2 Résilience économique
De l’élévation du niveau de la mer à la multiplication et à l’aggravation des feux incontrôlés et des inondations, les répercussions physiques des changements climatiques engendrent des coûts qui ne peuvent qu’augmenter. Le PIB ne permet pas d’illustrer toutes les conséquences économiques de cette augmentation, mais la prospérité du Canada risque de s’en trouver affectée à long terme. La croissance propre dépendra donc de notre capacité à éviter ou à réduire ces coûts en améliorant notre résilience et en nous adaptant aux changements. La portée et la cadence de ces efforts seront dictées par les politiques gouvernementales; aussi nous faudra-t-il surveiller et comprendre les implications et les coûts des changements climatiques pour que les dirigeants puissent prendre des décisions éclairées et que les secteurs public et privé soient à même de se préparer et d’investir dans des mesures d’adaptation efficaces.1
Statistique principale 2 : Fréquence et coûts des catastrophes naturelles dues aux changements climatiques
Dans l’idéal, le Canada surveillerait l’augmentation des coûts associés aux changements climatiques, comme les événements météorologiques extrêmes et les changements à action lente. La croissance propre implique de limiter cette hausse. À l’échelle nationale, la Base de données canadienne sur les catastrophes (gérée par Sécurité publique Canada) comprend des chiffres précieux sur les événements météorologiques extrêmes, notamment la fréquence annuelle et les coûts approximatifs des catastrophes naturelles (figure 2.1).
Les catastrophes naturelles siphonnent de plus en plus les fonds publics, suscitant des questionnements quant à la capacité fiscale des gouvernements du monde entier à faire face aux changements climatiques. Si la tendance se maintient, les dirigeants n’auront d’autre choix que de réduire les dépenses ailleurs ou d’augmenter les impôts.
Au Canada, le gouvernement fédéral verse une aide après sinistre aux provinces en vertu des Accords d’aide financière en cas de catastrophe (AAFCC). Le montant annuel moyen de ce mécanisme de soutien, qui s’élevait à 10 millions (dollars constants) pour la période de 1970 à 1995, a atteint 360 millions pour la période de 2011 à 2016 (SPC, 2017). À l’exercice financier 2018-2019, les AAFCC ont enregistré une augmentation de 492 millions de dollars des charges à payer (SPC, 2019). Environ les trois quarts des fonds d’aide après sinistre sont utilisés pour des inondations. Le Programme d’aide à la gestion des urgences pour les communautés autochtones a aussi gagné en importance depuis 2005, ayant versé plus de 150 millions de dollars en indemnités à l’exercice 2018-2019 (SAC, 2019).
Par ailleurs, de nombreuses provinces et municipalités ont également dû débourser davantage en gestion des catastrophes, mais le montant des dépenses varie selon le type et la gravité des événements et les programmes d’aide (Henstra et Thistlethwaite, 2017). Par exemple, chaque province offre une indemnité différente aux propriétaires après une catastrophe naturelle (Bryan-Baynes, 2019). En outre, les municipalités doivent parfois assumer des coûts élevés pour réparer ou rebâtir des infrastructures municipales ou couvrir les heures supplémentaires du personnel et des entrepreneurs. Notamment, à la fin de l’année 2019, le gouvernement du Québec avait remis 211 millions de dollars en indemnités à la moitié des victimes des inondations du printemps 2019, ce qui sous-entend que le montant pourrait encore doubler (Maratta, 2019). Pour ce même événement, la ville de Montréal a dû débourser 17 millions de dollars en réparations et en services d’urgence (Oduro, 2020).
Les pertes assurées constituent un bon indicateur des coûts des catastrophes météorologiques pour le secteur privé. À la figure 2.2, on note une tendance à l’augmentation de ces pertes dans les dernières décennies, principalement à cause des inondations et des feux incontrôlés. L’assurance habitation en cas d’inondation de surface a fait son apparition chez certaines compagnies d’assurance en 2015, mais de nombreux domiciles canadiens à risque ne sont toujours pas couverts (OCDE, 2019). En 2013, des inondations dans le sud de l’Alberta ont entraîné 6 milliards de dollars en pertes, dont seul 1,7 milliard était assuré (Meckbach, 2018).
Il sera de plus en plus important de surveiller ces tendances à mesure que les événements climatiques extrêmes deviendront plus fréquents et graves. Les compagnies d’assurances devant débourser de plus en plus, elles se verront peut-être obligées de refuser les clients de zones à risque ou d’augmenter leurs primes au-delà du raisonnable. C’est pourquoi les assureurs et les gouvernements explorent diverses options pour changer l’approche de gestion des propriétés à risque élevé (BAC, 2019).
