Plus qu’une question de durabilité: la force des logements autochtones

Une nouvelle approche de logement dans les communautés autochtones pourrait améliorer les résultats cliniques des populations autochtone. Elle pourrait produire plusieurs effets bénéfiques, notamment des économies pour les ménages, la réduction des coûts de soins de santé et la réduction des émissions.

Les défis du logement dans les communautés autochtones

Les approches actuelles en matière de logement autochtone sont enracinées dans l’héritage colonial. Les conditions de logement sont malsaines : mauvaise aération, surpopulation et logements non adaptés à l’emplacement ou l’environnement.

Pendant des décennies, les populations autochtones ont soulevé des préoccupations concernant les logements inadéquats et malsains dans les communautés qui aggravent ou entraînent les problèmes respiratoires et cardiovasculaires, ainsi que les problèmes de santé mentale. Les impacts du changement climatique, comme les vagues de chaleur, ont amplifié les conditions de logement malsaines et les défis liés à la santé.

Figure 2: les liens entre les logements des communautés autochtones et la santé

Ce tableau montre les défis, les répercussions et les conséquences des liens entre les logements non écoénergétiques des communautés autochtones et la santé.

Bien que plusieurs facteurs jouent un rôle, les problèmes de gouvernance et de responsabilité sont au cœur de ces problèmes de santé et de logement. Ils compromettent les investissements pertinents et suffisants dans les logements communautaires autochtones.

Une nouvelle approche du logement autochtone

La situation du logement dans les communautés autochtones est un problème de longue date. Il perdurera à moins que tous les niveaux de gouvernement n’investissent davantage de temps et d’argent. Mais surtout, ils doivent adopter une approche différente, plus coordonnée et plus holistique pour résoudre ce problème. Les multiples avantages des logements écoénergétiques sain en font un investissement utile et intelligent, qui pourrait contribuer à réduire les coûts des soins de santé tout en favorisant le bien-être et la santé des générations futures.

Le projet de logements autochtones est un partenariat entre le volet Recherche autochtone de l’Institut climatique du Canada et Indigenous Clean Energy. Il démontre l’effet potentiel d’une nouvelle approche en matière du logement pour relever plusieurs de ces défis. Il pourrait produire des effets bénéfiques si les stratégies en matière de logement et les décisions de financement adoptent une perspective holistique des enjeux de logement et sont élaborées en partenariat avec les communautés autochtones.

Le premier document de cadrage de ce projet, Plus qu’une question de durabilité : la force des logements autochtones, établit la base d’une plus vaste série. Il présente l’important contexte des défis et des solutions innovantes en matière de logement dans les communautés autochtones.

Le deuxième rapport, prévu au printemps 2025, portera sur les changements politiques et les recommandations qui pourraient soutenir la construction d’un plus grand nombre de logements écoénergétiques sains dans les communautés autochtones.

Le pouvoir de la cérémonie, pour nous et pour mère Nature

La prophétie des quatre frères

Partagée par Elaine Alec

Au début des temps, quatre frères de chacune des quatre races vivaient en harmonie sur la même Terre. Dans nos Histoires, nous avons toujours évoqué les quatre couleurs de cette fratrie, celles de la roue de médecine : le noir, le rouge, le blanc et le jaune. Mais nos Aînés n’utilisaient pas ces mots – les couleurs et les races – de façon péjorative; avec ces Histoires, ils nous enseignent depuis des décennies les relations qui existent et les liens qui nous lient tous.

Chaque frère a reçu un don qu’il devait apprendre à maîtriser. Le Créateur a dit : « Partez apprendre à maîtriser vos dons, puis lorsque vous vous retrouverez, enseignez-vous ce que vous aurez appris. Soyez à l’écoute et apprenez les uns des autres, et le monde sera beau. Si vous ne partagez pas ces dons, que vous les gardez cachés, ou si vous ne vous écoutez pas, ce sera la guerre. »

Le Créateur a confié à chacun un enseignement. Certaines nations racontent que le Créateur a donné à chaque frère des instructions sur une tablette, et que les tablettes sont cachées quelque part. Ces tablettes portent les enseignements originaux dont le partage devait permettre aux peuples de vivre en harmonie sur Terre. Selon la légende, si un seul des frères oubliait ou rejetait ces enseignements, tous les humains en souffriraient, et la Terre en mourrait. Les tablettes seraient cachées en Arizona, au Tibet, en Suisse et sur le mont Kenya.

Le frère noir a reçu le don de l’eau; même dans le désert, il saurait toujours trouver de l’eau et en extraire les bienfaits. Le frère jaune a reçu le don de l’air, dans lequel il pourrait puiser discipline et force. Le frère blanc a reçu le don du feu, qu’il pourrait dompter pour créer des moteurs et des machines. Le frère rouge a reçu le don de la Terre; il apprendrait tout de la Terre, des lois de la Nature et des façons de les régénérer.

Le Créateur a dit aux quatre frères qu’ils seraient dispersés aux quatre coins du monde pour maîtriser leur don, et que ce qui les séparerait les rassemblerait à nouveau. Ainsi, il a frappé la Terre de son bâton, et la Terre s’est fragmentée. Les fragments se sont éloignés, et les trous se sont remplis d’eau – cette même eau qui réunirait un jour les frères.

Source : Michelyn Lepage, dans Spiritual Knowledge Keepers Gathering on Climate Change What We Heard Report (Naqsmist et BCAFN, 2024a).

Présentation

La crise climatique mondiale est l’enjeu le plus pressant auquel fait face l’humanité. Activistes, Gardiens du savoir et scientifiques réclament une intervention climatique rapide et concertée à tous les échelons (UNICEF, s.d.; Onjisay Aki, 2017; EEAS, 2021). Or, avec leurs modèles ancrés dans l’inégalité, l’exploitation et la dégradation de l’environnement, les structures de politiques coloniales nuisent à la lutte climatique (Deranger, 2021), en plus d’être mal conçues pour s’attaquer véritablement aux enjeux d’actualité (Jackson et Victor, 2019). La conception de politiques climatiques efficaces est en outre entravée par la divergence entre les approches autochtones de lutte contre les changements climatiques, ancrées dans les lois Sacrées et de la Nature et dans la Cérémonie, et les structures de politiques coloniales, souvent cloisonnées et superficielles. Il est impératif que les peuples autochtones et les gouvernements coloniaux s’unissent dans cette lutte et laissent les voix et les perspectives autochtones guider les politiques climatiques. Bien plus qu’un enjeu environnemental, les changements climatiques touchent la société, l’économie et l’organisation industrielle à l’échelle mondiale (Turner, 2022; Kyle, 2021). Les peuples autochtones savent que nous ne faisons qu’un avec la Terre et que nous devons donc tous tendre vers des structures de politiques climatiques et des modes de vie propices aux approches globales et interconnectées. Et comme le montre cette étude de cas, la Cérémonie sera indispensable dans cette quête.

L’étude de cas répond à la question suivante : « Comment la Cérémonie des Premières Nations du territoire que l’on appelle la Colombie-Britannique devrait-elle influencer les politiques climatiques? » Dans sa préparation, nous avons examiné nos expériences et nos apprentissages du rassemblement des Gardiens du savoir spirituel sur les changements climatiques (Naqsmist et BCAFN, 2024a). Sous la forme d’une Cérémonie de gouvernance de deux jours et demi sur le territoire des Tsleil-Waututh, en novembre 2023, l’événement a rassemblé des Gardiens du savoir de partout en Colombie-Britannique pour discuter de la crise climatique, de ses causes profondes et de ses répercussions sur la Terre et tout être, ainsi que pour partager des Histoires, des chants et des rituels de guérison. Il a aussi marqué le début de l’élaboration conjointe d’un programme de leadership climatique autochtone par les Premières Nations de la Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral, un processus coordonné par l’Assemblée des Premières Nations de Colombie-Britannique (BCAFN) et financé par Environnement et Changement climatique Canada et Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. L’objectif est ici d’utiliser le savoir des Premières Nations de la province pour créer un programme stratégique qui orientera les politiques, les programmes et le financement climatiques du gouvernement canadien, au moyen d’un mémoire au Cabinet. Ce mémoire éclairera également les décisions budgétaires fédérales (BCAFN, 2024).1

Le rassemblement s’ancrait dans les lois Sacrées et de la Nature grâce au processus du cercle, qui assure la parole à tous (fondé sur le fait que, dans la Nature, chaque être est essentiel à la santé de l’écosystème)2. Étaient aussi à l’honneur la prière et la reconnaissance des ancêtres, des animaux et de toute chose vivante, ainsi que les chants, les danses et les Histoires qui représentent le monde naturel et permettent de l’incarner dans la gouvernance. Naqsmist, une société de conseil autochtone, a pris des notes et des enregistrements vidéo afin de faire un résumé et d’élaborer un mandat pour la suite du travail. Le tout a mené à la rédaction du rapport Spiritual Knowledge Keepers Gathering on Climate Change (Naqsmist et BCAFN, 2024a) et du mandat ci-dessous (figure 1) :

Figure 1 : Mandat des Gardiens du savoir spirituel de la Colombie-Britannique (Naqsmist et BCAFN, 2024a)

Le 14e point du mandat nous demande de « tracer une nouvelle voie à suivre en harmonie avec mère Nature. » C’est là le nœud fondamental que la cérémonie a le pouvoir de dénouer. Afin de mieux comprendre cette dynamique, nous examinons plus loin l’héritage et les limites des politiques coloniales et leur transformation possible à l’aide d’approches décoloniales ancrées dans la Cérémonie et dans les lois Sacrées et de la Nature.


La cérémonie et son rôle central dans les politiques climatiques

« Les cérémonies visent à susciter une réponse au plus profond de soi, de son âme et de son esprit. Elles ont une grande valeur intrinsèque; on ne peut plus les traiter comme une simple question de politique. Il est temps d’agir. Il est temps de se lever et de se faire entendre, de se faire écouter. » — Chef héréditaire Robert Joseph (Naqsmist et BCAFN, 2024a)

Véritable mode de vie, la Cérémonie autochtone célèbre d’abord et avant tout ce qui nous relie à la Terre et à la Création. Les cérémonies varient souvent selon le lieu et peuvent prendre plusieurs formes. Elles sont « un mode de transfert des connaissances et un rappel des responsabilités que nous avons dans notre relation avec la vie » (Cajete, 2000). Elles sont aussi un protocole d’appartenance – l’appartenance à une famille, à un peuple, à la Terre et au Sacré – qui favorise l’interconnexion, la réciprocité et le respect dans l’équilibre et le renouveau (Kimmerer, 2013; Naqsmist et BCAFN, 2024a; Cajete, 2000).

La Cérémonie, en harmonie avec les lois Sacrées et de la Nature, est à la fois une politique en soi (c’est-à-dire un cadre qui oriente les décisions) et un concept bien plus large (une façon d’être, un sentiment, un processus continu de découverte et d’action par les relations). Nous abordons la Cérémonie avec respect et révérence envers le Créateur, et sollicitons permission et protection auprès des lois Sacrées et de la Nature. Le fait de lui faire une place dans les politiques favorise les relations positives les uns envers les autres et envers la Terre. La Cérémonie nous rappelle de faire preuve d’humilité et de penser à notre devoir plutôt qu’à notre dû. Ainsi, elle transpose les connaissances relationnelles en paramètres (principes, valeurs et intention) qui guident les processus décisionnels et l’allocation de ressources : c’est ce que le gouvernement du Canada appelle des politiques (CHIN, 2021).

Les cérémonies de gouvernance sont une occasion de se rassembler et de partager des Histoires. Chez les peuples autochtones, c’est le savoir de ceux qui ont habité la Terre avant nous qui dicte la façon dont nous l’occuperons pour les quatre prochaines saisons. En appliquant cette approche aux politiques climatiques, nous parvenons à une compréhension globale qui contribue à inscrire les décisions dans des systèmes de pensées plus vastes. La Cérémonie est un protocole et une pratique qui nous donne accès à cette façon de penser et d’être.


Divergences entre cérémonie et politique

« Nous avions des politiques dans nos cérémonies, dans notre quotidien. Des politiques extraites du monde naturel et de la création. Or, des instructions originales nous avaient été données. Comment sommes-nous censés les suivre, maintenant? Comment pouvons-nous faire, dans un contexte colonial? Je pense qu’il faut retourner à la Terre, écouter nos jeunes. Écouter nos Aînés. Où veulent-ils nous emmener? » — Ginnifer Menominee (ICA, 2023)

Les peuples autochtones ont toujours su comment agir en relation avec la Terre. Ils savent que la crise climatique est causée par la rupture entre l’humain et la Terre. Les politiques permettent d’opérationnaliser les valeurs, ce qui en fait l’outil parfait pour intégrer les perspectives autochtones aux solutions climatiques. Mais elles ne sont qu’un outil, et entre les mauvaises mains, elles peuvent devenir des armes. D’où l’importance de s’interroger sur les valeurs qui sous-tendent leur utilisation.

Par le passé, les politiques du Canada visaient à assimiler et à éradiquer les peuples autochtones. Par exemple, certaines minaient la gouvernance autochtone en ciblant les pratiques cérémonielles. Notamment, les potlatchs, organisés sur la côte nord-ouest, ont été bannis par le gouvernement fédéral de 1885 à 1950 par une politique (Acte à l’effet de modifier de nouveau « l’Acte relatif aux Sauvages, 1880 », article 3, cité dans Indigenous Corporate Training, Inc., s.d.). Outre ses répercussions sur la gouvernance autochtone, cette loi a entravé l’expression culturelle et révélé la puissance des politiques comme outils d’oppression (Monkman, Lenard, 2017).

D’autres politiques ont déplacé les peuples autochtones vers les réserves, ce qui a limité leur accès à leurs Territoires et par le fait même érodé leurs pratiques culturelles et leur connexion à la Terre. Dans certains cas, les terres choisies pour les réserves (généralement jugées inférieures par les colonisateurs) ont entraîné une inadaptation aux changements climatiques : les familles déménagées sur des plaines inondables en vertu de la Loi sur les Indiens sont plus vulnérables aux inondations, comme on a pu le voir tout récemment lors de la rivière atmosphérique de 2021 en Colombie-Britannique (Chakraborty et coll., 2021; Alderhill Planning Inc., 2022; Yellow Old Woman-Munro et coll., 2021).

Les politiques permettent d’opérationnaliser les valeurs, ce qui en fait l’outil parfait pour intégrer les perspectives autochtones aux solutions climatiques.

Si certains gouvernements et ministères revoient leurs approches pour l’établissement et la gestion des relations avec les peuples autochtones, l’analyse des plans climatiques canadiens de Reed et coll. (2021) révèle des échecs répétés dans le respect des droits autochtones à l’autodétermination, au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ou à des relations de nation à nation dignes de ce nom. Loin d’être le seul, le programme de leadership climatique autochtone des Premières Nations de Colombie-Britannique en est néanmoins un exemple parfait : il prévoit environ deux ans de « dialogue constructif » avec les Premières Nations pour élaborer un mémoire au Cabinet fédéral, dont la version provisoire fera probablement l’objet d’une consultation interministérielle (gouvernement du Canada, 2020) avant d’être soumise à l’examen du Cabinet pour une décision, un processus encadré par des règles de confidentialité. Bien que la confidentialité permette aux ministres de s’exprimer librement, ce qui favorise la bonne gouvernance (Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, 2014), elle limite aussi la transparence des décisions qui se répercutent sur les peuples autochtones, et empêche les titulaires de droits et détenteurs de titres autochtones de participer à la décision, ce qui nuit aux visées collaboratives du dialogue constructif et de l’élaboration conjointe. Selon une personne consultée récemment, « le Canada n’atteint jamais ses objectifs d’inclusivité en raison de ce processus du Cabinet. Ce n’est que lorsque cet obstacle sera éliminé que le Canada pourra nous considérer comme des personnes à part entière et respecter nos droits » (Naqsmist et BCAFN, 2024b).

Cette exclusion marginalise les perspectives et la gouvernance autochtones, ainsi que la reconnaissance, la protection et l’application des droits autochtones, qui offrent pourtant des réponses aux questions sous-tendant nombre de politiques climatiques. Pour aller vers une approche qui aiderait les peuples autochtones au lieu de leur nuire – et qui lutterait réellement contre la crise climatique –, Indigenous Climate Action conclut que « les politiques doivent s’articuler autour de nos visions du monde et de nos approches de gouvernance diversifiées, [qui sont] fondées sur nos relations avec la Terre, notre savoir ancestral et notre souci des générations futures » (ICA, 2022). Afin de corriger le problème de gouvernance soulevé et de progressivement placer le savoir, la gouvernance et les façons d’être autochtones au cœur des politiques climatiques, il serait avisé d’ancrer l’élaboration et la mise en application des politiques climatiques dans la Cérémonie.


La lumière

« La Cérémonie concentre l’attention pour la transformer en intention. Le fait de nous unir pour revendiquer nos idées devant notre communauté nous responsabilise. Les cérémonies transcendent l’individu pour trouver un écho au-delà du monde humain. Ces actes de révérence sont puissamment pragmatiques; ce sont des cérémonies qui magnifient la vie. » — Robin Wall Kimmerer (2013)

Les Gardiens du savoir au rassemblement ont fait valoir que, pour régler la crise climatique, nous devrons nous acquitter de nos devoirs, les uns envers les autres, et envers la Création. Bien adaptée au contexte avec les protocoles convenables, la Cérémonie ouvre la porte à une façon d’être qui nous lie à tout ce qui nous entoure et nous aide à mieux voir, déléguer et assumer nos responsabilités.

Cette force de connexion de la Cérémonie rappelle la langue nsyilxcen (Syilx Okanagan), dans laquelle le mot tmixʷ se traduit approximativement par « toute chose vivante », et le mot tmxʷulaxʷ, par « Terre ». Selon Jeanette Armstrong, tmixʷ se traduit littéralement par « force vitale », et tmxʷulaxʷ, par « lieu de la force vitale ». Les humains font partie de la force vitale, « par le paradigme social de l’autochtonie [qui promeut] la réciprocité dans la régénération de toutes les formes de vie d’un lieu » (Armstrong, 2012).

C’est pourquoi la Cérémonie de gouvernance est davantage axée sur le processus que sur les résultats; elle aide à ancrer les participants dans une révérence incarnée pour la Terre et la Création. En honorant cette façon de vivre, l’esprit et les décisions s’harmonisent avec l’intention. Historiquement, chaque personne apportant sa propre intention, le groupe n’entreprenait la recherche de solutions qu’après avoir entendu tout le monde.

La Cérémonie représente la connexion à l’identité autochtone, à l’intention individuelle et collective dans le lieu de la force vitale. Le respect des droits autochtones passe par celui de la Cérémonie, qui favorise les relations avec la Terre et la Création. Ainsi, dans les espaces tant autochtones que coloniaux, les institutions, les organes de gouvernance et les structures et relations politiques, économiques et sociales doivent donc être fondés sur la Cérémonie.

Si l’on revient aux 13 premiers points du mandat des Gardiens du savoir à la lumière de ces informations, on constate que chacun s’inscrit dans une solution climatique plus vaste. La Cérémonie rend les relations entre les différents points plus importantes que les points pris individuellement. C’est que chacun d’entre nous, à titre de composantes du lieu de la force vitale, doit apporter sa contribution saine pour veiller à la santé du système tout entier. Cela nous encourage à transcender les barrières personnelles et structurelles pour atteindre l’interconnectivité au profit de toute chose.

Les enjeux en lien avec la Terre et les relations sont propres à chaque communauté; nous aurons donc besoin de solutions adaptées pour aborder efficacement notre relation complexe avec mère Nature. Le choix autodéterminé d’une Première Nation d’exécuter – et le soutien des gouvernements envers – l’un ou l’autre des points du mandat est une forme d’action climatique, car tous les points sont interreliés. Une approche fragmentée se limitant aux priorités climatiques coloniales ne respectera jamais réellement les droits autochtones. La Cérémonie nous rappelle pourquoi les approches autochtones, ancrées dans les traditions et les priorités de chaque communauté et dans la révérence envers la Terre, sont si essentielles.

Si la voie à suivre n’est pas toujours claire, nous savons néanmoins que rien n’est possible sans la Cérémonie; liant les humains à la Terre, elle est toute désignée pour servir de fondation aux politiques climatiques et pour tous nous y ancrer

La priorité qu’accorde la Cérémonie à la réciprocité et à la responsabilité, deux concepts qu’elle renforce, est critique. Elle nous rappelle notre rôle dans la Création : les lois Sacrées et de la Nature nous enseignent comment exister dans le monde et nous porter responsables et garants de nos actions. Si la voie à suivre n’est pas toujours claire, nous savons néanmoins que rien n’est possible sans la Cérémonie; liant les humains à la Terre, elle est toute désignée pour servir de fondation aux politiques climatiques et pour tous nous y ancrer.


La voie à suivre

Face à la crise climatique, la Cérémonie est nécessaire à l’adaptation et à l’atténuation parce qu’elle nous permet de nous replacer dans le contexte des lois Sacrées et de la Nature et d’harmoniser nos actions avec les besoins de mère Nature. Les processus d’élaboration de politiques doivent donc être éclairés par la Cérémonie et le savoir autochtone. La Cérémonie met au jour les lacunes des politiques proposées et nous aide à trouver les mots pour exprimer nos émotions en lien avec les échecs systémiques. Nous ne pouvons guérir sans reconnaître, et la Cérémonie nous permet de reconnaître certaines insuffisances des politiques climatiques canadiennes par rapport aux perspectives autochtones.

Sachant cela, l’élaboration de politiques climatiques efficaces requiert une approche holistique, ancrée avec intention dans le lieu et dans la Cérémonie. À partir des réflexions de Naqsmist sur le rassemblement, nous avons préparé les recommandations suivantes à l’intention des décideurs de toutes les cultures et de tous les ordres de gouvernement :

  1. Les politiques climatiques doivent s’appuyer sur l’application continue de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).

Les articles suivants sont particulièrement pertinents pour nos recommandations : 1, 2, 3, 4, 5, 8, 11, 12, 13, 15, 18, 19, 20, 22, 24, 25, 26, 27, 29, 31, 32, 34, 35, 37, 38, 39, 43, 44 et 45. De manière générale, l’annexe de la DNUDPA doit guider l’application de ces articles pour assurer la convenance de cette approche du respect des droits autochtones (Organisation des Nations Unies, 2007).

  1. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent soutenir les Premières Nations et fournir des ressources ciblées pour des cérémonies respectueuses de la culture et autodéterminées.

Les Premières Nations et les autres groupes autochtones devraient continuer de pratiquer leurs cérémonies et de les promouvoir comme outil relationnel, entre les humains et avec la Terre. En outre, la Cérémonie doit faire partie intégrante et constante de tout processus d’élaboration conjointe ou de consultation entre les gouvernements canadiens et les Premières Nations. Toutes les parties impliquées dans la création de politiques devraient jouer un rôle actif ou d’observation dans la Cérémonie, selon le cas. Il faudra notamment financer la participation de Gardiens du savoir aux processus d’élaboration de politiques, en reconnaissance du savoir que leur confèrent leurs expériences spirituelles et avec la Terre, de même qu’appuyer les communautés dans leurs cérémonies et rites de passage à l’âge adulte, afin de créer de nouvelles générations de Gardiens du savoir qui préserveront et renforceront la connexion humaine avec la Terre. Toutefois, il faudra aussi prendre garde à ne pas dénaturer, panautochtoniser ou diluer les processus cérémonieux. La Cérémonie ne doit pas devenir un outil d’inclusivité de façade; elle doit être comprise et pratiquée comme une responsabilité continuelle envers les lois et les protocoles Sacrés et de la Nature.

  1. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent laisser les Premières Nations guider l’élaboration autochtone/allochtone de politiques et de lois climatiques.

Un processus guidé par les Premières Nations est un processus équitable et axé sur une participation respectueuse des droits qui favorise des espaces de discussion sûrs tenus par des éducateurs, des guides et des leaders spirituels autochtones (Shallard et Wale, 2023). Les peuples autochtones doivent exercer leur droit au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause lorsqu’une politique se répercute sur leur droit à leurs terres, à leurs territoires ou à leurs ressources; des pratiques cérémonielles adaptées à la culture et au contexte doivent être incorporées dès le début. Les processus d’élaboration de politiques pourraient entre autres incorporer des éléments de réflexion et de partage des réflexions, dans une optique de transparence sur l’inclusion et le respect du savoir autochtone, notamment sur les façons d’accroître cette inclusion et sur le poids de ce savoir dans les décisions. Qui plus est, nombre de Premières Nations et de groupes autochtones disposent déjà de lois (lois Sacrées et de la Nature, parfois sous forme de traditions écrites ou autres) en lien avec le climat, lois qui doivent être respectées dans les processus de gouvernance collaborative avec les gouvernements canadiens. Bien qu’il existe des obstacles systémiques majeurs aux relations de nation à nation sincères dans l’élaboration de politiques climatiques, y compris au sein du Cabinet fédéral, la Cérémonie permet aux perspectives autochtones de contextualiser et d’orienter les échanges, en plus de faciliter l’apprentissage interculturel et de promouvoir une approche axée sur le cœur et la Terre et pouvant évoluer graduellement.

  1. Au fil du temps, les gouvernements fédéral et provinciaux devront procéder à un changement de paradigme pour articuler l’élaboration de politiques climatiques autour de la santé de la Terre, grâce au respect et à l’incorporation de la Cérémonie et des lois Sacrées et de la Nature dans les processus décisionnels et les approches de mise en œuvre.

Autrement dit, comme le veut le 14e point du mandat, tous doivent travailler ensemble pour bâtir une nouvelle relation avec mère Nature. Ainsi, un changement de paradigme sera nécessaire dans la transition de décisions et de politiques axées sur la personne et le profit vers des décisions et des politiques axées sur la Terre, le climat et les lois Sacrées et de la Nature. Ce changement devra s’opérer dans des espaces tant coloniaux qu’autochtones; la Cérémonie est un outil rassembleur qui nous aide à mieux mener notre vie. Les ministères dont les mandats sont en conflit devraient s’unir et consulter les peuples autochtones de bonne foi sur les enjeux du monde naturel qui, comme nous l’a appris le présent document, touchent tous les ministères, car les humains font partie du monde naturel. La participation à la Cérémonie est un acte de bonne foi; puisqu’on la retrouve dans de plus en plus d’initiatives de gouvernance conjointe entre les peuples autochtones et les gouvernements canadiens, nous avons espoir de voir se produire de petits changements à l’échelle individuelle qui entraîneront éventuellement des changements systémiques pour le bien de tous et de la Terre. En outre, le financement d’initiatives de recherche sur les collaborations entre les communautés autochtones, le milieu universitaire et les gouvernements pourrait améliorer notre compréhension des façons dont la Cérémonie et les politiques peuvent se combiner pour promouvoir non seulement le leadership climatique des Premières Nations, mais aussi le changement de paradigme voulu. Nous espérons que, tranquillement, l’expansion de la Cérémonie dans les espaces de gouvernance réduira le fardeau de la participation des Autochtones à des initiatives isolées qui ne correspondent pas à leurs perspectives du monde et présentent une transparence et une responsabilisation lacunaires, et encouragera de meilleures relations et interrelations entre les Premières Nations, les autres communautés autochtones et les gouvernements canadiens.


Conclusion

C’est qu’avec le temps, la Cérémonie nous rappellera qui nous sommes

Nous croyons que les bons protocoles et la Cérémonie – même en l’absence d’une voie à suivre ou de résultats clairs – ont le pouvoir de continuer à dégager les éléments qui nous permettront de réformer les politiques climatiques coloniales pour entreprendre une lutte efficace contre la crise climatique. C’est qu’avec le temps, la Cérémonie nous rappellera qui nous sommes, et nos gestes refléteront cette nouvelle compréhension.

Au bout du compte, la valeur de la Cérémonie ne se trouve ni dans la pensée ni dans l’analyse logique, mais plutôt dans les expériences et la connexion qui appellent à l’action. Comme l’explique le Kukpi7 Fred Robbins, « nous devons connaître notre Territoire – l’endroit où le soleil se lève et se couche, les façons dont le vent souffle le matin et le soir. La Terre est une chose qui ne se possède pas, on ne peut qu’éprouver un sentiment d’appartenance envers elle » (Naqsmist et BCAFNa, 2024). Ce sentiment d’appartenance, c’est ce que les Gardiens du savoir cherchent à nous faire comprendre. Comme dans la prophétie des quatre frères, ils ont un don à partager. Mais ce don saura-t-il nous rassembler?


Références (cliquez pour agrandir)

Alderhill Planning Inc. 2022. Summary of First Nations and Local Government Engagements on the B.C. Flood Strategy Intentions Paper, province de la Colombie-Britannique. https://engage.gov.bc.ca/app/uploads/sites/797/2023/06/Alderhill_WWHR_FINAL_Mar-2023.pdf.

Armstrong, Jeannette C. 2009. Constructing Indigeneity: Syilx Okanagan Oriliture and Tmixwcentrism, thèse de doctorat, Université de Greifswald (Ernst-Moritz-Arndt), décembre. https://nbn-resolving.org/urn:nbn:de:gbv:9-001322-9.

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British Columbia Assembly of First Nations (BCAFN). 2024. BC First Nations Climate Leadership Agenda. Consulté le 28 février 2024. https://www.bcafn.ca/priority-areas/environment/climate-emergency/bc-fncl-agenda.

Cajete, Gregory. 2000. Native Science: Natural Laws of Interdependence, Santa Fe : Clear Light Publishers.

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Chakraborty, Liton, Jason Thistlethwaite et Andrea Minano. 2021. « Leveraging Hazard, Exposure, and Social Vulnerability Data to Assess Flood Risk to Indigenous Communities in Canada », International Journal of Disaster Risk Science, vol. 12, p. 821-838, décembre. https://doi.org/10.1007/s13753-021-00383-1.

