Refonte des permis pour les projets d’énergie propre dans les États de New York et de la Californie

Des changements prometteurs dont le Canada pourrait s’inspirer

Introduction

En 2022, les États-Unis ont adopté l’Inflation Reduction Act, qui prévoit l’injection d’au moins 370 milliards de dollars américains de fonds publics dans l’énergie renouvelable, les véhicules électriques, les combustibles propres, les biocarburants de deuxième génération et d’autres technologies semblables. C’est là tout un investissement générationnel dans la transition énergétique – investissement qui rapporte déjà.

Cela dit, bien que cette loi ait le potentiel de transformer l’économie américaine dans la course à la carboneutralité, la concrétisation de ce potentiel demeure incertaine.

Pour atteindre leur cible de carboneutralité d’ici 2050, les États-Unis devront générer une nouvelle capacité de production d’électricité propre équivalente à la construction de deux centrales solaires de 400 mégawatts chaque semaine pendant 30 ans, comme l’illustre cette analyse. Or, la construction d’une seule de ces centrales aux États-Unis prend généralement quatre à cinq ans.

Le défi est encore plus grand du côté des infrastructures de transport; l’électricité propre sera le pivot d’une économie carboneutre, mais il faut en moyenne plus de 10 ans pour construire des lignes de transport. La vitesse de développement de ces infrastructures devra donc doubler – passant d’une moyenne de 1 % par année à 2,3 % jusqu’en 2030 –, sans quoi plus de 80 % des réductions d’émissions rendues possibles par l’Inflation Reduction Act ne verront jamais le jour.

Deux raisons principales expliquent la lenteur des projets d’énergie propre au pays : les processus d’obtention de permis complexes et chronophages, qui impliquent souvent plusieurs ordres de gouvernement, et l’opposition locale aux projets et la politisation du développement de l’énergie propre.

Comme nous le verrons dans la présente étude de cas, ces deux problèmes sont liés; l’octroi de permis sans consultation suffisante mine l’appui, la confiance et l’adhésion du public, ce qui prolonge encore des processus déjà interminables. C’est pourquoi différents législateurs étatiques et fédéraux ont entrepris une refonte visant à accélérer les processus tout en renforçant les consultations pour que les projets d’énergie propre aboutissent plus rapidement.

Si l’on s’attarde généralement au côté fédéral de la question, la présente étude de cas vise plutôt les refontes entreprises par les États. En effet, la majorité des projets d’énergie propre aux États-Unis doivent se soumettre à une évaluation de l’État concerné pour recevoir un permis de construire, tandis que les processus fédéraux accordent souvent des exemptions aux projets dont les répercussions s’annoncent mineures, ce qui est fréquemment le cas des projets d’énergie propre. Ainsi, les refontes étatiques seront plus importantes pour accélérer la construction des projets – et les processus d’évaluation et d’approbation des États se comparent plus facilement à ceux des provinces canadiennes. Les refontes étatiques sont aussi riches d’exemples d’expérimentations stratégiques pouvant être reproduites par les gouvernements aux prises avec des enjeux semblables.

Dans cette optique, la présente étude de cas se penche sur les refontes des systèmes de permis dans deux des États les plus populeux et les plus prospères qui constituent de véritables fers de lance du climat : New York et la Californie. Elle déterminera si ces refontes atteignent pleinement leur objectif, soit d’accélérer la construction des projets, et examinera les apprentissages que peuvent en tirer les gouvernements canadiens malgré les différences majeures entre les deux pays dans la division des pouvoirs et la gouvernance.

Les processus d’octroi de permis pour les projets d’énergie propre aux États-Unis

La figure 1 replace les refontes étatiques dans le contexte du processus global d’octroi de permis aux États-Unis. Si le processus exact dépend de l’emplacement et de la nature de chaque projet, les promoteurs doivent parfois se soumettre aux examens environnementaux et aux processus de demande de permis de plusieurs ordres de gouvernement (municipal, étatique, régional, interétatique, fédéral, tribal et autochtone). C’est que les États-Unis, tout comme le Canada, sont une fédération. Aussi les promoteurs de projets d’énergie propres1 doivent-ils se conformer à une multitude de processus différents avant d’obtenir le feu vert pour la construction.

