Il est temps de repenser la façon dont la Loi sur l’évaluation d’impact traite les questions climatiques

Le processus d’examen réglementaire du Canada peut faire bien des choses. Contrôler les futures émissions ne devrait pas être du lot.

La simplification du processus d’examen réglementaire du Canada – les évaluations, les permis, les approbations requises avant l’exécution d’un grand projet – sera essentielle à la mise sur pied de projets de croissance propre à la vitesse et à l’ampleur nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques et économiques du pays. L’Institut climatique du Canada a annoncé étudier cet enjeu, se penchant sur la création d’un système d’examen réglementaire pour les initiatives de croissance propre qui soit assez efficace pour accélérer les projets concurrentiels favorables à la transition et pour permettre au public d’avoir son mot à dire et aux peuples autochtones de participer de manière significative, le tout en protégeant l’environnement.

L’enjeu fondamental de cette recherche : comment peut-on simplifier les projets accélérant et favorisant la transition vers l’énergie propre – les usines de batteries, les installations solaires, les mines de lithium et les sites de forage géothermique qui alimenteront notre future prospérité?

À mesure que nos recherches progressent, cependant, les données pointent vers une conclusion inattendue : bien que la réduction de la pollution piégeant la chaleur de tous les secteurs soit primordiale au respect des promesses climatiques et à la compétitivité à long terme du Canada, le processus d’examen réglementaire n’est simplement pas optimal pour renforcer les cibles du pays à l’échelle du projet.

Simplifier le processus d’examen réglementaire

Nous avons récemment publié une série d’études définissant les manières de simplifier efficacement le processus d’examen réglementaire des projets de croissance propre, notamment par l’exploitation des évaluations stratégiques, l’accélération de certains projets d’énergie propre à faible impact et la prise en compte des enseignements de certaines refontes des permis à New York et en Californie. Toutes ces recherches se concentrent sur comment accélérer les projets sobres en carbone à travers le processus d’examen réglementaire.

Cependant, un enjeu a été ignoré par les études : l’opposition régionale grandissante à l’autorité fédérale réglementant l’approbation des projets à forte intensité d’émissions, comme les projets majeurs d’énergie et d’exploitation minière, qui menacent les promesses climatiques du Canada. Dans ce bras de fer politique, la Cour suprême a récemment qualifié d’inconstitutionnelles certaines parties de la Loi sur l’évaluation d’impact de 2019, et le conflit général a laissé un voile d’incertitude sur le processus d’examen réglementaire tout entier, ce qui nuit à la réalisation de l’ensemble des projets.

Cela soulève une grande question : le Canada a-t-il trop d’attentes envers son système d’examen réglementaire? Selon nos recherches, les évaluations d’impact au cas par cas ne sont peut-être pas idéales pour déterminer la conformité des nouveaux projets aux trajectoires de réduction des émissions canadiennes inscrites dans la loi. Il faudrait plutôt opter pour des politiques et des règlements plus généraux, comme la tarification du carbone industrielle et le tout nouveau plafond des émissions pétrogazières, bien mieux placés pour garantir la compatibilité des projets de divers secteurs avec les objectifs climatiques canadiens.

Des problèmes que le système d’examen réglementaire ne peut résoudre

Si le dialogue entourant la refonte réglementaire canadienne est complexe et trop souvent défini dans des termes politiques, il n’en reste pas moins que des critiques de fond créent une certaine tension. La subjectivité et le manque d’orientation stratégique du système d’examen réglementaire au fédéral, par exemple, sont devenus des points de désaccord majeurs. La Loi sur l’évaluation d’impact utilise cinq critères pour déterminer si un projet à l’étude sert l’intérêt public, dont l’un d’eux est les répercussions sur les promesses climatiques du Canada. Parmi les autres critères se trouvent la contribution d’un projet à la durabilité, ses effets négatifs relevant de la compétence fédérale, la pertinence de ses mesures d’atténuation et ses répercussions sur les peuples autochtones et leurs droits.

Plusieurs mesures stratégiques servent à garantir la conformité des projets proposés à ces critères et à gérer les effets négatifs potentiels pour les écosystèmes, les gens et l’économie. Mais en les insérant dans la Loi sur l’évaluation d’impact selon un critère « d’intérêt public », on ajoute un fardeau aux approbations réglementaires, ce qui risque de retarder les projets ou de les faire tomber à l’eau.