Pour réduire les coûts et les dommages futurs, les politiques doivent être basées sur une évaluation des risques climatiques. En effet, une meilleure compréhension de ces risques aiderait les communautés à prévenir les dommages et à se relever plus vite et plus fort, surtout sur les territoires éloignés, autochtones et autres, où les ressources et l’aide sont déjà limitées.
Beaucoup de municipalités travaillent déjà en ce sens. Par exemple, en 2018, l’organisation américaine CDP a recueilli les données de 620 villes du monde sur les risques climatiques qu’elles anticipaient. L’étude comprenait plusieurs villes canadiennes (figure 2.3), qui ont signalé des risques « extrêmement importants » – inondations, ondes de tempête, feux incontrôlés et sécheresses – et des risques « importants » – vagues de chaleur, tempêtes, cycles de gel et de dégel, organismes nuisibles et maladies à vecteur (CDP, 2018). Les données sont toutefois partielles et incomplètes : beaucoup de municipalités sous-estiment leurs risques, ce qui est probablement dû à un manque d’évaluations exhaustives. Si Edmonton et Calgary signalent davantage de risques climatiques que les autres villes, c’est surtout parce qu’elles font un meilleur travail d’évaluation, pas parce que les risques y sont plus élevés.
Si le coût des catastrophes naturelles est un bon indicateur des conséquences économiques croissantes des changements climatiques, il présente des lacunes évidentes en tant que mesure du progrès vers la résilience économique :
- Le coût des catastrophes naturelles est inférieur au coût réel des changements climatiques. Les événements extrêmes sont loin d’être la seule conséquence des changements climatiques. Ainsi, le coût des catastrophes est nettement inférieur au coût total. Les coûts associés aux effets dominos, aux répercussions à long terme et aux changements à action lente dépassent largement ceux engendrés par les événements eux-mêmes. Afin d’avoir un portrait complet des coûts, il nous faudra surveiller diverses conséquences, notamment la baisse de la productivité agricole, la baisse de la productivité des travailleurs avec la chaleur, les dommages aux bâtiments causés par la fonte du pergélisol dans le Nord, l’expansion et la propagation d’espèces d’insectes ravageurs dans les forêts et les risques croissants pour la santé que posent les vagues de chaleur et la maladie de Lyme.
- Plusieurs facteurs influent sur les catastrophes naturelles. Certaines peuvent être attribuées, du moins en partie, aux changements climatiques (encadré 2.1), qui augmentent la probabilité, la fréquence et l’intensité des événements extrêmes à différents degrés à travers le pays (ECCC, 2019). Toutefois, d’autres facteurs ont une incidence sur les pertes dues aux sinistres. Par exemple, le coût des inondations et des feux est alourdi par la construction de nouveaux lotissements dans les zones à risque, l’ajout de surfaces imperméables, la perte des milieux humides, le vieillissement des infrastructures, le choix des méthodes de construction et la hausse des valeurs de propriétés (Centre Intact, 2020). Dans l’avenir, il pourrait devenir plus difficile d’attribuer un événement précis aux changements climatiques, mais il n’en demeure pas moins qu’il est essentiel d’améliorer notre capacité de résilience aux catastrophes naturelles.
Encadré 2.1 : Attribution des événements extrêmes aux changements climatiques
Un nouveau courant de recherche scientifique sur le climat se penche sur les causes des catastrophes naturelles, évaluant la mesure dans laquelle la probabilité ou l’intensité d’un événement extrême sont influencées par l’augmentation des GES dans l’atmosphère.
Par exemple, en 2017, une étude de Teufel et al. sur les inondations de 2013 en Alberta a démontré que les changements climatiques avaient accru les risques de pluies torrentielles dans la région, mais que le ruissellement nival qui avait contribué aux inondations n’était pas dû à des changements climatiques d’origine humaine. Dans la même veine, des études sur les feux de forêt de 2016 à Fort McMurray ont révélé que les changements climatiques avaient fait augmenter les risques de feux incontrôlés et prolongé la saison des feux dans la région.
Sources : Tett et al. (2018); Kirchmeier-Young (2017); ECCC (2019).