Figure 1 : Résumé des processus d’octroi de permis pour les projets aux États-Unis

Cette figure illustre comment les processus réglementaires fonctionnent aux différents niveaux de gouvernement aux États-Unis. Il est important de noter que les caractéristiques des projets et/ou leur taille détermine la dépendance des évaluations environnementales. Cela mène à certaines exemptions des processus de validation mentionnés ci-dessus. De plus, le pouvoir des autorités locales de délivrer des permis pour des projets d’énergie propre pourrait être limité, selon la liberté qu’elles ont de créer leurs propres règles (home rule) et en fonction d’à quel point les lois de l’État les y autorisent ou non (state enabling).

À l’échelle municipale, chaque projet – y compris dans les États de New York et de la Californie – doit d’abord obtenir un permis d’utilisation des terres conformément aux règlements municipaux et aux ordonnances de zonage. À l’échelle étatique, la grande majorité des gouvernements exigent que les promoteurs fassent plusieurs demandes de permis; c’est aussi le cas dans nos deux États. Par exemple, selon la taille du projet et l’emplacement, le promoteur pourrait avoir à déposer plusieurs demandes à l’État et se soumettre à une panoplie de règlements et de cadres d’évaluation, comme des lois sur la protection des espèces en voie de disparition ou des oiseaux migrateurs. En outre, quelques États, dont ceux de New York et de la Californie, ont des lois sur les évaluations environnementales qui imposent la réalisation d’une étude d’impact avant l’octroi d’un permis.

Les processus municipaux et étatiques peuvent également se chevaucher avec ceux d’autres ordres de gouvernement. Bien que ce problème dépasse la portée de la présente étude de cas, notons ce qui suit :

  • Échelle régionale et interétatique : Les projets qui s’étendent sur plusieurs États (p. ex. les projets de production et de transport d’énergie renouvelable) doivent aussi être approuvés par des exploitants de réseau indépendants à l’échelle étatique ou interétatique. Par exemple, les promoteurs qui souhaitent relier leur projet d’énergie renouvelable au réseau électrique doivent faire une demande d’interconnexion. Certains projets de transport doivent aussi obtenir l’approbation de la Federal Energy Regulatory Commission.
  • Échelle fédérale : Les projets de grande envergure doivent obtenir des permis fédéraux et se soumettre à une évaluation environnementale fédérale (p. ex. en vertu de la National Environmental Policy Act). Comme à l’échelle étatique, on trouve ici toutes sortes de lois et règlements relevant d’une multitude d’organismes fédéraux qui octroient des permis. Dans les cas où plusieurs permis fédéraux sont nécessaires, un organisme fédéral principal coordonne l’ensemble des processus.
  • Échelle autochtone : En 2012, les tribus autochtones ont obtenu l’autorisation d’établir leurs propres règlements, conformément aux lignes directrices du Bureau des affaires indiennes2. Or, la signature de baux à long terme pour des projets d’énergie propres sur des terres tribales fédérales requiert tout de même l’accord du Secrétaire à l’Intérieur.

Refontes réglementaires à l’échelle étatique

Les États de New York et de la Californie ont pris des mesures audacieuses pour accélérer les projets d’énergie propre. Cette section résume les changements importants en cours.

New York

L’Assemblée législative de l’État de New York a adopté en 2020 l’Accelerated Renewable Energy Growth and Community Benefit Act, la première refonte complète d’un processus étatique d’octroi de permis.

Cette loi multidimensionnelle vise à augmenter la capacité de production d’énergie renouvelable et à accélérer considérablement l’approbation des projets. Elle a instauré l’Office of Renewable Energy Siting, un guichet unique pour les questions de permis, les études d’impact et l’accompagnement des promoteurs dans leurs demandes de permis étatiques. Elle pose aussi des délais légaux pour l’octroi de permis de construire, soit un maximum de six mois pour les projets sur des sites contaminés préapprouvés, et d’un an pour tous les autres projets. La loi prévoit en outre la délivrance automatique du permis si l’Office of Renewable Energy Siting ne rend pas sa décision à temps.

Cette refonte cible principalement les projets d’envergure; seules les propositions de projets d’une capacité de 25 mégawatts ou plus seront automatiquement traitées par l’Office of Renewable Energy Siting, mais les promoteurs de projets de 20 à 25 mégawatts pourront aussi déposer une demande s’ils le désirent.

Ensemble, ces changements réglementaires permettront de réduire fortement les délais de traitement. Avant l’adoption de la loi, il fallait compter environ 5 à 10 ans avant la première pelletée de terre d’un projet d’énergie renouvelable, un obstacle évident à l’atteinte de l’objectif juridiquement contraignant de l’État de New York, soit une production d’électricité à 70 % renouvelable d’ici 2030. Désormais, les nouveaux projets pourraient être approuvés en à peine deux ans.

