Cet article a précédemment été publié dans le Hill Times.
Le nouveau gouvernement fédéral est confronté à des enjeux urgents sur plusieurs fronts, et la politique climatique ne fait pas exception. L’incertitude économique, due à notre voisin du Sud, perturbe les marchés et ralentit les investissements et la croissance. Les efforts visant à éliminer les obstacles au commerce interprovincial deviennent soudainement une priorité. Il en va de même pour la diversification du commerce international. Pourtant, alors même que les États-Unis reculent sur la question climatique, l’Europe maintient le cap, et la Chine s’engage à prendre des mesures encore plus fortes pour réduire ses émissions, conquérir de nouvelles parts de marché et occuper le terrain que les États-Unis laissent derrière eux.
Tout cela signifie que le nouveau gouvernement fédéral doit maintenir le cap et faire preuve de détermination. Comme on dit, un gouvernement qui a trop de priorités n’en a aucune.
En matière de politique climatique, la modernisation de la tarification du carbone industriel devrait être la priorité absolue du Canada, notamment parce qu’elle peut contribuer à contrer ces menaces économiques. Une action résolue en matière de tarification du carbone industriel peut en réalité accroître la prévisibilité pour les entreprises, éliminer un obstacle au commerce interprovincial et favoriser la diversification des exportations.
Petit rappel des enjeux : la tarification du carbone industriel est la politique climatique la plus efficace du Canada, capable de générer plus de réductions d’émissions que toute autre politique. Conçue pour protéger la compétitivité du Canada, elle contribue également à attirer les investissements. Et elle peut protéger les exportations canadiennes contre les droits de douane sur le carbone comme ceux mis en œuvre dans l’Union Européene et au Royaume-Uni.
Mais la tarification du carbone industriel ne peut exploiter ce potentiel que si elle fonctionne comme prévu. La bonne nouvelle est que quelques ajustements décisifs peuvent garantir son efficacité.
Premièrement, le gouvernement fédéral peut s’assurer du bon fonctionnement des marchés provinciaux du carbone. Les systèmes de tarification du carbone industriel créent des marchés du carbone où les entreprises qui réduisent leurs émissions en deçà d’un seuil de référence peuvent vendre ces réductions à d’autres entreprises qui émettent plus que leur seuil. La demande de crédits crée d’importantes incitations à la réduction des émissions. Cependant, ces marchés de crédits risquent d’être saturés et de voir leurs prix chuter, ce qui affaiblirait les incitations.
Pour remédier à ce problème, les gouvernements devraient renforcer les normes de rendement en matière d’émissions de manière prévisible au fil du temps. Le « modèle » du gouvernement fédéral pour la tarification du carbone, qui établit une norme minimale pour les systèmes provinciaux, comprend déjà une clause exigeant que les systèmes soient suffisamment rigoureux, mais le gouvernement fédéral peut faire davantage pour la faire respecter. Cela aidera les industriels à réduire leurs émissions afin de soutenir la concurrence sur d’autres marchés qui privilégient la compétitivité carbone.
Deuxièmement, le gouvernement fédéral peut soutenir l’interconnexion des marchés régionaux, supprimant ainsi un obstacle commercial provincial. La tarification du carbone industriel au Canada repose en réalité sur une combinaison de systèmes provinciaux et d’une norme minimale établie par Ottawa. Les marchés provinciaux du carbone fonctionnent comme des îlots, certains ne comptant que quelques participants.
Il en résulte des marchés de crédit moins liquides, avec des prix de crédit moins stables. L’interconnexion des marchés provinciaux pourrait créer des marchés plus vastes et plus stables, tout en facilitant la tâche des entreprises opérant dans plusieurs provinces.
Mais l’interconnexion des marchés ne peut fonctionner que si les systèmes provinciaux sont harmonisés autour d’éléments de conception essentiels, notamment des normes d’émissions strictes. Les efforts fédéraux pour favoriser l’harmonisation des systèmes provinciaux peuvent créer les conditions d’interconnexion.
Troisièmement, le gouvernement fédéral devrait établir des attentes claires quant à l’avenir de la tarification du carbone industriel au Canada. Ce ne sont pas seulement les prix actuels du carbone qui stimulent l’investissement, mais aussi les projections de prix futurs. Les investissements importants dans de nouveaux équipements peuvent avoir une durée de vie de quarante ans ou plus. La stabilité politique est extrêmement importante pour les industriels, surtout en cette période d’incertitude.
Le gouvernement fédéral peut assurer cette certitude en stabilisant les marchés du crédit grâce à des normes de rendement plus strictes et à des règles et processus de marché transparents pour l’avenir. L’établissement d’une trajectoire de prix au-delà de 2030 et la mise en place de contrats carbone sur différence largement appliqués élimineraient également le risque politique pour les investisseurs, contribuant ainsi à la croissance.
Tout cela devrait se faire plus vite que prévu actuellement. Les systèmes provinciaux et territoriaux de tarification du carbone doivent être révisés en 2026, afin de mettre en place des mises à jour en 2027. Ce n’est pas assez rapide. Compte tenu des risques que l’incertitude fait peser sur les investissements, le gouvernement fédéral devrait accélérer ce processus.
La modernisation de la tarification du carbone industriel devrait figurer en tête des priorités du nouveau gouvernement fédéral. Il s’agit d’une politique très efficace qui soutient les objectifs nationaux dans ce nouveau contexte mondial. C’est une stratégie essentielle pour réussir en matière de réduction des émissions, de croissance économique, de commerce interprovincial et de compétitivité internationale.