Conférenciers du Onjisay Aki—Our Changing Earth—International Climate Summit (Onjisay Aki). 2017. Onjisay Aki International Climate Calls to Action. Consulté le 3 mars 2024. https://onjisay-aki.org/onjisay-aki-international-climate-calls-action.

Deranger, Eriel T. 2021. The Climate Emergency & the Colonial Response, Yellowhead Institute, 2 juillet. Consulté le 3 mars 2024. https://yellowheadinstitute.org/2021/07/02/climate-emergency-colonial-response/.

European External Action Service (EEAS). 2021. Call for Urgent Global Action to Mitigate Climate Crisis – The External Dimension of the European Green Deal, European Union External Action, 25 janvier. Consulté le 3 mars 2024. https://www.eeas.europa.eu/eeas/call-urgent-global-action-mitigate-climate-crisis-external-dimension-european-green-deal_en.

Gouvernement du Canada. 2020. Cabinet Affairs, gouvernement du Canada. Dernière modification le 19 mars 2020. https://www.canada.ca/en/environment-climate-change/corporate/transparency/briefing-materials/corporate-book/cabinet-affairs.html.

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Indigenous Climate Action

ᐋᖅᑭᒋᐊᕈᑎᖃᕐᓂᖅ ᐅᕙᑦᑎᓐᓂᑦ | Notre positionnement

Le présent travail est mené par l’Indigenous Climate Action (ICA), une organisation dirigée par des Autochtones qui œuvre pour soutenir les communautés autochtones dans le renforcement de leur rôle en tant que chefs de file dans la mise en œuvre de solutions au changement climatique. Nos programmes actuels sont conçus pour responsabiliser les communautés autochtones à agir contre le changement climatique et favoriser le développement de solutions communautaires ancrées dans les connaissances et les pratiques autochtones.

Le besoin de recherche a été déterminé dans les conversations que notre organisation a tenues avec des parents inuits par l’entremise de mobilisations informelles avec le comité de direction et le conseil consultatif de l’ICA. L’étude de cas offre à l’ICA l’occasion de critiquer sainement notre propre travail, en particulier dans le domaine de notre projet de Décolonisation de la politique climatique (DPC), qui vise à enquêter sur les insuffisances et les problèmes associés à la politique climatique canadienne tout en soutenant et en développant une politique climatique dirigée par des autochtones (ICA, 2024).

L’étude de cas est l’occasion pour l’ICA de réfléchir à ses méthodes de recherche et à son processus éthique. C’est un jalon pour les travaux futurs sur de meilleurs processus de mobilisation des Inuits, qui éclairera la DPC 3 et d’autres travaux pertinents.

ᑕᒪᓐᓇ ᐱᓕᕆᐊᖑᔪᖅ ᐊᐅᓚᑕᐅᓪᓗᓂ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᐅᓚᔾᔭᒋᐊᕈᑎᖃᕐᓂᕐᒧᑦ (ICA), ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᓄᑦ ᓯᕗᓕᖅᑕᐅᓪᓗᓂ ᑎᒥᐅᔪᖅ ᐱᔾᔪᑎᖃᖅᑐᓂ ᐃᑲᔪᖅᑐᐃᓂᕐᒥ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᓄᓇᓕᖏᓐᓂᑦ ᐅᔾᔨᕈᓱᓕᖅᑎᒃᑲᓐᓂᖅᑐᒋᑦ ᓯᕗᓕᖅᑎᐅᔭᕆᐊᖃᕐᓂᖏᓐᓂᑦ ᐊᔭᐅᕆᓂᕐᒥ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐋᖅᑭᒋᐊᕈᑕᐅᒍᓐᓇᖅᑐᓂᑦ. ᒫᓐᓇᒃᑯᑦ ᐱᓕᕆᐊᑦᓴᖁᑎᕗᑦ ᓴᓇᔭᐅᓯᒪᔪᑦ ᓴᙱᓕᖅᑎᑦᓯᒋᐊᕆᓂᕐᒥ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᓄᓇᓕᖏᓐᓂᑦ ᐊᐅᓚᔾᔭᒋᐊᕈᑎᒋᓗᒍ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓ ᑎᒍᓯᒋᐊᖅᑎᑦᓯᓪᓗᑎᓪᓗ ᐱᕙᓪᓕᐊᑎᑦᓯᓂᕐᒥ ᓄᓇᓕᖃᖅᑐᓄᓪᓗ ᓯᕗᓕᖅᑕᐅᔪᓂᑦ ᖃᓄᖅᑑᕈᑎᖃᕐᓗᑎᑦ ᑐᙵᕕᖃᖅᑐᓂᑦ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᖃᐅᔨᒪᔭᑐᖃᖏᓐᓂᑦ ᐱᓕᕆᔾᔪᓯᑐᖃᖏᓐᓂᓪᓗ.

ᑕᒪᓐᓇ ᓇᓗᓇᐃᖅᑕᐅᓯᒪᔪᖅ ᖃᐅᔨᓴᕈᑕᐅᒋᐊᖃᕐᓂᖓᓂ ᐱᓯᒪᔪᖅ ᐅᖃᖃᑎᒌᒍᑕᐅᖃᑦᑕᖅᓯᒪᔪᓂᑦ ᑎᒥᖁᑎᑦᑎᓐᓄᑦ ᑲᑎᑎᑦᓯᓪᓗᑎᑦ ᐃᓄᓐᓂᑦ ᐃᓚᒌᑦᑐᓂᑦ ᑖᒃᑯᓂᖓ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᐅᓚᔾᔭᒋᐊᕈᑎᖃᕐᓂᕐᒧᑦ ᑲᑎᒪᔨᕋᓛᖏᓐᓄᑦ ᐊᒻᒪᓗ ᐅᖃᐅᔾᔨᒋᐊᕐᓂᕐᒧᑦ ᑲᑎᒪᔨᖏᓐᓂ.  ᑕᒪᓐᓇ ᖃᐅᔨᓴᕈᑕᐅᓂᖓ ᐱᕕᑦᓴᖃᖅᑎᑦᓯᔪᖅ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᐅᓚᔾᔭᒋᐊᕈᑎᖃᕐᓂᕐᒧᑦ ᐃᓚᐅᑎᑦᓯᓂᕐᒥ ᕿᒥᕐᕈᔭᐅᓗᓂ ᖃᓄᖅ ᐋᖅᑭᒋᐊᖅᑐᑦᓴᐅᒻᒪᖔᖅ ᐱᓕᕆᐊᕆᓯᒪᔭᕗᑦ, ᐱᓗᐊᖅᑐᒥ ᐃᓗᓕᖃᖅᑐᑦ ᐱᓕᕆᐊᕆᓯᒪᔭᑦᑎᓐᓂ ᑎᒍᓯᒋᐊᕈᑎᖃᕐᓂᖅ ᐊᐅᓚᑦᓯᓂᕐᒥ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᕈᑎᖃᕐᓂᕐᒥ ᐱᓕᕆᐊᑦᑎᓐᓂ (DCP), “ᑐᕌᒐᖃᖅᑐᓂ ᖃᐅᔨᓴᕆᐊᕈᑎᖃᕐᓂᕐᒥ ᐱᑕᖃᙱᓗᐊᖅᓯᒪᔪᓂᑦ ᐱᓇᐃᓗᑕᕈᖅᓯᒪᔪᓂᓪᓗ ᐊᑦᑐᐊᓂᖃᖅᑐᓂ ᖃᓇᑕᐅᑉ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᕈᑎᒋᓯᒪᔭᖏᓪᓕ, ᐊᑕᐅᑦᓯᑯᑦᓴᐃᓐᓇᖅ ᐃᑲᔪᖅᑐᐃᓪᓗᓂ, ᐱᕙᓪᓕᐊᑎᑦᓯᓪᓗᓕᔾ; ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᓄᑦ-ᓯᕗᓕᖅᑕᐅᔪᓂᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᕈᑎᖃᕐᓂᕐᒥ (ICA, 2024)”. 
ᑖᓐᓇ ᖃᐅᔨᓴᕈᑕᐅᓯᒪᔪᖅ ᐱᕕᑦᓴᖃᕆᐊᖅᑎᑦᓯᕗᖅ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᐅᓚᔾᔭᒋᐊᕈᑎᖃᕐᓂᕐᒧᑦ ᑎᒥᖁᑎᖓᓐᓂ ᑕᑯᒋᐊᕐᓗᑎᑦ ᐃᒻᒥᓄᑦ ᖃᓄᖅ ᖃᐅᔨᓴᕈᑎᖃᖃᑦᑕᕐᒪᖔᑦᑕ ᐊᒻᒪᓗ ᒪᓕᑦᑕᐅᒋᐊᓕᓐᓂᑦ ᐊᑐᐊᒐᖃᑦᓯᐊᕋᓗᐊᕐᒪᖔᑦᑕ. ᐊᓪᓗᕆᐊᕐᕕᑦᓴᐅᓪᓗᓂ ᓯᕗᓂᑦᓴᑎᓐᓂ ᐱᓇᓱᐊᖃᑎᖃᑦᓯᐊᓂᖅᓴᐅᓗᑕ ᐃᓄᓐᓂᑦ, ᐃᓗᓪᓕᖅᑐᐃᒍᑕᐅᓂᐊᕆᓪᓗᓂ DCP 3 ᐊᒻᒪᓗ ᐊᓯᖏᓐᓂ ᐊᑦᑐᐊᓂᖃᖅᑐᓂᑦ ᐱᓇᓱᐊᕈᑕᐅᔪᓂᑦ. 


ᓄᐃᑎᑦᓯᒋᐊᙵᐅᑎ | Introduction

Nous savons que différents environnements créent différents contextes dans lesquels se déroule la crise climatique. Par conséquent, les réponses à la crise climatique varient selon les communautés autochtones en raison de facteurs socioéconomiques, géopolitiques, culturels et historiques.

Les peuples et communautés autochtones ont été et continuent d’être structurellement exclus de la création et de la mise en œuvre du cadre actuel de la politique climatique du Canada. Cela viole notre droit à l’autodétermination ainsi que le droit au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause (CPLCC), qui est le droit inhérent des communautés autochtones à pouvoir accepter ou refuser tous les projets de développement susceptibles d’affecter les droits collectifs de leurs communautés (What is FPIC, s.d.). Dans la phase 1 de la Décolonisation de la politique climatique, nous avons souligné l’échec du gouvernement fédéral à respecter les engagements envers une relation de nation à nation et Inuit-Couronne, en citant des exemples de violations du droit des peuples autochtones à l’autodétermination et au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause dans la rédaction du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques ainsi que du plan pour un environnement sain et une économie saine.

Les Inuits ont été et continuent d’être activement engagés dans l’atténuation des impacts du changement climatique sur leurs terres malgré leur exclusion structurelle du développement des politiques climatiques fédérales. Le but de cette étude est de valoriser la richesse et la validité des savoirs inuits et de souligner l’importance des points de vue inuits dans les politiques climatiques. Ce travail exploratoire est essentiel pour comprendre comment Indigenous Climate Action peut participer et contribuer à une mobilisation et à une représentation appropriées des connaissances et de la vision du monde inuites dans les politiques climatiques. Nous commençons par exposer certains des obstacles auxquels les Inuits sont confrontés pour participer aux politiques climatiques. Ensuite, nous apprenons comment les Inuits répondent à ces obstacles. Enfin, nous explorons comment nous pouvons aller de l’avant dans l’inclusion équitable des points de vue inuits dans les politiques climatiques en tant que camarades œuvrant pour la vision partagée de la justice climatique.

Voici les objectifs de l’étude de cas :

  1. Développer une compréhension des approches inuites des politiques climatiques dans l’ensemble du Canada selon leurs propres enseignements, lois et vision du monde.
  2. Rechercher et soutenir des recommandations qui garantissent que les droits, visions du monde et lois inuits soient représentés équitablement dans le projet de Décolonisation de la politique climatique de l’ICA. Un sous-objectif de cet objectif est d’encourager d’autres organisations environnementales et ordres de gouvernement à entreprendre des efforts similaires.
  3. Renforcer la relation entre Indigenous Climate Action et les Inuits vivant dans l’Inuit Nunangat.

ᖃᐅᔨᒪᕗᒍᑦ ᐊᔾᔨᒌᙱᓐᓂᖃᖅᑐᑦ ᐊᕙᑏᑦ ᐊᔾᔨᒌᙱᑦᑑᑎᓂᑦ ᐊᑐᖅᐸᓪᓕᐊᒻᒪᑕ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ. ᐱᔾᔪᑎᒋᓪᓗᒍ, ᑭᐅᔾᔪᑎᑦᓴᓕᐊᕆᔭᐅᓯᒪᔪᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔫᖃᑎᒌᓂ ᐊᔾᔨᒌᙱᓐᓂᖃᓪᓛᔪᖅ ᐱᔾᔪᑎᒋᓪᓗᒋᑦ ᐃᓅᖃᑎᒌᑦᑐᑦ-ᑮᓇᐅᔭᓕᐅᕈᓐᓇᕐᓂᖏᑦ, ᓄᓇᖏᑕ ᒐᕙᒪᓄᑦ ᐊᐅᓚᑕᐅᓂᖏᑦ, ᐃᓕᖅᑯᓯᖃᖃᑎᒌᙱᓐᓂᕐᒧᑦ ᐊᒻᒪᓗ ᐊᔾᔨᒌᙱᑦᑐᓂᑦ ᐊᑑᑎᓯᒪᓂᖏᓐᓂᑦ.

ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᐊᒻᒪᓗ ᓄᓇᓕᖏᑦ ᐃᓚᐅᑎᑕᐅᙱᓐᓇᓕᒫᖅᑐᑦ ᐋᖅᑭᓱᖅᓯᒪᔪᑎᒍᓪᓗ ᐃᓚᐃᓐᓈᖅᑕᐅᓪᓗᑎᑦ ᓴᓇᔭᐅᓂᖏᓐᓄᑦ ᐊᑐᓕᖅᑎᑕᐅᕙᓪᓕᐊᓂᖏᓐᓂᓪᓗ ᑲᓇᑕᐅᑉ ᓯᓚᒥ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᕐᒧᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐊᕆᕙᑦᑕᖏᓐᓄᑦ. ᑕᒪᓐᓇ ᓯᖁᒥᑦᓯᓂᐅᔪᖅ ᐱᔪᓐᓇᐅᑎᖃᕐᓂᕐᒥ ᓇᒻᒥᓂᖅᓱᕈᓐᓇᓂᕐᒧᑦ ᐱᖃᓯᐅᓪᓗᒍᓪᓗ ᐱᔪᓐᓇᐅᑎᖃᕐᓂᖅ ᐊᑭᖃᙱᑦᑐᒥᒃ, ᓯᕗᓂᐊᒍᑦ ᑐᑭᓯᒪᑎᑕᐅᑦᓯᐊᕐᓗᑎᑦ ᐊᖏᕈᑕᐅᒋᐊᖃᕐᓂᖓᓂ, ᐱᑖᕆᓯᒪᒐᒥᐅᒃ “ᐱᔪᓐᓇᐅᑎᖃᕐᓂᖅ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᓄᑦ ᐊᖏᕈᓐᓇᕐᓗᑎᑦ ‘ᐄ’ ᐅᑉᕙᓘᓐᓃᑦ ‘ᐋᒡᒐ’ ᐱᕙᓪᓕᐊᑎᑕᐅᒐᓱᐊᖅᑐᓕᒫᕐᓂᑦ ᐊᑦᑐᐃᓂᖃᕈᓐᓇᖅᑐᓂᑦ ᐱᔪᓐᓇᐅᑎᖃᕐᓂᖏᓐᓂ ᓄᓇᓕᖏᑦᑕ (ᓱᓇᐅᓂᖓ FPIC, n.d.)”. ᐱᓕᕆᐊᖑᓂᖓ ᓯᕗᓪᓕᕐᒥ (1) ᑎᒍᓯᒋᐊᕈᑎᖃᕐᓂᖅ ᐊᐅᓚᑦᓯᓂᕐᒥ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᕈᑎᖃᕐᓂᕐᒥ, ᐊᓚᒡᒐᐃᒋᐊᒃᑲᓐᓂᖅᑎᓚᐅᖅᑕᕗᑦ ᒐᕙᒪᑐᖃᒃᑯᑦ ᐊᑐᕐᓂᐊᕐᓂᕋᖅᓯᒪᔭᒥᓂᑦ ᒪᓕᙱᑦᓯᒪᓂᕆᔭᖓ ᑲᓇᑕᓕᒫᕐᒥ ᐃᓄᐃᑦ ᒐᕙᒪᑐᖃᒃᑯᓪᓗ ᐱᓇᓱᐊᖃᑎᒌᓐᓂᖏᑕ, ᐆᑦᑑᑎᖃᖅᑐᖅ ᓯᖁᒥᑦᓯᓯᒪᓂᖏᑕ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᐱᔪᓐᓇᐅᑎᖏᓐᓂᑦ ᓇᒻᒥᓂᖅᓱᕈᒪᓂᕐᒧᑦ ᐊᒻᒪᓗ ᐊᑭᖃᙱᑦᑐᒥᒃ, ᓯᕗᓂᐊᒍᑦ ᑐᑭᓯᒪᑎᑕᐅᑦᓯᐊᕐᓗᑎᑦ ᐊᖏᕈᑕᐅᒋᐊᖃᕐᓂᖓᓂ ᑎᑎᕋᖅᑕᐅᕙᓪᓕᐊᓂᖓ ᑲᓇᑕᓕᒫᕐᒨᖓᔪᖅ ᐱᓇᓱᐊᕐᓂᕐᒧᑦ ᐊᑐᐊᒐᖅ ᓴᓗᒪᔪᓂᑦ ᐱᕈᖅᐸᓪᓕᐊᒍᑎᖃᕐᓗᑎᑦ ᐊᒻᒪᓗ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐱᖃᓯᐅᓪᓗᒍ ᖃᓄᐃᙱᑦᓯᐊᖅᑐᒥ ᐊᕙᑎᖃᕆᐊᖃᕐᓂᖅ ᐊᒻᒪᓗ ᑮᓇᐅᔭᓕᐅᕋᓱᐊᕈᑎᖃᕐᓂᕐᒧᑦ ᐸᕐᓇᐅᑎᒥ. 

ᐃᓄᐃᑦ ᐃᓚᐅᖃᑕᐅᖏᓐᓇᖅᑐᑦ ᐊᑐᓕᖅᑎᑦᓯᑦᑕᐃᓕᓂᕐᒥ ᐊᑦᑐᖅᑕᐅᒍᑕᐅᒍᓐᓇᖅᑐᓄᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᓄᓇᖏᓐᓂ ᓱᓇᒃᑯᑖᒻᒪᕆᓂ ᐱᑕᖃᖅᑎᑕᐅᙱᒃᑲᓗᐊᕋᒥᑦ ᒐᕙᒪᑐᖃᒃᑯᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐊᕆᕙᑦᑕᖏᓐᓄᑦ. ᑕᒪᑐᒪ ᖃᐅᔨᓴᕆᐊᕐᓂᐅᑉ ᐱᔾᔪᑎᖓ ᒪᑭᑎᑦᓯᒋᐊᒃᑲᓐᓂᕈᒪᓪᓗᑎᑦ ᐱᑕᖃᓪᓚᕆᓐᓂᕆᔭᖓᓂᑦ ᓈᒻᒪᑦᓯᐊᕐᓂᕆᔭᖏᓐᓂᓪᓗ ᐃᓄᐃᑦ ᐱᔾᔪᓯᖏᑦ ᖃᐅᔨᒪᓂᕐᒧᑦ, ᐊᒻᒪᓗ ᑐᓴᖅᑎᑦᓯᒋᐊᒃᑲᓐᓂᕈᒪᓪᓗᑕ ᐱᒻᒪᕆᐅᓂᖏᓐᓂᑦ ᐃᓄᐃᑦ ᑕᑯᓐᓇᕐᓂᕆᔭᖏᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᖃᑦᑕᓂᕐᒥ.  ᑐᑭᓯᓇᑦᓯᐊᖅᑐᓂᑦ ᐃᓕᔾᔪᑎᑦᓴᖃᖅᑐᖅ ᒫᓐᓇᒃᑯᑦ ᐱᑕᖃᙱᓗᐊᕐᓂᖏᓐᓄᑦ ᐃᓚᐅᑎᑦᓯᒋᐊᕐᓂᕐᒧᑦ ᐱᓕᕆᔾᔪᓯᐅᕙᑦᑐᑦ ᐊᒻᒪᓗ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᖅᐸᓪᓕᐊᓂᕐᒧᑦ. ᐃᓄᐃᑦ ᐅᖃᐅᓯᖃᖃᑦᑕᐃᓐᓇᖅᓯᒪᔪᑦ ᓇᒻᒥᓂᖅ ᓯᕗᓪᓕᐅᑎᒍᒪᔭᕐᒥᓂᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᕐᓂᕐᒧᑦ ᐃᓚᐅᑎᑦᓯᒋᐊᕐᓂᕐᒧᓪᓗ, ᑐᑭᓯᑎᑦᓯᒋᐊᖅᑐᑎᑦ ᐊᑑᑎᖃᓪᓚᕆᑦᑐᓂᑦ ᐃᒫᖓᐃᕆᐊᕈᑕᐅᒍᓐᓇᖅᑐᓂᓪᓗ. ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᐅᓚᔾᔭᒋᐊᕈᑎᖏᑦ, ᐱᖃᓯᐅᓪᓗᒋᑦ ᐊᓯᖏᑦ ᐊᕙᑎᓕᕆᓂᕐᒧᑦ ᑎᒥᐅᔪᑦ, ᐃᓕᑦᑐᓐᓇᖅᑐᑦ ᐃᓕᑦᑕᕆᐊᖃᖅᑐᑎᓪᓗ ᑕᒪᒃᑯᓂᖓ ᐊᐅᓚᑦᓯᑦᓯᐊᕐᓂᕐᓴᐅᒍᓐᓇᖁᓪᓗᒋᑦ ᑲᑎᒪᓂᐅᔪᓂᑦ, ᑐᙵᕕᖃᕐᓂᖅᓴᓂᑦ ᖃᐅᔨᓴᕈᑎᖃᖅᐸᓪᓗᑎᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᕈᑕᐅᓂᐊᖅᑐᓄᑦ ᐱᔾᔪᑎᒋᓪᓗᒍ ᑖᓐᓇ ᖃᐅᔨᓴᕈᑕᐅᔪᖅ.  

ᑕᒪᓐᓇ ᕿᒥᕐᕈᔭᐅᕙᓪᓕᐊᔪᖅ ᑐᑭᓯᒋᐊᕈᑕᐅᒍᓐᓇᖅᑐᓂᑦ ᐱᓇᓱᐊᕈᑎᖃᕐᓂᖅ ᐱᒻᒪᕆᐅᔪᖅ ᑐᑭᓯᒪᖁᓪᓗᑕ ᖃᓄᖅ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᐅᓚᔾᔭᒋᐊᕈᑎᒋᓯᒪᔭᖏᑦ ᓈᒻᒪᑦᓯᐊᖅᑐᓂᑦ ᐃᓚᐅᑎᑦᓯᓂᕐᒥ ᑭᒡᒐᑐᖅᑕᐅᓗᑎᓪᓗ ᐃᓄᐃᑦ ᖃᐅᔨᒪᔭᑐᖃᖏᑦ ᓄᓇᕐᔪᐊᒥᓪᓗ ᑕᑯᓐᓇᕈᓯᖏᑦ ᓯᓚᒨᖓᔪᓂᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᕈᑕᐅᕙᑦᑐᓄᑦ? ᐱᒋᐊᕈᑎᖃᖅᑯᒍᑦ ᓇᓗᓇᐃᔭᖅᑐᒋᑦ ᐃᓚᖏᑦ ᐊᐳᖅᑕᕈᑕᐅᕙᑦᑐᑦ ᐃᓄᓐᓄᑦ ᐃᓚᐅᖃᑕᐅᓂᕐᒥ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᕐᓂᕐᒥ. ᐃᓕᒍᑎᒋᓂᐊᕆᓪᓗᑎᒍᓪᓗ ᖃᓄᖅ ᐃᓄᑦ ᑭᐅᔾᔪᑎᖃᖅᐸᓪᓕᐊᒻᒪᖔᑕ ᑕᒪᒃᑯᓄᖓ ᐊᐳᕈᑕᐅᕙᑦᑐᓄᑦ. ᑭᖑᓪᓕᕐᐹᕐᒥ, ᕿᒥᕐᕈᒋᐊᕐᓂᖃᖅᑯᒍᑦ ᖃᓄᖅ ᓯᕗᒧᐊᒋᐊᕈᓐᓇᕐᒪᖔᑕ ᐃᓚᐅᑎᑕᐅᑦᓯᐊᕐᓗᑎᑦ ᓇᓕᒧᒌᓐᓂᒃᑯᑦ ᐃᓄᐃᑦ ᑕᑯᓐᓇᕐᓂᕆᔭᖏᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᕐᓂᒥ ᐱᓇᓱᐊᖃᑕᐅᑦᓯᐊᕐᓗᑎᑦ ᑖᑦᓱᒥᖓᑦᓴᐃᓐᓇᖅ ᑕᐅᑐᒐᖃᓕᕐᓗᑎᑦ ᓯᓚᐅᑦ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐋᖅᑭᒋᐊᕈᑕᐅᔪᓄᑦ.  

ᑐᕌᒐᕆᔭᖏᑦ ᑕᒪᑐᒪ ᖃᐅᔨᓴᕈᑕᐅᔫᑉ ᒪᑯᐊᖑᔪᑦ:

  1. ᑐᑭᓯᕙᓪᓕᐊᒍᑎᒋᓗᒋᑦ ᐃᓄᐃᑦ ᐊᑐᕆᐊᖅᐸᑦᑕᖏᓐᓂᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᕐᓂᕐᒥ ᑲᓇᑕᓕᒫᕐᒥ ᒪᓕᓪᓗᒋᑦ ᐃᓕᓴᖅᑕᐅᒍᑎᒋᓯᒪᔭᖏᑦ, ᐱᖁᔭᓕᕆᔾᔪᓯᖏᑦ ᐊᒻᒪᓗ ᓄᓇᕐᔪᐊᕐᒥ ᑕᑯᓐᓇᕐᓂᕆᔭᖏᑦ. 
  2. ᐃᑲᔪᖅᑐᖅᑕᐅᒍᒪᓪᓗᑕ ᐱᖁᔨᕗᖔᓕᐅᖅᑎᓪᓗᑕ ᐃᓄᐃᑦ ᐱᔪᓐᓇᐅᑎᖏᑦ, ᓄᓇᕐᔪᐊᕐᒥ ᑕᑯᓐᓇᕐᓂᕆᔭᖏᑦ ᐊᒻᒪᓗ ᐱᖁᔭᖏᑦ ᑭᒡᒐᑐᖅᑕᐅᑦᓯᐊᐊᓗᐊᕐᒪᖔᑕ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᐅᓚᔾᔭᒋᐊᕈᑎᒋᓯᒪᔭᖏᑎᒍᓯᒋᐊᕈᑎᖃᕐᓂᖅ ᐊᐅᓚᑦᓯᓂᕐᒥ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᑐᐊᒐᓕᐅᕈᑎᖃᕐᓂᕐᒥ ᐱᓕᕆᐊᕆᔭᖓᓂ. ᐱᔭᐅᖃᓯᐅᑎᒍᒪᒻᒥᔪᖅ ᑕᒪᑐᒪᓂ ᑐᕌᒐᕆᔭᐅᔪᒥ ᑲᔪᖏᖅᑐᖅᑕᐅᓗᑎᑦ ᐊᓯᖏᑦ ᐊᕙᑎᓕᕆᓂᕐᒧᑦ ᑎᒥᐅᔪᑦ ᒐᕙᒪᐅᔪᓪᓗ ᑕᐃᒫᑦᓴᐃᓐᓇᒐᓚᒃ ᐱᓇᓱᐊᕈᑎᖃᕐᓗᑎᑦ. 
  3. ᓴᙱᓕᕆᐊᖅᑕᐅᓗᑎᑦ ᐱᓇᓱᐊᖃᑎᒌᓐᓂᕆᔭᖏᖅ ᓄᓇᖃᖅᑳᖅᓯᒪᔪᐃᑦ ᓯᓚᐅᑉ ᐊᓯᔾᔨᐸᓪᓕᐊᓂᖓᓄᑦ ᐊᐅᓚᔾᔭᒋᐊᕈᑎᖏᑦ ᐊᒻᒪᓗ ᐃᓄᐃᑦ ᓄᓇᖃᖅᑐᑦ ᐃᓄᐃᑦ ᓄᓇᖓᓐᓂ.  

Méthodologie

Reconnaissant les paysages géopolitiques uniques, les histoires particulières et les cultures diverses qui façonnent les Inuits dans leur ensemble, comme l’a articulé Kuokkanen (2007), cette étude se concentre délibérément au Canada. Il est important de noter que le contexte canadien diffère de celui de la Scandinavie ou du Groenland, et ces distinctions jouent un rôle crucial dans la compréhension de l’autodétermination dans les différentes régions.

En tant que seule organisation autochtone de lutte contre le changement climatique au Canada, l’ICA a la responsabilité de faciliter une mobilisation concrète de nos proches dans le développement de nos offres organisationnelles afin de ne pas risquer de reproduire les fonctions d’une approche pan-autochtone du développement des connaissances. S’éloigner d’un discours eurocentrique et se tourner vers un discours enraciné dans la réappropriation, la réécriture et la recherche à partir de nos propres façons distinctes de savoir nous permet de nourrir et de renforcer les visions du monde autochtones.