Qui plus est, la loi comprend un programme « prêt pour la construction » selon lequel le secteur privé peut prédésigner des sites contaminés pour les projets d’énergie renouvelable sur des terrains où des projets de développement économique avaient déjà été approuvés (p. ex. le site d’une ancienne installation industrielle). Lorsqu’un site est jugé viable, la New York State Energy and Research and Development Authority collabore étroitement avec la municipalité concernée pour voir aux permis et à l’interconnexion. Une fois le site pleinement approuvé et doté des permis nécessaires, il est mis aux enchères dans le secteur privé de l’énergie renouvelable.

L’Accelerated Renewable Energy Growth and Community Benefit Act contient aussi des dispositions sur les retombées locales et l’emploi. Tous les nouveaux projets d’énergie renouvelable soumis à l’Office of Renewable Energy Siting et à la New York State Energy and Research and Development Authority doivent offrir des avantages à la communauté d’accueil, comme des crédits de services publics. Le but est d’aller chercher l’adhésion du public dès le départ afin de réduire la probabilité d’une opposition et de retards associés. De plus, la loi prévoit du financement pour permettre à la population d’intervenir pendant le processus d’approbation et de s’assurer des avantages tangibles.

Enfin, la loi autorise l’octroi rapide de permis pour les projets de transport utilisant l’emprise existante et crée un programme d’investissement dans la distribution et le transport local pour faciliter l’atteinte des objectifs climatiques de l’État.

Californie

La construction de projets d’énergie propre dans l’État de la Californie est d’une difficulté notoire; le gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, a récemment indiqué en entrevue que « la population perd confiance en [leur] capacité à mener de grands projets. » Les données lui donnent raison : de tous les états de l’Ouest, c’est la Californie qui met le plus de temps à approuver les projets d’énergie propre.

Les changements climatiques et l’urgence de réduire fortement les émissions de l’État ont fait ressortir les obstacles réglementaires existants. La fréquence croissante des phénomènes météorologiques extrêmes en Californie, illustrée par les vagues de chaleur et les feux incontrôlés récents, ont menacé à maintes reprises la capacité, la fiabilité et la viabilité financière du réseau électrique. Et c’est sans compter que l’État devra considérablement augmenter ses ressources en énergie propre pour atteindre ses cibles.

C’est pourquoi la Californie a entrepris une refonte de son processus d’octroi de permis en 2022, avec le projet de loi no 205.

De bien des façons, cette refonte ressemble à celle observée dans l’État de New York. Elle donne notamment à la California Energy Commission la pleine autorité sur les demandes de permis pour les projets de production éolienne ou solaire de plus de 50 mégawatts et les projets de stockage de plus de 200 mégawattheures. Le projet de loi établit également un délai maximal de 270 jours pour les examens des répercussions environnementales.

La refonte californienne comprend aussi des exigences concernant les retombées locales et l’emploi comparables à celles de la refonte new-yorkaise. Selon le projet de loi no 205, les demandes d’approbation devront s’accompagner de plans sur les retombées pour la communauté afin de réduire ou de prévenir l’opposition du public. Le tout est encadré de normes sur le travail et la rémunération, dont le respect est obligatoire pour toute proposition soumise à la California Energy Commission. Les promoteurs doivent d’ailleurs établir un partenariat avec au moins un organisme communautaire pour la formation professionnelle, l’aménagement d’espaces communautaires comme des parcs ou l’investissement dans les infrastructures publiques. Enfin, la California Energy Commission peut imposer diverses autres conditions d’approbation, selon les enjeux locaux.

Points forts des refontes réglementaires

Dans les deux États, les refontes réglementaires ont le potentiel d’accélérer les projets d’énergie propre et de générer des retombées économiques locales dans le respect de l’environnement. On notera plusieurs points forts déterminants :

1) La définition d’un échéancier plus clair pour les promoteurs contribue à assurer la viabilité financière d’un plus grand nombre de projets d’énergie propre d’importance.

La longueur des processus d’obtention de permis ne fait pas que ralentir les projets d’énergie propre; elle a aussi pour effet de réduire leur bancabilité et leur viabilité économique. En effet, les promoteurs doivent investir dans la mobilisation de la population et des peuples autochtones et embaucher des avocats pour se retrouver dans les dédales administratifs complexes, tout en continuant de payer leurs employés, à une étape où le projet ne rapporte encore aucun revenu. Ainsi, les retards répétés les obligent parfois à trouver du financement supplémentaire – ce qui devient de plus en plus difficile avec le temps – ou à abandonner3 complètement le projet.

