
6 Investissements dans les infrastructures résilientes et sobres en carbone

Les investissements dans les infrastructures résilientes et sobres en carbone sont essentiels à la transition vers un avenir sain, prospère et durable d’ici 20501. Vu la longue durée de vie des infrastructures, il est important de prendre dès aujourd’hui des décisions d’investissement qui maximiseront les retours attendus pour l’ensemble des objectifs climatiques, économiques, sociétaux et environnementaux (CMEC, 2014; 2015). En examinant les données sur les investissements, les gouvernements pourront voir où sont investis les fonds publics et privés, analyser les retombées générées et déterminer si ces investissements favorisent la réalisation des objectifs de croissance résiliente et sobre en carbone.
STATISTIQUE PRINCIPALE 6 : Investissements publics et privés dans les infrastructures liées au climat
Pour évaluer les infrastructures liées au climat, nous nous fondons sur les flux des investissements annuels publics et privés effectués en 2009 et en 2019 dans certaines catégories, comme l’illustre la figure 6.1. Pour une croissance propre réussie, ces investissements doivent augmenter, tandis que les infrastructures doivent générer moins d’émissions et devenir plus résilientes avec le temps.
Dans l’ensemble, les montants et la composition des investissements dans chaque catégorie ont beaucoup changé entre 2009 et 2019, le montant total des investissements ayant augmenté pour 6 des 11 catégories. Les investissements dans les centrales énergétiques hydrauliques et les réseaux de transport et de distribution d’électricité ont connu la plus forte croissance pour cette période de 11 ans et ont aussi attiré les investissements les plus élevés en chiffres absolus, provenant en grande partie du secteur public (Statistique Canada, 2020). Les grands projets hydroélectriques, comme le barrage du Site C en Colombie-Britannique et celui de Muskrat Falls à Terre-Neuve-et-Labrador, ont probablement largement contribué à ces tendances.
Les investissements en dépollution ont aussi connu une croissance importante. Beaucoup moins importants au départ que les dépenses liées aux réseaux électriques, ils ont été multipliés par 23 entre 2009 et 2019. La majeure partie de ces fonds provenait du secteur public, où les investissements sont passés de 12 millions de dollars en 2009 à 413 millions de dollars en 2019. Ces données reflètent l’adoption de politiques environnementales élargies et plus strictes dans tout le pays.
Signalons que les investissements totaux en énergie éolienne et solaire ont diminué de 78 % entre 2009 et 2019, ayant atteint un sommet de près de 2,7 milliards de dollars en 2013. Et bien que la plupart des investissements en énergie éolienne et solaire entre 2009 et 2015 proviennent du secteur privé, c’est le secteur public qui domine entre 2016 et 2019. Le programme ontarien de tarifs de rachat garantis pour les sources d’énergie renouvelable (en vigueur de 2009 à 2017) a été un moteur déterminant pour les investissements privés en énergies renouvelables au Canada (Oji et Weber, 2017; RNCan, 2020), et son annulation a probablement joué un rôle dans la baisse considérable des nouveaux investissements.
Le stock total des infrastructures est tout aussi important, sinon plus, que les flux des investissements annuels décrits ci-dessus. Dans le contexte de la transition vers 2050, le stock d’infrastructures résilientes et sobres en carbone (résultant des flux d’investissement susmentionnés) devrait croître avec le temps, tandis que le stock d’infrastructures à fortes émissions de GES devrait diminuer.
La figure 6.2 montre la valeur totale de certaines catégories d’infrastructure nécessaires à la transition vers 2050, qui s’élevait à 250 milliards de dollars en 2019. En chiffres absolus, les infrastructures liées à l’électricité représentent l’actif à la valeur la plus élevée illustrée, ce qui correspond aux flux d’investissements de la figure 6.1. Au sein de cette catégorie, ce sont les actifs des centrales énergétiques hydrauliques et des réseaux de transport et de distribution d’électricité qui ont la valeur la plus élevée, puisqu’ils comprennent généralement d’énormes projets d’infrastructure requérant des investissements considérables pour leur construction et leur entretien. Les centrales électronucléaires, ainsi que les centrales éoliennes et les panneaux solaires, sont également d’importants éléments de l’infrastructure liée à l’électricité au Canada, mais représentent des actifs moins importants. Dans l’ensemble, la croissance continue du stock d’infrastructures liées à l’électricité au Canada aura une incidence considérable sur la réduction des émissions nationales à long terme. Il importe donc d’autant plus de tenir compte des risques physiques que présentent les changements climatiques pour ce secteur.
L’incidence climatique des autres types d’infrastructure est plus complexe à évaluer, particulièrement si l’on tient compte d’autres objectifs de croissance propre. Par exemple, la valeur totale des infrastructures liées aux autobus au Canada a légèrement diminué (-13 %) entre 2009 et 2019, tandis que la valeur des infrastructures ferroviaires et de transport en commun rapide a plus que doublé (120 %). Ces tendances témoignent peut-être d’un remplacement des parcs d’autobus à moteur diesel polluants par des moyens de transport en commun rapides et plus efficaces. Toutefois, avec la massification des autobus électriques et à hydrogène, la croissance continue des infrastructures liées aux autobus et au transport en commun rapide pourrait être souhaitable.