Par conséquent, nous avons mené cette recherche en utilisant un paradigme de résurgence autochtone. Comme le suggère le chercheur cherokee Jeff Corntassel (2021), un paradigme de résurgence autochtone reformule la colonisation : les priorités ne sont plus liées à l’État mais se concentrent plutôt sur les relations entre l’identité nationale autochtone, les pratiques basées sur le lieu et centrées sur la communauté qui travaillent à revitaliser les actes de renouveau et de régénération. Il n’y a pas d’approche unique à la résurgence, elle est constamment réimaginée et réenvisagée en fonction des paysages terrestres et marins autochtones ancrés dans le contexte. Cependant, le chercheur cherokee Jeff Corntassel met en évidence quatre éléments interconnectés qui se distinguent des mobilisations résurgentes passées et de la littérature émergente (Corntassel 2021, p. 74) :

1. Mettre au centre l’identité nationale autochtone et la gouvernance basée sur la terre/l’eau;

2. Honorer et pratiquer les responsabilités relationnelles, qui forment la base de l’autorité autochtone qui s’autodétermine;

3. Se détourner de l’État et décentrer la politique de reconnaissance, d’hétéropatriarcat et de colonialisme des colons;

4. S’engager dans des actes quotidiens de renouveau, de mémoire et de régénération.

La méthodologie retenue repose sur notre compréhension que le besoin de stratégies contextuellement ancrées dans les façons de savoir inuites ne peut être sous-estimé. Quels sont les différents endroits où nous pourrions développer des relations avec des personnes ou des lieux dans la recherche de connaissances? À quoi ressemblent les méthodes de production de connaissances contextuellement ancrées? Ce sont là quelques-unes des questions que nous nous posons dans l’application d’un paradigme de résurgence autochtone.

Au cours de cette étude de cas, nous avons entrepris une analyse critique de la littérature existante centrée sur les approches inuites du changement climatique. Nous avons consulté un large éventail de sources pour bien comprendre la situation, notamment :

  • les politiques fédérales,
  • les organisations représentatives inuites,
  • les pratiques communautaires et les enseignements culturels.

Dans le cadre d’un paradigme de résurgence autochtone, nous avons principalement recherché une littérature axée sur les relations entre l’identité nationale, les relations basées sur le lieu et les pratiques centrées sur la communauté. D’un point de vue géographique, la littérature était centrée sur le Canada; cependant, nous reconnaissons que des organisations comme l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), une organisation internationale non gouvernementale représentant les Inuits d’Alaska, du Canada, du Groenland et de Russie, sont au service des Inuits à l’échelle internationale.

De plus, nous avons interviewé des participants inuits familiers des offres de l’ICA afin d’élargir notre travail de Décolonisation de la politique climatique pour garantir que les droits, les points de vue et les approches des Inuits soient inclus et trouvent une place centrale. Tout au long de cette analyse, nous avons recherché des thèmes sur la manière dont la crise climatique est décrite, les insuffisances des politiques actuelles, les valeurs et les relations qui devraient être mises en avant à l’avenir et les solutions proposées.


Bannière Indigenous Climate Action

Pourquoi les cadres politiques actuels posent des obstacles importants à la participation des Inuits

La crise climatique, déjà sévère, est aggravée pour les Inuits de tout l’Inuit Nunangat (composé de quatre régions : l’Inuvialuit [Territoires du Nord-Ouest et Yukon], le Nunavik [Nord du Québec], le Nunatsiavut [Labrador] et le Nunavut), en raison de sa localisation éloignée, de ses conditions environnementales uniques et de l’héritage persistant du colonialisme. Ainsi, les Inuits sont confrontés aux effets exacerbés du changement climatique, tels que le dégel du pergélisol, la fonte de la banquise et des conditions météorologiques extrêmes. 

Le cadre de la politique climatique fédérale du Canada continue de poser des obstacles importants à la mobilisation concrète des Inuits. En premier lieu, le cadre actuel de la politique climatique fédérale ne différencie pas les régions nord des régions sud, et ainsi ne parvient pas à créer des stratégies pour aborder correctement le changement climatique en fonction des différentes régions géographiques. C’est ce que confirme une femme inuite, Bryanna Brown, qui explique :

« Le manque de compréhension de la manière dont nous vivons dans le Nord est vraiment différent de celle du Sud. Donc parfois, beaucoup de choses ne sont pas prises en compte, par exemple, les problèmes que nous avons avec l’infrastructure et le pergélisol, et comment cela cause des difficultés avec des problèmes comme la plomberie et la gestion des déchets. Ou les problèmes de capacité dans divers départements et les problèmes d’insécurité alimentaire et comment cela a des répercussions sur les gens et sur leur capacité à continuer à travailler. » (B. Brown, communication personnelle, 4 avril 2024)

Une compréhension approfondie des expériences de la colonisation et de la manière dont elles se sont manifestées différemment d’un océan à l’autre, ainsi que des impacts qui en ont découlé, est nécessaire pour soutenir l’autodétermination des Inuits. Un autre obstacle évident à la mobilisation concrète des Inuits dans le cadre fédéral existant est la nature symbolique de la mobilisation des peuples autochtones, les communautés étant souvent consultées pour la forme plutôt qu’en tant que partenaires égaux dans les processus de prise de décision. Par exemple, lors de l’élaboration du Cadre pancanadien, il y avait une absence flagrante de mécanismes pour garantir que l’Assemblée des Premières Nations (APN), l’ITK et le Ralliement national des Métis (RNM) puissent recueillir des avis pertinents sur le Cadre au nom des peuples autochtones qu’ils sont censés représenter (DPC, 2019). Comme le souligne Russel Diabo (2017), cette omission a permis au Canada d’induire le public en erreur sur l’étendue de la participation des peuples autochtones et a créé une façade de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause (CPLCC).

les Inuits sont confrontés aux effets exacerbés du changement climatique, tels que le dégel du pergélisol, la fonte de la banquise et des conditions météorologiques extrêmes. 

Un autre exemple flagrant peut être observé dans le cadre de l’élaboration du Plan de réduction des émissions (PRE) pour 2030, dont le rapport d’étape 2023 a indiqué que les peuples autochtones estimaient que les délais de mobilisation dans le cadre du PRE 2030 étaient inadéquats et « ont souligné la nécessité de leur participation précoce, concrète et cohérente dans les politiques et programmes climatiques fédéraux » (Rapport d’étape du PRE, p. 58).

Un phénomène connu sous le nom de « cloisonnement » exacerbe ces défis en donnant la priorité à la mobilisation des organisations politiques dirigées par des Autochtones plutôt que des organisations de la base et communautaires, ce qui entrave encore la participation des peuples autochtones en excluant des points de vue essentiels. Pour en savoir plus sur les obstacles existants aux solutions climatiques dirigées par des Autochtones, consultez notre DPC Phase 2 Partie 1 récemment publié.


Résultats

Les Inuits ont constamment plaidé pour la protection de leurs terres, de leurs eaux et de leurs moyens de subsistance par divers moyens, notamment la gouvernance inuite, l’organisation communautaire et les actions directes de la base. La présente section approfondira les stratégies de plaidoyer employées dans l’ensemble de l’Inuit Nunangat et soulignera l’importance de la mobilisation appropriée de l’ICA (et d’autres ONG environnementales) de ces stratégies.

Les organisations de gouvernance représentatives des Inuits ont fourni des voies claires et des étapes concrètes pour assurer l’inclusion des connaissances inuites. En 2019, l’Inuit Tapiriit Kanatami a introduit la Stratégie nationale inuite sur les changements climatiques (SNICM) qui visait à cerner les priorités climatiques dans l’ensemble de l’Inuit Nunangat. Cette organisation a fourni un point de départ pour que les gouvernements provinciaux et fédéraux, les instances internationales et les organisations non gouvernementales coordonnent les stratégies climatiques au sein de l’Inuit Nunangat. L’objectif était de façonner les politiques climatiques aux niveaux local, régional, national et international, en favorisant la recherche, l’élaboration de politiques et les actions dirigées par les Inuits grâce à des partenariats éthiques qui répondent aux besoins uniques, urgents et divers (ITK, 2019).

La stratégie met en lumière des actions visant à accroître l’accessibilité de l’information grâce à des transferts de connaissances pour et avec les Inuits, ainsi qu’à la recherche dirigée par les Inuits. Voici les cinq principales priorités d’action relevées :

  1. « Renforcer la capacité des Inuits et l’utilisation des connaissances inuites dans la prise de décision climatique.
  2. Améliorer les résultats liés à la santé et au bien-être des Inuits et de l’environnement par des politiques et des initiatives intégrées en matière de santé, d’éducation et de climat pour les Inuits.
  3. Réduire la vulnérabilité des réseaux alimentaires des Inuits et du marché.
  4. Combler le fossé infrastructurel avec des constructions neuves à l’épreuve du climat, la mise aux normes des constructions existantes et des adaptations inuites aux infrastructures naturelles changeantes.
  5. Soutenir les solutions énergétiques régionales et communautaires conduisant à l’indépendance énergétique des Inuits. » (ITK 2019, p. 19)

Bien que non spécialisé dans le climat, l’organisation nationale représentant les droits et les intérêts des Inuits vivant au Canada, l’Inuit Circumpolar Council, a publié en 2023 un rapport intitulé Circumpolar Inuit Protocols for Equitable and Ethical Engagement (protocoles inuits circumpolaires pour une mobilisation équitable et éthique). Ce rapport décrit les pratiques exemplaires pour les chercheurs, les décideurs et les autres parties intéressées par la promotion des droits interreliés, interdépendants et indivisibles des Inuits. On distingue huit protocoles :

  1. « Rien sur nous sans nous » — Toujours mobiliser les Inuits
  2. Reconnaître les connaissances autochtones en tant que telles
  3. Pratiquer une bonne gouvernance
  4. Communiquer avec intention
  5. Faire preuve de responsabilité — Construire la confiance
  6. Établir des partenariats concrets
  7. Partage, propriété et permissions des informations et des données
  8. Financer équitablement la représentation et les connaissances inuites (ICC 2023, p. 14).

Ces protocoles fournissent une voie collective pour la mobilisation des Inuits dans la poursuite de la justice climatique, appelant le gouvernement fédéral à aborder cette mobilisation avec la reconnaissance que les Inuits ont un droit à l’autodétermination qui doit être respecté dans le cadre de tout programme, politique ou service climatique mis en œuvre sur leur territoire (ITK, 2019). De plus, ils soulignent que les voix et les points de vue des aînés, des femmes, des jeunes, des enfants et des personnes handicapées inuits doivent être au centre des initiatives climatiques (ITK, 2019).

Au cours de notre discussion, Bryanna Brown a souligné les avantages d’un front uni parmi les organisations représentatives inuites. Ces organisations ont mis en place des mécanismes de coopération qui, selon elle, offrent une voie prometteuse pour l’intégration efficace des politiques climatiques, car elles facilitent des processus décisionnels apparemment plus rapides (communication personnelle, 4 avril 2024).

Cependant, des processus décisionnels plus rapides ne sont pas avantageux s’ils n’incluent pas toutes les voix de la communauté, ce qui est souvent le cas dans les relations entre la Couronne et les Inuits où la représentation se limite souvent aux affiliés des organisations politiques. Un des jeunes Inuits interviewés a estimé que la mobilisation inclusive devrait aller au-delà des organisations politiques :

 « Les personnes qui devraient être incluses sont celles qui vivent dans la communauté et qui vivent directement les changements. La question n’est pas qui est présent mais qui n’est pas présent dans les espaces de décision » (M. Dicker, communication personnelle, 5 avril 2024).

Par exemple, les jeunes, qui subissent de manière disproportionnée les conséquences du changement climatique, sont souvent exclus des processus décisionnels. Les jeunes apportent des dons, des connaissances et des points de vue pour répondre à la crise climatique. Il est impératif de les encourager à devenir des participants actifs. Pour ce faire, nous devons aller au-delà d’une simple invitation aux tables de décision et nous assurer que leurs points de vue sont valorisés et mis en œuvre dans les mesures prises.

Les organisateurs de la base et communautaires ont des points de vue vitaux en raison de leur nature ancrée dans le lieu. Il est essentiel d’établir un lien avec le lieu pour vraiment comprendre les répercussions de la crise climatique : « Si les gens ne vivent pas quelque chose directement, ou n’ont pas de lien avec un lieu… ils ne vivent pas les mêmes choses. Il pourrait être plus facile de le repousser ou de laisser faire » (M. Dicker, communication personnelle, 5 avril 2024).

Examiner les stratégies de mobilisation produites par les organisations représentatives inuites met en lumière l’importance pour l’ICA et d’autres ONG environnementales d’employer des approches inclusives pour la mobilisation et la prise de décision. Compléter cet examen par des interviews montre combien il peut être difficile de s’assurer que les bonnes voix sont incluses dans le processus de mobilisation, malgré des appels explicites à prioriser les points de vue des aînés, des femmes, des enfants et des jeunes Inuits dans la stratégie de mobilisation de l’ITK. En adoptant les protocoles tout en reconnaissant les obstacles à leur mise en œuvre, des organisations comme l’ICA peuvent être plus attentives à leurs voies de mobilisation afin de contribuer à des efforts plus efficaces et inclusifs en faveur de la justice climatique dirigée par les Inuits.


Voie à suivre

Les plus grandes menaces aux droits fonciers et à la réalisation des solutions climatiques dirigées par les Autochtones sont les systèmes de colonisation, le financement et les soutiens inadéquats en cours, et l’absence de diffusion directe d’informations critiques aux communautés. Essentiellement, il y a un manquement au respect du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause : on maintient les communautés dans l’ignorance, en soutenant les processus de recherche effectués sur nos communautés plutôt que par ou pour nos communautés. Il y a de toute évidence un manque d’information, un manque de financement et d’accès aux espaces décisionnels qui laissent nos communautés en déficit, ajoutant une couche écrasante de complexité à l’avancement de nos solutions.

Les plus grandes menaces aux droits fonciers et à la réalisation des solutions climatiques dirigées par les Autochtones sont les systèmes de colonisation, le financement et les soutiens inadéquats en cours, et l’absence de diffusion directe d’informations critiques aux communautés.

Comme on l’a vu ci-dessus, les Inuits ont pris le temps de poser les bases de leur mobilisation efficace sur la politique climatique. Nous devons respecter et honorer ce travail en nous y engageant et en l’appliquant à notre approche.

La voie à suivre pour l’ICA dans la représentation inclusive des connaissances et des visions du monde inuites dans notre travail nécessite une approche contextuellement ancrée. Il faut pour cela reconnaître et respecter les facteurs socioéconomiques, géopolitiques, culturels et historiques uniques auxquels les Inuits sont confrontés. Il s’agit de favoriser une mobilisation inclusive des Inuits à tous les niveaux, qui intègre toutes les expériences vécues. L’ICA s’engage et prévoit de s’engager dans ce travail par les actions et initiatives suivantes :

Réaliser les droits des Inuits par le développement et le partage accrus des connaissances

L’ICA est en train de revoir ses méthodes de recherche et son processus éthique. La présente étude de cas est un jalon pour les travaux futurs sur de meilleurs processus de mobilisation avec les Inuits, qui éclairera la DPC 3 et d’autres travaux pertinents.

Centrer les systèmes de connaissances inuites en continuant à prioriser les pratiques exemplaires, à inclure les voix marginalisées et à contrer la désinformation

La recherche sert d’outil pour promouvoir diverses formes d’impérialisme économique et culturel en façonnant et en approuvant des relations de pouvoir injustes (Smith, 2019). Les connaissances autochtones sont souvent perçues comme secondaires par rapport à la validité présumée des connaissances occidentales, ce qui conduit à leur détournement et à leur exploitation. Ce sentiment se reflète souvent dans les méthodes de mobilisation qui facilitent la collecte de données des chercheurs.

Les connaissances autochtones sont souvent perçues comme secondaires par rapport à la validité présumée des connaissances occidentales, ce qui conduit à leur détournement et à leur exploitation

La légitimité accordée aux politiques par la recherche souligne l’importance de la mobilisation inclusive dans le processus de recherche. Adopter une approche contextuellement ancrée pour la collecte de données inclut l’adoption d’une approche contextuellement ancrée pour la mobilisation, ce qui signifie aller au-delà des idées occidentales sur les voix qui devraient être incluses. Pour que les politiques soient adaptées aux communautés locales, elles doivent fournir une compréhension complète des défis et opportunités uniques existants, qui ne peuvent provenir que de l’expérience vécue.

Le processus de centrage des systèmes de connaissances inuites exige également que nous priorisions les relations avec la terre. La structure du comité consultatif de l’ICA était intentionnellement composée de représentants de chacun des cinq biomes. Les biomes sont caractérisés par leurs conditions climatiques distinctes et leurs combinaisons uniques de caractéristiques biotiques et abiotiques (DPC Phase 2 : Partie 1, 2023). Notre inspiration a été tirée de notre désir d’intégrer les connaissances autochtones de différentes terres et leurs communautés humaines et non humaines. Tout au long du projet colonial, les peuples autochtones ont été regroupés de manière à nous priver de notre relationnalité les uns avec les autres, avec nos proches non humains et avec la terre. Les processus décisionnels qui tirent parti des observations et des efforts des communautés locales fournissent une compréhension plus holistique de la crise climatique.

Le processus de centrage des systèmes de connaissances inuites exige également que nous priorisions les relations avec la terre.

Soutenir les Inuits dans le développement de stratégies climatiques pertinentes et efficaces au-delà des solutions réactives, remplacées par des solutions dirigées par la communauté

Il est évident qu’une analyse plus approfondie des avantages potentiels des approches contextuellement ancrées pour réduire la crise climatique est nécessaire. Mais la réalité est que les mécanismes de financement pour soutenir ce travail à l’échelle requise sont inadéquats. Une autre façon de faire est de fournir les ressources et les délais adéquats pour que les Inuits puissent contribuer de manière concrète, ainsi que de soutenir les solutions dirigées par la communauté et les observations locales de la terre.


Conclusion

Dans le cadre d’un paradigme de résurgence autochtone, la présente étude de cas visait à comprendre comment l’ICA et d’autres ONG environnementales peuvent participer et contribuer à une mobilisation et à une représentation appropriées des connaissances et de la vision du monde inuites dans les politiques climatiques.

Ce que nous avons constaté, c’est que cela exige une compréhension globale des facteurs uniques qui façonnent la communauté inuite, ainsi qu’une approche contextuelle de l’élaboration des politiques. En centrant les voix inuites, l’ACI et d’autres ONG environnementales peuvent contribuer à des efforts plus efficaces et inclusifs en faveur d’une justice climatique dirigée par les Inuits.

La voie à suivre consiste à déployer des efforts concertés pour éliminer les obstacles structurels et favoriser la mobilisation inclusive des Inuits à tous les niveaux, qui intègre toutes les expériences vécues. Cette étude sert d’appel à l’action pour Indigenous Climate Action et d’autres ONG environnementales, dans le but de renforcer leurs relations avec les Inuits, d’élever les systèmes de connaissances des Inuits et de promouvoir des politiques fondées sur l’autodétermination et les notions de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.


Sources (cliquer pour agrandir)

Aporta, Claudio & Bishop, Breanna & Choi, Olivia & Wang, Weishan. 2020. Knowledge and Data: An Exploration of the Use of Inuit Knowledge in Decision Support Systems in Marine Management.

Canada. (2023). Rapport d’étape 2023 sur le Plan de réduction des émissions pour 2030 : Partie I. Extrait de https://www.canada.ca/fr/services/environnement/meteo/changementsclimatiques/plan-climatique/survol-plan-climatique/reduction-emissions-2030/rapport-etape-2023/partie-1.html

Canada. (s.d.). Le partenariat du Canada avec les peuples autochtones sur le climat. Extrait de https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/changements-climatiques/partenariat-autochtone.html

Corntassel, J. (2021). Life Beyond the State: Regenerating Indigenous International Relations and Everyday.Challenges to Settler Colonialism. Vol. 2021 No. 1 (2021): The Politics of Indigeneity, Anarchist Praxis, and Decolonization.

Indigenous Climate Action. (2023). Décolonisation de la politique climatique au Canada Rapport de la première phase. Extrait de https://static1.squarespace.com/static/5e8e4b5ae8628564ab4bc44c/t/6086ca7897326e3f522e608c/1619446397209/pcf_critique_FR_FINAL.pdf

Indigenous Climate Action. (2023). Decolonizing Climate Policy: Phase 2, Part 1. Extrait de https://www.indigenousclimateaction.com/programs/decolonizing-climate-policy

Indigenous Climate Action. (2024). Decolonizing Climate Policy. Extrait de https://www.indigenousclimateaction.com/programs/decolonizing-climate-policy

Indigenous Climate Action. (2024). Decolonizing Climate Policy: Phase 2 Part 2. À venir.

Inuit Circumpolar Council. (s.d.). À propos de l’ICC. Extrait de https://www.inuitcircumpolar.com/about-icc/

Inuit Circumpolar Council. (2022). Circumpolar Inuit Protocols for Equitable and Ethical Engagement. Extrait de https://www.inuitcircumpolar.com/project/circumpolar-inuit-protocols-for-equitable-and-ethical-engagement/

Inuit Tapiriit Kanatami. (2019). Stratégie nationale inuite sur les changements climatiques. Extrait de https://www.itk.ca/wp-content/uploads/2019/07/ITK_Climate-Change-Strategy_French-Online.pdf

Kuokkanen, R. (2007). Indigenous self-government in the Arctic: Assessing the scope and legitimacy in Nunavut, Greenland, and Sápmi.

Smith, L. T. (2019). Decolonizing Methodologies. Bloomsbury.
« What is FPIC? » s.d. Extrait de https://whatis.fpic.info/#:~:text=Free%2C%20Prior%20%26%20Informed%20Consent%20is,collective%20rights%20of%20their%20communities

Conservation autochtone des semences et adaptation des semences aux changements climatiques

CONSERVATION AUTOCHTONE DES SEMENCES : UNE PRATIQUE DE L’ALIMENTATION CULTURELLE ET DE L’ADAPTATION AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Si l’agriculture ne fait pas partie des systèmes et pratiques alimentaires de toutes les collectivités autochtones, les systèmes alimentaires ancestraux de nombreuses collectivités intègrent des pratiques de conservation des semences et de culture. Pour certaines collectivités autochtones, la conservation des semences et l’agriculture étaient historiquement absentes de leurs systèmes alimentaires, mais elles le sont désormais, notamment en raison de la mobilité et des déplacements des peuples autochtones d’une région à l’autre, des changements climatiques qui perturbent les conditions de croissance des territoires, ainsi que du partage des connaissances entre les collectivités. Les peuples autochtones ne sont pas les seuls à conserver et à adapter les semences, mais ils le font selon des méthodes culturellement distinctes, fondées sur l’appartenance intergénérationnelle à un lieu et fondées sur la science, l’économie, la spiritualité, l’égalité des sexes, la gestion de l’environnement, les lois et la gouvernance des collectivités autochtones.

Les gardiens de semences autochtones conservent des semences depuis des générations pour créer, maintenir ou restaurer des variétés de semences ancestrales et culturellement importantes, mais aussi pour adapter les variétés existantes et les nouvelles variétés aux conditions de croissance de la région. Les pratiques autochtones liées aux semences sont soumises à une éthique des responsabilités et jouent un rôle particulier sur le plan culturel, auquel on fait souvent référence en parlant de « conservation autochtone des semences » ou de « gardiens des semences autochtones ». Les gardiens de semences autochtones gèrent les cultures vivrières qui occupent une place importante dans l’alimentation des collectivités et qui contribuent aux pratiques spirituelles ou culturelles. Ces rapports avec des variétés de semences particulières sont porteurs d’une signification culturelle, de nombreuses collectivités ayant des histoires, des chansons, des danses, des jeux, des cérémonies, une langue propre, des technologies de transformation des aliments ou des recettes liés à des cultures et à des variétés particulières. Traditionnellement et encore aujourd’hui, certaines collectivités se spécialisent dans des cultures et des variétés particulières, qu’elles échangent avec d’autres collectivités avec qui elles entretiennent des alliances économiques réciproques pour d’autres aliments. Les semences ont traversé et continuent de traverser les territoires en empruntant des routes commerciales et des réseaux d’échange, donnant lieu à la biodiversité des semences et des aliments que nous connaissons aujourd’hui. Depuis toujours, les gardiens de semences autochtones adaptent et sélectionnent des variétés de semences pour de nouveaux climats et de nouvelles conditions de culture, ainsi les variétés qui prospèrent sur un territoire donné avec le temps deviennent importantes pour le régime alimentaire et la culture alimentaire d’une famille ou d’une collectivité. Une prise de décision axée sur l’adaptation permet aux variétés de semences de mieux s’adapter aux conditions de croissance affectées par les changements climatiques, ce qui se traduit par des semences plus résistantes et des récoltes plus fructueuses.

La conservation autochtone des semences et la souveraineté alimentaire agricole sont fragilisées à la fois par les changements climatiques et le colonialisme. En effet, les gardiens de semences autochtones doivent préserver les variétés de semences culturelles menacées pour assurer la survie de leur culture, mais aussi adapter ces variétés à l’évolution des facteurs climatiques pour permettre l’approvisionnement en aliments d’aujourd’hui et de demain. Des facteurs liés aux changements climatiques perturbent les conditions et les saisons de croissance et déstabilisent les connaissances culturelles sur les cycles de plantation. Par conséquent, les gardiens de semences autochtones sont aux prises avec des problèmes de rendement des cultures et de pertes de semences. Les peuples autochtones qui cultivent pour produire des aliments subissent les mêmes conséquences, car les cultures de semences importantes sur le plan culturel sont soumises à des variables environnementales de plus en plus imprévisibles, affectant la santé, l’accès à l’alimentation, la sécurité alimentaire et les cultures vivrières des collectivités.

La conservation autochtone des semences et la souveraineté alimentaire agricole sont fragilisées à la fois par les changements climatiques et le colonialisme.

Ces pressions climatiques sont aggravées par l’impact historique et actuel de la colonisation sur les cultures et les pratiques alimentaires autochtones. La dépossession des terres et les déplacements, la réglementation fédérale de l’identité, l’imposition assimilatrice de l’agriculture européenne et industrielle, la famine forcée et la restriction de l’accès des Autochtones au capital et à l’équité sont autant d’influences nocives sur la santé de la souveraineté alimentaire autochtone (Carter 2019; Robin et coll. 2020). En outre, la colonisation continue d’entraver l’accès autodéterminé des gardiens de semences autochtones à des terres saines, les empêchant ainsi de pratiquer l’agriculture vivrière et l’adaptation culturelle des semences. Le colonialisme se manifeste par d’autres aspects qui privent les peuples autochtones de leurs relations avec leurs aliments culturels et leurs systèmes de connaissances alimentaires, comme la législation et la criminalisation des pratiques alimentaires, la biopiraterie des semences et l’appropriation des connaissances, ainsi que l’enlèvement des enfants et la séparation des familles à travers les pensionnats, la rafle des années 60, l’incarcération et le système actuel de protection de l’enfance, entre autres (Robin et coll. 2021; Simpson 2004). Historiquement, les musées, les collectionneurs privés et les entreprises se sont approprié les variétés de semences autochtones, et nombre de ces semences demeurent dans les archives institutionnelles et les inventaires d’entreprises non autochtones. Les semences sont souvent conservées ou vendues sans le consentement des collectivités qui les ont conçues. Bien que les gardiens de semences autochtones poursuivent la gestion de ces variétés, la diminution des stocks et les obstacles à la culture ont nui à la santé et à la stabilité génétiques des variétés. Cumulés, ces facteurs ont entraîné la perte de variétés de semences et des ruptures dans la transmission des connaissances entre les générations.

En tant que gardiens des cultures vivrières et de l’adaptation au climat, les gardiens de semences et les cultivateurs autochtones jouent un rôle de premier plan dans leur autodétermination par leur résistance au colonialisme et à la perte de biodiversité. Malgré le manque d’informations sur la biodiversité des cultures au Canada, au cours du siècle dernier, la biodiversité des cultures vivrières a diminué de 75 % à l’échelle mondiale, et aujourd’hui, seules 9 à 12 cultures représentent 75 % de l’alimentation mondiale basée sur les cultures (FAO 2004; FAO 1997; Khoury et coll. 2021). Cette tendance est inquiétante compte tenu de l’importance de la biodiversité des semences, tant sur le plan culturel que sur le plan alimentaire, pour les peuples autochtones et les populations du monde entier, ainsi que de l’importance cruciale pour les cultivateurs d’assurer une plus grande sécurité alimentaire et une meilleure résilience du système alimentaire. La diversité des gènes et des caractères des variétés de semences offre également aux gardiens de semences un plus grand choix de solutions régionales et génétiques pour adapter les cultures vivrières sensibles au climat.


MÉTHODOLOGIE

Sovereign Seeds, une organisation nationale autochtone vouée à la souveraineté alimentaire en matière de semences et d’agriculture, œuvre en faveur des efforts autochtones en matière de semences en revitalisant les connaissances liées à la conservation des semences et en soutenant l’adaptation des cultures pour lutter contre les changements climatiques. Les connaissances acquises dans le cadre des activités de Sovereign Seeds ont été recueillies sur une période de trois ans, anonymisées et analysées pour en dégager les thèmes et les tendances récurrents.