Dans l’État de New York, le nouveau système s’avère déjà plus rapide et plus prévisible que l’ancien. Les données publiques indiquent que les huit demandes de projets d’énergie renouvelable entièrement traitées par l’Office of Renewable Energy Siting ont en moyenne mené à l’obtention d’un permis en moins de huit mois. Un seul projet a atteint le délai maximal autorisé d’un an.

Les données initiales suggèrent aussi que les changements opérés dans cet État ont permis de raccourcir toutes les étapes des projets. Avant l’adoption de la loi, on comptait 5 à 10 ans pour l’approbation d’un projet; depuis son adoption, sept des huit projets proposés ont été approuvés en moins de deux ans, l’approbation du huitième ayant pris deux ans et un mois.

La refonte des processus en Californie est pour sa part trop récente pour qu’on puisse en évaluer les effets sur la durée du processus, mais comme elle ressemble à celle de New York, on peut s’attendre à des résultats similaires.

2) L’obligation de conclure des ententes sur les retombées avec la communauté contribue à atténuer l’opposition locale et à accélérer l’octroi de permis.

Une étude américaine récente a révélé que les inquiétudes quant à une éventuelle diminution de la valeur des terres étaient la principale source d’opposition locale aux projets d’énergie propre. L’analyse indiquait également que les détracteurs des projets croyaient qu’une utilisation différente du site désigné servirait mieux la collectivité. Enfin, elle soulignait que l’opposition locale était plus grande lorsque la population ne se sentait pas écoutée ou suffisamment consultée pendant le processus. Par ailleurs, la mésinformation sur les prétendus dangers des énergies renouvelables ferait aussi obstacle à l’obtention de permis d’utilisation des terres.

Les refontes dans les États de New York et de la Californie exigent que les promoteurs s’entendent sur des retombées avec la population locale, dans l’objectif d’assurer des avantages tangibles au milieu hôte pour apaiser les inquiétudes qui ralentissent ou empêchent typiquement la construction de projets. En favorisant les investissements dans les centres communautaires, les écoles et d’autres ressources précieuses pour la communauté, ces ententes atténuent les craintes concernant la valeur des propriétés et l’utilisation du territoire. Par exemple, dans le cadre du projet solaire Tracy, autorisé par l’Office of Renewable Energy Siting de New York, EDF Renouvelables prévoit investir chaque année 20 000 dollars américains dans des initiatives locales et communautaires, sur une période de 10 ans suivant la mise en service du site en 2025.

L’État de New York va encore plus loin, demandant aux promoteurs de projets d’énergie propre de fournir des crédits de services publics aux quartiers touchés et de financer des occasions de participation. La proposition pour le projet Mill Point Solar I, par exemple, prévoit la répartition égale de 1,25 million de dollars américains sur 10 ans entre les clients de services publics dans la municipalité de Glen. De telles ententes permettent aux membres de la collectivité de prendre part au processus d’octroi de permis, et à la transition énergétique plus largement.

Autre avantage des ententes avec la communauté : elles priorisent indirectement les projets les plus stables financièrement. En effet, la préparation d’une telle entente requiert une grande coordination et planification ainsi que des finances solides. Les projets plus faibles sont dès lors écartés.

Dans l’ensemble, la prévision d’ententes sur les retombées pour la communauté aide à définir et à officialiser les attentes des deux parties – la communauté et le promoteur –, ce qui accélère le processus et favorise l’adhésion du public. Les refontes des deux États partent du principe qu’une entente consciencieuse est un investissement nécessaire pour garantir un appui à long terme, et que plus l’entente arrive tôt, plus elle sera efficace.

3) L’élimination des coûts liés aux demandes de permis pour les projets d’énergie propre visant des sites contaminés encourage leur réalisation.

Le programme « prêt pour la construction » de l’État de New York renverse le processus d’octroi de permis pour les projets d’énergie propre. En évaluant des sites contaminés pour y préautoriser la construction de projets d’énergie propre et en établissant à l’avance un lien et une entente avec la communauté, ce programme élimine les coûts et l’incertitude qui insécurisent les promoteurs dans le processus. Une fois les demandes de permis et d’interconnexion approuvées et le site vendu à un promoteur privé, la construction peut commencer immédiatement, sans menace de retards réglementaires ni risques majeurs de poursuite.

La refonte de la Californie, quant à elle, ne prévoit aucun mécanisme pour accélérer les projets sur les sites contaminés.

