9 Résilience inclusive
Les répercussions physiques des changements climatiques présentent des risques complexes pour les Canadiens. Leurs effets (feux incontrôlés, inondations, sécheresses, vagues de chaleur, fonte du pergélisol, hausse du niveau de la mer) se feront sentir différemment selon les personnes, les collectivités, les provinces et les régions. Certains Canadiens sont plus vulnérables que d’autres aux changements climatiques; il faut donc améliorer leur résilience pour assurer une croissance propre.
Statistique principale 9 : Taux de pauvreté au Canada
La vulnérabilité aux changements climatiques s’explique par la conjonction de trois grands facteurs (figure 9.1). D’abord, certaines régions et collectivités canadiennes sont plus exposées que d’autres aux risques climatiques à cause de leur emplacement (ex. : inondations, feux incontrôlés, vagues de chaleur) et d’autres facteurs importants, comme le lieu de résidence et de travail des habitants et leurs moyens de transport. Ensuite, certaines personnes sont plus sensibles aux effets des changements climatiques en raison de leur santé, de leur âge, d’un handicap ou d’un revenu faible. Enfin, la vulnérabilité est aussi déterminée par la capacité d’adaptation des personnes et des collectivités avant, pendant et après les événements climatiques (USGCRP, 2016). (GIEC, 2007; Lavell et al., 2012; Manangan et al., 2015).
Il est important de noter que toutes les personnes et les collectivités du Canada peuvent être vulnérables. Ce n’est pas une question de faiblesse, mais plutôt de l’ampleur des changements subis, combinée à d’autres défis et circonstances historiques (Haalboom et Natcher, 2012). En mesurant la vulnérabilité, on comprend mieux les risques qui pèsent sur les personnes, les groupes, les collectivités et les régions, ainsi que les manières d’exploiter les forces et les valeurs communautaires existantes pour améliorer la résilience.
Nous utilisons le taux de pauvreté pour mesurer la résilience (et la vulnérabilité) des Canadiens (figure 9.1). Bien qu’il s’agisse d’un indicateur imparfait, le taux de pauvreté a un effet déterminant sur les trois facteurs de vulnérabilité. Ceux qui ont les moyens de se préparer, de déménager, de reconstruire ou de se rétablir ne sont pas aussi vulnérables que les personnes démunies (Hallegatte et al., 2020). La pauvreté est aussi intimement liée à d’autres facteurs importants qui déterminent la vulnérabilité, notamment le manque d’accès au logement, à l’eau potable, à l’éducation et aux soins de santé et d’autres facteurs comme la discrimination et la colonisation (Heisz et al., 2016; EDSC, 2016; Thomas et al., 2015).
Par ailleurs, la pauvreté est indirectement liée à l’exposition aux risques climatiques. Certaines collectivités défavorisées sont par exemple plus exposées à ces risques, notamment les collectivités établies sur des plaines inondables ou dans des régions urbaines particulièrement touchées par l’effet d’îlot thermique (Santé Canada, 2020). Près de 22 % des propriétés résidentielles sur les terres de réserves autochtones sont à risque de crues centenaires (Thistlethwaite et al., 2020). De plus, les grands programmes sociaux peuvent être perturbés lors d’urgences climatiques, exposant et isolant encore davantage les populations vulnérables. Les populations à faible revenu sont aussi plus vulnérables aux hausses des prix des aliments causées par des perturbations de la chaîne d’approvisionnement.
Malgré les progrès réalisés au fil du temps, les données indiquent qu’à cause d’un taux de pauvreté élevé, certains Canadiens demeurent très sensibles aux changements climatiques et mal préparés pour les gérer. Les personnes de moins de 18 ans dans une famille monoparentale ayant une femme à sa tête sont par exemple trois fois plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que le Canadien moyen. Le taux de pauvreté est également plus élevé pour les hommes et les femmes hors famille économique (27 % et 22 %, respectivement). Plusieurs évaluations des risques climatiques au Canada ont mis en lumière la vulnérabilité climatique de ces groupes (Conseil des académies canadiennes, 2019; Gouvernement de la Colombie-Britannique, 2019).
Suivant les tendances nationales, les taux de pauvreté ont chuté dans les provinces et les villes, mais à divers degrés. Les données sur la pauvreté donnent une idée générale des variations de vulnérabilité climatique dans l’ensemble du pays. La figure 9.3 montre la variation du taux de pauvreté des 10 provinces et des 8 plus grandes villes canadiennes. À l’échelle provinciale, ce sont la Colombie-Britannique, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard qui ont connu la plus importante baisse du taux de pauvreté. Du côté des villes, ce sont Vancouver, Toronto et Montréal qui ont connu les réductions les plus importantes.
Fait à noter, ces données ne tiennent pas compte du taux de pauvreté des territoires ou des collectivités autochtones ou nordiques. Des données d’autres sources suggèrent que le taux de pauvreté y est généralement beaucoup plus élevé que la moyenne canadienne, particulièrement chez les enfants (EDSC, 2016). Selon les données de recensement de 2006 et de 2016, 47 % des enfants de Premières Nations inscrites vivent dans la pauvreté (53 % pour ceux vivant dans une réserve et 41 % pour les autres). Et contrairement au taux de pauvreté national, qui a diminué avec le temps, le taux de pauvreté des enfants autochtones est demeuré relativement stable. Le taux de pauvreté infantile est plus élevé au Manitoba et en Saskatchewan (Beedie et al., 2019). Dans l’ensemble du Canada, les taux de pauvreté élevés des collectivités autochtones sont liés à des enjeux de colonisation historiques et actuels et à une discrimination systémique (Cameron, 2012).