Ces connaissances ont été documentées, avec l’accord des participants, dans le cadre de diverses activités virtuelles et en personne portant sur l’adaptation aux changements climatiques, notamment des programmes communautaires collaboratifs, des séances de visualisation collective et des communications fondées sur des partenariats. Cette analyse a porté sur 16 événements de réflexion, ainsi que sur des courriels et des appels téléphoniques, avec la participation de 52 personnes au total. Les participants à l’événement de réflexion étaient des individus, des familles, des initiatives locales, des organisations et des entreprises autochtones, la majorité des individus et des groupes agissant à des fins non lucratives. Une grande partie des contributions ont été apportées entre 2022 et 2023. Toutefois, certaines idées recueillies en 2021 ont fait l’objet d’un consentement rétrospectif en vue de leur inclusion dans l’analyse. Les territoires ancestraux des participants étaient très variés, particulièrement dans le cas des groupes situés en milieu urbain et lors d’événements et de conversations multigroupes et multicommunautaires. Les localités étaient situées en Colombie-Britannique, en Alberta, au Manitoba, en Ontario et au Québec. Les connaissances ont été recueillies et analysées à l’aide de méthodologies et de cadres de recherche autochtones. Cette étude de cas fait partie de plusieurs mesures organisationnelles de responsabilité relationnelle en tant que méthodologie de recherche autochtone appliquée en réponse aux demandes exprimées par les collectivités en faveur d’un soutien multisectoriel à la souveraineté alimentaire agricole autochtone et à l’action d’adaptation des semences aux changements climatiques. Ces enseignements permettent de mieux comprendre les liens entre la souveraineté alimentaire autochtone et l’adaptation autochtone aux changements climatiques, qui sont intimement ressentis et vécus par les peuples autochtones, mais qui sont souvent négligés par les acteurs non autochtones et par ceux qui exercent une influence sur les leviers du pouvoir. 

Comme la documentation publique sur ces sujets est limitée, le langage utilisé et les limites de l’étude de cas doivent être reconnus (voir le glossaire et les notes sur le langage de l’étude de cas). Les perspectives et expériences autochtones ne sont pas toutes représentées ici. Les activités autochtones à but lucratif sont sous-représentées par rapport aux activités à but non lucratif, tandis que les réalités importantes du genre, de la sexualité et de l’identité multiraciale ne sont pas prises en compte.

Les semences d’aliments sauvages ou issus de la cueillette provenant des écosystèmes des collectivités sont également des espèces alimentaires culturellement importantes, mais cette étude de cas se limite aux variétés vivrières cultivées dans des contextes de jardins et d’exploitations agricoles. Par ailleurs, la dépossession des terres et les déplacements sont les principaux obstacles à l’adaptation des semences autochtones et à l’action climatique, mais cet obstacle n’a pas pu être traité de manière adéquate dans le cadre de cette étude de cas. De même, des préoccupations et des recommandations concernant les mécanismes de gouvernance internationale ont été exprimées lors d’événements de réflexion, mais ne sont pas non plus abordées dans cette étude de cas pour des raisons de brièveté. Les événements de réflexion ont permis de mettre en lumière certaines priorités autochtones et de lancer des appels à l’action en matière de souveraineté agricole, alimentaire et semencière qui ne sont pas repris ici parce qu’ils relèvent de conversations inter- ou intra-autochtones. Enfin, cette étude de cas ne prétend pas être un exposé complet des impacts historiques et actuels de la colonisation et du système alimentaire industriel mondialisé dominant sur la souveraineté alimentaire des peuples autochtones et leurs efforts d’adaptation aux changements climatiques.


PRINCIPAUX ÉCHANGES ET CONSTATATIONS THÉMATIQUES

Les conclusions des événements organisés par Sovereign Seeds ont mis en évidence les obstacles et les besoins en matière d’adaptation aux changements climatiques des cultures vivrières culturelles selon les contextes historiques, environnementaux, géographiques et politiques des collectivités et des régions. L’évaluation globale a permis de dégager des thèmes communs liés à la souveraineté alimentaire et à l’adaptation des semences et de l’agriculture autochtones, notamment la revitalisation et la transmission des connaissances, le financement de la souveraineté semencière et des efforts d’adaptation des semences aux changements climatiques, ainsi que la gouvernance et le leadership.

La revitalisation des connaissances autochtones menée par les Autochtones est urgente pour lancer, renforcer et poursuivre les mesures d’adaptation aux changements climatiques. La transmission des connaissances sur les semences ayant été interrompue par la colonisation, rares sont les personnes qui, au sein des familles et des réseaux communautaires, possèdent les connaissances culturelles et les souvenirs de la conservation des semences et qui ont une expérience de plusieurs décennies, ou ce que beaucoup appellent les « détenteurs du savoir sur les semences » ou les « aînés des semences ». Ce nombre relativement restreint de détenteurs du savoir spécialisé dans les semences sont les principaux praticiens de l’adaptation des semences aux changements climatiques et encouragent les nouveaux gardiens de semences à prendre des mesures pour lutter contre les changements climatiques. Les gardiens de semences nouveaux et émergents, qui forment la majorité, souhaitent vivement revitaliser ces pratiques culturelles d’adaptation aux changements climatiques, mais ils estiment que les connaissances et les compétences nécessaires à l’adaptation des semences sont supérieures à celles qu’ils possèdent actuellement.

Tous les apprenants et leaders en matière de semences ont indiqué qu’une base solide de connaissances culturellement ancrées en matière de jardinage et de conservation des semences est indispensable pour être en mesure d’adapter les variétés de cultures vivrières aux conditions climatiques changeantes. Les gardiens de semences, tant nouveaux qu’expérimentés, ont exprimé le besoin d’un meilleur accès à des possibilités d’apprentissage des semences culturellement pertinentes, réservées aux Autochtones, afin que les nouveaux gardiens de semences puissent acquérir les connaissances de base et l’expérience appliquée nécessaires pour entreprendre l’adaptation des semences. Les gardiens de semences nouveaux et émergents ont cité le temps, la capacité et le manque de soutien financier pour l’apprentissage comme étant des obstacles. Les gardiens de semences expérimentés ont exprimé des inquiétudes quant à leurs capacités personnelles, citant le stress financier et le manque de ressources pour financer leur temps et celui de leurs assistants comme des obstacles à l’enseignement. De nombreux détenteurs du savoir sur les semences ont également évoqué des expériences négatives avec des acteurs non autochtones institutionnels, gouvernementaux, à but non lucratif et de l’agriculture durable à petite échelle, qui ont abouti à l’appropriation de leurs connaissances et de leurs idées, à la sous-rémunération de leur travail ou encore à une participation symbolique lorsqu’ils ont été invités à participer.

Les gardiens de semences ont expliqué que le colonialisme a eu et continue d’avoir des répercussions sur les semences et la transmission des connaissances autochtones, et que les changements climatiques, qui menacent déjà les semences et les cultures vivrières, ont également un impact sur la transmission des connaissances, une activité indispensable pour prendre des mesures d’adaptation aux changements climatiques. La transmission des connaissances est une nécessité importante et urgente pour l’adaptation climatique des semences autochtones, compte tenu du fait que de nombreux gardiens de semences autochtones expérimentés vieillissent et que les gardiens de semences autochtones expérimentés, jeunes et moins jeunes, se heurtent à de multiples défis structurels et liés au climat en matière d’apprentissage et d’enseignement.

Les gardiens de semences ont expliqué que le colonialisme a eu et continue d’avoir des répercussions sur les semences et la transmission des connaissances autochtones, et que les changements climatiques, qui menacent déjà les semences et les cultures vivrières, ont également un impact sur la transmission des connaissances, une activité indispensable pour prendre des mesures d’adaptation aux changements climatiques.

L’adaptation des semences implique une action climatique pluriannuelle. Cet engagement à long terme place les gardiens de semences autochtones dans une situation de précarité financière due à la nécessité de mettre en place et d’entretenir des infrastructures, de la main-d’œuvre, des équipements et un accès durable et autodéterminé à la terre. Cette précarité nuit à la planification stratégique à long terme et à l’action nécessaire pour adapter les variétés de semences aux changements climatiques. Les aînés et les détenteurs du savoir en matière de semences reconnaissent la responsabilité qui leur incombe d’assurer la survie des variétés de semences à risque importantes sur le plan culturel au sein de leurs réseaux communautaires, tout en enseignant aux autres les pratiques culturelles de conservation des semences et d’adaptation aux changements climatiques. Dans ce contexte, aggravé par le manque de ressources, la possibilité pour les gardiens de semences expérimentés de réduire leurs efforts, de s’occuper de leur bien-être ou d’innover, sans parler de surmonter une saison de croissance difficile et un faible rendement en semences, est très limitée. Le cumul de ces pressions signifie que les nouveaux gardiens de semences bénéficient de peu de possibilités d’apprentissage et n’ont pas le droit à l’erreur en ce qui concerne les semences de culture à risque, tandis que les gardiens de semences plus expérimentés n’ont ni le temps, ni les capacités, ni les ressources nécessaires pour assurer la succession des stocks de semences et le transfert des responsabilités à d’autres personnes.

Reconnaître et financer les efforts de transmission des connaissances et d’adaptation

Les participants à l’événement de réflexion (tant à but lucratif qu’à but non lucratif) ont massivement cité la pertinence de l’octroi et du prêt, ainsi que l’accès aux voies de ressources gouvernementales et philanthropiques, comme des obstacles importants à la conservation des semences et à l’adaptation des variétés.

Les participants ont exprimé leur frustration concernant les acteurs qui octroient des subventions et des prêts qui ne reconnaissent pas la complexité de la revitalisation de l’alimentation agricole et culturelle autochtone et de l’adaptation alimentaire, qui ne sont pas simplement des pratiques de production et de distribution alimentaires ou de surveillance du climat. Les participants ont noté que, dans tous les secteurs, les organismes de financement et les prêteurs ne comprenaient pas ou n’appréciaient pas l’importance des semences et de leur conservation pour la culture, l’éducation, la sécurité alimentaire, la santé et l’action en faveur du climat. La question était particulièrement difficile pour les personnes engagées dans des activités à but non lucratif, car elles avaient l’impression que les organismes de financement jugeaient les projets centrés sur les semences sans intérêt pour les priorités d’octroi de subventions. Les personnes engagées dans des activités à but lucratif ont constaté un manque de reconnaissance et de compréhension des obstacles et des besoins particuliers qu’elles connaissent pour démarrer, maintenir ou accroître des activités à but lucratif, en raison des obstacles historiques et permanents propres au contexte autochtone auxquels elles sont confrontées. Les participants ont exprimé leur inquiétude concernant les financements souvent accordés à des initiatives et à des entités dont les activités correspondent aux critères restrictifs et aux solutions cloisonnées des organismes de financement et des prêteurs non autochtones.

Les personnes engagées dans des activités non lucratives de revitalisation des semences et des produits agricoles et d’adaptation aux changements climatiques ont cité l’approche et la mise en œuvre du financement comme des obstacles. Les participants issus du secteur non lucratif ont indiqué que les organismes de financement préfèrent les nouveaux projets et les nouvelles idées aux activités existantes et qu’ils offrent principalement des engagements de financement à court terme et non renouvelables, une approche inadaptée aux projets autochtones de conservation des semences, qui nécessitent souvent des engagements de soutien pluriannuels. Les participants ont également relaté des expériences où les organismes de financement donnent la priorité aux investissements dans des entités autochtones très médiatisées, bien financées et bien dotées en personnel, avec une infrastructure de gouvernance substantielle, des entités qui ont des partenariats non autochtones, et des entités qui prônent la réconciliation et qui n’expriment pas ouvertement des points de vue critiques. Ces participants ont également mentionné le manque de possibilités de financement sans restriction comme un défi à relever. Les participants ont indiqué le besoin d’une plus grande autodétermination en matière de dépenses, d’une plus grande accessibilité des demandes et des rapports, d’une plus grande flexibilité des délais, d’évaluations moins prescriptives, d’un langage culturellement approprié et accessible, et d’une réduction des exigences en matière de demandes et de rapports.

Les Autochtones qui participent à des activités à but non lucratif et à des activités à but lucratif ont vivement exprimé la nécessité pour les organismes de financement et les prêteurs de s’éloigner des modèles de financement prescriptifs et paternalistes.

Certaines organisations et entreprises d’alimentation culturelle autochtones ne participent pas directement aux initiatives d’adaptation des semences autochtones, mais les soutiennent et les soutiennent par l’utilisation ou l’achat de leurs produits et de leurs récoltes de semences. Ces participants ont évoqué des conflits avec les organismes de financement et les prêteurs en ce qui concerne l’approvisionnement en produits ou en services : de nombreux participants tiennent à s’approvisionner auprès de producteurs autochtones, tandis que les organismes de financement ou les prêteurs accordent la priorité au profit. Les initiatives de production à but lucratif d’aliments autochtones, durables sur le plan environnemental ou adaptées au climat, ont constaté un conflit entre leur priorité de soutenir les valeurs culturelles de responsabilité sociale et environnementale en matière de semences et de production alimentaire et la priorité économique des organismes de financement et des prêteurs, qui dévalorisent ou discréditent l’éthique culturelle. Ces entreprises se sentent délaissées au profit d’entreprises qui correspondent davantage aux marchés capitalistes occidentaux, telles que les activités d’agriculture industrielle et les initiatives agricoles sans objectifs culturels ou sociaux axés sur la réciprocité.

Les Autochtones qui participent à des activités à but non lucratif et à des activités à but lucratif ont vivement exprimé la nécessité pour les organismes de financement et les prêteurs de s’éloigner des modèles de financement prescriptifs et paternalistes. Les participants issus des deux types d’activité ont signalé des problèmes liés aux conditions d’admissibilité et ont noté que l’achat de terrains, d’équipements et d’infrastructures devrait être considéré comme une dépense subventionnée. L’admissibilité des bénéficiaires constituait également une préoccupation. Les critères d’admissibilité de nombreuses subventions gouvernementales et philanthropiques à but non lucratif excluaient plusieurs participants de l’accès aux ressources, et pour les projets à but lucratif des participants, les activités à petite échelle étaient souvent disqualifiées en raison d’une contribution insuffisante en capital et d’un potentiel de génération de revenus et d’expansion perçu comme insuffisant.

Gouvernance des semences, renforcement du leadership, compréhension et accès à l’élaboration des politiques

Bien que certaines initiatives soient financées par des programmes provinciaux et fédéraux, le mouvement de souveraineté alimentaire autochtone et les efforts d’adaptation des variétés de semences autochtones se déroulent pour la plupart en dehors des politiques et des programmes du gouvernement canadien. Les participants à l’événement de réflexion ont largement accordé la priorité à la souveraineté et à la gouvernance autochtones et ont exprimé un certain degré de méfiance ou de frustration à l’égard de tous les échelons du gouvernement canadien. La majorité des gardiens de semences ont souligné les limites de la reconnaissance du gouvernement et du changement de politique, ainsi que le fait que les processus gouvernementaux sont conçus pour être inaccessibles aux petits acteurs. Les participants ont également estimé que, même si des changements ne seront pas principalement obtenus par l’engagement politique, les politiques nationales et provinciales ont un impact sur leurs semences, leurs systèmes alimentaires, leur action en faveur du climat, leurs cultures et leurs territoires. Plusieurs ont insisté sur la nécessité de faire participer les peuples autochtones de manière concrète en tant que nations souveraines et des dirigeants, et non en tant que parties prenantes ou groupes d’intérêt, et sur l’insuffisance de leur participation actuelle et de la traduction des politiques, plans et programmes gouvernementaux. Les obstacles cités sont notamment les voies de participation qui excluent, les politiques et programmes inaccessibles, les interactions et solutions culturellement inappropriées et la perpétuation de la colonisation par le biais de la réglementation gouvernementale de l’identité, des systèmes alimentaires et des territoires. Par ailleurs, l’engagement préférentiel avec les organes représentatifs autochtones reconnus par le gouvernement a eu pour effet d’effacer la voix des cultivateurs sur le terrain.

La Stratégie nationale d’adaptation (SNA) du Canada, publiée en 2023, constitue la première stratégie pour les objectifs d’adaptation aux changements climatiques et a été accompagnée par la republication du Plan d’action pour l’adaptation du gouvernement du Canada, qui décrit les engagements financiers fédéraux pour l’adaptation aux changements climatiques entre les gouvernements provinciaux, territoriaux et autochtones (gouvernement du Canada 2023a; 2024). Le degré de participation concrète et adéquate des peuples autochtones à la stratégie et au plan d’action est discutable. Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) a organisé un forum sur la visualisation de la Stratégie nationale d’adaptation en 2021 afin d’élaborer la SNA. Sur les plus de 60 participants engagés dans le forum, seuls deux organismes autochtones nationaux (OAN) ont participé, sans être identifiés, et aucune autre participation autochtone n’a été mentionnée (gouvernement du Canada, 2023b). La SNA ne mentionne pas l’importance de la biodiversité des semences de cultures vivrières et de l’adaptation des semences pour la résilience climatique, l’adaptation des semences en tant qu’action climatique, le leadership autochtone en matière d’adaptation des cultures, la production agricole culturelle de produits alimentaires et les facteurs ayant un impact sur ces activités, ainsi que la relation entre les peuples autochtones et l’agriculture culturelle dans son ensemble. De même, la Stratégie nationale 2020 pour la biodiversité (SNB) du Canada présente l’agriculture durable comme une solution pour réduire les effets de l’agriculture industrielle sur la biodiversité, mais elle n’aborde que brièvement le rôle des semences et uniquement dans le contexte des plantes indigènes non cultivées telles que les arbres, sans mentionner l’adaptation des semences des cultures vivrières (gouvernement du Canada 2024a). Qui plus est, bien qu’elle ait fait appel à des organes directeurs autochtones reconnus par le gouvernement fédéral, la SNB n’a fait participer aucun groupe autochtone œuvrant pour la souveraineté alimentaire en matière de semences ou d’agriculture à ses séances de mobilisation (gouvernement du Canada, 2024a).

Les programmes fédéraux qui financent les efforts d’adaptation aux changements climatiques ne reconnaissent pas suffisamment l’adaptation des variétés de semences autochtones et n’y consacrent pas les ressources nécessaires. Le Programme d’adaptation aux changements climatiques des Premières Nations, un programme d’intervention sur les changements climatiques de la Couronne et du ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord, a été conçu pour aider les collectivités et les organisations des Premières Nations situées au sud du 60e parallèle à évaluer les effets des changements climatiques, ainsi qu’à concevoir et à prendre des mesures d’intervention sur les changements climatiques (gouvernement du Canada, 2023 c). Sans se limiter à ces domaines d’action, le programme a largement mis l’accent sur l’atténuation des catastrophes naturelles liées au climat et sur les interventions, comme l’ont demandé les groupes des Premières Nations, encore non identifiés, mobilisés par ECCC et Ressources naturelles Canada dans le cadre de la conception du programme. Parmi les 40 projets financés dans le cadre du cycle 2022-2023, aucun n’était consacré à l’adaptation des produits alimentaires (gouvernement du Canada 2023d). Par ailleurs, le Programme sur le changement climatique et l’adaptation du secteur de la santé des Services aux Autochtones Canada, aujourd’hui fermé, a financé plusieurs projets communautaires importants dans le domaine de l’alimentation agricole dans le cadre d’un volet sur la sécurité alimentaire, mais l’adaptation des semences et l’adaptation des cultures aux changements climatiques n’étaient des activités prévues dans aucun des projets financés (gouvernement du Canada 2023e; Climate Telling 2021).

L’effacement du leadership autochtone sur l’adaptation des aliments aux changements climatiques dans les conversations gouvernementales sur le climat s’étend également aux réponses fédérales aux défis et aux solutions agricoles. Plus particulièrement, la Stratégie pour une agriculture durable (SAD) d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) a été conçue sans la participation adéquate des dirigeants autochtones du secteur de l’agriculture et de l’alimentation et de leurs priorités. Parmi les 22 entités invitées à former le Comité consultatif sur la SAD (CC-SAD), AAC n’a invité qu’un seul membre autochtone, la Fédération des Métis du Manitoba (FMM) (gouvernement du Canada, 2022). Le CC-SAD n’est pas un comité investi d’un pouvoir de décision, mais il a été créé pour formuler des recommandations pour orienter le CC-SAD (Union nationale des fermiers, 2023). Une participation plus importante du grand public a été acceptée dans le cadre du processus de consultation, mais le délai de participation était court, et aucun des participants à l’événement de réflexion engagés au cours de cette période n’était informé de l’élaboration de la SAD, et encore moins des possibilités offertes au grand public d’apporter sa contribution. Le document de discussion de la SAD cite l’adaptation et la résilience aux changements climatiques comme l’un des cinq domaines prioritaires et reconnaît expressément que les programmes de recherche appliquée sur l’adaptation aux changements climatiques, adaptés à chaque région, constituent une solution essentielle. Le rapport 2023 de la SAD, « Ce que nous avons entendu », fait ressortir les obstacles et les priorités que les gardiens de semences ont également mentionnés lors de nos événements de réflexion, mais le processus de consultation de la SAD n’a pas mobilisé suffisamment d’expériences et de leadership autochtones du secteur de l’agriculture durable. Le rapport représente de manière disproportionnée les perspectives des producteurs alimentaires autochtones à but lucratif et le langage du document de la SAD souligne dans l’ensemble les activités de production commerciale et étudie l’adaptation pour augmenter les rendements commerciaux et la qualité des produits commerciaux. Cette perspective axée sur le marché néglige les nombreuses perspectives fondées sur les valeurs culturelles que les acteurs autochtones du secteur des semences et de l’agriculture ont sur l’économie autochtone appliquée. Ainsi, les initiatives et les activités autochtones à but non lucratif, qui constituent la majorité du leadership en matière d’adaptation aux changements climatiques et des connaissances culturelles alimentaires des semences autochtones, sont largement sous-représentées et sous-évaluées dans la SAD.

L’effacement du leadership autochtone sur l’adaptation des aliments aux changements climatiques dans les conversations gouvernementales sur le climat s’étend également aux réponses fédérales aux défis et aux solutions agricoles.

Cette absence d’adaptation aux changements climatiques des cultures autochtones dans les plans d’action et les programmes nationaux révèle les priorités de financement des gouvernements et les définitions des activités d’adaptation aux changements climatiques. Elle reflète également ce que les participants ont vivement dénoncé lors des événements organisés par Sovereign Seeds, notamment les questions de mobilisation et de consultation, les priorités de financement et l’accès au financement dans les domaines du climat, de la culture et de l’agriculture. Plusieurs participants estiment que les réponses du gouvernement favorisent la participation au marché à but lucratif et la production alimentaire sectorielle comme solutions à l’insécurité alimentaire des Autochtones et à l’adaptation aux changements climatiques. Les participants ont qualifié cette approche de culturellement inappropriée et d’assimilationniste, une approche qui aggrave les pressions économiques, qui oppose la culture à la survie et qui crée des divisions entre les peuples autochtones au sein du mouvement pour la souveraineté alimentaire. Bien que les participants conviennent largement de la nécessité de soutenir les producteurs agricoles culturels autochtones à but lucratif et les acteurs du marché agroalimentaire qui agissent de manière durable et dans le respect des valeurs culturelles, nombreux sont ceux qui estiment que les réponses des gouvernements et les priorités politiques négligent les contributions et les perspectives des leaders autochtones de l’alimentation qui protègent la biodiversité des cultures et mènent une adaptation agricole durable aux changements climatiques en dehors du secteur de la production alimentaire à but lucratif.


RECOMMANDATIONS

Favoriser la transparence et la responsabilité des processus et du soutien, et renforcer la participation et l’influence des dirigeants autochtones

L’imposition du fédéralisme canadien à la gouvernance autochtone a entraîné un engagement préférentiel avec des organes représentatifs autochtones privilégiés par le gouvernement, qui ne représentent pas les gardiens de semences et les cultivateurs. Qui plus est, la responsabilité bureaucratique est passée d’une autorité provinciale à une autorité fédérale, d’une manière qui ne favorise pas la gouvernance territoriale et traditionnelle autochtone ni les négociations de nation à nation. La souveraineté alimentaire et la gouvernance des semences autochtones, ainsi que les lois culturelles et locales qui sous-tendent cette gouvernance, sont souveraines et légitimes, indépendamment de leur reconnaissance par les gouvernements et le droit canadiens et internationaux. Dans les cadres de gouvernance occidentaux, la conservation autochtone des semences et la réponse aux changements climatiques liés aux semences relèvent de la stratégie climatique, de la propriété intellectuelle, de la biodiversité, des droits culturels et des droits des peuples autochtones. La collaboration de nation à nation dans le domaine de l’agriculture autochtone et de l’adaptation aux changements climatiques requiert un meilleur accès aux processus décisionnels, une démystification des mécanismes et des processus de décision, ainsi que davantage de temps pour la préparation et la participation. Sans se substituer au leadership communautaire et à la gouvernance autochtone qui existent indépendamment de la reconnaissance du gouvernement colonial, les modèles dirigés par les Autochtones peuvent générer des politiques et des programmes qui sont plus responsables et mieux adaptés aux priorités de la communauté. Notre analyse a permis de dégager des recommandations et des pistes pour améliorer la participation et l’amplification des groupes communautaires sur le terrain dans les secteurs de la souveraineté alimentaire, de l’agriculture et de l’agroalimentaire, de la revitalisation culturelle et de l’action en faveur du climat :

  • Déployer un modèle de collaboration dirigé par les Autochtones pour favoriser la transparence de la prise de décision, l’accès et des délais de traitement appropriés. Ce modèle permettrait de mettre en place, dans tous les ministères et organes consultatifs concernés, des agents de liaison autochtones dont la mission serait d’assurer la transparence et la traduction des processus, des documents et des décisions pour les dirigeants et les praticiens de l’agriculture culturelle. L’objectif d’un tel modèle n’est pas d’assimiler les processus de négociation et de prise de décision autochtones au sein d’organes de gouvernance non autochtones fondés sur les droits, par le biais de l’emploi d’Autochtones, mais plutôt de mieux faciliter et rendre opérationnelle la gouvernance de nation à nation.
  • Soutenir le leadership autochtone sur le terrain concernant l’alimentation et l’adaptation climatique de l’alimentation par des engagements pluriannuels et la formation de coalitions indépendantes dirigées par des Autochtones et composées d’Autochtones. Une meilleure amplification du leadership par ces mesures permettrait d’aborder les questions transversales de la souveraineté alimentaire, de l’agriculture et de l’agroalimentaire, de la revitalisation culturelle, de l’assainissement des sols et de l’action climatique. Pour assurer la responsabilité et la représentation, ces organismes doivent être organisés, dirigés et représentés par des producteurs régionaux de produits alimentaires, des cultivateurs et des détenteurs du savoir, à but lucratif ou non, indépendants des conseils de bande et des agences de services financées par le gouvernement (bien qu’ils puissent être soutenus par eux). Ces organismes chargés de l’organisation collective peuvent assurer la liaison avec les services gouvernementaux compétents pour favoriser les changements de politique, en proposant des programmes adaptés aux besoins des membres et en rendant des comptes sur leurs priorités.
  • Mettre en place des mécanismes de recrutement d’Autochtones au sein des différents échelons du gouvernement canadien afin de mettre au point et de déployer des consultations, des programmes, des politiques et des stratégies dirigés par des Autochtones, dans le respect des principes de partenariat de nation à nation. Privilégier les priorités, les calendriers et les protocoles de gouvernance des coalitions communautaires et des dirigeants sur le terrain.
  • Améliorer la participation et la consultation des peuples autochtones dans les stratégies gouvernementales et la conception des programmes afin de garantir une représentation équilibrée des activités à but lucratif et non lucratif, une meilleure participation de base et des calendriers de mobilisation et des communications plus accessibles pour faciliter la participation des peuples autochtones. Dans le cas de la SAD, par exemple, les révisions ultérieures et les programmes associés doivent mieux reconnaître la conservation autochtone des semences comme une action active d’adaptation aux changements climatiques ayant un impact unique, et impliquer davantage les gardiens de semences autochtones et les praticiens de la souveraineté alimentaire autochtone à but non lucratif en tant qu’acteurs essentiels de l’agriculture durable et de la réponse aux changements climatiques.
  • Renforcer le soutien à la création de contenus rédigés par des Autochtones, y compris des analyses politiques et des recherches élaborées par des personnes et des initiatives autochtones dédiées aux semences et à la souveraineté alimentaire, indépendamment des organismes de représentation autochtone privilégiés par le gouvernement fédéral. Le soutien financier et l’accès au pouvoir politique sont nécessaires pour permettre aux centres de recherche et d’éducation, aux programmes et aux groupes communautaires, nouveaux et existants, qui s’intéressent à la souveraineté alimentaire autochtone et à l’adaptation climatique de l’alimentation autochtone, de générer des contributions collaboratives responsables et adaptées à la communauté.
  • Renforcer l’autorité et la légitimité des contributions autochtones dans les secteurs de la culture et de la création qui ne reflètent pas la recherche et les travaux de recherche occidentaux. Les publications autochtones doivent être valorisées en tant que contributions importantes à l’élaboration de politiques et de programmes au sein des gouvernements et des organisations philanthropiques.

Multiplier les occasions et améliorer les processus de distribution de ressources sans obstacle, pluriannuelles et autodéterminées pour les entités à but non lucratif et à but lucratif.