4) La définition de délais maximums pour les contestations et les révisions judiciaires permet de réduire les coûts pour les promoteurs.

Les poursuites visant des projets de construction, souvent lancées par des citoyens inquiets des répercussions sociales ou environnementales, sont assez fréquentes aux États-Unis. Ces litiges créent un obstacle important à l’accélération de la construction des projets d’énergie propre à l’échelle locale et nationale, et ce même lorsque des efforts sont faits pour simplifier le processus de sélection des sites. 

Les actions judiciaires sont particulièrement répandues en Californie, où la California Environmental Quality Act (CEQA) définit les projets publics de façon à englober tout projet de développement privé. Résultat : on peut facilement et à peu de frais soumettre une contestation anonyme avançant que l’examen en vertu de la CEQA était incomplet ou insuffisant. Évidemment, une telle contestation peut rallonger le processus de manière importante, voire décourager complètement les promoteurs de proposer un projet.

Les changements du projet de loi no 205, en Californie, tentent de contourner ce problème en imposant une limite de temps pour les demandes de révision judiciaire. L’État espère ainsi réduire les coûts pour les promoteurs et réduire l’efficacité des poursuites frivoles.

Cela dit, on ignore encore si cette refonte aura l’effet escompté. La limite de temps pourrait notamment empêcher les citoyens de faire valoir des préoccupations pertinentes au sujet des projets d’énergie propre. D’autres outils, comme des lois strictes contre les poursuites-bâillons (poursuites de mauvaise foi visant à limiter ou à compromettre des processus publics) ou la fin des contestations anonymes, pourraient aussi contribuer à endiguer ce phénomène. À l’avenir, les stratégies juridiques visant à ralentir ou arrêter les projets d’énergie propre resteront probablement un frein important dans le processus d’examen réglementaire dans les deux juridictions.

5) La possibilité pour les promoteurs d’adhérer ou non au processus accéléré leur donne plus de latitude.

La refonte californienne propose une adhésion facultative, permettant aux promoteurs de choisir le forum le plus favorable. Par exemple, si le site proposé se trouve sur un territoire largement favorable aux projets d’énergie renouvelable, le promoteur pourrait décider de ne pas utiliser le processus de la California Energy Commission. À l’inverse, si le projet affronte une opposition citoyenne ou que l’autorité locale n’a pas d’expérience en énergie renouvelable, le promoteur peut faire appel à la Commission, qui aura alors le plein contrôle sur l’octroi de permis.

Cette latitude supplémentaire permet à chaque promoteur de choisir l’option qui convient le mieux à son projet, pour assurer la rapidité du processus.

Cependant, tout comme la limite de temps pour les actions judiciaires, cette mesure californienne pourrait avoir des conséquences indésirées, soit de minimiser ou d’écarter des questions légitimes à l’échelle locale. La gravité de ces conséquences dépendra largement de la façon dont l’État appliquera la loi. Il est toutefois prévu que la California Energy Commission confirme que les projets sont dans l’intérêt du public, ce qui pourrait atténuer ce problème.

6) Les critères de taille minimale assurent la priorité aux projets de grande envergure, qui se heurtent souvent au plus d’obstacles.

Dans les deux États, les refontes ciblent les projets de grande envergure. Dans l’État de New York, les nouveaux processus réglementaires et d’octroi de permis ne s’appliquent qu’aux projets de plus de 20 mégawatts. En Californie, on vise plus de 50 mégawatts pour les projets de production, et plus de 200 mégawattheures pour les projets de stockage.

Cette façon de procéder offre plusieurs avantages. D’abord, les gros projets sont souvent analysés plus en profondeur au moment de l’octroi de permis, en raison de l’ampleur de leurs répercussions environnementales. Ainsi, ce type de projets implique souvent davantage de décisions et d’ordres de gouvernement, ce qui peut causer des tensions et des retards indus. Parallèlement, les gros projets ont aussi un plus gros potentiel : ils peuvent donner lieu à des économies d’échelle qui rapprocheront l’État de ses cibles d’énergie propre tout en assurant des retombées locales positives considérables.

Néanmoins, malgré leur exclusion des processus accélérés, les projets de plus petite taille ne sont pas immunisés contre ces difficultés. Pire, les petits projets sont susceptibles d’être encore plus vulnérables aux obstacles financiers causés par les délais réglementaires; la mise en place de dispositions supplémentaires adaptées à leur particularité pourrait être bénéfique. On pourrait notamment penser à un cadre pour accélérer les petits et moyens projets qui répondent à une liste minimale de critères environnementaux et sociaux.

