Cet article a précedemment été publié dans le Globe and Mail.
Comme les choses peuvent changer en dix ans! L’année 2025 marquera le 10e anniversaire de la ratification de l’Accord de Paris, l’actuel cadre mondial pour la lutte contre les changements climatiques.
Depuis la signature de l’Accord, des progrès mesurables ont été réalisés à l’échelle mondiale, en grande partie grâce aux politiques gouvernementales et aux forces du marché qui favorisent la croissance explosive des secteurs de technologies propres, comme les énergies renouvelables et les véhicules électriques. On prévoit qu’en 2023, les émissions mondiales devraient être 13 points de pourcentage en dessous du niveau précédant l’Accord. Même s’il s’agit d’un progrès important, il reste beaucoup de travail à faire pour éviter les conséquences les plus graves des changements climatiques.
Chaque pays signataire de l’Accord se voit imposer une grande condition : la fixation d’une contribution déterminée au niveau national (CDN) correspondant à son « ambition la plus élevée possible » de sabrer ses émissions et de limiter les dangereux changements climatiques planétaires. Les CDN sont révisées tous les cinq ans; les prochaines seront envoyées en février.
Les enjeux ne pourraient être plus grands : cette année sera presque certainement la plus chaude jamais enregistrée à l’échelle mondiale et la première à passer le cap du 1,5 °C au-dessus du niveau de l’ère préindustrielle. Pour le Canada, ce réchauffement s’est traduit par des coûts astronomiques en dommages assurés, qui ont totalisé presque 8 milliards de dollars en 2024, de loin la pire année du pays.
Cette réalité explique la décision du Canada, la semaine dernière, d’établir sa propre cible pour 2035 afin d’influencer l’ambition nationale des pays homologues. Le gouvernement s’est engagé à réduire les émissions de 45 à 50 % sous le niveau de 2005 dans les dix prochaines années.
Comment la cible du Canada se compare-t-elle aux autres? Au premier abord, elle semble moins ambitieuse que celles mises en place ou envisagées par nos partenaires commerciaux principaux.
Or s’il est utile de se comparer entre pairs à l’international pour donner un coup de fouet à nos ambitions climatiques, il faut penser les cibles à la lumière des réalités de chaque pays.
L’objectif du Canada de réduire ses émissions de 45 à 50 % sous le niveau de 2005 d’ici 2030 ressemble assez aux engagements de ses pairs, mais la nouvelle cible pour 2035 s’en éloigne : plusieurs des grands partenaires commerciaux du Canada revoient déjà leur ambition à la hausse.
Par exemple, le Royaume-Uni s’est récemment engagé à une réduction de 81 % sous le niveau de 1990 d’ici 2035. L’UE envisage aussi de porter ses émissions à 90 % sous ce niveau d’ici 2040. Des États membres, comme l’Allemagne, ont déjà intégré une cible similaire dans leurs lois. Plus à l’est, le Japon songe à une réduction de 60 % sous le niveau de 2013, et les conseils climatiques de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, mandatés par la loi de recommander des cibles, ont respectivement suggéré pour 2035 des cibles de 65 à 75 % et de 69 % sous le niveau de 2005, cibles qu’ils jugent ambitieuses, mais possibles.
Les nouvelles cibles du Canada pour 2035 placent le pays dans le bas du palmarès, mais les chiffres ne sont qu’une partie de l’histoire.
Les CDN doivent aussi tenir compte des forces et des difficultés particulières à chaque nation, de manière à représenter l’ambition la plus élevée possible de chaque pays en fonction du contexte.
Plus tôt cette année, le Groupe consultatif pour la carboneutralité a demandé à l’équipe de l’Institut climatique du Canada d’évaluer les options au regard de la cible canadienne pour 2035 afin de conseiller le gouvernement fédéral. Nous avons analysé six cibles potentielles selon un ensemble de critères afin de déterminer les contrecoups de différents degrés d’ambition, notamment les effets sur l’abordabilité, la compétitivité, la croissance économique et les émissions. À la limite supérieure de la fourchette, la cible canadienne correspond plus ou moins aux conclusions de l’analyse. Nous avons constaté qu’une cible entre 49 et 52 % constitue un bon point d’équilibre entre ambition et faisabilité. Ainsi, il serait possible de diminuer les émissions en continu sans perdre de vue l’abordabilité du logement, la croissance économique et l’aspect pratique de l’application de politiques.
Au bout du compte, la mise en place de cibles n’est que la première étape. Pour les atteindre, il faudra adopter des politiques robustes qui réduisent réellement les émissions et qui favorisent l’investissement et l’emploi dans le secteur de la transition énergétique mondiale, qui continue de croître. Le Canada a fait des progrès dans cette direction, mais tous les paliers de gouvernement doivent continuer sur cette lancée et accélérer les choses afin de mettre le pays sur la bonne voie pour atteindre ses cibles de 2030 et de 2035.
Si le Canada dynamise son ambition climatique et son action politique, ce n’est pas seulement pour réduire les émissions; c’est aussi pour attirer des investissements sobres en carbone, se rapprocher de la concurrence et se protéger contre la menace grandissante de tarification du carbone de la part de nos grands partenaires commerciaux.