Les engagements pluriannuels permettent de mieux réparer les relations et les systèmes alimentaires et de faire évoluer les initiatives de la survie vers le succès et la durabilité à long terme, tout en laissant la place à l’exploration et à l’innovation, conformément aux traditions autochtones de savoir, d’être et d’agir. Les organisations et entreprises non autochtones à but lucratif et non lucratif devraient envisager des politiques de contribution pluriannuelle et sans obstacle pour diriger des ressources vers des initiatives de semences et d’aliments issus de l’agriculture culturelle autochtone par des dons sans restriction ou des possibilités de subventions pluriannuelles et sans obstacle. Ce financement doit être flexible, dirigé ou orienté par des Autochtones, doté d’un personnel autochtone, accessible et culturellement pertinent, avec un conseil consultatif, un conseil d’administration ou une représentation du personnel possédant une expérience sur le terrain en matière d’alimentation culturelle et de lutte contre les changements climatiques. Notre analyse a permis de cerner les principaux besoins et de formuler des recommandations pour promouvoir ces améliorations :

  • Accroître le soutien financier sans obstacle et dirigé ou orienté par les Autochtones de la part des fondations de financement gouvernementales et non gouvernementales pour les groupes à but non lucratif dirigés par les Autochtones qui s’occupent de l’adaptation agricole aux changements climatiques, des efforts en matière de semences et de la transmission des connaissances sur l’agriculture culturelle. Cela s’applique à tous les acteurs du financement, notamment aux grandes sources de financement disposant de plus de ressources, tel que les fondations de financement et les programmes de financement gouvernementaux pluriannuels.
  • Augmenter les engagements de financement flexibles, dirigés ou orientés par des Autochtones, de la part de partenaires respectueux des valeurs, avec des exigences administratives considérablement réduites pour les efforts sans but lucratif à l’échelle locale, tels que les bibliothèques ou les banques de semences, les jardins communautaires et les programmes de formation à la souveraineté alimentaire culturelle.
  • Améliorer les investissements sans obstacle de la part des organes directeurs et des organismes de financement autochtones et non autochtones pour les initiatives et le leadership en matière de conservation des semences et de production alimentaire culturelle autochtones à but lucratif et non lucratif.
  • Renforcer le soutien apporté par tous les échelons du gouvernement, les dirigeants locaux, les organismes de financement et les institutions d’investissement et de prêt aux initiatives autochtones à but lucratif dans le domaine des semences et de l’alimentation, notamment pour les horticulteurs maraîchers, les producteurs d’aliments culturels et les entreprises d’agritourisme, ainsi que pour les petits entrepreneurs et les entreprises familiales.
  • Faciliter l’accès au financement et aux subventions pour les initiatives autochtones à but lucratif qui entreprennent l’adaptation des semences, ainsi que pour les initiatives autochtones à but lucratif qui soutiennent ces initiatives et qui soutiennent les activités et les modèles d’entreprise qui reflètent les économies et l’éthique autochtones.
  • Veiller à ce que les ressources consacrées aux efforts d’adaptation de l’agriculture culturelle aux changements climatiques soient culturellement pertinentes, de la conception à la mise en œuvre. Des ressources adaptées et efficaces passent par la garantie que les individus, les familles, les entités et les groupes formels et informels autochtones qui effectuent le travail sur le terrain définissent et évaluent le succès et façonnent les processus de financement de la revitalisation des systèmes alimentaires et de l’adaptation aux changements climatiques.
  • Améliorer les facteurs et sensibiliser les acteurs qui exercent une influence sur le statut des bénéficiaires qualifiés et sur l’octroi de l’admissibilité aux initiatives à but non lucratif. De grands changements sont nécessaires pour lutter contre les disparités de pouvoir et l’exploitation auxquelles les initiatives autochtones se heurtent en tant qu’initiatives de base qui fonctionnent à la fois indépendamment et sur des plateformes partagées et dans le cadre de relations intermédiaires, pour supprimer les obstacles auxquels les initiatives autochtones se heurtent pour accéder aux ressources et pour renforcer leur capacité administrative.
  • Mettre en place des engagements pluriannuels en matière de subventions et de prêts pour toutes les initiatives autochtones d’adaptation des semences et de l’alimentation agricole, qu’elles soient à but lucratif ou non. L’efficacité des projets dépend d’une planification et d’une action pluriannuelles.
  • Améliorer l’accès au financement sans restriction des engagements de subvention et de prêt pour toutes les initiatives autochtones d’adaptation des semences et de l’alimentation agricole, qu’elles soient à but lucratif ou non. Les critères d’admissibilité des dépenses doivent favoriser l’autodétermination des Autochtones en offrant un financement sans restriction pour les priorités établies par les Autochtones, telles que l’équipement et l’infrastructure, le fonctionnement et l’administration, le perfectionnement du personnel et de l’organisation, ainsi que l’accès aux terres, leur restitution et leur acquisition.

Reconnaître la conservation des semences, la culture alimentaire et la spiritualité dans la politique d’adaptation des aliments et les ressources.

Pour alléger le fardeau que représente la collecte de fonds pour les initiatives autochtones qui défendent des solutions informées par la communauté et culturellement appropriées, les organismes de financement doivent avoir une conscience opérationnelle forte du rôle des approches holistiques dans les solutions d’adaptation alimentaire autochtones et des préjudices historiques et continus subis par les systèmes alimentaires autochtones. Notre analyse a permis de définir des recommandations visant à promouvoir une politique et des programmes d’octroi de subventions et de prêts adaptés aux besoins des collectivités et aux spécificités culturelles :

  • Améliorer la formation et la sensibilisation à la lutte contre l’oppression de tous les acteurs des secteurs gouvernementaux et philanthropiques sur l’histoire, la politique, les perspectives et l’éthique de la souveraineté alimentaire autochtone. Les formations qui privilégient l’apprentissage des pratiques alimentaires culturelles autochtones par des acteurs non autochtones, plutôt que ces priorités d’apprentissage, ne tiennent pas compte des déséquilibres de pouvoir inhérents aux relations de financement, risquent de reproduire l’histoire de l’extraction des connaissances culturelles et ne sensibilisent pas aux aspects systémiques et structurels nécessaires pour créer des changements sectoriels tangibles.
  • Les entités gouvernementales et non gouvernementales doivent reconnaître la conservation autochtone des semences comme une pratique d’adaptation aux changements climatiques. Ces entités doivent également reconnaître les pratiques associées telles que la guérison, la culture alimentaire et les activités d’apprentissage des langues comme des priorités pertinentes indissociables de la conservation des semences et de l’action de lutte contre les changements climatiques. Les activités de revitalisation et de transmission des connaissances spirituelles, culturelles et techniques sont nécessaires à l’adaptation aux changements climatiques des systèmes alimentaires menés par les Autochtones.
  • La reconnaissance doit transcender les apparences et appliquer la justice du travail dans les stratégies et les programmes gouvernementaux et non gouvernementaux pour assurer une compensation éthique du travail d’apprentissage et d’enseignement des semences et de l’investissement dans les efforts d’adaptation des semences. Pour assurer la prospérité des systèmes alimentaires autochtones, les leaders et les apprenants autochtones doivent bénéficier de conditions propices à leur épanouissement.

CONCLUSION

La conservation autochtone des semences et la souveraineté alimentaire autochtone sont soumises aux pressions de la survie au sein d’un système économique capitaliste imposé, du système alimentaire industriel mondialisé, des changements climatiques et de l’insécurité alimentaire créée par les colonisateurs. L’action autochtone d’adaptation des semences aux changements climatiques, fruit de l’action et de l’autodétermination face à ces oppressions, se situe également à l’intersection des mouvements de revitalisation des connaissances, de la gouvernance décoloniale, de l’organisation communautaire anticapitaliste, de l’entrepreneuriat et des économies culturelles réimaginées. Malgré ces intersections qui engendrent des tensions politiques et culturelles entre les gardiens de semences autochtones et les pouvoirs gouvernementaux, philanthropiques et commerciaux qui entravent leurs efforts, les apprenants et les leaders de l’adaptation autochtone des semences continuent d’appliquer des solutions climatiques réactives. Pour y parvenir, les apprenants et les dirigeants s’appuient sur leurs connaissances approfondies de la terre et sur la collaboration communautaire qui a permis aux systèmes alimentaires autochtones de survivre à la colonisation et aux changements climatiques. Les pressions pour faire correspondre les connaissances et les stratégies autochtones aux modèles philanthropiques et gouvernementaux occidentaux ne font pas seulement obstacle au leadership autochtone en matière d’alimentation et de climat, mais sont assimilatrices et contre-productives pour la biodiversité des semences, la surveillance du climat agricole et l’adaptation. Le mouvement d’adaptation de l’alimentation autochtone aux changements climatiques doit être reconnu comme une action climatique essentielle et les producteurs de semences et d’aliments autochtones doivent être engagés en tant qu’acteurs de première ligne de la lutte contre les changements climatiques. Pour une adaptation des aliments autochtones aux changements climatiques qui soit juste et efficace, les acteurs gouvernementaux et à but non lucratif doivent mieux s’en remettre aux définitions autochtones de la réussite et aux évaluations holistiques menées par les Autochtones des activités et des ressources dont ils ont besoin pour agir.La gouvernance et l’autodétermination autochtones doivent orienter l’élaboration et la mise en œuvre des programmes de financement et d’investissement, ainsi que l’élaboration de plans d’action stratégiques et de politiques liées aux changements climatiques et à l’agriculture qui ont un impact sur les peuples autochtones.Les idées thématiques qui ressortent de l’analyse de cette étude de cas soulignent l’interconnexion de la souveraineté autochtone, de la biodiversité des semences et des aliments et de la résilience climatique, ainsi que le besoin profond de restitution du leadership et des ressources en vue d’un avenir de souveraineté alimentaire juste et résilient face aux changements climatiques.

La conservation autochtone des semences et la souveraineté alimentaire autochtone sont soumises aux pressions de la survie au sein d’un système économique capitaliste imposé, du système alimentaire industriel mondialisé, des changements climatiques et de l’insécurité alimentaire créée par les colonisateurs.


GLOSSAIRE ET NOTES SUR LE LANGAGE DE L’ÉTUDE DE CAS (cliquer pour agrandir)

Les opinions des Autochtones divergent quant aux thèmes de l’étude de cas et aux définitions qui y sont associées. Ces termes et définitions ne reflètent pas toutes les perspectives autochtones.

Agriculture : L’« agriculture » et la « production agricole » sont des termes aliénants pour de nombreux peuples autochtones du Canada en raison de leur association avec les efforts coloniaux visant à assimiler les peuples autochtones à travers l’agriculture occidentale et sa relation contemporaine avec l’agriculture industrielle (AFAC 2021). L’assimilation forcée et l’oppression par les méthodes agricoles des colons s’étendent aux pensionnats, aux colonies agricoles gérées par l’Église, aux fermes de recherche expérimentale et aux fermes de travail forcé, ainsi qu’aux politiques de permis et de laissez-passer, entre autres. Les termes préférés sont « souveraineté alimentaire », « culture » et « jardinage ». Dans d’autres contextes, le terme « agriculture » inclut l’élevage, l’alimentation du bétail, l’aquaculture et d’autres activités de production alimentaire. Dans cette étude de cas, les termes « agriculture » et « agriculture culturelle » sont utilisés de manière interchangeable pour parler des cultures destinées à l’alimentation et fondées sur des enseignements et des méthodes culturelles.

Canada : L’utilisation du terme Canada ne reflète pas les perspectives de nombreux participants sur la politique de reconnaissance de l’État canadien, beaucoup préférant utiliser « ce que l’on appelle le Canada », « ce qui est connu sous le nom colonial du Canada » et « dans les frontières coloniales du Canada » pour reconnaître l’occupation coloniale et le déplacement des Autochtones, mais aussi pour exprimer dans la langue la souveraineté autochtone.

Collectivités : Les termes « collectivités » et « partenaires communautaires » désignent et englobent les collectivités, les organisations, les initiatives locales et les groupes informels autochtones vivant en milieu urbain ou rural, à l’intérieur ou à l’extérieur d’une réserve.

Variétés de semences culturellement importantes : Dans cette étude de cas, les variétés de semences et les semences culturellement importantes désignent les variétés de cultures vivrières avec lesquelles les peuples autochtones entretiennent des relations historiques ou actuelles comme partie intégrante de leurs systèmes d’alimentation culturelle. Il s’agit principalement de variétés de semences qui ont été conçues par les ancêtres autochtones voici des centaines d’années et qui pourraient ou non perdurer aujourd’hui, mais ce terme peut également inclure d’autres variétés de semences que les familles et les collectivités ont récemment conçues ou adoptées dans leurs systèmes alimentaires et avec lesquelles elles ont créé un sens culturel au cours des dernières décennies.

Autochtone : Dans cette étude de cas, le terme « Autochtone » fait référence aux personnes originaires de ce que l’on appelle en anglais l’Amérique du Nord.


RÉFÉRENCES (cliquer pour agrandir)

Carter, Sarah, 2019. Lost Harvests: Prairie Indian Reserve Farmers and Government Policy
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La taxonomie des investissements climatiques du Canada, un moteur de la transition énergétique

On le sait, l’atteinte des cibles climatiques nationales passe par des réductions majeures des émissions de ses secteurs historiquement polluants comme le pétrole et le gaz. De plus, s’il veut atteindre ses objectifs climatiques, le Canada doit majorer ses investissements privés et publics dans les projets de croissance propre de 80 à 110 milliards de dollars par an. En mars 2023, le Conseil d’action en matière de finance durable (CAFD), un groupe nommé par le gouvernement fédéral, a recommandé l’établissement, par les gouvernements canadiens, d’une taxonomie des investissements climatiques qui aiderait à diriger les fonds vers les secteurs nécessaires. Cette taxonomie ferait office de cadre normalisé pour les marchés financiers cherchant à évaluer quels projets et investissements contribueraient à réduire les émissions de combustibles fossiles des secteurs difficiles à décarboniser conformément aux objectifs climatiques du Canada et aux scénarios mondiaux de 1,5 °C.

Mais comment le Canada devrait-il accélérer la transition des projets pétroliers et gaziers dans sa taxonomie? Nous avons regardé le cadre proposé dans le Rapport sur la feuille de route de la taxonomie du CAFD et avons mis au point une approche pour catégoriser les projets pétrogaziers qui réduisent les émissions.

Comment des projets pétrogaziers peuvent-ils s’inscrire dans une taxonomie canadienne des investissements climatiques?

Le cadre de taxonomie élaboré par l’Institut climatique du Canada s’emploie en grande partie à définir les investissements et les projets dits « verts ». La quasi-totalité des plus de 30 pays qui ont élaboré ou sont en train d’élaborer des taxonomies se concentre d’ailleurs sur la définition de cette catégorie, qui comprend généralement des activités et des projets qui s’inscrivent déjà dans un avenir carboneutre, tels que l’électricité renouvelable, les batteries et le stockage, les véhicules électriques et l’hydrogène propre. Pour ce genre de projets, le CAFD recommande de s’inspirer des cadres et des pratiques novatrices d’ailleurs, notamment de l’Union européenne.

Contrairement à celui d’autres pays et régions, le cadre de taxonomie de l’Institut climatique du Canada définit une catégorie « de transition ». Cette catégorie vise à répertorier les sources de financement et à débloquer des fonds pour des trajectoires crédibles permettant de décarboniser rapidement les secteurs à forte empreinte carbone du Canada, comme le secteur pétrogazier.

Pourquoi inclure des projets pétroliers et gaziers dans une taxonomie des investissements climatiques?

L’intégration des activités pétrogazières à la taxonomie soulève des inquiétudes bien légitimes quant à la préservation de sa crédibilité. La science du climat est sans équivoque : la production et la consommation de combustibles fossiles doivent baisser drastiquement et rapidement si l’on veut que le réchauffement mondial moyen demeure sous 1,5 °C.

Pourtant, c’est précisément en raison du profil d’émissions élevées du secteur pétrogazier qu’il est impératif d’avoir une catégorie de transition pour évaluer les projets de décarbonisation du secteur. Dans un contexte où la demande mondiale pour les combustibles fossiles commence à diminuer au cours de la présente décennie, il faudra investir à grande échelle pour décarboniser la production de pétrole et de gaz en amont afin d’atteindre les objectifs climatiques nationaux et de maintenir la compétitivité du secteur.

La figure 1 résume les critères d’admissibilité des projets à la catégorie de transition de la taxonomie du CAFD. Pris dans leur globalité, ces critères proposent une solution réaliste pour repérer, dans le secteur pétrolier et gazier, les projets admissibles à la catégorie de transition de la taxonomie, et donc à des conditions de prêts préférentielles.

Ce schéma montre les exigences particulières à satisfaire pour la catégorie "de transition".  Les projets pétrogaziers de transition admissibles doivent respecter les exigences générales, particulières et les exigences d'absence de préjudice important.

Catégorisation des investissements pétroliers et gaziers dans la taxonomie

Pour déterminer si un projet pétrolier ou gazier est admissible à la catégorie de transition proposée dans la taxonomie du CAFD, nous nous sommes penchés sur trois questions :

  1. À quel moment les émissions de portée 3 d’un projet particulier sont-elles considérées comme le principal risque de transition?
  2. Quelle est la définition d’une nouvelle installation pétrogazière par rapport à une installation existante?
  3. De quelle façon la taxonomie peut-elle déterminer si la durée de vie et la réduction des émissions des projets sont conformes aux trajectoires vers les 1,5 °C?
Ce schéma présente le cadre de classement du rapport du CAFD sur la feuille de route de la taxonomie.

La catégorisation des projets pétrogaziers selon la taxonomie des investissements climatiques du Canada, gage d’une transition harmonieuse montre que ces questions peuvent être utilisées pour confirmer quels projets entrent dans la catégorie de transition et fait état des points forts et des défis de cette approche.

Dans l’ensemble, cet article propose de placer la barre haut pour déterminer les types de projets pétroliers et gaziers admissibles à la catégorie de transition qui garderont le Canada sur une trajectoire lui permettant d’atteindre ses cibles climatiques. En utilisant des critères et des indicateurs détaillés, l’étiquette de transition parvient à concilier la promotion d’investissements transformateurs et la prévention des freins à la décarbonisation.

Une taxonomie climatique efficace et crédible doit viser haut et loin. Avec la proposition d’une catégorie de transition, le Canada a une occasion unique de s’ériger en chef de file mondial des taxonomies des investissements climatiques. Il est en passe de montrer aux autres pays qu’une taxonomie peut contribuer à la transition des secteurs difficiles à décarboner. Cette taxonomie peut également aider l’économie canadienne à demeurer concurrentielle dans un monde sobre en carbone.

Renverser la vapeur en matière de risques d’inondation

L’amélioration des pratiques de transparence liée aux risques d’inondation peut être un moteur d’équité au Canada.

Les changements climatiques continuent d’accroître les risques d’inondation, et les collectivités ont besoin d’aide pour renforcer leur résilience. L’amélioration de la transparence liée aux risques d’inondation – par la cartographie, la divulgation et la tarification de ces risques – joue un rôle essentiel dans les efforts de protection des gens et des collectivités du Canada. Elle peut aider ces derniers à décider des meilleurs moyens d’éviter, de réduire ou d’éponger les dommages et les pertes dus aux inondations.

Exemples de cartographie, de divulgation et de tarification des risques d'inondation.

Cependant, dans de nombreux cas, les pratiques de transparence en matière de risques d’inondation peuvent avoir des effets négatifs disproportionnés, notamment sur les groupes méritant l’équité. Ces groupes sont plus enclins à vivre en zone inondable et ont plus de difficulté à accéder à des renseignements sur les risques d’inondation. Ils sont également plus susceptibles d’être désavantagés par la tarification fondée sur les risques d’inondation et souvent incapables de se permettre d’habiter dans des zones moins à risque.

Quelles sont les mesures que pourraient prendre les gouvernements afin d’alléger les conséquences disproportionnées et inéquitables de la transparence en matière de risques d’inondation pour les personnes méritant l’équité?

Cartographie des risques d’inondation

Les cartes des risques d’inondation sont des outils incontournables pour comprendre et atténuer les risques d’inondation. Les données actuelles et prospectives précieuses sur ces risques qu’elles présentent peuvent influencer les décisions d’achat, d’investissement et d’adaptation.

Pourtant, ces cartes sont difficiles à trouver, particulièrement pour les endroits où les groupes méritant l’équité sont surreprésentés. Celles qui existent sont souvent désuètes depuis 25 ans ou plus, difficiles d’accès ou trop complexes pour des gens sans compétences techniques.

En 2020, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il commencerait à mettre à jour les cartes disponibles et s’est engagé à le faire pour tout le pays dans le cadre du programme d’identification et de cartographie des aléas d’inondation de son Plan d’action pour l’adaptation. C’est un bon pas vers l’avant, mais rien n’indique que les cartes mises à jour refléteront les effets des changements climatiques.

L’inexactitude ou l’absence de cartes des risques d’inondation peuvent poser problème à toute collectivité. Celles où les groupes méritant l’équité sont surreprésentés pourraient avoir plus de difficulté à se remettre d’une inondation. Les gens de ces collectivités ont souvent moins d’économies pour compenser les répercussions et y perdent en général une plus grande part de leur patrimoine global.

​​Pour que les considérations liées à l’équité soient intégrées efficacement à la cartographie, des consultations publiques sont nécessaires, incluant la mobilisation des parties prenantes et des détenteurs de droits afin de comprendre le contexte local et les répercussions disproportionnées.

Divulgation des risques d’inondation

Pour que la cartographie des zones inondables permette l’atténuation des risques, il faut une divulgation rapide, exhaustive et accessible des renseignements sur les propriétés.

Le principal mécanisme de divulgation des risques d’inondation pendant les transactions immobilières est la déclaration relative à l’immeuble (ou son équivalent). Elle sert à présenter à l’acheteur tout risque lié à la propriété. Par contre, le détail de ce qui doit être communiqué varie selon le territoire, et ces incohérences peuvent empêcher les acheteurs de prendre des décisions éclairées quant aux risques, notamment ceux d’inondation.

Au Canada, les propriétaires ne sont pas actuellement tenus de divulguer les dangers et les risques au sujet de leurs propriétés au cours des transactions de location. Louer un appartement au sous-sol ou dans un quartier sans infrastructures d’eaux usées et de ruissellement adéquates est particulièrement risqué, vu la grande probabilité d’inondation. Les communautés méritant l’équité sont grandement touchées, comme elles sont surreprésentées parmi les locataires.

Les contrats d’assurance de biens et d’assurance locataire ne permettent pas encore d’aviser efficacement les acheteurs et locataires potentiels des risques d’inondation pesant sur la propriété convoitée, et les répercussions sont plus graves pour les communautés méritant l’équité, qui sont surreprésentées dans les zones inondables. Compte tenu de l’essor croissant du marché de l’assurance contre les inondations, les agents devraient être tenus d’aviser leurs clients des dangers et des risques d’inondation associés aux propriétés. Les organismes locaux responsables de la gestion des inondations pourraient également recevoir des modèles d’inondation utilisés dans l’industrie de l’assurance pour souscrire une couverture contre les inondations et s’occuper plus activement de mettre les résidents au courant des répercussions potentielles des dangers d’inondation pour leurs biens et leur assurance.

Tarification

La tarification fondée sur les risques d’inondation peut avoir un effet sur les coûts de l’immobilier, d’assurance et de location, ce qui peut toucher de façon disproportionnée les membres des groupes méritant l’équité.

La compréhension qu’ont les assureurs des risques et des prix concurrentiels influence les primes d’assurance de biens. À mesure que les assureurs gagnent une meilleure connaissance des risques d’inondation, qui sont aggravés par les répercussions climatiques, le coût des assurances grimpe. Au Canada, les primes d’assurance habitation ont augmenté de 20 à 25 % entre 2015 et 2019. Plus de la moitié de cette augmentation est attribuable aux dommages causés par les inondations. En l’absence d’intervention gouvernementale, la protection peut devenir inabordable pour les membres des groupes méritant l’équité vivant dans des zones inondables.

Pour les propriétaires, la divulgation des risques d’inondation peut avoir un effet sur la valeur des propriétés. La valeur des logements et des biens immobiliers peut être considérablement réduite par les inondations catastrophiques, ce qui réduit les économies et limite les options pour la retraite.

La tarification fondée sur les risques d’inondation peut aussi faire grimper les loyers, car les propriétaires font payer la hausse de leurs primes d’assurance à leurs locataires. Ce phénomène touche lui aussi de façon disproportionnée les groupes méritant l’équité, plus susceptibles d’être locataires. Les locataires pourraient se retrouver forcés de déménager ou d’accepter de fortes augmentations de loyer. En réduisant le coût relatif des logements dans les zones inondables et en l’augmentant dans les zones moins inondables, la tarification fondée sur les risques d’inondation pourrait enfermer les groupes méritant l’équité dans un cercle vicieux, ceux-ci se retrouvant obligés de s’installer dans des quartiers plus à risque.

Approche de transparence transformationnelle

Le gouvernement fédéral, ainsi que plusieurs gouvernements provinciaux, territoriaux et autochtones, investissent dans des programmes de cartographie des inondations, mais il reste de grandes lacunes, qui devraient être comblées par des programmes et des stratégies mobilisant les groupes méritant l’équité et prenant en compte la vulnérabilité sociale. À court terme, on pourrait créer des comités de partage des connaissances qui intégreraient divers points de vue dans les initiatives de cartographie. À long terme, les gouvernements devraient passer à l’élaboration conjointe de programmes de cartographie des inondations. En incluant de manière significative les membres des groupes méritant l’équité dans la conception et la mise en œuvre des programmes de cartographie des inondations, on s’assure que les valeurs, les préoccupations et les priorités tiennent compte de la diversité des communautés cartographiées.

Les cartes des risques d’inondation doivent aussi être conçues pour être accessibles par le public, dont les groupes méritant l’équité. Par exemple, les données doivent être faciles à comprendre pour que les gens puissent prendre des décisions éclairées sur la préparation et la résilience aux inondations.

Enfin, le renforcement et la normalisation des exigences et des lignes directrices qui s’appliquent à la divulgation d’informations sur les inondations pour les biens immobiliers et les loyers contribueraient à alléger une partie du fardeau disproportionné imposé aux communautés méritant l’équité.

Résilience accrue contre les risques d’inondation

La mise en place de mécanismes de résilience contre les risques d’inondation est une mesure importante de protection des Canadiens contre les conséquences croissantes des changements climatiques. Pour faire un pas dans la bonne direction, il faudrait améliorer la transparence liée aux risques d’inondation, pour que les gens et les collectivités puissent prendre des décisions plus éclairées.

Découvrez comment des réponses stratégiques peuvent aider à relever les défis liés à l’équité quant à la transparence liée aux risques d’inondation.

Recommandations pour un exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques plus concret

Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) s’emploie à maintenir la confiance dans le système financier canadien. Dans le cadre de sa stratégie de protection contre les risques liés au climat, il a publié un exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques (ENASC) en vue de recueillir les commentaires du public. L’ENASC porte sur les conséquences financières de la transition vers une économie alimentée par de l’énergie propre, appelées risques de transition, et les conséquences financières de phénomènes météorologiques extrêmes et autres effets physiques des changements climatiques, appelées risques physiques. L’ENASC distingue quatre facettes de ces conséquences financières sur les institutions financières canadiennes :  les risques de marché, les risques de crédit, les expositions aux risques physiques et les expositions liées à l’immobilier. Dans le mémoire qu’il a adressé au BSIF, l’Institut climatique du Canada présente en quoi l’ENASC constitue un pas important vers l’alignement des institutions financières canadiennes avec l’accélération de la transition vers l’énergie propre et un climat de plus en plus volatil, et donne ses recommandations pour optimiser l’approche de l’exercice liée aux risques de transition et aux risques physiques.

Mémoire public de l’Institut climatique du Canada

L’Institut climatique du Canada est un institut de recherche indépendant qui oriente et façonne les politiques climatiques au Canada. Nous avons déjà analysé les retombées économiques de la transition mondiale vers l’énergie propre dans Ça passe ou ça casse : transformer l’économie canadienne pour un monde sobre en carbone, de même que la menace que représente le réchauffement climatique et les coûts et avantages de l’adaptation dans notre série Coûts des changements climatiques. Nous saisissons l’occasion qui nous est donnée de commenter l’approche proposée par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) à l’égard de la gestion des risques liés au climat dans son exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques (ENASC).

Les changements climatiques menacent la santé financière du Canada. Plus de 70 % des exportations nationales de biens risquent d’être affectées par les perturbations du marché causées par la transition. En parallèle, les effets physiques de l’accélération de la transition climatique entre 2015 et 2025 ralentiront la croissance économique du Canada de 25 milliards de dollars annuellement, soit 50 % de la croissance prévue de son PIB. Globalement, l’ENASC est une étape cruciale et positive vers la normalisation de la réaction de l’institution financière fédérale aux risques climatiques.

La présente lettre d’observations propose plusieurs suggestions quant à la façon dont le BSIF peut optimiser l’ENASC en étant plus explicite sur ses hypothèses et aux limites qu’elles comportent. Conscients que l’exercice est forcément abstrait et agrégé, nous croyons qu’il gagnerait à être plus précis pour éviter les imprévus.

L’ENASC aurait avantage à étoffer ses hypothèses et ses limites

Bien que la liste des hypothèses et des limites de l’ENASC n’ait pas la prétention d’être exhaustive, elle gagnerait à être plus précise quant à la conceptualisation des risques de transition d’une économie en mutation et aux risques physiques liés au réchauffement climatique. Il faut reconnaître l’existence d’autres critères de risque de transition dans les modules de marché et de crédit de l’ENASC, tandis que dans son module physique, d’autres critères de risque physique devraient être reconnus et activement pris en compte. Il en va de même pour les risques de transition dans le module immobilier. Regardons-les tour à tour.

Les modules de marché et de crédit de l’ENASC empruntent une approche qui s’apparente à celle de Ça passe ou ça casse, le rapport de l’Institut climatique du Canada sur l’analyse des risques de transition. En supposant que le BSIF appliquera les mêmes facteurs de risque de transition que ceux utilisés dans le projet pilote de la Banque du Canada et du BSIF, nous appuyons globalement le processus proposé. Il y aurait toutefois lieu d’y divulguer d’autres hypothèses et limites clés.