Limites des refontes

Bien que les refontes new-yorkaise et californienne soient encore jeunes et ne soient pas pleinement déployées, on observe déjà certaines limites qui, si elles étaient ignorées, pourraient en restreindre l’efficacité, voire avoir des conséquences indésirées.

1) Le vocabulaire imprécis de la refonte californienne met en péril son efficacité.

Si la refonte californienne définit des cibles légales ambitieuses pour accélérer l’octroi de permis, le vocabulaire imprécis employé dans le texte de loi pourrait bien lui nuire. Par exemple, il est possible de repousser la limite de 270 jours pour les examens des répercussions environnementales en cas « de changements importants […] pouvant avoir de nouveaux effets considérables […] » ou « de nouvelle information d’importance majeure […] », ou encore si le ministère étatique de la Pêche et de la Faune ou le State Water Resources Control Board ont besoin de plus de temps pour recueillir des renseignements. Et ce n’est pas tout : la loi établit explicitement que la California Energy Commission doit certifier un examen des répercussions et rendre sa décision « au plus tard 270 jours suivant la réception d’une demande, ou aussi vite que possible après cette date. » Or, « aussi vite que possible » est une mesure de temps très large qui laisse place à des abus.

2) L’accélération du processus d’octroi de permis pourrait compromettre les droits des nations et des résidents autochtones dans les États de la Californie et de New York.

En vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que les États-Unis n’ont pas signée, mais ont dit appuyer en 2010, le consentement préalable des peuples autochtones, donné librement et en connaissance de cause, est essentiel à tout projet. Le respect des conditions définies dans la Déclaration requiert l’établissement de relations avec les nations et communautés autochtones touchées, ce qui demande temps et effort. Comme l’explique Trent Fequet, président-directeur général de Steel River Group, une société autochtone de gestion des affaires, « le développement de relations ne peut pas se faire plus vite que le développement de la confiance »; aussi les promoteurs doivent-ils entrer en contact régulier avec la communauté et s’y impliquer dès le début de leur projet.

Or, le fait d’accélérer les processus d’octroi de permis pourrait compromettre l’obtention du consentement préalable libre et éclairé que préconise la Déclaration.

La Californie a porté une attention particulière aux droits et aux titres autochtones dans son processus. Par exemple, l’État est tenu de remettre une copie de la proposition aux tribus autochtones « culturellement et traditionnellement associées à l’emplacement géographique du site et d’entreprendre une consultation de ces tribus. » Il doit aussi intégrer le savoir autochtone traditionnel à son processus, et les promoteurs doivent tenir compte des tribus concernées dans leurs ententes d’avantages pour la communauté.

Malgré cette bonne volonté, la limite de temps imposée pour l’octroi de permis en Californie pourrait mener à une inclusion des nations autochtones non conforme aux principes de la Déclaration. Contrairement au Canada, les États-Unis n’ont pas d’obligation légale en ce qui concerne la participation ni même la consultation des gouvernements autochtones avant la délivrance d’un permis susceptible d’avoir des répercussions majeures sur ceux-ci. Le langage imprécis entourant l’échéancier (mentionné plus haut) donne un peu plus de latitude en la matière, mais il est encore trop tôt pour déterminer comment le tout se jouerait en pratique.

Notons que la refonte mise en place dans l’État de New York n’offre pour sa part aucune disposition ni aucun vocabulaire en lien avec les droits et les titres autochtones.

3) Les deux refontes améliorent l’efficacité administrative, mais il n’est pas certain que les ressources humaines soient suffisantes pour traiter toutes les demandes de projets d’énergie propre à venir.

Aux échelles nationale et étatique, la capacité administrative limitée est l’une des principales causes de retards dans l’octroi de permis et d’autres questions réglementaires. Pour assurer un examen des demandes dans un délai raisonnable, il sera crucial de voir à la planification et au financement soutenu à long terme d’une dotation en personnel compétent et expérimenté. La capacité administrative devra suivre la hausse marquée des propositions de projets pour que le processus demeure efficace.

Cela dit, les refontes dans les États de New York et de la Californie visent à simplifier le processus d’octroi de permis, ce qui contribue à pallier le déficit de capacité administrative. Par exemple, la nouvelle autorité dans l’État de New York a été spécialement conçue pour réunir les ressources administratives dispersées.

Il n’est cependant pas donné que l’une ou l’autre refonte permettra d’assurer une capacité administrative adaptée à un nombre de demandes bien plus élevé. La Californie a dans cette optique proposé un financement à long terme pour la California Energy Commission, mais doit encore le budgétiser.

