3 Développement des technologies
Le développement des technologies sera essentiel à la lutte contre les changements climatiques et à la croissance économique à long terme. Lorsqu’une entreprise canadienne innove ou améliore une technologie existante (ex. : carburant, matériau ou logiciel novateurs), elle rend plus attrayante et abordable l’adoption des technologies (indicateur 4) et génère de nouvelles sources de croissance économique et d’emplois. Parallèlement, les innovations peuvent avoir un effet positif sur la résilience et les émissions de gaz à effet de serre du pays et du monde tout entier.
Statistique principale 3 : PIB des produits environnementaux et de technologies propres
Afin de mesurer le développement des technologies sobres en carbone, nous avons réalisé une estimation à partir des données de Statistique Canada sur les services et produits environnementaux et de technologies propres (ETP) offerts par les entreprises du pays (figure 3.1), la multiplication de ces technologies indiquant une croissance plus propre. En 2018, le secteur équivalait à environ 3 % du PIB du Canada (66 milliards en dollars constants de 2018, ou 60 milliards en dollars constants de 2012).
Les produits ETP englobent tous les processus, produits, technologies ou services qui : a) préviennent, réduisent ou éliminent la pollution ou la dégradation de l’environnement; b) améliorent l’efficacité des techniques d’exploitation des richesses naturelles; ou c) réduisent la quantité d’énergie ou de ressources consommées par une industrie par rapport à la norme. Les sources d’électricité à faibles émissions, les biocarburants, les services de recyclage, les produits manufacturés utilisant des technologies propres, les déchets et rebuts et les services de technologies propres entrent dans cette catégorie (Statistique Canada, 2020)1.
L’évolution passée des technologies environnementales et propres est inégale au Canada. En 2018, trois provinces ont surtout assuré la croissance nationale du PIB dans le secteur : l’Ontario (33,3 %), le Québec (30,5 %) et la Colombie-Britannique (13,6 %). Cette efficacité est en partie due à la taille de ces économies provinciales. En effet, si l’on regarde plutôt le pourcentage du PIB provincial ou territorial associé au secteur, ce sont Terre-Neuve-et-Labrador, le Manitoba, le Québec, le Yukon, le Nunavut, et le Nouveau-Brunswick qui mènent le classement (figure 3.2). Selon les données provinciales et territoriales, une bonne partie de l’activité économique des provinces en tête repose sur la production d’hydroélectricité, la construction et les services (Statistique Canada, 2020b).
Des grappes d’activité dans le domaine des technologies propres se forment actuellement au pays, contribuant à ces tendances régionales. En 2019, la Bourse de Toronto répertoriait cinq entreprises canadiennes de technologies propres dont les parts de marché excédaient 100 millions de dollars (Neufeld, 2019). Le Québec a beaucoup développé son secteur des technologies du transport, enregistrant des recettes d’exportation de 1,4 milliard de dollars en 2018 (Statistique Canada, 2020d). La Colombie-Britannique est aussi devenue chef de file en matière d’équipement et de produits bioénergétiques.
Une étude de 2019 sur le secteur des technologies propres de l’Alberta a révélé un fort développement technologique au sein des petites et moyennes entreprises du domaine, notamment dans la région de Calgary. Sur 78 entreprises, environ la moitié avaient moins de cinq ans. Plus de la moitié comptaient parmi leurs clients les secteurs du pétrole et du gaz ainsi que l’industrie minière, un tiers, les sociétés d’énergie et de services publics, et un cinquième, les marchés de l’agriculture et de la transformation alimentaire. Enfin, près de 80 % des revenus déclarés par ces entreprises provenaient d’exportations aux États-Unis, comme expliqué à l’indicateur 5 (ACTia et Data Catalyst de MaRS, 2019).
Bien que l’activité économique dans le secteur des produits ETP illustre les avancées technologiques du Canada, elle présente plusieurs lacunes en tant qu’indicateur.
- Les données sur les produits ETP ne donnent pas d’indications sur les avancées futures. Les pourcentages du PIB présentés à la figure 3.1 nous permettent de suivre l’évolution passée de l’activité économique du secteur, mais pas d’anticiper la croissance à venir. En effet, les grandes innovations futures pourraient être bien différentes de celles que l’on a connues jusqu’ici, surtout avec l’accélération du travail national et mondial de réduction des émissions et de lutte contre les changements climatiques.