  • L’ENASC devrait reconnaître qu’il n’analyse pas activement les possibilités offertes par la transition vers l’énergie propre et se concentre uniquement sur les risques de transition. Bien que, dans ce type de simulation de crise, les possibilités offertes par la transition vers l’énergie propre soient plus difficiles à quantifier que les risques, elles peuvent donner aux institutions financières fédérales des indications majeures sur la stratégie de gestion des risques à adopter. Nous avons traité de la même limite dans notre propre analyse des risques de transition avec, en guise de complément au rapport Ça passe ou ça casse, une étude des possibilités offertes par chacune des provinces.
  • L’ENASC devrait reconnaître qu’il fait abstraction des différences régionales qui existent au sein du Canada. Nous supposons que l’ENASC suivra le projet pilote de la Banque du Canada et du BSIF et qu’il ne fera pas d’analyse infranationale ou locale. Cette limite est compréhensible, mais il faut divulguer ses implications et les analyser.
  • L’ENASC devrait normaliser davantage les hypothèses dans la mise en correspondance de contreparties avec des secteurs. Le degré d’autonomie actuellement dévolu aux institutions financières fédérales peut se traduire par une représentation fragmentée et incohérente des contreparties, en particulier les contreparties « d’appoint ». Il est primordial de tracer une ligne plus nette entre le secteur pétrogazier et ses activités d’appoint dans notre travail sur la taxonomie des investissements verts et de transition du Canada. De même, la taxonomie des activités durables de l’Union européenne distingue et divulgue les critères des activités qui permettent d’autres activités.

Pour ce qui est du module physique, l’ENASC peut donner l’impression d’établir les risques physiques au moyen des expositions financières. Toutefois, dans sa forme actuelle, le module ne traite que de l’exposition aux aléas physiques, et non des risques physiques eux-mêmes. L’ENASC devrait s’attaquer à plusieurs hypothèses et limites clés pour passer d’une simple analyse de l’exposition aux aléas physiques à une véritable analyse des risques physiques.

  • L’ENASC devrait faire connaître les défis et les limites de sa traduction des profils représentatifs d’évolution de concentration en risques physiques et en exposition aux aléas physiques. Les données actuellement accessibles au public, comme celles qui proviennent de Données climatiques Canada, ne permettent pas d’évaluer l’exposition aux aléas physiques majeurs, comme les inondations et les feux incontrôlés. La transposition du réchauffement et des projections climatiques associés aux profils représentatifs d’évolution de concentration du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat en données locales sur les risques physiques et les expositions serait une amélioration importante, mais une entreprise d’envergure. Les limites actuelles des données sur les aléas physiques et les défis liés à la réalisation d’une analyse efficace de l’exposition aux risques physiques devraient être clairement expliquées.
  • Pour cerner les risques physiques, l’ENASC devrait aller au-delà de l’exposition aux aléas physiques pour intégrer la notion de vulnérabilité. Les risques physiques dépendent à la fois de l’exposition des actifs aux aléas physiques et de la vulnérabilité physique de ces actifs aux aléas auxquels ils sont exposés. Actuellement, l’ENASC ne traite pas de ces derniers. Afin de brosser un tableau juste des risques physiques auxquels sont exposées les institutions financières, l’ENASC devra fournir des orientations sur la méthode pour analyser la vulnérabilité des actifs exposés et intégrer cette vulnérabilité dans les évaluations des risques physiques.
  • L’ENASC devrait mettre à l’essai une méthode d’évaluation des risques pour un petit nombre de risques physiques majeurs, plutôt que d’exiger une évaluation générale de risques d’une importance limitée. L’investissement dans une cartographie exhaustive des aléas physiques et l’analyse de l’exposition à l’ensemble des aléas physiques peut avoir peu de valeur, comme on l’a vu plus haut. Nous recommandons que l’ENASC se concentre plutôt sur l’analyse d’un petit nombre de risques majeurs ou d’un risque unique, comme celui associé aux inondations, assorti d’une méthodologie qui incorpore également les caractéristiques des actifs. Ce sera une entreprise délicate, mais les résultats seront beaucoup plus probants, et il y aura d’importantes leçons à tirer sur la conception et la mise en œuvre, au fil du temps, d’une méthodologie efficace d’analyse des risques physiques qui tienne compte d’un large éventail de risques.

Enfin, le module immobilier de l’ENASC vise à analyser les risques de transition, comme les modules de marché et de crédit. Toutefois, comme le module physique, il a lui aussi le défaut de présenter l’exposition comme un risque.

Pour prendre en compte les risques de transition, l’ENASC devrait aller au-delà des sources d’énergie et de l’intensité en gaz à effet de serre. Il est compréhensible que l’ENASC doive commencer par les sources d’énergie et les intensités d’émissions, en l’absence de données détaillées pertinentes sur l’immobilier au Canada. Cependant, nous considérons ces paramètres comme des éléments fondamentaux pour avoir des données utilisables plutôt que comme des indicateurs de risque de transition. Le module immobilier devrait à tout le moins comprendre des scénarios pour les émissions des secteurs de l’énergie et du bâtiment (p. ex. normes d’efficacité énergétique, augmentation de la tarification du carbone).

  • La compréhension du risque de transition de l’ENASC pour l’immobilier doit intégrer la politique climatique dans son ensemble. Les mesures qui augmentent le risque de transition pour l’immobilier doivent être contrebalancées par des mesures qui atténuent ce risque, comme les remises de la tarification du carbone et le recyclage de la main-d’œuvre. C’est particulièrement important pour les actifs immobiliers, car ils sont sensibles à l’évolution de la politique intérieure en leur qualité de facteur de risque de transition. En revanche, les actifs qui sont plus tributaires du commerce ont tendance à être plus vulnérables aux facteurs de risque de transition qui modifient la compétitivité, comme l’évolution de la politique mondiale, de la technologie et des préférences des consommateurs.

S’il ne donne pas plus de contexte, l’ENASC pourrait donner une image faussée des risques liés au climat

Si l’on se concentre sur le risque de la transition vers l’énergie propre sans analyser les possibilités, on risque d’exagérer les préjudices anticipés de la transition. Les investissements commerciaux dans des activités comme la captation du carbone, l’hydrogène, les bioproduits et l’exploitation minière peuvent s’accompagner d’un risque de transition, mais le risque peut être compensé par une croissance significative du marché. L’exagération du préjudice serait plus prononcée si l’ENASC ne se faisait qu’à partir de données nationales. Le risque et les possibilités de la transition vers l’énergie propre varient considérablement d’une province à l’autre, la Colombie-Britannique, le Manitoba et Québec ayant une nette longueur d’avance dans le secteur de l’électricité propre grâce à leurs ressources hydroélectriques.

À l’inverse, si l’on se concentre sur le risque sans tenir compte de la répartition des possibilités, on peut sous-estimer le préjudice causé à la compétitivité du Canada. Dans son scénario stratégique de référence actuel, l’ENASC postule que le risque de transition est négligeable, parce qu’il suppose qu’il n’y aura pas de nouvelles politiques climatiques. On fait ici abstraction de la façon dont la technologie et les préférences des consommateurs peuvent poursuivre leur évolution vers des sources d’énergie plus propres, ce qui ferait dévier le risque de transition sur les marchés. Il ne tient pas compte non plus de la façon dont d’autres pays peuvent surpasser le Canada sur les marchés liés à l’énergie propre en raison du contexte politique actuel, même en l’absence de nouvelles politiques.

Si l’on ramène sur un même pied d’égalité l’exposition et les risques dans les modules physique et immobilier sans clarifier les limites de cette hypothèse, on peut également donner une image faussée du risque. S’il ne tient pas compte de la vulnérabilité aux aléas physiques, l’ENASC peut très mal caractériser le risque physique. Par exemple, une analyse de l’exposition physique seule pourrait indiquer qu’un bâtiment commercial dans une zone inondable est à risque, alors qu’une étude plus approfondie de la vulnérabilité révélerait que l’inondation à laquelle le bâtiment est exposé serait de faible profondeur, que le bâtiment aurait été protégé contre ce type d’inondation, et qu’il ne serait donc pas à risque d’être endommagé. Dans le même ordre d’idées, l’ENASC peut commettre des erreurs lorsqu’il caractérise le risque de transition pour les biens immobiliers s’il se fonde uniquement sur les sources d’énergie et l’intensité des émissions, qui sont davantage le reflet d’une exposition que d’un risque. Par exemple, certains ménages à forte intensité d’émissions peuvent recevoir un soutien qui les aidera à naviguer dans la transition vers l’énergie propre.

L’ENASC devrait affiner son approche vers le risque de transition et le risque physique afin d’éviter des conséquences négatives et imprévues pour le système financier

Nous comprenons que le BSIF ajoutera des détails à l’ENASC au gré de son évolution; cette lettre vise à attirer l’attention sur des éléments précis à intégrer dans les prochaines versions. Idéalement, l’ENASC devrait pousser l’analyse du risque de transition et du risque physique. Entre-temps, il devrait se garder de surestimer son niveau actuel de sophistication.

Bien que l’ENASC avertisse d’emblée le lecteur qu’il ne mesure pas les risques climatiques, la façon dont il présente ces risques peut tout de même influencer les politiques et l’affectation des capitaux. Les décideurs qui s’occupent des risques de marché et de crédit peuvent s’y fier pour leur analyse climatique, sans tenir compte de l’importance des possibilités ou des différences infranationales dans la transition vers l’énergie propre. L’analyse de l’exposition physique de l’ENASC peut également encourager la prise de décisions liées au risque physique sans tenir suffisamment compte d’autres facteurs qui interagissent avec l’exposition physique pour déterminer le niveau de risque, y compris les caractéristiques de l’actif (p. ex. présence ou absence d’un sous-sol, matériaux de construction utilisés) et les mesures déjà prises pour atténuer le risque. Des préoccupations similaires valent également pour l’analyse de l’exposition de transition liée à l’immobilier de l’ENASC qui pourrait être utilisée pour évaluer le risque de transition sans une estimation plus complète des facteurs de risque.

L’ENASC est, en définitive, une étape importante vers la normalisation de l’identification et de la gestion des risques climatiques. Elle fait partie des attentes que l’on peut avoir envers le BSIF, dans un contexte où d’autres autorités de réglementation financières prennent des mesures similaires. Par exemple, l’Autorité bancaire européenne s’emploie à élaborer des modèles et des directives pour l’analyse de scénarios climatiques. Toutefois, dans sa forme actuelle, l’ENASC est exagérément simplifié, ce qui en fait une initiative majeure sans valeur pratique claire pour les institutions financières fédérales, en particulier celles qui ont déjà de l’expérience en analyse de scénarios de base. À l’avenir, nous recommandons au BSIF de faire preuve de plus de transparence au sujet des hypothèses et des limites contenues dans son exercice et de la façon dont il entend améliorer son exactitude et son applicabilité au fil du temps.

Accélérer la construction d’installations d’énergie propre au Canada : Un cadre pour la simplification des processus d’octroi de permis

Sommaire

C’est une transformation massive de son réseau électrique que le Canada devra opérer s’il veut carboneutraliser sa production d’électricité d’ici 2035 et son économie tout entière d’ici 2050. Selon les prévisions actuelles, il faudra pour cela ajouter plus de 10 gigawatts de nouvelle capacité à émission zéro au réseau, cette année et chaque année subséquente, sans exception, jusqu’en 2050.

Il va de soi que l’atteinte de ces cibles nécessite une accélération marquée des processus de délivrance des permis, de construction et d’intégration d’installations d’électricité propre (production, transport, distribution et stockage). Le présent document s’attarde à l’octroi de permis, proposant un cadre d’approbation « à deux voies » que pourraient adopter les différents ordres de gouvernement. La voie existante continuerait de s’appliquer aux installations qui sont de grande envergure, impliquent des technologies n’ayant pas encore fait leurs preuves ou touchent potentiellement un vaste territoire. À celle-ci s’ajouterait une nouvelle « voie rapide », pour les installations de taille modeste employant des technologies propres et éprouvées.

L’idée ici est donc d’esquisser le cadre réglementaire qui s’appliquerait à cette nouvelle voie, nommément en ce qui concerne les technologies admissibles, les emplacements et les échéanciers.

Les cinq ordres de gouvernement au Canada – les pouvoirs fédéraux, provinciaux, territoriaux, municipaux et autochtones – pourraient tous se doter de ce cadre d’accélération des approbations. À la lumière de ces constats, deux recommandations s’imposent. D’abord, celle que les autorités les plus proches de la réalité sur le terrain, à savoir les administrations municipales et autochtones, saisissent l’occasion de mener la charge. Ensuite, que le Canada comme les provinces et, potentiellement, les territoires travaillent ensemble à établir un cadre qui leur serait commun pour accélérer la délivrance de certains permis, notamment en convenant des technologies admissibles, des critères d’approbation de permis et des échéanciers. L’annexe B présente d’ailleurs un cadre préliminaire à la considération des gouvernements.

Introduction

Le réseau électrique canadien a besoin de changer en profondeur si l’on veut réaliser l’objectif d’une production carboneutre en 2035 et atteindre le point du zéro net dans les émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble de l’économie d’ici 2050 (Kanduth et Dion, 2022; Lee et coll., 2022). Et ce n’est pas tout : il faudra aussi trouver comment accroître nos capacités de production, de stockage et de transport de l’électricité propre en limitant les répercussions locales.

Constructions nécessaires annuellement pour atteindre la cible d’émissions pour 2050

Selon une estimation crédible, il faudra ajouter au réseau plus de 10 gigawatts (10 000 mégawatts) de capacité de production d’électricité propre au Canada cette année et chaque année subséquente, sans exception, jusqu’en 2050 (Thomas et Green, 2022). En termes concrets, cela signifie que la production d’électricité au Canada doit se développer à un rythme possiblement six fois plus rapide que dans la dernière décennie (Lee et coll., 2022) – ce qui illustre bien tant l’ampleur du défi que l’urgence de la situation. Dans ce document, l’on s’intéressera principalement à l’accélération du processus d’octroi de permis pour les nouvelles installations de production, de transport, de distribution et de stockage d’électricité propre.

Mais outre la délivrance des permis, il se pose d’autres enjeux comme le déblocage rapide de financement pour que les travaux de construction commencent aussi tôt que possible une fois le feu vert obtenu ainsi que l’élimination des entraves à l’intégration des nouvelles installations au reste du réseau. Nous avons eu droit à d’excellents exemples d’autres nations, parmi elles l’Allemagne, qui ont employé des outils réglementaires innovants pour mobiliser les investissements du secteur privé dans d’immenses projets de construction dans les énergies propres. Particulièrement intéressant est l’exemple allemand de l’utilité des tarifs de rachat garantis pour accélérer la mise en œuvre de projets éoliens et solaires qui contribuent aux grands réseaux électriques (futurepolicy.org, 2023). En 2010, l’Ontario en a pris de la graine dans cette expérience internationale pour la mise en œuvre de ses réformes de la Loi sur l’énergie verte et de son programme de tarifs de rachat garantis, lequel visait essentiellement à établir des règles dans l’obtention de contrats à long terme d’approvisionnement en électricité. Ainsi, le demandeur qui respectait les règles obtenait du gouvernement un contrat pour acheter son énergie propre à un tarif préétabli pendant les vingt prochaines années. Ce contrat en main, il pouvait ensuite obtenir du financement privé afin de construire et d’exploiter de nouvelles installations de production d’énergie propre. L’encadré 1 ci-dessous résume cette vaste réforme.

Le financement public direct peut aussi stimuler la construction de nouvelles installations ainsi que la mobilisation de capitaux privés. Les politiques et instruments fédéraux comme la Banque de l’infrastructure du Canada, les nouveaux crédits d’impôt à l’investissement fédéraux et le Fonds de croissance du Canada nouvellement établi encouragent l’investissement privé dans les installations et les technologies d’énergie propre (Beck et coll., 2023). Certains de ces programmes fédéraux prévoient un soutien financier particulier pour les gouvernements autochtones qui réalisent des projets d’installations. À l’échelle provinciale, il existe entre autres le Programme des garanties d’emprunt pour les Autochtones de l’Ontario et l’Alberta Indigenous Opportunities Corporation. Si les refontes proposées aux présentes visent principalement à réduire les contraintes qui freinent la délivrance de permis aux nouvelles installations, il faudra également réformer les processus de financement pour réaliser les objectifs de carboneutralité du Canada.

Étant donné tout ce qui devra être bâti de zéro, chaque mois de plus ou de moins que prendront les phases réglementaires et de construction compte.

Types d’installations requises

La transition du Canada vers les énergies propres passe par de profondes refontes des processus d’octroi de permis au cœur de notre réseau électrique – production, transport, distribution, stockage.

Le processus qu’il presse le plus d’accélérer est de loin celui pour la production d’électricité sans émissions. Mais c’est aussi le plus difficile.

L’accélération de la délivrance de permis pour les réseaux de transport énergétique sera aussi essentielle à la transition canadienne vers l’énergie propre, et l’amélioration du transport intraprovincial sera capitale pour desservir les régions éloignées et pour raccorder les sources d’énergie renouvelable aux foyers de la demande. Plus particulièrement, le fait de raccorder les communautés autochtones reculées au réseau électrique aura deux grands bienfaits : d’une part, permettre à celles-ci de se libérer du diesel au profit d’une électricité propre, et d’autre part, offrir un conduit par lequel amener l’énergie éolienne de grande valeur produite en région éloignée – ce qui sera non seulement bon pour les communautés environnantes, mais aussi pour l’ensemble du pays (Ressources naturelles Canada, 2023). Si l’instauration d’un réseau électrique interprovincial n’est pas strictement nécessaire pour l’atteinte des cibles nationales – le pays pourrait y arriver dans les temps sans nouvelles lignes de transport entre ses provinces –, elle constituerait néanmoins un avantage considérable, et un moyen économique de transporter l’électricité d’un océan à l’autre et de réaliser des synergies (Dolter et Rivers, 2018).

L’accélération de la délivrance de permis pour les réseaux de transport énergétique sera aussi essentielle à la transition canadienne vers l’énergie propre

Et pour favoriser la production d’énergie carboneutre, il faudra accélérer l’octroi de permis pour la construction d’installations de stockage. C’est que la production éolienne et solaire journalière est à la merci des forces de la nature, et la fenêtre pourrait ne pas se synchroniser avec celle des besoins énergétiques de la population. Pour éviter que l’électricité produite en dehors des heures de pointe se perde, il faut des installations qui peuvent la stocker. Or, le stockage d’énergie est désormais une avenue viable, en particulier grâce aux batteries à courte durée aux ions lithium (Lee et coll., 2022), et avec le temps, les technologies viables devraient foisonner.

Lois et politiques en place régissant l’octroi de permis aux nouvelles installations d’énergie propre

Au Canada, tous les ordres de gouvernement ont des lois qui encadrent l’octroi de permis pour de nouvelles installations de production, de transport, de distribution et de stockage d’électricité (voir annexe C). La Loi sur l’évaluation d’impactfédérale régit le processus autour de certains projets majeurs (les « projets désignés ») ainsi qu’une vaste gamme de projets sur les territoires domaniaux. Certes, la Cour suprême du Canada a rendu une décision en octobre 2023 qui va probablement restreindre ce qui constitue des projets désignés et requiert une évaluation dans le cadre de la Loi (Langen et coll., 2023), mais elle a aussi fait droit à l’application de cette loi aux projets sur les territoires domaniaux (art. 81 à 91) et ne met probablement pas en péril son application aux projets désignés extracôtiers pour la production d’énergie propre (Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 SCC 23). La législation fédérale englobe aussi des lois spécifiques à certains secteurs et un régime d’approbation en fonction de l’effet qui gouverne ou restreint la délivrance des permis.

Les gouvernements provinciaux, de leur côté, ont des lois qui régissent l’octroi de permis aux installations sur les terres privées et à certaines installations sur les terres publiques. Les gouvernements autochtones, eux, légifèrent sur toutes sortes de choses allant des grands accords généraux en matière des revendications territoriales, notamment dans le Nord du Canada, aux lois foncières prises en vertu de la Loi sur la gestion des terres des premières nations ou aux règlements d’application de la Loi sur les Indiens. Enfin, les municipalités régissent les permis à travers leur réglementation sur le zonage.

Le gros de cette législation a un champ d’application assez large, ce qui est voulu par la plupart des autorités afin d’appliquer aux projets de production énergétique le même cadre légal que pour les installations dans d’autres secteurs qui peuvent avoir des répercussions sur l’environnement. Ainsi, ces lois et règlements s’appliquent à une vaste gamme de conditions : installations majeures comme mineures, technologies nouvelles comme établies, effets vastes comme limités, zones touchées grandes comme petites, emplacements généraux comme vulnérables…

Beaucoup d’administrations travaillent aussi à faire respecter certains échéanciers dans les processus d’approbation. Le problème est que ces derniers ne couvrent qu’une partie, et non la totalité, de la réalité d’une installation. Aucun n’englobe tout le temps nécessaire pour mener un projet à travers les phrases de planification, d’obtention de permis et de construction jusqu’à la mise en service.

Au Canada, il se dégage des récentes réformes énergétiques de l’Ontario une corrélation entre le raccourcissement des échéanciers et l’innovation dans la délivrance des permis aux nouvelles installations et le financement de leur mise en service.

Encadré 1 : Le programme d’énergie verte de l’Ontario (2009-2014)
Dans les années 2010 à 2014, la province de l’Ontario a mis en place, dans le cadre de la Loi sur l’énergie verte de 2009, le plus grand programme de développement des énergies propres dans l’histoire du pays. Ce programme, qui illustre toute l’importance d’une approche intégrée dans ce développement énergétique, comportait trois grands volets :

– Un contrat de tarifs de rachat garantis sur 20 ans de l’Office de l’électricité de l’Ontario (OEO), utilisé comme garantie pour les investisseurs privés;

– L’autorisation des projets d’énergie renouvelable par le ministère de l’Environnement et de l’Action en matière de changement climatique, qui se voulait un processus d’approbation unique et consolidé pour les promoteurs;

– L’autorisation d’accès au réseau électrique de la part de la société d’exploitation du réseau ontarien, donnée aux promoteurs ayant besoin de se raccorder au réseau de transport et de distribution de la province.

La Loi sur l’énergie verte prévoyait également un financement provincial ainsi qu’un régime d’appels de propositions pour le développement du réseau de transport d’électricité de l’Ontario.

Cette loi montre à bien des égards les difficultés que pose la mise en œuvre d’une refonte majeure dans un vaste territoire. Le système de tarifs de rachat garantis engendrait des prix supérieurs au marché pour les installations éoliennes et solaires, ce qui lui a valu des critiques par la suite. De plus, le processus d’autorisation des projets d’énergie renouvelable aura demandé plus de temps que prévu parce que l’effort de regroupement des approbations par la province a déclenché une levée de boucliers chez les instances municipales et locales. Le processus d’autorisation d’accès au réseau électrique, lui, s’est vu compliqué par l’absence d’une capacité de transport adéquate dans de nombreuses régions, ce qui a retardé la construction et la mise en route des nouvelles installations. En outre, la réforme de la Loi sur l’énergie verte visant à exclure les municipalités des décisions d’octroi de permis a rendu certaines ruralités hostiles aux projets d’énergie propre, et a ultimement mené à l’abrogation en 2019 de cette loi par un gouvernement provincial subséquent. Malgré tout, celle-ci aura été un exemple précieux et fort instructif pour d’autres administrations.

Il ressort de cette expérience qu’il y a du jeu pour accélérer les processus pour l’approbation, la construction et l’exploitation de nouvelles installations qui emploient des technologies éprouvées, touchent une zone restreinte et auront des effets hors site limités.

Cadre proposé pour la refonte du système de permis

Il y aurait trois volets au nouveau cadre d’octroi de permis accéléré à certaines installations : la technologie, l’emplacement et l’échéancier.

Technologie

Une technologie qui convient à l’approbation rapide des permis présente cinq attributs :

  1. Elle est éprouvée et non expérimentale.
  2. Elle ne présente que peu de répercussions sur l’environnement hors site, et aucun effet sur la santé humaine.
  3. Ses répercussions environnementales hors site se restreignent à une zone manifestement limitée.
  4. Il est facile d’en faire l’acquisition pour la construction.
  5. La construction et le passage à l’exploitation ne prendront visiblement pas trop de temps.

En l’état des choses, les installations de production d’énergie éolienne et solaire sont toutes désignées pour l’approbation accélérée. Évidemment, les installations de transport et de distribution se prêtent elles aussi à un tel processus. Enfin, il y a des options de stockage viables, par exemple, les batteries à courte durée aux ions lithium (Lee et coll., 2022), et avec le temps – voire assez rapidement – d’autres technologies présenteront elles aussi ces cinq attributs.

Les installations de production d’énergie éolienne et solaire sont toutes désignées pour l’approbation accélérée. Évidemment, les installations de transport et de distribution se prêtent elles aussi à un tel processus

Efficacité éprouvée

Si les technologies carboneutres évoluent rapidement, il n’en demeure pas moins que celles qui sont éprouvées devraient être plus faciles à approuver que les expérimentales. À l’heure actuelle, aucun régime d’octroi de permis ne tient compte de cette distinction, mais toutes choses étant égales par ailleurs, l’éventail des effets d’une technologie inconnue comportera une plus grande part d’incertitude quant à l’éventail de ses effets, et nécessitera donc davantage d’études et d’examens par les autorités publiques et réglementaires, qu’une autre bien établie et éprouvée. Ainsi, les technologies privilégiées tendront à être de ce dernier type.

Répercussions environnementales manifestement limitées et absence d’effets pour la santé humaine

Pour pouvoir passer par la voie rapide, une technologie donnée doit, évidemment, servir à produire ou à transporter de l’électricité sans émettre de gaz à effets de serre. Mais il y a d’autres répercussions potentielles à considérer, comme les autres types de pollution, la dégradation des écosystèmes ou le coût de renonciation à certaines utilisations du territoire (p. ex. pour l’agriculture). La technologie considérée pour approbation accélérée doit ainsi ne pas avoir d’effets sérieusement néfastes sur la qualité de l’air, de l’eau ou des sols, ni sur la biodiversité.

Limitation géographique manifeste des répercussions environnementales hors site

Quand la technologie est bien comprise, il devient facile d’évaluer la zone des possibles effets hors site du projet (c’est-à-dire le périmètre dans lequel des effets peuvent se faire ressentir). Plus la zone est restreinte, moins il y aura de répercussions sur la population ou sur la faune. La technologie idéale n’aurait donc aucun effet hors site, ou alors seulement dans une zone bien limitée. Par exemple, l’absence de pollution sonore, ou du moins un bruit assez peu dérangeant, au-delà des limites de l’installation. Cette préférence contraste avec les technologies qui peuvent avoir des effets néfastes loin du site – par exemple, celles qui émettent des particules fines.

Notons que plus la zone dans laquelle peuvent se produire des effets hors site est petite, plus il y aura d’emplacements potentiels pouvant accueillir les installations.

Disponibilité pour la construction

Optimalement, il serait facile de se procurer ou de fabriquer la technologie visée. Tous les ordres de gouvernements sont sans conteste compétents pour évaluer le degré de disponibilité des technologies requises, mais tous (ou du moins, la grande majorité) gagneraient ici à se coordonner ainsi qu’à collaborer avec le secteur privé. Si certains aspects de l’approvisionnement sont indépendants de leur volonté, les autorités canadiennes se trouveront dans le même embarras si un projet retarde à l’issue du processus de délivrance des permis en raison de l’indisponibilité d’une technologie que s’il y avait des retards en début de processus.

Rapidité apparente de la filière de la construction à l’exploitation

La construction doit pouvoir se faire assez rapidement. En effet, les délais de construction sont aussi importants que le temps d’approbation : chaque mois de gagné ou d’ajouté pèse dans la balance. Les technologies idoines seront donc celles dont la conception est aisément reproductible et qui nécessitent peu d’adaptations spéciales in situ.

Emplacement

Les processus d’octroi de permis au Canada sont inclusifs : ils s’appliquent à une vaste gamme d’installations possibles. En ce qui concerne le secteur de l’énergie, c’est la législation et la réglementation dans les grandes régions du pays qui régissent les processus locaux relatifs aux permis, par exemple les évaluations environnementales ou les évaluations d’impacts. Ces processus existants ont une application générale dans l’ensemble du territoire et sont conçus pour cadrer avec les installations énergétiques de tous types et de toutes échelles – dont la gamme complète des technologies de production d’électricité possibles. Prenons la Loi sur l’évaluation d’impact fédérale de 2019 : elle nous donne un exemple clair de processus d’évaluation qui se veut largement applicable à travers la liste de « projets désignés » de son Règlement sur les activités concrètes (Règlement sur les activités concrètes, 2019). Il convient de noter que cet aspect de la Loi n’a pas été jugé inconstitutionnel dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada en 2023.

Cette nature inclusive des processus d’octroi de permis actuels signifie également que ceux-ci sont longs et complexes. Chaque fois qu’ils sont mis en branle, c’est tout un train de délais qui doivent être impartis et d’expertises et de ressources qui doivent être mobilisées pour établir les détails du projet – y compris la nature et la portée de ses répercussions – et y adapter le processus réglementaire. Par exemple, la Loi sur l’évaluation d’impact prévoit que l’on relève et évalue en début de processus la pleine gamme des répercussions (par. 18(1)); or, si ce travail de délimitation en amont est censé permettre de mieux cerner la question et donc d’accélérer et de rendre plus prévisible la démarche tout entière, il a plutôt pour effet d’allonger les délais et d’introduire de l’incertitude dans les premières phases du travail d’approbation. Dans la même veine, lorsqu’une installation proposée utilise une technologie non éprouvée, les experts et intervenants gouvernementaux participants ont besoin de temps pour bien comprendre et évaluer les innovations ainsi que la gamme des effets qu’elles pourraient avoir sur le site et ailleurs. Sous les processus actuels, toutes ces vérifications concernant l’emplacement sont nécessaires pour pleinement saisir le type et l’ampleur géographique des répercussions sur la qualité de l’air et de l’eau, les aspects écologiques sensibles, la santé humaine et le bien-être collectif.

