Dans l’industrie comme dans les organismes environnementaux, les passionnés de politiques climatiques au Canada aiment bien le concept de contrats sur différence appliqués au carbone (CCfD), qui sont perçus comme un moyen d’éliminer le risque lié aux investissements verts – du moins en principe. C’est que ces contrats peuvent augmenter l’efficacité de la tarification du carbone. Grâce à eux, le Canada pourrait soutenir la concurrence des États-Unis sans être pénalisé par l’’Inflation Reduction Act. Dans une vision des incitatifs bien américaine, ils peuvent permettre aux gouvernements d’économiser. Cependant, les opinions sur la façon exacte de les mettre en place demeurent partagées.
À l’heure actuelle, le gouvernement fédéral étudie la façon d’utiliser les CCfD afin d’apporter de la certitude quant aux prix des crédits dans les systèmes de tarification du carbone fondés sur le rendement. C’est ce que nous appellerons CCfD fondés sur les prix des crédits. Ceux-ci représentent un enjeu plus compliqué que ceux basés sur le prix de référence du carbone, que nous appellerons CCfD fondés sur le prix de référence du carbone. (Remarque : Les trois auteurs soutiennent encore les deux formules et espèrent que le gouvernement fédéral se servira des deux. En effet, la première est un complément – et non un substitut – à la seconde.)
Les CCfD fondés sur les prix des crédits confèrent de nombreux avantages, compte tenu de l’importance des prix des crédits de type finançable pour la mobilisation de capitaux. Mais ils viennent également avec des risques majeurs. Dans la présente série d’articles, nous traitons de ces risques en proposant des solutions concrètes pour le gouvernement fédéral.
- Le premier article porte sur le fonctionnement des CCfD fondés sur les prix des crédits.
- Le deuxième préconise un fonctionnement particulier pour les CCfD fondés sur les prix des crédits, que nous appelons achat direct.
- Le troisième aborde un défi clé pour les CCfD fondés sur les prix des crédits : la façon, pour ces contrats, de donner aux provinces des incitatifs visant à renforcer, plutôt qu’à affaiblir, leurs systèmes de tarification du carbone pour les industries dans l’avenir.
D’abord, rappelons rapidement l’idée qui sous-tend les CCfD : faire en sorte que le gouvernement réduise le risque associé aux investissements sobres en carbone face à l’incertitude des prix du carbone dans l’avenir. Ces contrats pourraient être utiles pour la réduction des risques sur deux plans qui nuisent aux investissements dans les projets de croissance propre.
En premier lieu, les CCfD transfèrent le risque des changements à venir dans les politiques, de l’industrie (où ce genre de risque empêche les investissements) au gouvernement (qui le contrôle). Si le prix de référence du carbone est effectivement fixé à 170 $ la tonne en 2030, comme prévu, les CCfD ne coûteront rien au gouvernement. Dans le cas contraire, celui-ci sera tenu de verser aux entreprises qui effectuent des investissements dans des projets sobres en carbone une indemnité calculée en fonction de l’hypothèse de prix élevé. Ainsi, les projets de croissance propre pourront attirer plus facilement les investissements.
Les CCfD seraient également un instrument efficace, capable de s’attaquer à un autre risque connexe. Pour les grands émetteurs concernés par la tarification du carbone fondée sur la production, les marchés des crédits de carbone négociables sont fort probablement saturés. Même son de cloche du côté des investissements dans les projets de croissance propre. Par exemple, selon la modélisation des projets de captage et de stockage du CO₂, les recettes générées par la vente de crédits carbone doivent être suffisantes pour que les projets en question concurrencent les incitatifs aux États-Unis. Cependant, c’est vrai uniquement si les crédits sont assez rares pour que les prix avoisinent le prix de référence. Pour assurer la concurrentialité d’une série d’autres projets de croissance propre, il faut également que les prix des crédits suivent cette augmentation.
Le resserrement des systèmes de tarification fondés sur le rendement – ou l’obligation, pour les provinces et les territoires, de le faire par l’ajustement de la norme minimale – pourrait en théorie résorber ce deuxième problème, mais il y a un certain nombre de difficultés pratiques. D’abord, compte tenu des règles en vigueur, il est impossible pour le gouvernement fédéral d’obliger les provinces et les territoires à resserrer leurs systèmes d’ici 2027. Les systèmes en vigueur sont gelés jusqu’à cette date. Entre-temps, l’incertitude persistera, ce qui compromettra les investissements. Ensuite, d’autres changements apportés aux politiques, comme la disponibilité des crédits, la mise en œuvre d’autres politiques (crédits d’impôt à l’investissement pour le captage et le stockage du CO₂), risquent d’exacerber le déséquilibre entre l’offre et la demande de crédits. Ce déséquilibre dépréciera la valeur prévue des prix des crédits dans l’avenir – et diminuera l’efficacité de la tarification du carbone fondée sur le rendement. Enfin, les sociétés et les investisseurs se soumettraient au risque que le resserrement prévu ne se produise jamais, en particulier parce que le volet économique des projets s’articule autour d’un horizon à plus long terme que l’échéancier quinquennal utilisé par le gouvernement.
Les CCfD fondés sur les prix des crédits pourraient sécuriser les prix des crédits à venir en garantissant aux entreprises une valeur minimale. Dans la mesure où le gouvernement fédéral veille à ce que les marchés des crédits ne soient pas saturés – par le resserrement actuel des seuils du système de tarification fondé sur le rendement, l’utilisation prudente des crédits et l’attention portée aux interactions entre les politiques au moment de la mise en œuvre de nouvelles politiques –, il ne lui en coûtera rien de rassurer les entreprises.
En somme, les contrats sur différence appliqués au carbone représentent une excellente solution pour s’attaquer au risque que surviennent des changements majeurs dans une politique à venir. Mais bien ficelés, ils pourraient également être une solution au risque que des systèmes de tarification du carbone pour les émetteurs industriels ne fonctionnent pas de manière optimale. Dans un cas comme dans l’autre, les CCfD peuvent éliminer le risque que comportent les investissements que le Canada doit faire pour atteindre ses cibles en matière d’émissions et soutenir la concurrence dans une nouvelle économie sobre en carbone.
Comme toujours, il faut quand même porter attention à certains détails importants pour optimiser les retombées et atténuer les grands risques. Les deux prochains articles traitent de ces questions.