Bien que les données sur les brevets nous donnent un aperçu des avancées à venir, elles soulèvent des questions. Par exemple, une étude de 2017 se penchant sur les brevets de technologies d’atténuation des changements climatiques a révélé que les chercheurs canadiens avaient une longueur d’avance dans certains domaines : réseaux électriques intelligents, bâtiments, sources d’énergie conventionnelles, solutions d’énergie propre (batteries, hydrogène), captage de carbone, et énergie géothermique, marine et hydroélectrique. Cependant, les entreprises ne bénéficiaient pas de cette même avance (OPIC, 2017). Les données de l’OCDE indiquent que le nombre de demandes de brevet déposées par des inventeurs canadiens pour des technologies environnementales a culminé en 2011, puis diminué lentement, avec une chute importante des demandes pour les technologies de réduction des émissions de GES aux alentours de 2017 (OCDE, 2020). À noter toutefois que les brevets ne génèrent pas toujours une activité économique importante, et que les innovations qui le font ne sont pas toujours brevetées. - Les données sur les produits ETP ne couvrent pas toutes les avancées ou innovations technologiques. En effet, elles omettent plusieurs facettes essentielles de l’innovation. Tout d’abord, elles excluent l’activité économique associée aux produits qui sont plus propres que la norme, mais pas 100 % propres. Ensuite, elles font abstraction des innovations internes, c’est-à-dire créées par les entreprises pour leurs propres besoins sans être vendues. L’enquête de 2017 de Statistique Canada sur l’innovation et les stratégies d’entreprise nous offre cependant une fenêtre sur le monde de l’innovation en entreprise (Statistique Canada, 2019a, 2019b). D’après les données, une grande partie des entreprises de secteurs à fortes émissions signalent qu’elles ont mis en place de technologies et d’innovations bénéfiques pour l’environnement (voir les produits et les processus de la figure 3.3).
- Les données sur les produits ETP ignorent des technologies pertinentes à la résilience économique et à la croissance sobre en carbone. Les technologies de l’eau sont comprises dans les jeux de données sur les produits ETP et sur les brevets, mais quelques autres technologies pourtant directement liées à la résilience aux changements climatiques sont omises. Un rapport présenté en 2016 à Ressources naturelles Canada dressait une liste préliminaire de technologies et de services potentiels, comme la lutte contre les organismes nuisibles, les matériaux de construction résistants aux inondations et au feu, la prévention des intrusions salines et la surveillance des espèces (Deloitte et ESSA, 2016). Mais si cette liste comprend la plupart des technologies propres qui pourraient réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle néglige des activités économiques essentielles au découplage des GES et du PIB, notamment l’extraction de métaux et de minéraux employés dans la fabrication de véhicules électriques et de batteries ou l’utilisation de bitume dans la production de fibres de carbone pour construire des éoliennes et des véhicules électriques solides et légers (JWN, 2020). Ce ne sont pas exactement des technologies propres, mais elles risquent tout de même de contribuer activement à la transition mondiale vers une économie sobre en carbone.
- Les données sur les produits ETP ne tiennent pas compte des obstacles au développement technologique. Des études ont démontré que plusieurs facteurs freinent le développement des entreprises existantes et émergentes du domaine au pays, par exemple l’aversion pour le risque du marché intérieur, les faibles taux d’adoption, le manque d’accès au financement, la concurrence pour l’obtention d’investissements limités et l’incertitude entourant les politiques sur le climat (TSETP, 2018). Une analyse plus détaillée de ces problèmes faciliterait l’élaboration de politiques publiques. Les concepteurs de technologies doivent surmonter divers obstacles tout au long du processus d’innovation. L’encadré 3.1 présente un exemple du type d’analyse qui pourrait aider, à partir d’un portrait des entreprises de technologiques propres du Canada qui se trouvent à divers stades de développement. Beaucoup d’entreprises manquent de financement au stade intermédiaire, entre les essais en laboratoire et les démonstrations commerciales, stade qui requiert généralement des investissements plus importants et comporte des risques accrus (Fellows, Goodday et Winter, 2019).