Certaines technologies qui ne causent pas d’émissions peuvent tout de même être fort dommageables pour l’environnement. Par conséquent, les dispositions existantes en matière d’évaluation environnementale ou d’évaluation d’impacts restent importantes.

Les processus de délivrance de permis actuels apportent aussi leur lot d’enjeux liés à l’emplacement; les critères qu’ils définissent pour orienter l’étude des effets localisés sont différents de ceux qui sont pris en compte dans la décision. Prenons le régime d’évaluation environnementale en vigueur en Ontario depuis près d’un demi-siècle et établi par la Loi sur les évaluations environnementales : d’un côté, il exige que des solutions de rechange soient étudiées, et fixe à cette fin des critères pour les filtrer et les évaluer… mais de l’autre, il ne fait aucune référence à ces solutions de rechange dans ses critères de décision finale (art. 6.1 et 9).

De même, la Loi sur l’évaluation d’impact fédérale exige l’examen de 19 facteurs dans le cadre de la collecte de renseignements au titre de l’évaluation d’impacts d’un projet désigné (art. 22), mais n’en mentionne que cinq dans les critères de décision établissant si ledit projet s’inscrit dans l’intérêt public et devrait donc être approuvé (Loi sur l’évaluation d’impact 2019, art. 63). On notera que, dans sa décision récente relative à la Loi sur l’évaluation d’impact, la Cour suprême du Canada distingue ces deux ensembles de facteurs. Elle n’a pas exprimé de critiques à l’égard des facteurs à l’étape de collecte de renseignements (p. ex. à l’art. 19), mais elle l’a fait à l’égard de ceux à l’étape de décision (art. 63). Il va sans dire que non seulement il est inefficace d’utiliser des critères variables et d’user de subjectivité dans la collecte de renseignements et la prise de décisions, mais que cela entraîne aussi une imprévisibilité dans les résultats.

Ce qui serait réformateur dans la délivrance de permis serait non pas d’opter pour une approche inclusive, mais plutôt d’adopter une stratégie ciblée. La première chose à faire serait d’offrir un processus accéléré aux projets d’installations qui reposent sur des technologies admissibles (qui répondent aux cinq critères); plusieurs caractéristiques de ces technologies limitent directement le type et l’ampleur géographique des effets indésirés. Ce qui nous amène à une deuxième évidence : les projets d’installations dans cette catégorie ne devraient avoir besoin que d’une évaluation des répercussions localisées.

En priorisant les technologies admissibles, on simplifierait les tâches en amont du processus d’approbation. Et grâce aux effets limités de ces technologies, il pourrait être possible de simplifier d’autres aspects plus tard dans le processus.

Plus particulièrement, lorsqu’un projet d’installations emploie une technologie admissible, le choix de son emplacement peut se faire en fonction d’un petit nombre de critères clairs et catégoriques respectant trois principes :

  1. Règles contraignantes : Chaque critère à appliquer doit constituer une règle contraignante.
  2. Critères tranchés : La réponse doit être un oui ou un non, sans marge discrétionnaire1.
  3. Application objective : Les règles doivent s’appliquer de manière objective, sans subjectivité.

Une installation qui satisfait à tous les critères est approuvée. Cette approbation à elle seule peut ne pas être suffisante pour lancer les travaux, mais dans l’idéal elle le serait. Quoi qu’il en soit, les critères doivent tous être obligatoires et universels.

Voici un bon et un mauvais exemple de critères :

Bon : Le bruit à la limite de propriété doit être de moins de 40 dB(A).

Mauvais : Il faut éviter que le bruit dérange les voisins.

Le nombre de critères obligatoires devrait aussi être limité. En fonction des enjeux liés à l’emplacement éliminés ou réduits par la technologie admissible, il deviendrait possible d’écrémer la liste pour ne conserver que les critères répondant à trois questions fondamentales :

  1. Effets sur la population : L’installation reçoit-elle l’aval des collectivités locales?
  2. Effets sur le site : Évite-t-on de compromettre les éléments écologiques clés?
  3. Effets hors site : Évite-t-on de préjudicier toute population avoisinante qui ne sera pas indemnisée?

1. Effets sur la population : L’installation a-t-elle l’aval des collectivités locales?

Les régimes en place pour l’octroi de permis aux nouvelles installations de production d’électricité accordent le gros du poids à l’approbation des autorités fédérales ou provinciales, et le cadre accéléré proposé dans le présent document ne prévoit pas de modification sur ce plan. Les régimes en place continueraient de s’appliquer aux installations d’énergie propre qui ne sont pas admissibles à la voie rapide.

Toutefois, dans la gestion d’une telle voie, les gouvernements locaux municipaux et autochtones occuperaient un rôle central, particulièrement pour ce qui est de faire la promotion des installations d’énergie propre.

Comme presque toutes les collectivités du Canada pourraient accueillir de nouvelles installations, les auteurs recommandent de se concentrer sur celles dont le gouvernement local est en faveur de tels projets. L’expérience des dernières années nous montre qu’un projet d’installations qui ne s’attire pas la faveur de la population rencontrera des problèmes sur le long terme, comme des manifestations d’opposition et des contestations en justice (Cleland et coll., 2016).Qu’on se le dise en toute franchise : le Canada ne va pas s’en sortir si, par exemple, les approbations créent un fossé ou viennent aggraver la fracture entre les milieux ruraux et urbains, ni si elles enfreignent un traité ou des droits inhérents autochtones. La meilleure façon de prévenir ou d’atténuer l’opposition locale dans la course vers la carboneutralité sera ainsi d’habiliter et d’outiller les gouvernements locaux et autochtones favorables.

Le soutien initial des gouvernements municipaux et autochtones offre la meilleure chance d’assurer des avantages à long terme à la fois sur le plan de l’électricité propre et sur les plans de la démocratie locale et de la promotion des droits autochtones.

Dans bon nombre de municipalités, la réglementation établit déjà assez bien les pouvoirs et les processus nécessaires à l’approbation de nouvelles installations, donc il ne devrait pas y avoir à beaucoup la retravailler pour accélérer le tout; il faut simplement avoir soin d’obtenir à chaque fois l’aval des instances locales. La nature des réformes requises sera probablement différente pour chaque collectivité dont on cherche à obtenir ou à conserver l’appui.

Certains gouvernements autochtones ont leurs propres lois et procédures établies pour favoriser ou assurer l’octroi rapide de permis. Or, c’est loin d’être le cas de tous. Les traditions et les droits autochtones offrent un point de départ crucial pour les refontes proposées; il sera important de les respecter. On pourrait aussi gagner à créer des alliances entre les collectivités et les organisations autochtones pour coordonner la mise en commun et l’étoffement de pratiques exemplaires correspondant aux valeurs communautaires et culturelles.

Vu l’ampleur de la tâche, on comprend que beaucoup – voire la plupart – des collectivités qui prendront part au travail de décarbonisation devront se faire très actives et traiteront de multiples demandes année après année. Il leur faudra affecter du personnel et acquérir une expertise pour voir à l’application cohérente des critères d’approbation accélérée sur leur territoire.

Ces administrations auront aussi besoin de ressources additionnelles pour établir et administrer le train a) des incitatifs nécessaires pour maximiser les emplois directs dans la construction et la maintenance ainsi que les emplois indirects et b) des indemnisations aux propriétaires fonciers qui sont touchés, mais ne prennent pas part au projet, par exemple sous forme de rabais sur l’électricité ou d’une baisse de l’impôt foncier. Il sera globalement avantageux que ces aspects de l’approbation soient normalisés dans chaque collectivité, et non négociés individuellement. Autrement, on risque de rencontrer un goulot d’étranglement dans le processus d’approbation, comme chaque promoteur voudra mettre les freins le temps d’essayer d’obtenir le meilleur marché pour son installation. Les différentes autorités locales devraient avoir le pouvoir de varier un peu les mesures, mais il faudra veiller à ce que les ajustements soient appliqués de façon uniforme.

On ne saurait trop insister sur l’importance de l’acceptabilité sociale, quoique l’aval de la population ne devrait pas être trop difficile à obtenir pour les installations qui répondent aux critères décrits ici de la procédure accélérée. Si c’est la bonne technologie qui est employée, tout le monde devrait pouvoir opiner que l’installation n’entraînera aucun effet grave sur l’environnement ou la santé humaine. Et grâce aux critères clairs et contraignants du processus de délivrance de permis, la collectivité devrait pouvoir saisir les modestes répercussions du projet. Si l’administration établit également des exigences claires quant aux retombées attendues à l’échelle locale, les projets d’installations qui respectent ces conditions devraient facilement trouver approbation aux yeux de la collectivité.

Chaque administration a du jeu pour l’élaboration et l’application de ses propres critères, pourvu que ceux-ci soient conformes au cadre général, par exemple s’il faut faire particulièrement attention à une caractéristique naturelle ou à une espèce végétale ou animale d’une rareté ou d’une importance culturelle particulière. Tant et aussi longtemps que toutes les propositions d’installations d’une région sont soumises aux mêmes critères décisionnels, ce genre d’adaptation devrait favoriser, et non éroder, le soutien local.

Avec la combinaison des réformes visant l’approbation rapide des technologies admissibles et de l’emplacement des installations, la participation de la collectivité à un projet d’installations donné devrait pouvoir se faire sans controverse. Pour chaque projet, il faut qu’un avis clair soit transmis à tous les résidents touchés, et que des dispositions soient en place pour aussi transmettre les avis à tout résident intéressé. Le public doit également avoir la possibilité de présenter des renseignements pour remettre en question l’application des critères de délivrance des permis. Ces objections devraient toutefois être assez rares et faciles à résoudre, et si le complément d’information ainsi fourni est pertinent pour l’application d’un des critères, il devrait être utilisé et le critère réappliqué pour garantir que les décisions prises soient conformes à tous les critères.

2. Effets sur le site : Évite-t-on de compromettre les éléments écologiques clés?

Ce critère concerne le site de l’installation et a pour but d’en déterminer les conditions optimales. Dans l’idéal, la construction d’une nouvelle installation zéro émission n’entraînera aucune répercussion grave sur le site et un nombre limité de transformations négatives pour le milieu physique.

D’expérience récente, l’aspect le plus important à prendre en compte ici est le patrimoine naturel. En Ontario, les parcs éoliens et les centrales solaires ont soulevé des questions concernant les espèces en voie de disparition (Semeniuk et Stueck, 2023). De multiples ordres de gouvernement se partagent l’autorité sur ces espèces et leur habitat; différentes lois provinciales et fédérales s’appliquent selon lesquelles des instances sont propriétaires ou responsables des terres visées (Kauffman, 2023). La crise climatique n’est pas une excuse pour aggraver le déclin de la biodiversité. Le patrimoine naturel du Canada a plus que jamais besoin qu’on y fasse attention.

La stratégie actuelle de beaucoup d’administrations pour la protection du patrimoine naturel est d’éviter que l’on endommage certains éléments écologiques clés. Les critères de simplification ici proposés consisteraient à exiger la prise en compte et la protection explicites des caractéristiques et des fonctions de ce patrimoine naturel. L’accent serait mis sur les éléments écologiques clés, étant donné que certaines caractéristiques et certains effets pèsent davantage que d’autres dans la balance écologique. C’est ainsi que l’on accorderait avant tout la priorité, par exemple, à la protection des espèces en voie de disparition et de leur habitat essentiel.

La réforme de la Loi sur l’énergie ontarienne illustre bien le problème qui réside dans le cloisonnement entre la réglementation sur les espèces menacées et celle sur les installations d’énergie renouvelable. La province a certes voulu consolider tout le processus d’approbation pour les projets d’énergie renouvelable, mais elle a oublié dans son équation la question des espèces en voie de disparition. Ainsi, le processus a beau exiger plus d’une dizaine de rapports, aucun ne demande expressément d’éviter, ou même de prendre en compte, l’habitat de ces animaux. Or, l’Ontario a aussi prévu dans son processus décisionnel qu’il serait fait droit aux appels devant les tribunaux si l’appelant arrivait à faire valoir que le projet causerait « des dommages graves et irréversibles à des végétaux, à des animaux ou à l’environnement naturel » (Loi sur la protection de l’environnement, 1990, art. 145.2.1). C’est là un critère qui, sans y faire directement référence, englobe clairement la question des espèces menacées. On constate donc un décalage entre l’information demandée pour la délivrance d’une autorisation et les facteurs susceptibles de faire annuler cette autorisation. Le problème a été mis en évidence dans un litige impliquant un parc éolien et ses effets sur une espèce en voie de disparition – la tortue mouchetée – ainsi que son habitat (Prince Edward County Field Naturalists c. Ostrander Point GP Inc., 2015 ONCA 269). À l’issue de la procédure, le tribunal a invalidé l’approbation qui avait été donnée au projet; les promoteurs ont interjeté appel, mais la cour d’appel a maintenu la décision rendue en première instance. Ultimement, l’affaire a été renvoyée au tribunal pour être réentendue, mais ce dernier a confirmé son rejet initial de l’approbation.

De manière générale, chaque ordre de gouvernement qui adoptera la procédure accélérée devra s’assurer sérieusement de préciser où et comment peuvent être implantées les nouvelles installations afin d’éviter de toucher aux éléments clés du patrimoine naturel, en particulier les espèces et habitats menacés.

Une autre leçon à tirer de ces expériences est que le terme « élément écologique clé » devrait faire l’objet d’une définition et d’un usage bien précis. Par exemple, le Plan de la ceinture de verdure (2017) de l’Ontario relève ce qu’il appelle des éléments clés du patrimoine naturel (il y en a 12 types) et des éléments hydrologiques clés (il y en a 4 types) (gouvernement de l’Ontario, 2017). Il serait pertinent de permettre une certaine variabilité dans les types d’éléments clés : d’un côté, cela permettrait de tenir compte des réalités provinciales et locales, mais de l’autre, il devrait y avoir une liste de base de ce qui ne peut absolument pas être ignoré, par exemple l’habitat essentiel des espèces en voie de disparition.

Il faudrait en outre qu’il s’effectue des contrôles réglementaires pour garantir que l’information sur ces habitats est toujours actuelle. En l’état des choses, on constate que les démarches en ce sens sont pêle-mêle et largement insatisfaisantes pour faciliter l’accès aux données. Dans le cadre de sa réforme des autorisations de projets d’énergie renouvelable en vertu de la Loi sur l’énergie verte, l’Ontario a voulu remédier à ce manque de cohérence en demandant aux promoteurs de mener certaines enquêtes sur les sites ciblés, le but étant de relever toute information déjà connue et de compléter au besoin. Cependant, c’est une façon de faire aussi coûteuse que chronophage. Il serait préférable que ce soit les autorités locales qui soient dotées des ressources nécessaires et rassemblent la plupart des données requises, les mettent en correspondance et les publient en format électronique. Cette approche nécessitera toutefois probablement qu’on accorde aux autorités locales un soutien fédéral ou provincial financier ou technique, afin d’assurer à tous les ordres de gouvernement concernés le matériel le plus récent en date pour l’évaluation des éléments écologiques clés.

3. Effets hors site : Évite-t-on de préjudicier toute population avoisinante qui ne sera pas indemnisée?

C’est là un critère qui ne s’appliquera pas à toutes les installations. Dans l’emplacement idéal,la zone d’effets hors site est inhabitée, ou autrement, personne sur ce territoire n’est défavorable au projet. Qui plus est, la plupart des technologies susceptibles de passer par la procédure accélérée n’auront que peu ou pas de répercussions hors site.

Ainsi, le critère n’entre en jeu que lorsque la zone d’effets hors site d’une installation est occupée et quela population comprise dans cette zone s’oppose à la construction.

Lorsqu’il est appliqué, ce critère passe par trois volets obligatoires, qui sont le fruit des derniers apprentissages quant à l’importance de la dimension des projets d’énergie propre. En effet, il finit par se produire des problèmes d’acceptabilité sociale quand les populations environnantes subissent des inconvénients, et ce, sans qu’aucun avantage ne soit relevé en retour. C’est particulièrement criant dans le cas des parcs éoliens proches des populations : on constate un mélange un peu chaotique de propriétaires participants comme non participants dans le périmètre des turbines. Il faut savoir que dans ce contexte, un « propriétaire participant » est un propriétaire foncier qui obtient un avantage économique quelconque de par la présence des installations – le plus souvent, une indemnisation parce que les turbines empiètent sur son terrain – et qui appuie par conséquent le projet. Or, ceci n’étant vraiment pas le cas de tout le monde aux alentours, la situation a attisé des conflits de voisinage avec les propriétaires non participants, qui se disent incommodés de diverses façons (p. ex. à cause du bruit ou de l’effet sur le paysage) sans rien toucher en contrepartie (Comeau et coll., 2022).

Le premier de nos trois volets consiste à définir une zone d’effets autour de l’installation ou d’un de ces composants (p. ex. une éolienne). L’amplitude de la zone varie en fonction de la technologie. Prenons les éoliennes : la zone de leurs effets variera selon leur taille. Vu ce que l’on a appris, il est essentiel de toujours fournir des orientations claires sur ce sujet pour encadrer les décisions d’autorisation. L’encadrement des technologies applicables devrait permettre de définir quelle est la zone d’effet pour chaque type de technologie et échelle de projet.

Le deuxième volet consiste à catégoriser les répercussions en fonction de leur gravité. Par exemple, il devrait être possible d’interdire qu’une installation produise, à la limite de propriété avec les terrains résidentiels voisins, un bruit supérieur à 40 dB(A) ou encore au bruit déjà ambiant. (Notons que cette limite technique précise en décibels nous provient de la norme internationale de l’Organisation mondiale de la Santé relativement au bruit nocturne.)

Une fois que l’on dispose d’informations sur la zone applicable et sur la gravité des effets d’une installation donnée, il devrait être facile de déterminer si le troisième volet s’y applique. À savoir que s’il est justifié d’accorder une compensation pour les effets négatifs, il faudra qu’une instance, c’est-à-dire soit l’administration de n’importe quel ordre de gouvernement, soit un promoteur, verse une indemnité à tout propriétaire foncier dans la zone qui ne donne aucune parcelle de terre en location ni ne bénéficie autrement de la présence de l’installation.

Les retombées pour le milieu d’accueil peuvent être redistribuées de différentes manières. Par exemple, la municipalité peut réduire l’impôt foncier des propriétaires non participants aux alentours, ou leur accorder des remises sur leur facture de services publics (Comeau et coll., p. 36). Dernièrement dans les États de New York et de la Californie, il a été décrété que toutes les nouvelles installations d’énergie renouvelable doivent procurer un ensemble d’avantages à la collectivité les accueillant, ce qui peut notamment inclure un allégement de la facture des services publics (Arnold et Beck, 2023). Une autre solution est de proposer un crédit sur l’énergie renouvelable s’adressant uniquement aux résidents à proximité (Comeau et coll., p. 20). Ou encore, de distribuer une partie des recettes annuelles à la collectivité pour qu’elle réinvestisse le montant (Comeau et coll., p.29). Là encore, les réformes californiennes et new-yorkaises donnent une bonne idée de ce qui pourrait être exigé au Canada en matière d’avantages pour les collectivités.

Quel que soit le détail de chacun de ses trois volets, ce troisième et dernier critère concernant les effets hors site doit toujours respecter les trois principes établis plus tôt, c’est-à-dire que les règles soient contraignantes, que les critères soient tranchés (« oui/non ») et que l’application soit objective.

On trouvera des suggestions de critères d’octroi de permis à l’annexe A.

Échéancier

Si le Canada veut atteindre son objectif de carboneutralité d’ici 2050, il faut que chaque installation d’énergie propre qui satisfait aux critères fasse l’objet d’un traitement accéléré – non seulement dans le processus de permis, mais aussi dans la construction et la mise en service.

Il est normal que notre résolution à établir de nouvelles capacités de production d’énergie s’accompagne d’une accélération de la cadence : le procédé n’est pas nouveau. Dans les procédures d’autorisation établies telles que les évaluations environnementales, fédérales et provinciales, il est bien connu que plus le projet d’installations est important, plus l’obtention des permis prendra du temps. C’est bien malheureux, et malgré tous les efforts déployés, la fixation d’un échéancier pour la procédure réglementaire ne garantit pas que l’on puisse prédire quand le projet aboutira. En ce moment même au Canada, on compte plusieurs grands projets énergétiques qui sont en train de sérieusement dépasser – par des multiples, et non par des fractions – les délais prévus. Pensons aux grands projets hydroélectriques en Colombie-Britannique (site C) et au Labrador (Lower Churchill) : les chantiers se sont trouvés à prendre le double du temps escompté (BC Hydro, 2023). Et n’oublions pas l’adage : le temps, c’est de l’argent! Ces immenses dépassements de temps sont doublés d’un aussi immense dépassement de coût (CBC News, 2022). On comprend donc pourquoi il faut baliser les types de technologies et l’ampleur que pourront avoir les installations admissibles au processus de permis accéléré.

Aussi, il peut être judicieux de fixer une limite de temps pour chacune des étapes charnières d’un projet d’installations – chaque mois compte après tout –, par exemple : 1) le délai entre la première manifestation d’intérêt du promoteur et le dépôt de sa demande complète; 2) le délai d’examen de la demande et de prise de décision par toutes les autorités de réglementation; 3) le délai entre l’approbation et le début des travaux; 4) le temps nécessaire pour achever la totalité de la construction; 5) le délai entre la fin des travaux et la mise en route de l’installation; et 6) le délai entre l’approbation et le raccordement au réseau électrique.

Il y a de nombreuses façons de rendre ces limites de temps exécutoires. Les gouvernements peuvent les imposer aux promoteurs, oui, mais aussi les promoteurs aux gouvernements ainsi qu’aux fournisseurs et entrepreneurs externes. Par exemple, en Ontario, des échéanciers globaux sont fixés dans les modalités du régime de tarifs de rachat garantis (voir p. ex. le Programme de tarifs de rachat garantis (TRG) 2.0 de l’Ontario introduit en août 2012). Elles fixent une date pour la mise en service qui est obligatoire et contraignante en l’absence d’un accord de dérogation à l’effet contraire. Dans le même ordre d’idées, les réformes législatives dans l’État de New York prescrivent désormais une limite de temps pour la délivrance des permis de construction qui va de six mois maximum pour les projets qui se bâtiront sur des sites contaminés préapprouvés à un an pour les autres projets (Arnold et Beck, 2023).

Concrétisation des refontes proposées : qui et comment?

La Constitution et le cadre législatif du Canada définissent cinq ordres de gouvernement habilités à instaurer des lois régissant l’octroi de permis : fédéral, provincial, territorial, municipal et autochtone. Pour déterminer ce que chacun peut contribuer à la transition vers la carboneutralité, il faut distinguer les deux formes d’autorité existantes, soit les lois en vigueur, et les pouvoirs juridiques et constitutionnels de modifier ces lois ou d’en adopter de nouvelles.

L’annexe C se penche sur les cinq ordres de gouvernement pour évaluer leur compétence et leur capacité à remanier les processus d’octroi de permis aux installations d’énergie propre. Sa conclusion : les cinq ordres (fédéral, provincial, territorial, municipal et autochtone) ont théoriquement la compétence pour mettre en œuvre tous les aspects de l’accélération du processus d’approbation.

Sachant cela, deux recommandations s’imposent.

Premièrement, les administrations les plus proches de la réalité du terrain (à savoir municipales et autochtones) devraient être les principales responsables des décisions d’approbation accélérées.

Deuxièmement, le gouvernement fédéral et les provinces devraient travailler avec les autres ordres de gouvernement à établir un cadre commun pour la création de processus accélérés. Ce cadre devrait définir les technologies admissibles, les critères d’octroi de permis, la qualification des responsables locaux et les délais à respecter. L’annexe B explore la question plus en détail.

Envisager l’avenir : les refontes au travail

Dans l’optique de faciliter la compréhension, le présent document fournit deux exemples de façons dont les promoteurs et les collectivités locales pourraient contribuer à la construction d’installations d’énergie propre si les refontes proposées étaient adoptées.

Exemple 1 : Centrale solaire en milieu rural

Saul R. Plexis possède une terre agricole de 100 hectares en région rurale en Ontario et souhaite en utiliser une partie pour produire de l’électricité et augmenter ses revenus. Il sait que la Municipalité fait activement la promotion des centrales solaires; le conseil municipal espère ainsi obtenir une subvention annuelle aux services publics pour l’ensemble des abonnés, récolter des taxes municipales sur la construction et l’exploitation, et obtenir le plein abattement offert aux gouvernements locaux qui disposent d’un plan énergétique à long terme établissant des cibles annuelles de construction d’ici 2035 et 2050.

À l’aide d’un programme modèle préparé par la province, la Municipalité a versé ses données GPS existantes sur un nouveau site Web, puis rapidement sélectionné un consultant local pour combler quelques lacunes dans ces données. Les propriétaires fonciers intéressés peuvent maintenant se servir de ce site pour déterminer si leur terre pourrait accueillir une éventuelle centrale solaire de 1 à 15 mégawatts. Pour établir l’admissibilité d’un terrain, on évalue trois critères d’emplacement ainsi que la compatibilité de l’installation avec la capacité de raccordement au réseau local détaillée dans le plan énergétique à long terme.

Se servant du site Web, Saul détermine rapidement qu’une parcelle de 30 hectares de son terrain correspond aux trois critères d’octroi de permis et à la capacité de raccordement aux services publics sur cinq ans. Il inscrit donc sa terre au registre municipal, au premier échelon de la liste publique pour examen immédiat par la Municipalité. Les emplacements inscrits au premier échelon sont visités dans les 30 jours par la Ville et le fournisseur local, qui confirment le respect des critères et de la capacité, commandent un levé et font passer les demandes au deuxième échelon. Les projets au deuxième échelon sont affichés publiquement sur le site Web, et les propriétaires de terrains adjacents ou à moins de 120 mètres par accès routier en sont avisés. Le fournisseur d’énergie fait aussi parvenir au demandeur une entente de tarifs de rachat garantis, un accord de construction et un échéancier. Une fois ces documents signés, le projet d’installations passe au troisième et dernier échelon du registre municipal, qui clôt l’étape de planification. Le registre permet également de suivre l’avancement des travaux et du raccordement aux services publics. Lorsqu’une centrale entre en service, la Municipalité actualise les cibles annuelles et à long terme de son plan énergétique.

Exemple 2 : Parc éolien sur des terres de réserve

Une Première Nation vivant en région éloignée de l’Ouest canadien utilise des génératrices au diesel pour s’alimenter en électricité. Désireux de ne plus dépendre des importations coûteuses de diesel, le conseil de bande a fait le nécessaire pour pouvoir adopter ses propres lois, louer des terres et conclure des contrats en vertu de la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations, qui desserre l’étau de la Loi sur les Indiens.

Le conseil a établi que ses besoins actuels et futurs en énergie pourraient être comblés par une installation de production carboneutre de deux mégawatts. Comme la réserve contient des landes en hauteur dans le Bouclier canadien, le conseil a créé un nouveau poste pour explorer les possibilités de projets éoliens. Le personnel a ensuite sélectionné des consultants pour mesurer la force des vents et évaluer le potentiel éolien de la zone, finalement estimé à une production éventuelle de 100 mégawatts. Le conseil de bande s’est donc rendu sur le site Web de la Régie de l’énergie du Canada pour examiner ses options. Le site lui a indiqué qu’il pouvait élaborer un plan énergétique à long terme avec des cibles annuelles de construction et de raccordement.

Pour ce faire, le personnel a utilisé un programme modèle préparé par la province avec l’aide de gouvernements autochtones. Les membres formés pour utiliser les technologies GPS ont téléchargé les cartes numériques offertes pour trouver les meilleurs emplacements et les meilleures configurations de turbines en fonction des nouveaux critères pancanadiens d’octroi de permis. Ils ont relevé des lacunes dans l’information et utilisé le nouveau programme de financement de la Régie de l’énergie du Canada pour procéder aux travaux GPS nécessaires, qu’ils ont confiés à une équipe composée de membres de la bande suffisamment qualifiés dans le domaine. Le conseil a également créé un site Web informatif sur le projet et invité les membres de la Première Nation à y ajouter leur savoir local et traditionnel. Le personnel a vite établi qu’au moins trois blocs de terres de réserve répondaient aux trois critères d’octroi de permis. En vertu de son nouveau programme, la Régie l’a ensuite aidé à élaborer une loi foncière intégrant ces critères à un processus d’approbation du conseil de bande comprenant une consultation de la communauté. Une fois cette loi approuvée et les étapes initiales de la consultation effectuées, le conseil a autorisé le personnel à inscrire les trois blocs au premier échelon de la liste du registre de la Régie de l’énergie du Canada, pour examen immédiat.

Afin de régler la question du raccordement exigé par le plan énergétique à long terme, le personnel du conseil s’est rendu sur le site Web de la Régie pour obtenir des renseignements sur la proximité des lignes de transport par rapport à chaque bloc. À l’aide d’outils GPS et de cartes numériques, il a déterminé que la réserve se trouvait à plus de 100 kilomètres de la ligne de transport la plus près. En saisissant cette information sur le site de la Régie, le personnel a découvert que cette dernière permettait l’approbation de nouvelles lignes de transport en région éloignée dans deux circonstances : lorsque l’installation à raccorder ajouterait plus de 10 mégawatts d’énergie au réseau pour chaque tranche de 20 kilomètres, ou lorsqu’une nouvelle ligne permettrait de raccorder simultanément plus d’une communauté éloignée alimentée au diesel. Puisque le conseil de bande aimait les deux options, il a pris contact avec deux autres communautés éloignées afin de sonder leur intérêt à déposer une demande conjointe à la Régie de l’énergie du Canada.

La Régie se donne 30 jours pour évaluer toute demande de raccordement d’une communauté autochtone éloignée inscrite au premier échelon. Elle vérifie les critères d’octroi de permis, commande un levé et fait passer chaque bloc validé au deuxième échelon, l’affichant sur le site Web fédéral et avisant le public du projet. La Régie exige aussi du conseil de bande qu’il confirme l’envoi d’un avis à l’ensemble des résidents de la réserve.

