Cet article a précédemment été publié dans Le Devoir.
La poussière commence à retomber après une campagne électorale exceptionnelle, avec maintenant un nouveau gouvernement dirigé par le premier ministre Mark Carney, fort d’un nouveau mandat que lui ont accordé les électeurs. Si la campagne a été dominée, à juste titre, par la façon de répondre aux menaces d’agression économique des États-Unis, les enjeux liés aux changements climatiques et à l’énergie y ont aussi occupé un rôle important.
Le nouveau gouvernement a été élu avec des engagements solides en faveur de l’action climatique, qui renforce l’accessibilité financière, la sécurité et la compétitivité du pays dans un contexte mondial incertain. Pour naviguer dans la nouvelle conjoncture économique, il sera nécessaire de s’appuyer sur nos forces, la réussite des politiques passées ainsi que sur la collaboration avec les provinces et les territoires.
Dans cette optique, nous avons des suggestions en termes de priorités pour les 100 premiers jours du nouveau gouvernement Carney.
D’abord, renforcer la tarification du carbone industriel. Il s’agit de la politique ayant le plus d’impact au Canada dans la réduction des émissions et qui par le fait même protège la compétitivité industrielle à un coût minime pour les Canadiens. Mais elle doit être améliorée. Les recherches exhaustives menées par l’Institut climatique du Canada sur les systèmes de tarification du carbone industriel démontrent qu’ils peuvent réduire davantage les émissions et fournir plus de certitude aux investisseurs, à condition qu’ils soient modernisés pour être plus rigoureux, plus transparents et mieux harmonisés à l’échelle du pays. Le gouvernement fédéral doit jouer un rôle clé, puisqu’il établit les normes minimales sur lesquelles reposent les systèmes provinciaux. Il est temps de mettre ces normes à jour.
Deuxièmement, finaliser la réglementation sur les émissions de méthane dans le secteur pétrogazier. La réduction des émissions de méthane, un gaz à effet de serre particulièrement puissant, est une bonne nouvelle. Nous savons comment réduire ces émissions libérées lors de la production de pétrole et de gaz et leur transport par oléoduc et gazoduc, et cette solution est économiquement viable. En fait, la Saskatchewan, l’Alberta et la Colombie-Britannique ont déjà réduit ces émissions de plus de la moitié en moins de dix ans. Le précédent gouvernement fédéral a presque complété le travail en publiant l’été dernier un projet de règlement exigeant une réduction des émissions de méthane liées au pétrole et au gaz de l’ordre de 75 % d’ici 2030. Grâce à l’action conjointe d’Ottawa et des provinces, le secteur pétrolier et gazier est sur la voie d’atteindre cet objectif. D’après notre modélisation, le Canada peut aller encore plus loin pour atteindre 80 % de réduction; le gouvernement fédéral devrait considérer imposer cette nouvelle cible. Certaines provinces ont déjà intensifié leurs actions. La Colombie-Britannique s’est par exemple engagée à réduire à près de zéro les émissions de méthane provenant de toutes les activités industrielles d’ici 2035.
Troisièmement, finaliser le crédit d’impôt à l’investissement pour l’électricité propre. L’électrification de l’économie canadienne avec une énergie propre sera déterminante pour notre succès dans la réduction des émissions nationales et pour attirer des investissements. Cela nécessitera une importante expansion des infrastructures électriques intra- et interprovinciales, mais aussi des incitatifs à l’investissement tels que les crédits d’impôt à l’investissement. Alors que les autres crédits d’impôts à l’investissement fédéraux ont été promulgués l’été dernier, celui pour l’électricité propre est toujours en attente. Finaliser cette politique longtemps promise profitera à toutes les provinces et à tous les territoires en leur offrant des milliards de dollars pour en soutien à l’investissement pour moderniser leurs réseaux, ce qui permettra, au bout du compte à faire baisser les factures d’énergie. Le crédit d’impôt pour l’électricité propre est également le seul de son genre à rendre éligibles les entités exonérées d’impôt, ce qui incitera des investisseurs, notamment les Premières nations, les municipalités et les fonds de pension.
Finalement, établir une taxonomie climatique canadienne pour le secteur financier. Les décisions d’investissement sont plus que jamais influencées par les changements climatiques, qu’il s’agisse de la perturbation des chaînes d’approvisionnement, des coûts plus élevés liés aux impacts climatiques plus fréquents et plus graves, ou de l’évolution rapide des coûts des énergies et des technologies propres. Une taxonomie nationale du climat – un ensemble de critères bien définis pour déterminer quelles activités et quels actifs contribuent à l’atteinte des objectifs climatiques – donnera aux investisseurs l’approche normalisée dont ils ont besoin pour évaluer ces risques matériels et ces opportunités par rapport à leur résultat net. Ce type de politique est déjà en place ou en cours d’élaboration dans plus de 30 juridictions à travers le monde. En fin de compte, une taxonomie climatique renforcera la capacité de notre pays à attirer les investissements. Le gouvernement fédéral a approuvé l’automne dernier l’approche recommandée par les plus grandes institutions financières du Canada, qui comprenait un cadre de référence mondial pour classer les activités à forte intensité d’émissions sur la voie de l’objectif « zéro émission ». La prochaine étape consiste à mettre en place un organisme indépendant doté d’un financement stable pour fournir au marché les orientations dont il a tant besoin.
Ensemble, ces quatre mesures permettront de capitaliser sur les succès passés dans la lutte aux changements climatiques au pays, qui ont permis de ramener les émissions nationales au niveau où elles se trouvaient dans les années 1990, c’est-à-dire au-delà de 8 % en dessous des niveaux de 2005 selon les chiffres les plus récents. Il reste encore beaucoup à faire pour préparer le Canada au succès dans une économie mondiale qui s’ajuste rapidement aux nouvelles perturbations commerciales, tandis que la transition inévitable à des technologies énergétiques propres continue de s’accélérer à l’échelle mondiale. Bien que la lutte contre les changements climatiques soit un défi de plusieurs décennies, le Canada peut faire beaucoup dès maintenant. Les cent prochains jours offrent amplement de temps pour mettre en œuvre les quatre actions qui, selon nous, devraient figurer en tête de liste des priorités climatiques du nouveau gouvernement.