L’inclusion dans la figure 6.2 des infrastructures pétrolières et gazières permet d’illustrer la difficulté d’évaluer l’incidence des infrastructures sur le climat. Le stock de centrales énergétiques à la vapeur (c.-à-d. de production d’électricité issue de combustibles fossiles) a augmenté progressivement de 2009 à 2019, pour finalement plus que doubler. Et même si l’on peut s’attendre à ce que les stocks d’actifs liés aux combustibles fossiles diminuent avec le temps grâce aux mesures drastiques de réduction des émissions de GES au Canada, ce ne sera pas forcément le cas. Le captage et le stockage du CO2 et d’autres technologies émergentes pourraient aider à réduire les émissions de GES produites par les infrastructures liées aux combustibles fossiles.2 D’un autre côté, la pollution atmosphérique et l’incidence sur les écosystèmes de tous les types d’infrastructures peuvent aussi influencer les décisions, comme on le verra avec les indicateurs 10 et 11.
Utiles pour connaître les investissements passés en infrastructure dans les principaux secteurs, les données des figures 6.1 et 6.2 offrent cependant un portrait incomplet de la relation entre les tendances des investissements et la croissance propre.
Tout d’abord, les données ne concernent qu’un petit sous-ensemble d’infrastructures liées au climat au Canada. Les figures ne montrent pas les tendances d’investissement nationales dans d’autres secteurs importants, par exemple l’amélioration de l’efficacité énergétique, la résilience climatique et les infrastructures naturelles. Cela s’explique en partie par les données incomplètes dans ces domaines (voir la section Données manquantes), mais le principal problème est que le Canada n’a pas de définition et de classification complète des investissements en infrastructures liées au climat.
Le tableau 6.1 propose une meilleure approche pour la définition et la surveillance des investissements en infrastructures liées au climat dans quatre catégories : les infrastructures sobres en carbone, les infrastructures favorisant la sobriété en carbone, les infrastructures résilientes et les infrastructures naturelles. Chacune de ces catégories joue un rôle important dans une croissance propre. À noter que les catégories du tableau 6.1 ne s’excluent pas mutuellement. Les investissements peuvent remplir plusieurs objectifs en même temps; en fait, le cadre offre une manière plus structurée de repérer les investissements en infrastructures qui offrent le meilleur rendement en matière de croissance propre. Il est également utile pour repérer les projets qui contribuent à l’atteinte d’un objectif tout en nuisant à d’autres, par exemple des infrastructures à l’alimentation électrique faible en carbone, mais qui ne sont pas conçues pour résister aux événements climatiques extrêmes (« inadaptées »).
Étant donnée la longue durée de vie des infrastructures, les décisions prises aujourd’hui auront une incidence considérable dans le futur. Elles peuvent notamment créer un « effet de sentier »; il est alors difficile et coûteux de revenir en arrière.
En second lieu, les données n’indiquent pas dans quelle mesure les investissements concordent avec les objectifs de croissance propre à long terme. Il est possible que les investissements permettent de réduire les émissions de GES ou d’améliorer la résilience; cela ne veut toutefois pas nécessairement dire qu’ils contribuent aux objectifs à long terme.
Étant donnée la longue durée de vie des infrastructures, les décisions prises aujourd’hui auront une incidence considérable dans le futur. Elles peuvent notamment créer un « effet de sentier »; il est alors difficile et coûteux de revenir en arrière. Par exemple, les améliorations aux infrastructures côtières peuvent aller dans le même sens que l’objectif canadien d’amélioration de la résilience à la hausse du niveau des mers. Mais si le système ne représente qu’une légère amélioration (par exemple, s’il protège les actifs à valeur élevée d’une légère hausse du niveau des mers, mais pas des hausses importantes prévues par certains scénarios d’évolution du climat), il ne contribue pas nécessairement à l’objectif canadien de résilience économique à long terme.
Cette limite signifie aussi que les tendances en matière d’investissement n’ont qu’une valeur réduite pour éclairer les choix futurs (dans les secteurs public et privé). Les données antérieures peuvent mettre en lumière certaines lacunes nécessitant de nouvelles politiques, mais d’autres analyses sont requises pour déterminer où il faudrait investir des fonds publics limités. Pour établir les priorités, il faut également comprendre les obstacles aux investissements privés dans les infrastructures liées au climat, et évaluer les avantages actuels et futurs de différents projets pour la société (encadré 6.1).
