Non seulement existe-t-il un vaste réservoir de chaleur juste sous nos pieds, mais nous gaspillons en outre de grandes quantités de chaleur que nous avons déjà pris la peine de produire. En créant des réseaux d’énergie thermique qui capturent et font circuler ces abondantes sources de chaleur, le Canada pourrait chauffer et refroidir à bon marché ses bâtiments sans contribuer à la surchauffe de la planète, tout en allégeant les pressions d’un agrandissement du réseau énergétique.
Le récent rapport de l’Institut climatique du Canada, Échange de chaleur, a relevé qu’afin de réduire les émissions du secteur des bâtiments pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050, un changement devait s’opérer dans la façon dont les bâtiments individuels sont chauffés et refroidis. La majeure partie de cette transformation est la transition de brûleurs et générateurs alimentés au gaz vers des thermopompes électriques hautement écoénergétiques, sauf là où des options locales encore plus écoénergétiques, comme les réseaux d’énergie thermique, sont disponibles.
Les réseaux d’énergie thermique ne sont pas nouveaux (ils répondent déjà à environ 3 % de la demande totale en chaleur au Canada), mais ils ont bénéficié d’un regain d’intérêt du fait d’améliorations technologiques, de l’impératif de lutter contre les changements climatiques et de la volatilité des prix des combustibles fossiles; ils deviennent donc de plus en plus populaires partout dans le monde.
Que sont donc ces réseaux? Pourquoi pourraient-ils tellement changer la donne dans le contexte canadien?
Qu’est-ce qu’un réseau d’énergie thermique?
Vous êtes-vous déjà demandé comment plusieurs bâtiments peuvent partager efficacement leur chauffage et leur air refroidi? C’est ce que propose un réseau d’énergie thermique, système sophistiqué permettant à plusieurs bâtiments d’utiliser une source d’énergie thermique, puis de la partager au moyen d’une série de canalisations souterraines interconnectées.
Les sources d’énergie thermique varient, allant de puiser la chaleur de la Terre au moyen de thermopompes géothermiques, jusqu’à l’exploitation de la chaleur résiduelle de processus industriels, des eaux usées ou d’étendues d’eau naturelles.
Les réseaux d’énergie thermique sont divisés en deux catégories principales : des systèmes énergétiques collectifs et des systèmes géothermiques en réseau.
Les systèmes énergétiques collectifs génèrent typiquement l’énergie thermique de manière centralisée (souvent dans des installations industrielles) et la distribuent par un réseau de canalisations souterraines vers des clients résidentiels et commerciaux. Ces systèmes établis desservent des collectivités depuis des décennies, fournissant chauffage, refroidissement, ou les deux, à des entités telles que des universités et des quartiers. En 2022, les systèmes énergétiques collectifs représentaient 9 % de la demande finale mondiale en chauffage.
Les systèmes géothermiques en réseau ont recours à des thermopompes géothermiques pour chauffer et refroidir des bâtiments reliés par une boucle souterraine partagée. Les thermopompes exploitent la température constante de la Terre au moyen de trous peu profonds. Ces systèmes utilisent des sources distribuées de chaleur plutôt qu’une source centrale.
Où fonctionnent-ils?
Actuellement, plus de 200 systèmes énergétiques collectifs sont opérationnels au Canada. Une croissance significative est cependant possible; sept Canadiens sur dix vivent dans des centres de population suffisamment denses pour faire partie d’un réseau thermique. Ces réseaux fonctionnent de manière fiable depuis des décennies, non seulement ici au Canada, mais également ailleurs sur la planète.
Sept Canadiens sur dix vivent dans des centres de population suffisamment denses pour faire partie d’un réseau thermique
Les projets opérationnels utilisent diverses sources énergétiques, notamment les suivantes :
- chaudières alimentées au gaz naturel : à Markham (Ontario), une installation d’énergie thermique municipale, Markham District Energy, utilise du gaz pour alimenter des chaudières écoénergétiques qui produisent puis distribuent de la chaleur par des canalisations souterraines, approvisionnant 240 bâtiments en services énergétiques;
- refroidissement par eaux lacustres : ailleurs en Ontario, Enwave possède et exploite le système Deep Lake Water Cooling, qui utilise l’eau du lac Ontario pour modérer la température de bâtiments reliés, évitant ainsi 13 500 tonnes d’émissions de CO2 chaque année; ils étendent actuellement ce système pour refroidir d’autres bâtiments du centre-ville de Toronto;
- chaleur résiduelle des eaux usées : sur la côte ouest, False Creek Neighbourhood Energy chauffe plus de 13 000 logements et entreprises à Vancouver et continue de s’étendre; la chaleur des eaux usées fournissant 70 % des besoins énergétiques du système;
- biomasse : Teslin au Yukon utilise des déchets de bois de qualité inférieure provenant de diverses sources pour ses systèmes énergétiques collectifs alimentés par des chaudières à biomasse.