Pour décider si un projet sert l’intérêt public, et sous quelles conditions, il faut nécessairement porter un jugement de valeur dans l’examen de ses effets négatifs (comme les émissions, la dégradation de l’environnement, les répercussions sur les droits autochtones et les communautés environnantes) par rapport à ses avantages (comme le développement économique et la création d’emplois). Dans sa décision récente, la Cour suprême du Canada a clairement statué que ces critères – sous leur forme actuelle – sont trop subjectifs et mal définis pour qu’ils restent de compétence fédérale.

Des solutions autres que le processus d’examen réglementaire

S’il est juste d’affirmer que le système réglementaire canadien essaie d’en faire trop, il faut aussi se rappeler comment le pays en est arrivé là. Ce n’est pas d’hier que le Canada manque d’approches cohérentes pour réglementer les impacts de projets majeurs sur la durabilité, et les gouvernements successifs n’ont pas adopté les politiques nécessaires à la réalisation de grands objectifs stratégiques – le climat en est le meilleur exemple. Dans certains cas, les gouvernements ont explicitement affaibli les réglementations environnementales pour accélérer l’approbation de projets. Une refonte majeure du système réglementaire en 2018 visait à résoudre ce problème (et à compenser les politiques inefficaces dans d’autres domaines) par l’ajout de ce facteur à la liste d’éléments à prendre en considération dans le processus décisionnel sur les projets. Toutefois, comme mentionné, la récente décision de la Cour suprême amène le gouvernement fédéral à revoir son approche.

Si le système d’examen réglementaire actuel est le résultat de lacunes passées dans les politiques, on devrait prendre un pas de recul et analyser ce qu’un examen réglementaire peut – et devrait – accomplir dans le cadre des grandes stratégies climatiques du Canada. Par exemple, les autorités de réglementation et les représentants élus peuvent-ils efficacement déterminer si les émissions d’un projet sont inacceptables? Ou vaut-il mieux prendre cette décision en fonction des politiques plus générales prévues pour limiter les émissions totales conformément aux objectifs climatiques du Canada?

Lorsque possible, il serait bien plus efficace de s’attaquer à la cause profonde du problème de politiques que d’essayer de le résoudre par un processus d’examen réglementaire – rien de nouveau pour le Canada (voir ici, ici et ici). Les politiques ont évolué au pays, et il en va de même pour l’obligation d’analyser les émissions d’un projet par l’évaluation d’impact : il est maintenant beaucoup plus efficace d’utiliser des politiques ciblées pour réduire les émissions et ainsi veiller à ce que les projets soient favorables à la carboneutralité.

Prenons l’exemple du projet d’agrandissement de la mine de base de Suncor en Alberta : il fait l’objet d’une évaluation d’impact depuis 2021, avec les répercussions sur le climat comme source principale de conflits, et elle n’est pas près de se terminer vu les récentes incertitudes par rapport à l’examen réglementaire. Si le Canada avait eu un plafond des émissions pétrogazières au moment de la proposition de ce projet, les répercussions climatiques auraient simplement pu être évaluées en fonction de la capacité à respecter ce plafond.

L’importance des politiques climatiques

Les processus d’approbation réglementaire par projet sont – encore et toujours – précieux pour prévenir certains dommages environnementaux. En fait, les exigences quant à la rétroaction du public, à la durabilité et à la mobilisation sérieuse des peuples autochtones sont un atout à la compétitivité, puisque davantage d’investisseurs internationaux cherchent à faire coïncider le rendement financier au rendement social.

Mais ces processus ne sont pas adaptés lorsque vient le temps d’appliquer les réductions d’émissions de gaz à effet de serre nationales aux projets à forte intensité d’émissions.

Ce constat souligne l’importance de renforcer les politiques climatiques en dehors du système d’examen réglementaire pour veiller à ce que le Canada atteigne ses cibles de réduction même si l’approbation des projets de croissance propre est simplifiée. C’est en faisant respecter des politiques centrales qui sont claires et prévisibles, comme la communication d’informations financières en lien avec les changements climatiques, le Règlement sur l’électricité propre, la réglementation du méthane et un plafond des émissions pétrolières et gazières, que l’on pourra assurer la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ainsi, on fait de la place à un système d’examen réglementaire plus simple et plus transparent pour accélérer les projets de croissance propre qui stimuleront la transition énergétique canadienne, bénéfique autant pour la réduction des émissions que pour l’atteinte des objectifs. C’est aussi essentiel pour attirer les investissements et maintenir le titre concurrentiel de l’économie canadienne dans la transition énergétique mondiale.

Jonathan Arnold est directeur par intérim pour la croissance propre à l’Institut climatique du Canada.

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