Encadré 6.1 – Le secteur public, moteur d’investissements privés et institutionnels dans les infrastructures liées au climat
Les fonds privés et institutionnels (fonds de pension) investissent généralement dans les projets ayant le meilleur rendement financier (NRDC et al., 2016). Puisque les marchés ont jusqu’à maintenant échoué à reconnaître la valeur des avantages climatiques et sociaux, et que les investissements dans les infrastructures résilientes et sobres en carbone peuvent présenter un risque élevé et offrir un rendement moindre, une intervention gouvernementale pourrait être nécessaire. Les politiques mises en place pourraient comprendre des obligations de divulgation, des partenariats public-privé, des banques d’infrastructure, des règlements et des tarifs qui inciteront les investisseurs à canaliser et à réorienter les fonds dans les infrastructures résilientes et sobres en carbone et résilientes.
Sources : Commission mondiale sur l’économie et le climat (2015); Infrastructure Canada (2018); NRDC et al., 2016); Banque de l’infrastructure du Canada (2020); GIFCC (2019).
Le Canada dispose déjà de données de qualité sur les investissements nationaux dans certains types d’infrastructures (comme le montrent les figures 6.1 et 6.2), mais la portée et la précision de ces données pourraient être améliorées. Les technologies de capture, d’utilisation et de stockage du carbone pourraient par exemple jouer un rôle de premier plan dans la décarbonation des industries canadiennes à fortes émissions; elles sont déjà utilisées dans certaines installations. Les ensembles de données de Statistique Canada ne donnent toutefois pas d’information sur ce type précis d’investissements. Ils ne tiennent pas compte non plus de certains secteurs d’investissement émergents, comme les infrastructures de recharge pour les véhicules électriques. Relativement simple, l’ajout de nouvelles catégories détaillées aux enquêtes et aux rapports existants fournirait de précieux renseignements.
Dans d’autres situations, par contre, les données sur les investissements liés au climat sont moins accessibles ou carrément inexistantes. Il existe par exemple peu de données à l’échelle nationale et provinciale sur les investissements dans les infrastructures naturelles et dans les infrastructures résilientes au Canada. Les données sur les investissements liés au climat dans le stock de bâtiments canadien sont aussi rares, particulièrement pour ce qui est des rénovations. Ce genre d’investissements à petite échelle existe dans l’ensemble du pays, ce qui en complique le suivi et la surveillance. Ces secteurs d’investissement sont pourtant appelés à jouer un rôle important dans la transition vers 2050. Heureusement, différentes initiatives pourraient permettre d’inclure des données supplémentaires à l’avenir (encadré 6.2).
Encadré 6.2 : Premières démarches de suivi des investissements liés au climat
Certaines organisations, par exemple le Conseil national de recherches Canada, travaillent de concert avec Infrastructure Canada pour mettre au point des normes de résilience aux inondations, aux incendies et aux phénomènes météorologiques extrêmes pour les bâtiments et autres infrastructures. Les données de ce genre pourraient être intégrées à un système de suivi global fournissant des renseignements sur les infrastructures résilientes à l’échelle nationale et provinciale. Elles pourraient s’ajouter aux données sur les investissements déjà recueillies par Statistique Canada. Certaines collectivités locales commencent également à intégrer les investissements liés au climat à leur planification de gestion des actifs; ce type d’approche n’est toutefois pas encore très répandu et il n’existe pas de données globales (FCM, 2019). Les efforts déployés pour élargir la portée des pratiques exemplaires de gestion des actifs offrent une belle occasion d’améliorer l’établissement des priorités, ainsi que le développement et le suivi des investissements liés au climat.
Sources : FCM (2019); Infrastructure Canada (2019).
Le Canada pourrait aussi s’inspirer des expériences et des approches internationales pour mettre en œuvre un cadre de rapport plus complet correspondant aux catégories proposées dans le tableau 6.1. Le financement de l’aide publique au développement international est par exemple catégorisé comme une mesure d’atténuation des changements climatiques ou comme une mesure d’adaptation à ces changements. Les investissements pourraient être catégorisés selon leurs objectifs principaux, secondaires ou tertiaires afin de repérer ceux qui permettent d’atteindre plusieurs objectifs.
Pour terminer, tous les ordres de gouvernement canadiens pourraient profiter de données et d’analyses prospectives afin de s’assurer que les investissements publics et privés actuels dans les infrastructures contribuent aux objectifs de croissance propre à long terme du Canada. L’Institut canadien pour des choix climatiques étudie présentement ces questions afin d’alimenter les importantes discussions qui nous attendent.
- Nous définissons les infrastructures comme tout système physique de base indispensable au fonctionnement de l’économie et de la société. Cela comprend les infrastructures construites (immeubles, réseaux de transport, réseaux de communication, infrastructures de gestion de l’eau et des eaux usées, réseaux électriques, systèmes de chauffage) et les infrastructures naturelles, ou « vertes » (milieux humides, forêts, estuaires, lacs, etc.). Il s’agit généralement d’actifs durables dont la construction peut nécessiter beaucoup de capitaux.
- Selon Statistique Canada, les investissements dans les technologies de capture et de stockage de CO2 devraient être comptabilisés dans la catégorie « Dépollution » dans les figures 6.1 et 6.2. Toutefois, ces investissements peuvent être parfois comptabilisés dans la catégorie des infrastructures pétrolières et gazières.