Au niveau international, les réseaux d’énergie thermique sont encore plus populaires; des pays comme le Danemark utilisant le chauffage collectif dans plus de la moitié de ses bâtiments et visant l’élimination du chauffage au gaz dans tous les ménages d’ici 2035.
Pourquoi les réseaux d’énergie thermique sont-ils importants pour la transition énergétique du Canada?
Les avantages des réseaux d’énergie thermique sont de plus en plus reconnus. Alors qu’ils sont déjà extrêmement populaires en Europe, l’élan en leur faveur s’accroît en Amérique du Nord, à mesure que le paysage des politiques change et que non seulement les pays, mais également les villes et les municipalités s’engagent vers la carboneutralité.
Quelques avantages offerts par les réseaux d’énergie thermique :
- Souplesse : leur potentiel n’est pas lié à une ressource énergétique particulière, car ces systèmes peuvent utiliser diverses sources d’énergie renouvelable selon la situation locale, rendant ces systèmes extrêmement souples; des réseaux peuvent, par exemple, utiliser des réservoirs thermiques naturels tels que des lacs et des rivières, comme le système Deep Lake Cooling de Toronto. De plus, dans de nombreux endroits, des thermopompes géothermiques peuvent exploiter les températures stables de la Terre à l’aide de trous peu profonds, réduisant ainsi la dépendance envers les combustibles fossiles et l’empreinte carbone de collectivités.
- Potentiel d’améliorations écoénergétiques : les réseaux d’énergie thermique actuellement alimentés par des combustibles fossiles (comme le sont plus de 90 % des réseaux de chauffage collectif mondiaux) peuvent également faire l’objet d’améliorations écoénergétiques pour fonctionner à partir de sources propres sans nécessiter de modification d’infrastructure pour les ménages et les entreprises y étant connectés. C’est exactement ce que fait actuellement Creative Energy, qui chauffe plus de 4 km² du centre-ville de Vancouver depuis 1968, en remplaçant les chaudières existantes alimentées au gaz naturel par des chaudières écoénergétiques neuves entièrement électriques, réduisant ainsi les émissions annuelles de 38 000 tonnes.
- Efficacité énergétique : les réseaux d’énergie thermique centraux et en réseau sont extrêmement écoénergétiques. Au sein de systèmes de chauffage centralisés, les réseaux d’énergie thermique sont intrinsèquement plus écoénergétiques que les chaudières et génératrices individuelles traditionnelles. En consolidant les fonctions de chauffage, les réseaux d’énergie thermique optimisent la consommation d’énergie et réduisent les pertes, améliorant l’efficacité énergétique globale.
- Fiabilité : en utilisant des sources de chaleur stables, les réseaux d’énergie thermique peuvent chauffer et refroidir de manière constante, en étant moins vulnérables aux ruptures d’approvisionnement et aux flambées de prix des combustibles.
- Économies de coûts : pour les propriétaires reliés à un système central, les systèmes énergétiques collectifs peuvent permettent d’éviter les coûts d’achat et d’entretien d’un équipement de chauffage individuel.
Que peut faire le Canada pour favoriser cette adoption?
Malgré ces promesses, une adoption étendue des réseaux d’énergie thermique au Canada fait face à des obstacles réglementaires et financiers. Des obstacles financiers peuvent empêcher leur adoption du fait de coûts initiaux élevés, malgré des frais d’exploitation inférieurs sur une durée de vie plus longue. La réglementation actuelle favorise souvent les modes de chauffage traditionnels, empêchant le déploiement des réseaux d’énergie thermique. Des interventions en matière de politiques et du financement peuvent toutefois contribuer à libérer leur potentiel, comme le souligne notre rapport Échange de chaleur.
Les gouvernements provinciaux, les municipalités et les organismes de réglementation peuvent tous accélérer l’adoption des réseaux d’énergie thermique. Ces réseaux étant propres au site, les administrations provinciales ou municipales peuvent produire des feuilles de route énergétique pour aider la planification de leur développement en déterminant où ces systèmes peuvent être installés. En tant qu’étape suivante d’une planification énergétique, élaborer des projets et des lois en matière de chauffage propre comme en Allemagne peut obliger les municipalités et les villes comptant d’importantes populations à considérer le rôle des réseaux de chauffage dans l’alimentation de chaleur future. De plus, mettre à jour les obligations des services publics à servir et à diriger les organismes de réglementation à envisager d’autres solutions pour remplacer ou étendre les gazoducs peut également permettre aux services publics de fournir des services énergétiques à l’aide de réseaux d’énergie thermique.
Étendre l’utilisation de réseaux d’énergie thermique permettrait au Canada d’utiliser des sources de chaleur existantes, l’infrastructure en place et une main-d’œuvre hautement qualifiée pour transformer la façon dont nous chauffons et refroidissons nos bâtiments, tout en atténuant également les changements climatiques.
Nikhitha Gajudhur est associée de recherche au sein du volet de la recherche en atténuation de l’Institut climatique du Canada.