Le taux de pauvreté fournit de précieux renseignements sur la résilience des Canadiens aux changements climatiques, mais il présente des lacunes évidentes.
Le taux de pauvreté est une mesure imparfaite de la sensibilité et de l’adaptabilité. Même avec d’importantes ressources financières, certaines personnes peuvent être très sensibles aux effets des changements climatiques à cause de leur âge ou de leur santé. Par ailleurs, le taux de pauvreté d’une collectivité peut s’améliorer, mais d’autres inégalités sous-jacentes (accès à l’eau potable, transport, discrimination) peuvent rendre la collectivité très sensible aux effets des changements climatiques et faire obstacle à son adaptabilité. Il suffit de penser aux collectivités autochtones éloignées, qui ne disposent pas des mêmes infrastructures de base que celles du sud du Canada (Johnston et Sharpe, 2019), ce qui les rend moins résilientes et moins accessibles à l’aide extérieure lorsque survient une catastrophe.
Le taux de pauvreté fournit peu de renseignements sur l’exposition relative aux risques climatiques. L’exposition aux risques climatiques est un facteur déterminant de la vulnérabilité (Cardona et al., 2012). De façon générale, on s’attend à ce que l’exposition des Canadiens aux risques climatiques extrêmes (inondations, sécheresses, hausse du niveau de la mer, fonte du pergélisol, feux incontrôlés, etc.) augmente avec la hausse de la température mondiale (ECCC, 2019). Ces risques varieront également selon la province, la région et même le quartier.
Le taux de pauvreté ne reflète ni l’exposition locale directe ni son évolution au fil du temps. Si la diminution du taux de pauvreté peut rendre les Canadiens moins sensibles aux changements climatiques et plus aptes à y faire face, il n’en demeure pas moins qu’une augmentation de l’exposition peut facilement annuler les progrès atteints.
La véritable vulnérabilité est une question d’exposition, de sensibilité et d’adaptabilité. La façon la plus complète de mesurer la vulnérabilité est d’évaluer en conjonction l’exposition, la sensibilité et l’adaptabilité. En superposant et en schématisant chacun de ces facteurs de vulnérabilité (à un niveau de désagrégation plus fin), les chercheurs et les décideurs pourront mieux comprendre les complexités et les interactions des risques climatiques qui guettent les Canadiens (Minano et al., 2019).Par exemple, Chakraborty et al. (2020) utilisent les données du recensement de 2016 pour créer un indice de statut socioéconomique qui comprend 49 indicateurs de sensibilité et d’adaptabilité (composition ethnique et raciale, structure des familles et des ménages, accès aux ressources financières, caractéristiques démographiques, etc.). Superposé à l’exposition aux risques d’inondation, cet indice permet de repérer les collectivités les plus vulnérables au pays. De telles données et analyses sont essentielles pour concevoir des politiques qui renforcent la résilience des populations touchées, car même si le taux de pauvreté contribue à dresser un portrait complet, il ne suffit pas à lui seul.
Bien que le Canada dispose généralement de données suffisantes pour reconnaître les populations à risque, les gouvernements peuvent améliorer les ensembles de données existants et faire des rapprochements directs avec les changements climatiques (tableau 9.1). Les principales lacunes touchent les collectivités autochtones et nordiques. Ces dernières ne sont souvent pas comprises dans les ensembles de données nationaux, notamment en raison des défis que présente la collecte de données et de la petite taille des échantillons. Ces collectivités sont pourtant parmi les plus vulnérables aux changements climatiques. Le Canada manque aussi de données sur certains aspects précis de la sensibilité qu’on n’associe habituellement pas aux changements climatiques, comme la santé mentale, l’immigration, la discrimination raciale et les répercussions à long terme des catastrophes naturelles sur le marché du travail.
Il pourrait être utile d’uniformiser et de normaliser les données d’une collectivité à l’autre, puisque les normes de collecte de données varient selon la province ou la municipalité. La Ville de Montréal a mis au point des approches avant-gardistes pour faire le suivi des vulnérabilités et des risques liés aux vagues de chaleur; comme elle communique mieux ses données, les dommages subis et les risques pour la santé y semblent plus importants que dans d’autres endroits. Pendant la vague de chaleur de 2018, par exemple, Montréal a enregistré 66 décès causés par la chaleur, tandis qu’Ottawa n’en a enregistré aucun, malgré des températures similaires (Oved, 2019).
Pour conclure, il pourrait être avantageux pour le Canada d’approfondir les recherches sur les interactions et les recoupements entre les différents facteurs de vulnérabilité. Statistique Canada a fait des progrès à cet égard, par exemple en combinant son Indice canadien de défavorisation multiple aux données historiques sur les inondations dans plusieurs villes canadiennes. Ces données ont permis de repérer les collectivités les plus sensibles et exposées aux inondations printanières dans les régions de Fredericton–Saint John (Nouveau-Brunswick), de Montréal (Québec), du sud du Manitoba et d’Ottawa–Gatineau (figure 9.4).
Un plus grand nombre de données et d’études de ce type nous aiderait beaucoup à mieux comprendre les populations les plus vulnérables aux changements climatiques (Chakraborty et al., 2020). Cela pourrait aider les gouvernements à concevoir des politiques qui renforcent l’adaptabilité et la résilience du Canada, et à éviter celles qui exacerberaient les vulnérabilités actuelles (ex. : offrir un secours inéquitable aux ménages à faible revenu et aux locataires victimes d’inondations). Ce type de données peut aussi servir à réaliser des analyses prospectives afin de mieux comprendre l’évolution des vulnérabilités au fil du temps.