climatiques. Nous devons tenir compte des activités économiques qui, sans être entièrement « propres », sont conformes aux approches de croissance sobre en carbone, ainsi que des technologies qui favorisent l’adaptation et la résilience aux changements climatiques (indicateurs 3 et 5).
- Cataloguer les investissements en infrastructure publics pour en faciliter le suivi. Nous proposons de classer les investissements en quatre catégories d’infrastructures liées au climat : 1) sobres ou zéro carbone; 2) favorisant la croissance sobre en carbone; 3) résilientes; 4) naturelles (indicateur 6).
- Mettre au point des indicateurs plus exhaustifs de la vulnérabilité sociale en contexte de changements climatiques. La vulnérabilité aux changements climatiques dépend de plusieurs facteurs, y compris les sensibilités existantes comme la pauvreté ou les problèmes de santé, l’exposition aux répercussions climatiques et la capacité d’adaptation avant et après les événements climatiques. À l’heure actuelle, peu d’indicateurs rendent pleinement compte de tous ces éléments (indicateur 9).
- Améliorer les données sur les tendances des milieux humides et des écosystèmes marins et sur leurs répercussions sur le climat. Le Canada a besoin d’une organisation ayant des moyens comparables à ceux du Service canadien des forêts pour les écosystèmes comme les milieux humides et les écosystèmes estuariens et côtiers, afin de recueillir de meilleures mesures sur les puits et les sources de carbone et d’analyser les avantages pour la résilience climatique (indicateur 11).
Notre analyse des indicateurs met en lumière certains domaines importants où le Canada pourrait augmenter la cadence.
- Le découplage des GES et du PIB n’est pas constant dans l’ensemble du pays; l’économie de plusieurs provinces est encore étroitement liée aux émissions de GES. Pour découpler la croissance économique et les émissions de GES, il faudra se concentrer sur trois aspects : la réduction des émissions de sources existantes, le transfert des ressources des activités à fortes émissions de carbone vers des activités à faibles émissions et l’accélération de l’intégration et de la croissance des entreprises sobres en carbone.
- La croissance des technologies propres est lente et concentrée dans quelques provinces seulement. Ce secteur ne fournira pas la croissance et les emplois nécessaires sans une expansion considérable.
- L’adoption des technologies sobres en carbone n’est pas la même dans tous les secteurs; on constate même une augmentation des émissions liées au transport routier et aux bâtiments commerciaux.
- Les pertes d’emploi liées à la transition climatique sont pour le moment circonscrites, mais certains secteurs, certaines collectivités et certains citoyens pourraient y être exposés à l’avenir.
- L’activité humaine continue d’entraîner la perte de services écosystémiques liés au climat.
L’analyse a aussi mis en lumière certaines possibilités dont les approches actuelles ne profitent pas pleinement.
- Il existe de nombreuses possibilités d’investissement dans des infrastructures résilientes et sobres en carbone; celles-ci pourraient accroître les occasions d’emplois dans certaines régions et pour certaines personnes vulnérables, tout en pavant la voie à la croissance sobre en carbone et à la résilience aux changements climatiques.
- Il existe également des possibilités de générer des bienfaits pour la santé en réduisant la pollution atmosphérique, particulièrement en ce qui a trait au transport urbain.
D’autres études et analyses faciliteront l’élaboration de politiques exhaustives dans ces domaines, mais il y a place à des investissements à court terme qui prépareront le terrain pour la croissance sobre en carbone.
Recommandation aux gouvernements
Utiliser les investissements à court terme pour favoriser une transition vers la croissance propre à long terme. Les indicateurs définis dans ce rapport permettent de mesurer la réussite à long terme. Toutefois, les politiques et les investissements mis en place dès aujourd’hui peuvent préparer le terrain pour une croissance économique résiliente et sobre en carbone à long terme. Les gouvernements peuvent jouer un rôle déterminant pour éliminer les obstacles aux investissements privés, particulièrement lorsque l’économie est en difficulté et que les fonds sont limités. Les investissements dans les infrastructures permanentes qui ne sont pas sobres en carbone ou résilientes auront des conséquences à long terme.
Domaines à approfondir pour les gouvernements et les chercheurs en politiques
Associer le développement des technologies et leur adoption. Puisque le faible taux d’adoption national des technologies propres est l’un des principaux obstacles à la croissance des entreprises de ce secteur, les mécanismes d’intervention visant à accélérer ce taux d’adoption pourraient cibler des domaines où les entreprises canadiennes semblent réussir, mais où elles peinent à trouver des acheteurs au pays. Cela pourrait stimuler la croissance de marchés nationaux qui mettraient les entreprises canadiennes en meilleure posture pour réussir à l’étranger.
Associer les politiques sur le développement économique et les compétences aux risques et possibilités d’emploi liés aux changements climatiques. Certaines régions et collectivités où les emplois sont concentrés dans un secteur à risque pourraient être particulièrement vulnérables, tout comme les personnes ayant des compétences limitées ou un faible niveau de scolarité. L’établissement d’un lien plus probant entre les scénarios de transition pour la lutte contre les changements climatiques et les politiques sur le développement économique et les compétences pourrait réduire les vulnérabilités et offrir des occasions d’emploi liées à la croissance sobre en carbone.
Cibler le transport urbain. Taux d’adoption des technologies propres faible dans le secteur du transport, hausse des émissions de GES et données liant pollution atmosphérique urbaine et problèmes de santé : nos indicateurs donnent de nombreuses raisons de se pencher plus sérieusement sur le transport urbain.
Freiner la disparation des services écosystémiques liés aux changements climatiques. Le brûlage des déchets forestiers par les sociétés forestières, l’assèchement des milieux humides pour l’agriculture et l’urbanisation, la déforestation causée par les activités industrielles et bien d’autres activités réduisent les bienfaits de la nature pour les générations actuelles et futures. Les changements climatiques exacerberont bon nombre de pressions sur les écosystèmes.
Soutenir davantage d’initiatives autochtones. Les initiatives autochtones peuvent présenter de nombreux avantages économiques, sociaux, environnementaux et climatiques. Un soutien accru aux aires protégées, à la gestion des terres, aux projets d’énergies renouvelables, au logement durable, à la gestion des incendies et à d’autres initiatives autochtones pourrait accélérer les progrès en matière de croissance durable au Canada.
Plutôt que de présenter une vision unique de la croissance propre, ce rapport propose d’intéressantes questions en matière de recherche et de politiques qui pourraient permettre de trouver de nouvelles approches. Il sera plus facile de répondre à ces questions lorsqu’on disposera de meilleures données. L’Institut canadien pour des choix climatiques continuera d’analyser les enjeux soulevés en faisant appel à des organisations de partout au Canada.