- Les données sur les produits ETP ne permettent pas de déterminer si les produits pourront répondre aux demandes et aux besoins futurs du marché. Le développement de technologies présente de gros avantages climatiques et économiques pour le Canada. En effet, il a le potentiel de rendre la lutte contre les changements climatiques plus abordable et de générer de nouvelles sources de croissance économique et d’emplois. Pour concrétiser la première éventualité, il faut d’abord comprendre les lacunes technologiques qui empêchent le pays d’atteindre ses objectifs climatiques. Pour la seconde, il faudra étudier la demande des marchés internationaux et déterminer les domaines dans lesquels les entreprises canadiennes pourraient s’imposer. Plusieurs études ont notamment mis en lumière des lacunes en innovation dans la réduction des émissions de GES (tableau 3.1).
Les données actuelles de Statistique Canada sur les produits environnementaux et de technologies propres ne permettent pas de mesurer adéquatement les progrès technologiques nécessaires à l’atteinte des objectifs de croissance propre. Toutefois, il n’est pas nécessaire de revoir l’approche du tout au tout pour corriger le tir. Il suffirait d’élargir les jeux de données existants pour couvrir un plus grand éventail de technologies et d’activités économiques.
Pour faciliter le repérage des avantages comparatifs et des sources émergentes d’expertise, nous aurions besoin de données subdivisées à l’échelle régionale. À ce sujet, un sondage de MaRS a mis en lumière quelques grappes émergentes de développement technologique dans le domaine de l’électrification : plusieurs entreprises du Québec travaillent sur les véhicules électriques hors route et à application spécifique; des entreprises de l’Ontario, sur les technologies de maisons et de réseaux électriques intelligents; des entreprises de l’Alberta, sur les processus industriels; et des entreprises de la Colombie-Britannique, sur les véhicules électriques et l’électrification des infrastructures. L’enquête de Statistique Canada sur les biens et services environnementaux a été un grand bond en avant dans la dissection des ventes intérieures et des revenus d’exportation, mais la qualité des données laisse toujours à désirer et les précisions manquent pour certaines provinces et certains territoires.
L’amélioration des méthodes de suivi et d’analyse des divers programmes de recherche publique, de développement, de démonstration et de commercialisation offerts par les gouvernements faciliterait aussi le repérage des stratégies ou combinaisons de stratégies efficaces pour réduire les émissions et assurer la croissance économique.
Encadré 3.1 : Développement des technologies d’électrification au Canada
Le programme Data Catalyst de MaRS a analysé les réponses à un sondage de 87 PME canadiennes de technologies propres d’électrification, notamment quant au stade de développement de leurs projets et au financement reçu des secteurs public et privé. Les projets ont été classés selon leur niveau de maturité technologique (NMT) : 1 à 3 = premier stade après la recherche et la découverte scientifique; 4 = validation de la technologie en laboratoire; 5 et 6 = démonstration de la technologie dans un environnement pertinent; 7 = mise à l’essai du prototype; 8 = démonstration commerciale; et 9 = commercialisation.
L’analyse démontre que la plupart des répondants au sondage étaient déjà aux derniers stades du développement, surtout dans les domaines des réseaux électriques intelligents, des véhicules électriques hors route, des maisons intelligentes et des technologies de récupération de chaleur des déchets industriels. Les entreprises se trouvant aux stades intermédiaires (NMT 5 ou 6) ne recevaient généralement pas suffisamment de financement public et privé, ce qui constituait un obstacle. Le secteur public domine le financement aux premiers stades, mais laisse sa place au secteur privé pour les derniers. Dans l’ensemble, le financement est à son plus bas entre les NMT 5 et 7.
Source : Data Catalyst de MaRS (2019).
- La base de données sur les produits ETP regroupe, au moyen d’une étiquette, les activités économiques pertinentes qui sont autrement réparties dans divers secteurs déjà visés par les mesures traditionnelles du PIB (selon le Système de classification des industries de l’Amérique du Nord). Comme il n’existe pas de secteur officiel des technologies propres, cette approche est la seule manière de dresser un portrait complet des activités économiques liées à l’environnement.