4) Aucune des deux refontes ne règle la question des interconnexions d’énergie propre, ce qui souligne l’importance du gouvernement fédéral.

Le processus pour relier les projets d’énergie propre au réseau électrique est souvent long aux États-Unis. Les demandes d’interconnexion sont évaluées dans l’ordre où elles sont reçues par des exploitants de réseau indépendants ou régionaux, ce qui engendre souvent des délais de traitement de plusieurs années. À la fin de 2021, l’équivalent de 1,4 térawatt (14 000 gigawatts) de capacité de production et de stockage était en attente d’interconnexion au pays, soit trois fois plus qu’en 2016. Les demandes en attente auprès d’exploitants de réseau indépendants ont plus que quintuplé en Californie depuis 2014, et dans l’État de New York, elles sont passées d’un total d’environ 10 gigawatts en 2014 à environ 75 gigawatts en 2021.

En raison de la situation, de nombreux promoteurs ont abandonné leur projet d’énergie propre. À l’échelle nationale, seuls 23 % des projets proposés finissent par voir le jour, et ce taux est à la baisse. Il se trouve même que la Californie et New York sont les deux États affichant les plus bas taux de projets mis en service, avec 13 % et 17 % respectivement.

Malheureusement, la refonte de la Californie ne résout pas la question des interconnexions; le projet de loi no 205 ne prévoit aucun changement pour California ISO, l’exploitant de réseau indépendant de l’État. Et si celle de New York propose des mesures prometteuses pour accélérer l’octroi de permis et investir dans les plans de financement de la distribution et du transport local, celles-ci ne seront peut-être pas suffisantes, car les projets de transport interétatique relèvent de la compétence fédérale.

Néanmoins, des annonces récentes laissent présager que le gouvernement fédéral travaille sur ce problème. Notamment, la Federal Energy Regulatory Commission a récemment vu son pouvoir de filet de sécurité en matière d’octroi de permis élargi. Si le gouvernement continue sur cette lancée, elle pourrait régler encore plus d’enjeux d’interconnexion. De plus, le ministère de l’Énergie a publié, en août 2023, une proposition de programme interorganisme coordonné d’autorisation et d’octroi de permis pour les projets de transport, qui prévoit une limite de deux ans pour les examens et simplifie le processus de demande.

Leçons pour le Canada

Les nouveaux processus d’octroi de permis de la Californie et de New York ont beaucoup de potentiel pour ce qui est d’accélérer l’évaluation et l’approbation des projets d’énergie propre; ils réduisent les délais d’approbation et de construction et exigent un réinvestissement explicite dans la collectivité d’accueil. Cette façon de faire vise à garantir l’appui de la population plus tôt dans le processus et à réduire les tensions indues sans toutefois compromettre les principes environnementaux et sociaux que les processus initiaux avaient été conçus pour protéger. Les points forts et les limites des deux refontes sont résumés dans le tableau 1. On peut voir les limites comme des possibilités d’amélioration et d’approfondissement de la recherche.

Tableau 1 : Points forts et limites des refontes californienne et new-yorkaise de l’octroi de permis pour les projets d’énergie propre

Points fortsLimites
1. La définition d’un échéancier clair les favorise la viabilité financière des projets d’énergie propre.1. Le vocabulaire imprécis de la refonte californienne met en péril son efficacité.
2. Le fait d’imposer des ententes sur les retombées avec la communauté atténue l’opposition locale et accélère l’octroi de permis.2. L’accélération de l’octroi de permis pourrait compromettre les droits des nations et des résidents autochtones.
3. L’élimination des coûts liés aux demandes de permis visant des sites contaminés accélère le développement des projets d’énergie propre.3. Les deux refontes visent l’efficacité administrative, mais la dotation en personnel est incertaine.
4. La définition de délais maximums pour les litiges réduit les coûts pour les promoteurs.4. Aucune des deux refontes ne règle la question du transport interétatique, ce qui souligne l’importance du travail du gouvernement fédéral sur ce plan.
5. La possibilité d’adhérer au processus accéléré confère une latitude supplémentaire.
6. Les critères de taille minimale donnent la priorité aux grands projets, plus susceptibles de se heurter à des obstacles.