- Le coût des catastrophes naturelles ne tient pas pleinement compte de leur effet sur la croissance économique. Il ne suffit pas d’additionner les dépenses engendrées par un événement pour en mesurer les conséquences économiques. Cependant, la mesure classique de la croissance économique – le produit intérieur brut – n’est pas parfaite. D’abord, les efforts de reconstruction font généralement croître le PIB, car ils stimulent l’activité économique. Ensuite, cette mesure ne tient pas compte des pertes de richesses ou de biens, comme la diminution de la valeur des propriétés (Antunes et Bernard, 2016). Elle ne reflète pas non plus les occasions perdues lorsqu’un gouvernement doit gérer un sinistre en détournant des fonds qui auraient pu être injectés dans d’autres services publics. Les estimations globales du PIB, provinciales ou nationales, peuvent aussi passer à côté de conséquences importantes à l’échelle locale. Par exemple, les feux de Fort McMurray n’ont réduit le PIB de l’Alberta que de 0,1 % en 2016 (encadré 2.2). Pour avoir un portrait plus complet des répercussions économiques, il faudrait observer plusieurs types de coûts à différentes échelles et analyser les conséquences des événements sur les entreprises et les ménages au fil du temps.
Encadré 2.2 : Répercussions économiques des feux de Fort McMurray
Les feux qui ont touché Fort McMurray en 2016 ont engendré plus de 5 milliards de dollars en pertes assurées. On estime aussi la perte en revenus de la production de pétrole à 1,4 milliard. Ensemble, les gouvernements fédéral, provincial et municipal ont consacré 615 millions de dollars à la reconstruction, et la Croix-Rouge canadienne a fourni 319 millions de plus. Selon une étude de 2017, si on tient compte des répercussions sur la santé mentale et l’environnement, le coût total des feux s’est élevé à près de 9 milliards de dollars. Malgré tout cela, l’incidence nette de l’événement sur le PIB de l’Alberta en 2016 n’est estimée qu’à 0,1 % (465 millions).
Sources : Adriano (2017); MacEwan University (2017); Antunes et Bernard (2016); Conference Board of Canada (2016).
- Le coût des catastrophes naturelles ne tient pas compte de l’amélioration de la résilience économique. Les fluctuations des coûts associés aux changements climatiques au fil des ans reflètent à la fois l’augmentation des risques liés aux changements climatiques (exposition) et le degré de préparation et d’adaptation des trois ordres de gouvernement canadiens, des entreprises et des ménages à ces risques. Ainsi, il est difficile de choisir un indicateur pour mesurer les progrès en matière de résilience économique. En effet, les coûts pourraient augmenter parce que nous étudierons davantage de risques et que les catastrophes se feront plus graves et plus fréquentes, mais cela ne signifierait pas que le travail d’adaptation ne porte pas de fruits. Pour évaluer l’efficacité de nos efforts, il nous faudra comparer les coûts réels à une projection des coûts en l’absence d’intervention. Mais pour avoir un tel point de référence, il est essentiel d’analyser les coûts futurs associés à divers scénarios climatiques.
L’absence de certaines données importantes mine notre capacité à comprendre les coûts passés et futurs (anticipés) associés aux changements climatiques.
Les données de la Base de données canadienne sur les catastrophes ne sont pas suffisamment homogènes ou complètes pour permettre de suivre l’évolution des coûts. L’information sur ceux-ci n’est ni uniformisée ni subdivisée, ce qui limite la capacité des chercheurs à effectuer des analyses pour cerner les interventions les plus pressantes. Dans bien des cas, certains types de coûts (ex. : biens des ménages) sont manquants ou omis. De plus, certains événements ne sont pas signalés du tout, surtout dans les communautés autochtones, de petite taille ou du Nord mal outillées pour le faire. Qui plus est, la Base de données ne répertorie que les sinistres et ne tient pas compte des coûts associés aux changements climatiques à action lente, lesquels s’évaluent au moyen de données et d’outils d’analyse très différents.
Par ailleurs, malgré leur importance capitale dans la prise de décisions concernant les mesures d’adaptation des secteurs public et privé, les évaluations des risques associés aux changements climatiques se font rares. Ces évaluations, basées sur les données passées et les scénarios climatiques futurs, visent à aider gouvernements, propriétaires, entreprises, assureurs et prêteurs à comprendre les risques principaux auxquels ils pourraient être confrontés et à s’adapter en conséquence. Cette compréhension des risques passés et actuels s’acquiert au moyen d’analyses des données sur les sinistres passés et d’outils comme une carte des zones exposées aux inondations (Minano et al., 2019).
Cependant, les données sur les catastrophes passées sont inégales, et la cartographie des risques actuels au Canada est très disparate, non exhaustive ou carrément inexistante. La cartographie des risques futurs est encore moins bonne, par manque d’une part de points de référence et d’autre part d’études sur la portée et les coûts des répercussions climatiques à venir. Afin de réduire ces coûts, tous les ordres de gouvernement devront investir davantage dans la compréhension des risques.
Par ailleurs, l’évaluation des risques climatiques à action lente pose elle aussi problème, car elle demande une évaluation plus complète et systématique des répercussions possibles des scénarios futurs sur les différents secteurs de l’économie.