Tant les points forts que les limites des refontes comportent des leçons importantes pour le Canada, qui doit lui aussi accélérer rapidement la construction des projets d’énergie propre s’il espère atteindre ses cibles climatiques. Au Canada comme aux États-Unis, les processus d’examen réglementaire et d’octroi de permis sont des obstacles considérables. Les différences dans la structure de gouvernement des deux pays – dont la répartition des compétences entre les administrations fédérale et étatiques ou provinciales – font en sorte que certaines notions ne seront pas directement applicables, mais le Canada peut tout de même tirer plusieurs leçons importantes de cette analyse.

Tout d’abord, l’expérience de l’État de New York (et, dans une moindre mesure, de la Californie) montre que la création d’un guichet unique peut simplifier les processus d’octroi de permis. Ensuite, la définition de délais légaux offrirait une plus grande certitude réglementaire aux promoteurs canadiens et réduirait les coûts et les retards superflus. De plus, le programme new-yorkais permettant de désigner et de préapprouver des sites contaminés pour la construction est une avenue intéressante pour le Canada; les examens environnementaux de ces sites peuvent probablement être raccourcis (particulièrement dans les cas où la nouvelle activité aurait des répercussions sans conteste moindres que l’ancienne). Enfin, le fait d’assurer des retombées à la collectivité d’accueil pourrait s’avérer utile de notre côté de la frontière aussi, en favorisant l’adhésion locale dès le début du processus.

Par ailleurs, les limites et les manques à gagner offrent leurs propres leçons importantes. Notamment, le vocabulaire imprécis utilisé dans la refonte californienne pour poser l’échéancier des examens crée des risques d’abus qui viennent miner l’objectif initial, soit d’apporter une plus grande certitude réglementaire aux promoteurs de projets. En outre, l’expérience des deux États accentue l’importance de veiller à ce que les refontes réglementaires et le resserrement des échéanciers ne compromettent pas les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Cependant, le contexte est manifestement différent entre les deux pays; le Canada a l’obligation constitutionnelle de veiller à la pleine consultation et participation des nations et communautés autochtones, tandis que les États-Unis n’ont pas officiellement signé la Déclaration. Cela dit, si le gouvernement canadien a adopté la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 2021, nous ignorons toujours comment celle-ci sera intégrée au processus d’octroi de permis. Dans les faits, les engagements pris dans cette loi compliquent la définition de nouveaux délais réglementaires pour l’octroi de permis, ce qui signifie que les gouvernements canadiens devront se montrer plus prudents que leurs pendants américains.

Le manque de capacité administrative dans les deux États à l’étude est une autre faiblesse dont le Canada doit tenir compte; il sera important que toute refonte au pays s’accompagne d’un plan de dotation en personnel pensé en fonction de la hausse à prévoir du nombre de demandes et d’examens environnementaux. En dernier lieu, les refontes au Canada devraient s’inspirer des problèmes rencontrés avec les projets de transport et d’interconnexion traversant les frontières étatiques et accorder une attention particulière à l’enjeu de taille que constitue le traitement des lignes de transport interprovincial.

En bref, les gouvernements canadiens devront tenir compte des expériences internationales au moment de réviser leurs propres processus rébarbatifs d’octroi de permis. Mais pour pouvoir tirer pleinement parti de ces leçons, il faudra d’abord comprendre plus pleinement les obstacles parfois uniques qui ralentissent le développement des projets au Canada. S’il est clair que les projets d’énergie propre ne se construisent pas assez rapidement pour atteindre les objectifs climatiques, il sera essentiel de cerner adéquatement les principaux manques à combler dans le système canadien. Sans compréhension exacte et généralisée des faiblesses existantes, aucune refonte ne pourra remplir ses visées à long terme. C’est pourquoi l’Institut climatique du Canada étudie actuellement de plus près les obstacles propres au Canada, dans le but d’aider les gouvernements à faire bon usage des leçons des autres pays.

Les auteurs remercient Jared Forman, employé de l’Institut climatique jusqu’en 2023, pour ses contributions importantes aux premières versions de la présente étude de cas.


Références

  1. Les processus dont il est question ici s’appliquent également aux autres types de projets; le choix de vocabulaire reflète simplement le fait que cette analyse vise uniquement l’accélération des projets d’énergie propre (production, transport, distribution et stockage).
  2. À noter que le vocabulaire employé pour parler des peuples et nations autochtones dans cette étude de cas est celui en usage aux États-Unis.
  3. Il est important de souligner que les retards ne sont pas toujours la faute du gouvernement. Les promoteurs assument souvent une part de responsabilité, par exemple parce que leurs documents sont incomplets ou inadéquats, ou parce qu’ils ont réalloué des ressources en cours de route (Roosevelt Institute, 2023).