Après tout cela, la Régie de l’énergie du Canada a travaillé avec la bande et les autres communautés retenues pour établir un plan de raccordement au réseau de transport couvrant les portions dans la réserve et hors réserve de la ligne proposée. Dans les 60 jours suivant le passage au deuxième échelon, la Régie a mis la touche finale au plan de raccordement.

Conformément à son mandat, elle a soumis le tout au conseil de bande, qui a d’abord confirmé que le personnel avait réalisé une consultation communautaire sur la question, puis adopté une seconde loi foncière pour reconnaître l’achèvement de son plan énergique à long terme et accepter l’emplacement et l’échéancier prévus dans le plan de la Régie. Cette seconde loi a approuvé le raccordement de la communauté au réseau dans les deux ans pour une première centrale de 10 mégawatts, et jeté les bases pour la construction de deux autres centrales raccordées totalisant 40 mégawatts d’ici cinq ans.

Conclusion

Le présent document définit un cadre à deux volets pour la refonte des processus d’octroi de permis du Canada, proposant notamment un processus simplifié pour accélérer l’approbation des projets d’énergie propre. Ce cadre laisse place à la contribution de tous les ordres de gouvernement – fédéral, autochtone, provincial, territorial et municipal – et de tous les citoyens, qu’ils habitent une grande ville ou une petite localité. Il s’agit d’un projet d’une ampleur sans précédent, qui requerra un travail à long terme jusqu’en 2050. Les refontes à court terme ne voient pas assez grand; le Canada a besoin d’un système financièrement viable applicable à l’échelle du pays.

Annexe A : Application des critères d’octroi de permis proposés

1. Installation de production d’électricité

Trois critères d’emplacement sont proposés :

Soutien de la collectivité locale. Le seuil à atteindre se décrit comme suit :

  • Le conseil municipal ou autochtone de la collectivité appuie le choix d’emplacement.

Préservation des éléments naturels d’importance patrimoniale. Le seuil à atteindre se décrit comme suit :

  • L’installation n’empiète pas sur les éléments naturels d’importance patrimoniale.

Compensation adéquate pour toute résidence avoisinante. Le seuil à atteindre comporte plusieurs éléments, qui se décrivent comme suit :

  • Afin de compenser adéquatement la population avoisinante, l’installation :
    • délimite clairement la zone touchée;
    • prévoit une compensation financière (réduction fiscale, tarif réduit) pour tous les propriétaires fonciers non participants dans la zone touchée;
    • s’assure qu’aucune résidence existante ne soit soumise à un niveau de bruit supérieur au niveau de bruit de fond ou à la norme reconnue.

2. Ligne de transport d’électricité

Les critères d’octroi de permis s’appliquant au transport de l’électricité devraient beaucoup ressembler aux critères généraux. Deux d’entre eux sont utiles ici :

  • Préservation des éléments naturels d’importance patrimoniale.
  • Compensation adéquate pour toute résidence avoisinante.

Le troisième critère, en lien avec l’appui du conseil local, peut aussi s’appliquer lorsque la ligne de transport est restreinte au territoire d’une seule municipalité ou d’un seul gouvernement autochtone. Toutefois, ces circonstances ne s’appliquent pas à la plupart des lignes de transport, qui traversent des frontières provinciales. Compte tenu du caractère durable de ces ouvrages, il sera important d’aller au-delà de l’autorité constitutionnelle pour éviter les décisions unilatérales et faire tous les efforts pour obtenir l’appui de toutes les collectivités locales touchées.

Dans le cas où plusieurs gouvernements sont concernés – situation probable pour une ligne de transport –, on voudra viser la coopération et le partage des retombées en fonction des répercussions; une collectivité dans laquelle passent 50 kilomètres d’une ligne de transport devrait avoir une plus grande part du gâteau qu’une collectivité dans laquelle ne passent que 2 kilomètres. De plus, les éléments favorisant l’adhésion locale mentionnés plus haut, comme la création d’emplois (construction, entretien, activités connexes) et les retombées financières (tarifs d’électricité, taxes), sont pertinents ici aussi.

Critère proposé :

  • Compensation adéquate pour toute collectivité locale touchée.

3. Installation de stockage d’électricité

Il existe maintenant des technologies adéquates pour le stockage d’électricité et leur nombre est manifestement appelé à augmenter.

Il sera important que les installations de stockage construites dans le cadre de la transition vers l’énergie propre répondent aux exigences des technologies existantes.

Ainsi, on voudra appliquer les trois mêmes critères proposés pour les installations de production d’énergie :

Soutien de la collectivité locale. Le seuil à atteindre se décrit comme suit :

  • Le conseil de la collectivité appuie le choix d’emplacement.

Préservation des éléments naturels d’importance patrimoniale. Le seuil à atteindre se décrit comme suit :

  • L’installation n’empiète pas sur les éléments naturels d’importance patrimoniale.

Compensation adéquate pour toute résidence avoisinante. Selon la technologie utilisée, il est plausible que les installations de stockage carboneutres aient un effet minime, voire nul sur les aménagements adjacents, facilitant l’application de ce troisième critère :

  • Afin d’assurer un effet positif ou du moins neutre aux résidents avoisinants, l’installation :
    • délimite clairement la zone touchée;
    • prévoit une compensation financière (réduction fiscale, tarif réduit) pour tous les propriétaires fonciers non participants dans la zone touchée;

s’assure qu’aucune résidence existante ne soit soumise à un niveau de bruit supérieur au niveau de bruit de fond ou à la norme reconnue.

Annexe B : Rôle des ordres de gouvernement dans la mise en œuvre du régime d’approbation accélérée

1.   Rôle du gouvernement fédéral

1)       Le gouvernement fédéral élabore une nouvelle loi sur les réseaux d’électricité propre à six volets :

  1. La partie 1 définit le programme fédéral du Canada pour atteindre ses cibles d’électricité carboneutre, y compris :
    • l’obligation, pour le ministère de l’Environnement et du Changement climatique de préparer et de soumettre au Parlement : a) un résumé scientifique des menaces climatiques actuelles pour les droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés; b) un résumé des engagements internationaux du pays envers la lutte climatique et des indicateurs de progrès mesurables associés à ces engagements; et c) l’avancement des cibles de production d’électricité carboneutre au pays;
    • l’obligation, pour le Bureau du directeur parlementaire du budget, de préparer un résumé des besoins de financement fédéral d’aujourd’hui à 2050;
    • les normes nationales minimales pour les ententes de tarifs de rachat garantis et les approbations de projets carboneutres et de raccordements aux lignes de transport.
  2. La partie 2 modifie la partie 4 de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie pour donner à la Régie de l’énergie du Canada la compétence exclusive sur :
    • (A)   
      • i) les lignes de transport de classe 1 qui relient une ou plusieurs provinces;
      • ii) les lignes de transport de classe 2 qui raccordent des installations carboneutres sur des territoires domaniaux aux réseaux de transport existants;
    • (B)  l’administration d’un nouveau régime fédéral d’approbation des lignes de raccordement qui :
      • i) distingue deux classes de lignes en fonction du voltage et précise pour chacune : a) les critères d’octroi de permis; b) l’information pertinente sur ces critères; et c) une façon d’en vérifier le respect aux fins de l’approbation;
      • ii) définit toutes les lignes de transport de classe 1 du nouveau régime comme des travaux d’intérêt général pour le Canada;
      • iii) autorise la mise en place de frais et de tarifs pour toutes les lignes de transport d’électricité soumises au nouveau régime.
  3. La partie 3 ajoute à la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie une partie 4.1 traitant des installations de production d’électricité carboneutre (éoliennes, solaires et autres) et comprenant notamment :
    • (A) des dispositions habilitant la Régie de l’énergie du Canada à administrer un nouveau régime fédéral d’approbation des projets carboneutres définissant deux classes d’installations selon le nombre d’hectares occupés et précisant pour chaque classe : a) les critères d’octroi de permis; b) l’information pertinente sur ces critères; et c) une façon d’en vérifier le respect aux fins de l’approbation;
    • (B) un article définissant toutes les installations soumises au régime d’approbation des projets carboneutres comme des travaux d’intérêt général pour le Canada.
  4. La partie 4 ajoute à la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie une partie 4.2 qui :
    • (A) autorise la Régie de l’énergie du Canada à reconnaître les régimes d’autres autorités traitant d’une ou plusieurs exigences des parties 4 et 4.1 de la Loi;
    • (B) autorise la Régie de l’énergie du Canada à reconnaître les plans d’autres autorités traitant de la mise en œuvre de cibles de carboneutralité;
    • (C) prévoit que la Régie de l’énergie du Canada prépare un rapport annuel sur l’efficacité des refontes apportées par ce nouveau régime pour ce qui est d’impulser les projets nécessaires à la lutte climatique d’ici i) 2035 et ii) 2050;
    • (D) habilite la Régie de l’énergie du Canada à recueillir de l’information et à intervenir en cas de retards dans la construction d’installations, notamment en raison d’une mise en œuvre inadéquate des plans quinquennaux d’autres autorités.
  5. La partie 5 modifie la Loi sur l’évaluation d’impact de façon à exempter toute installation soumise à la partie 4 ou 4.1 de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie.
  6. La partie 6 modifie la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations ou l’Accord-cadre lui-même pour autoriser les Premières Nations participantes à adopter des lois foncières sur l’emplacement et l’approbation de projets de production d’électricité carboneutre et de lignes de transport et de distribution dans les réserves pour répondre aux besoins de la communauté.

2) Le gouvernement fédéral consulte les gouvernements autochtones au sujet de tous les aspects pertinents de la nouvelle loi, particulièrement en ce qui a trait aux façons de faciliter la participation des peuples autochtones, l’approbation de projets de production d’électricité carboneutre sur des terres autochtones et le raccordement de communautés éloignées au réseau électrique.

3) Le gouvernement fédéral consulte les autorités intéressées au sujet de tous les aspects pertinents de la nouvelle loi, particulièrement en ce qui a trait aux normes nationales minimales pour les ententes de tarifs de rachat garantis et les approbations de projets carboneutres et de raccordement au réseau de transport.

2.   Gouvernements autochtones

1)    Les conseils de gouvernements autochtones élaborent une nouvelle loi foncière conformément à l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations pour instaurer un plan de carboneutralité visant à lutter contre les changements climatiques en trois volets :

  • La partie 1 approuve la construction d’installations de production d’électricité carboneutre (éoliennes, solaires et autres) et précise pour chaque type d’installations :
    • les critères d’octroi de permis;
    • l’information pertinente sur ces critères;
    • une façon d’en vérifier le respect aux fins de l’approbation.
  • La partie 2 approuve la construction de lignes de transport et de distribution dans la réserve et définit pour les deux types de lignes :
    • les critères d’octroi de permis;
    • l’information pertinente sur ces critères;
    • une façon d’en vérifier le respect aux fins de l’approbation.
  • La partie 3 prévoit que le personnel prépare et soumette au conseil un résumé annuel du progrès en vertu de la loi foncière par rapport aux cibles de construction d’installations autochtones carboneutres dans la réserve.

3.   Rôle des gouvernements provinciaux

1)       Les provinces élaborent une nouvelle loi provinciale sur les réseaux d’électricité propre à cinq volets :

  • La partie 1 habilite l’autorité provinciale ou le fournisseur d’électricité à : a) administrer une entente de tarifs de rachat garantis pour l’ensemble des nouvelles installations éoliennes et solaires dans la province; et b) préparer un résumé des besoins et des options de financement du gouvernement provincial ou du fournisseur, d’aujourd’hui à 2050.
  • La partie 2 prévoit que le ministère approprié administre un nouveau régime provincial d’approbation des projets carboneutres définissant deux classes d’installations selon le nombre d’hectares occupés et précisant pour chaque classe : i) les critères d’octroi de permis; ii) l’information pertinente sur ces critères; et iii) une façon d’en vérifier le respect aux fins de l’approbation.
  • La partie 3 modifie la Loi sur les municipalités ou son équivalent pour habiliter les gouvernements municipaux à approuver à l’échelle locale les installations carboneutres.
  • La partie 4 modifie les lois provinciales prévoyant des subventions à l’électricité ou des tarifs de rachat pour créer un nouveau programme favorisant la construction d’installations de production ou de transport d’électricité carboneutre raccordées au réseau existant.
  • La partie 5 prévoit que le ministère approprié prépare et soumette à l’Assemblée législative un résumé détaillé de l’avancement des provinces dans l’atteinte des cibles de production d’électricité carboneutre.

2)       Le gouvernement consulte les gouvernements autochtones et municipaux au sujet de tous les aspects pertinents de la nouvelle loi, particulièrement en ce qui a trait à la répartition des retombées entre les propriétaires fonciers touchés.

4.   Rôle des gouvernements municipaux

  • Les conseils municipaux élaborent un nouveau règlement pour instaurer un plan de carboneutralité visant à lutter contre les changements climatiques en deux volets :
    • La partie 1 approuve la construction d’installations de production d’électricité carboneutre (éoliennes, solaires et autres) et précise pour chaque type d’installations :
      • les critères d’octroi de permis;
      • l’information pertinente sur ces critères;
      • une façon d’en vérifier le respect aux fins de l’approbation. La partie 2 prévoit que le personnel prépare et soumette au conseil un résumé annuel du progrès en vertu des règlements municipaux par rapport aux cibles de construction d’installations carboneutres de la municipalité.

Annexe C : Compétence d’octroi de permis accéléré au Canada

La Constitution fédérale du Canada divise la compétence de législation entre l’État fédéral et les États provinciaux (Loi constitutionnelle de 1867). Elle régit l’ensemble des lois adoptées par le Parlement et les assemblées législatives provinciales, à l’exception des accords de revendication territoriale, qui ont une structure constitutionnelle plus complexe faisant intervenir le Parlement et les peuples autochtones.

La Constitution régit aussi les lois et règlements de toutes les institutions locales, comme les administrations territoriales et municipales et les conseils de bande élus.

Ce cadre sert de point de départ pour étudier les pouvoirs législatifs qui ont le potentiel d’accélérer l’octroi de permis. La présente annexe s’attarde à la compétence constitutionnelle des différents ordres de gouvernement par rapport à la modification et à l’adoption de lois, plus particulièrement aux pouvoirs constitutionnels existants sous-estimés ou sous-utilisés qui pourraient faciliter la transition vers la carboneutralité.

Elle se penche également sur la possibilité d’utiliser la législation existante pour procéder aux refontes commandées par l’objectif de carboneutralité. Tous les ordres de gouvernement – fédéral, provincial, territorial, municipal et autochtone – ont déjà des lois ou règlements qui leur confèrent une certaine influence sur la construction d’installations d’énergie propre. Par exemple, à l’échelle nationale, la Loi sur l’évaluation d’impact de 2019 permet au gouvernement d’approuver la construction de telles installations sur des territoires domaniaux (Loi sur l’évaluation d’impact, par. 82 et 88), ainsi que la construction de grands parcs éoliens sur les terres extracôtières canadiennes (Règlement sur les activités concrètes [DORS/2019-285] et par. 44 et 45 de l’annexe).

Les lois existantes habilitent souvent les ministres et leur cabinet à adopter des règlements facilitant l’atteinte de la carboneutralité. On note d’ailleurs plusieurs exemples de lois et règlements provinciaux facilitant la localisation et la construction d’installations de production, de transport, de distribution et de stockage d’électricité propre.

Néanmoins, la législation n’établit pas la portée des pouvoirs juridiques qui permettraient de procéder aux refontes essentielles à la carboneutralité. C’est pourquoi il est aussi important de considérer le cadre constitutionnel du Canada.

La présente annexe tranche la question en concluant que tous les ordres de gouvernement pourraient théoriquement remanier l’ensemble des aspects importants pour l’accélération des projets d’installations d’énergie propre.

1. Compétence fédérale et pouvoirs sous-utilisés et sous-estimés

Le Parlement dispose de plusieurs leviers constitutionnels pertinents pour accélérer l’approbation des installations d’énergie propre, notamment un contrôle sur : 1) les territoires domaniaux; 2) les dépenses fédérales; 3) les entreprises et travaux interprovinciaux; 4) les travaux d’intérêt général pour le Canada; 5) les « terres réservées aux Indiens »; 6) la paix, l’ordre et le bon gouvernement; 7) le trafic et le commerce; 8) les pêcheries; et 9) les répercussions interprovinciales ou internationales.

Ces pouvoirs constitutionnels se rapportent à différents aspects de la question de l’énergie propre. Par exemple, le pouvoir de gouverner les territoires domaniaux est particulièrement intéressant pour la désignation d’éventuels sites de production d’électricité; celui de réguler les entreprises et travaux interprovinciaux, pour le développement des installations de transport interprovincial; et celui de déclarer des travaux d’intérêt général pour le Canada, pour le raccordement de collectivités éloignées au réseau électrique.

i) Pouvoir fédéral d’approuver et de réglementer les projets sur des territoires domaniaux

Le Parlement est la seule autorité habilitée à voter des lois sur l’utilisation des terres publiques fédérales, soit les ports, les aéroports, les parcs nationaux, les réserves autochtones, les terres dans le Nord du Canada (hors des provinces) et les terres des plateaux continentaux canadiens dans les trois océans (Arctique, Atlantique et Pacifique).

Les terres publiques fédérales sont soumises à au moins deux lois d’application générale qui interagissent avec les processus d’octroi de permis aux installations d’énergie propre. Notamment, la Loi sur les espèces en péril s’applique à toute installation sur des territoires domaniaux susceptible d’avoir des répercussions sur une espèce en voie de disparition, la résidence de ses individus ou son habitat essentiel (Loi sur les espèces en péril, par. 73). La Loi peut aussi s’appliquer à d’autres terres, par exemple au moyen d’accords et de permis régis par d’autres lois fédérales (par. 74 à 77) et de révisions de projets (par. 79). Pour sa part, la Loi sur l’évaluation d’impact s’applique à l’ensemble des projets proposés sur des territoires domaniaux (Loi sur l’évaluation d’impact, par. 81 à 91), mais prévoit des exemptions pour les activités physiques comme les projets dans des réserves autochtones ou sur des terres visées par des revendications territoriales.

Ce pouvoir de réglementation des biens fédéraux offre ainsi une multitude d’options pour la construction des installations d’énergie propre, par exemple les terres extracôtières, les territoires domaniaux assignés aux peuples autochtones, les aéroports et les bases de défense.

ii) Pouvoir fédéral de dépenser et d’offrir des allégements fiscaux pour accélérer l’approbation et la mise en service d’installations d’énergie propre

Le pouvoir fédéral de dépenser n’a aucune limite juridique. Cependant, il est soumis à des limites politiques lorsque le gouvernement fédéral souhaite investir dans des enjeux touchant des compétences provinciales comme la santé et l’éducation.

Le gouvernement fédéral dispose néanmoins de plusieurs options et incitatifs pour orienter les décisions à l’échelle locale, comme des avantages financiers et reliés à l’emploi. Les avantages en matière d’emploi peuvent prendre la forme d’incitatifs à la formation et à l’embauche, et les avantages financiers, d’incitations fiscales, de subventions de raccordement et de réductions de tarifs d’électricité (là où la compétence fédérale prime). Le pouvoir de dépenser peut aussi faciliter le financement des lignes de distribution essentielles dans les collectivités éloignées.

iii) Pouvoir fédéral de réguler les entreprises et travaux interprovinciaux et de déclarer des travaux d’intérêt général pour le Canada

Le Canada encadre les entreprises et travaux interprovinciaux dans le secteur de l’énergie au moyen de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie et de la Loi sur l’évaluation d’impact.

Ce pouvoir constitutionnel est sous-utilisé dans la législation actuelle. Notamment, la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie préconise une approche fort différente et beaucoup plus large pour réglementer les oléoducs et gazoducs que les lignes de transport d’électricité. En effet, la réglementation fédérale des pipelines interprovinciaux est vaste et exclusive et s’accompagne de tarifs, tandis que celle des lignes de transport interprovinciales est étroite, sujette aux règlements provinciaux et exempte de tarifs. Toutefois, rien ne justifie cet écart sur le plan constitutionnel.

L’atteinte de la carboneutralité requerra probablement la mise en place de nouvelles lignes de transport interprovincial de l’électricité. Ainsi, la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie pourrait être modifiée de façon à instaurer un régime fédéral semblable à celui établi depuis longtemps pour les pipelines (c’est-à-dire un régime qui facilite la construction et le financement de nouvelles lignes de transport interprovincial).

De plus, bien qu’elle jongle avec différents marchés de l’énergie, la Régie de l’énergie du Canada exerce depuis des décennies une expertise en réglementation nationale de l’approvisionnement pétrogazier à long terme au pays, démontrant qu’une autorité de réglementation canadienne peut jouer un rôle important dans l’accélération et la viabilité des nouveaux projets d’énergie nationaux. Par conséquent, la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie constitue une source de législation potentielle pour tous les aspects fédéraux des refontes des processus d’octroi de permis, y compris pour la normalisation nationale des installations de production, de transport, de distribution et de stockage.

Le gouvernement fédéral dispose également d’un autre pouvoir constitutionnel depuis la création de la Confédération : celui de déclarer un ouvrage ou un type d’ouvrages local ou provincial comme étant d’intérêt général pour le Canada (Loi constitutionnelle de 1867). Aujourd’hui, ce pouvoir s’applique à des constructions comme des silos et des silos-élévateurs, en vertu de la Loi sur les grains du Canada, et aux installations utilisant de l’énergie nucléaire, en vertu de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires.

Il permet de désigner un ou plusieurs ouvrages « locaux » comme étant « fédéraux », désignation qui a deux conséquences majeures. D’abord, les travaux visés perdent leur statut juridique de travaux locaux : la législation principalement locale est abandonnée au profit des lois applicables aux projets fédéraux. Ensuite, en raison de ce nouveau statut juridique, les travaux soumis à la réglementation fédérale peuvent s’en remettre à la suprématie fédérale en cas de conflit avec des lois provinciales ou locales.

On notera ici que l’alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle s’applique, mais ne prévoit aucune exemption générale des règlements locaux, même pour les règlements qui nuiraient aux travaux; la majorité de la Cour suprême du Canada n’a jamais approuvé la théorie de l’« enclave » fédérale selon laquelle les territoires et travaux fédéraux sont exempts de tout contrôle local (R. c. Francis, 1988).

Bien qu’il soit parfois controversé, ce pouvoir de déclaration pourrait être utile dans le dossier de l’énergie propre, car il permettrait au gouvernement fédéral d’assurer la construction rapide des installations cruciales (production, transport, distribution ou stockage d’énergie), par exemple une ligne de transport pour raccorder de petites installations de production d’électricité propre en région éloignée au réseau électrique existant.

Le recours à ce pouvoir de déclaration pourrait être facilité en ajoutant une ou des dispositions à la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie.

iv) Pouvoir fédéral de réglementer le trafic et le commerce interprovinciaux et internationaux

Le gouvernement fédéral a le pouvoir de réglementer le trafic et le commerce nationaux et internationaux. Bien que ce pouvoir soit soumis à certaines limites de longue date, il pourrait tout de même s’avérer utile pour définir des normes nationales sur les technologies appropriées et les critères d’octroi de permis pour les installations d’énergie propre.

La Loi sur la Régie canadienne de l’énergie constitue une source de législation potentielle pour tous les aspects fédéraux des refontes de l’octroi de permis, y compris pour la normalisation nationale des différentes installations requises (production, transport, distribution et stockage).

Soulignons d’ailleurs la persistance de normes pancanadiennes établies en collaboration avec les provinces; une approche coopérative serait à la fois possible et préférable pour rapprocher le Canada de ses cibles de carboneutralité.

v) Pouvoir fédéral de réglementer les terres des réserves autochtones

La Constitution accorde aux gouvernements autochtones des pouvoirs législatifs uniques en vertu des accords de revendications territoriales ainsi que l’autorité d’adopter des lois respectant les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 sur « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ».

Ce point est abordé plus en détail dans la section 2 de la présente annexe (Compétence autochtone).

vi) Pouvoir fédéral de légiférer sur la paix, l’ordre et le bon gouvernement

Le pouvoir du gouvernement fédéral de légiférer sur la paix, l’ordre et le bon gouvernement au Canada est en fait un groupement de pouvoirs visant l’état d’urgence, les questions d’intérêt national et les questions résiduelles ne relevant pas de la compétence d’un ordre de gouvernement supérieur en particulier. Différents tests s’appliquent selon le type de pouvoirs.

Le plus récent exemple de législation fédérale au nom de l’intérêt national concerne la tarification fédérale des émissions de gaz à effet de serre. En 2021, la Cour suprême du Canada a confirmé la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre en vertu de ce pouvoir (Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11). Pour être ainsi considérée, une question doit : 1) présenter pour le Canada tout entier un intérêt suffisant qui justifie sa prise en considération comme matière d’intérêt national; 2) être unique, particulière et indivisible; et 3) avoir un effet sur la compétence provinciale qui est compatible avec le partage des compétences.

Le test actuel pour vérifier l’applicabilité de ce pouvoir comporte trois volets. Premièrement, le gouvernement doit établir que la question est d’importance suffisante à l’échelle du pays pour être déclarée d’intérêt national. Deuxièmement, il doit confirmer qu’il s’agit d’un enjeu unique, particulier et indivisible. Troisièmement, il doit établir la compatibilité des répercussions sur la compétence provinciale avec la division des pouvoirs. Dans l’ensemble, cette démarche permet d’isoler les dossiers dont la nature transcende les frontières provinciales.

Compte tenu de l’ampleur de la controverse juridique causée par le recours à ce pouvoir dans le cadre de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, on ne saurait pour l’instant recommander de l’employer pour résoudre la question de l’électricité carboneutre.

vii) Pouvoir fédéral de réglementer les pêcheries, les poissons et les habitats des poissons

Le pouvoir du gouvernement fédéral sur les pêcheries est vaste et s’étend à la préservation des populations et des habitats des poissons et, depuis peu, à la protection des espèces aquatiques en voie de disparition dans les eaux internes et marines du Canada. Comme cela peut mener à l’interdiction ou au retardement de la construction d’installations d’énergie propre, il serait avisé de choisir des emplacements ne risquant pas d’entrer en conflit avec des pêcheries.

viii) Pouvoir fédéral de réglementer les répercussions interprovinciales et internationales

Le pouvoir fédéral de réglementer les répercussions interprovinciales et internationales n’est pas explicité dans la Loi constitutionnelle de 1867, mais peut être inféré de plusieurs affaires, notamment l’affaire de 1976 Interprovincial Co-operatives Ltd. et al. c. La Reine, [1976] 1 RCS 477, dans laquelle la Cour suprême du Canada a tranché en majorité que la réglementation des répercussions interprovinciales examinées – les effets de la pollution de l’eau – relevait exclusivement de la compétence fédérale en vertu des dispositions de la Constitution sur les dossiers ne relevant ni de l’autorité fédérale ni de l’autorité provinciale. Ce pouvoir fédéral peut aussi servir à encadrer des dossiers internationaux, par exemple la protection des oiseaux migrateurs. La Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs du Canada, plutôt vaste, interdit de causer du tort aux oiseaux migrateurs et à leurs nids. Toutefois, elle ne réglemente pas les habitats de ces oiseaux.

Les deux aspects de ce pouvoir fédéral sont pertinents dans la construction d’installations d’énergie propre; il vaudra mieux éviter les emplacements à proximité de frontières interprovinciales ou internationales, et choisir des endroits où les effets sur les oiseaux migrateurs et leurs nids seraient nuls ou minimaux.

2. Compétence autochtone

Une bonne partie des centaines de gouvernements autochtones du Canada œuvrent déjà à produire de l’électricité carboneutre sur ses terres. Et compte tenu de l’ampleur de la tâche pour atteindre la carboneutralité au pays, nous aurions tout intérêt à soutenir les Premières Nations prêtes à accueillir des installations d’énergie propre.

En raison des contraintes imposées par le fédéralisme canadien, l’applicabilité des lois provinciales et municipales dans les réserves est limitée; ce sont les lois fédérales qui prévalent sur la plupart des terres autochtones (Surrey [City] c. Peace Arch Enterprises Ltd. [1970], 74 W.W.R. [ns] 380 [C.A.C.-B.]).

Aujourd’hui, il existe plusieurs catégories de terres sous gouverne autochtone. Il y a d’abord les terres visées par des accords de revendications territoriales modernes ratifiés par la législation fédérale; la loi prévoit que les gouvernements autochtones concernés jouent un rôle de premier plan, voire décisif dans une grande partie des projets d’installations sur leurs terres. Ainsi, les gouvernements autochtones disposant d’accords de revendications sont de bons candidats pour accélérer l’octroi de permis. Néanmoins, leurs terres sont parfois très éloignées et donc isolées, du moins jusqu’à la construction de lignes de raccordement.

La loi fédérale définit deux sources d’autorité législative permettant aux gouvernements autochtones du Canada de voter des lois sur leur réserve. En vertu de la Loi sur les Indiens, les conseils de bande n’ont qu’une autorité restreinte sur la gouvernance des réserves et ne sont pas habilités à louer leurs terres ni à en réglementer la location. Dans la circonstance, sans refonte de cette loi, il semble peu probable que cette source d’autorité soit utile dans l’approbation de nouvelles installations d’énergie propre dans les réserves, quoiqu’il demeurerait possible d’y ajouter des règlements pour faciliter certains aspects.

Le régime fédéral le plus adapté pour accélérer l’octroi de permis est celui établi par la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations (L.C. 2022, ch. 19, par. 121). Cette dernière s’applique à tout gouvernement autochtone dans une réserve du Canada qui convient avec le gouvernement fédéral d’adhérer aux modalités qu’elle contient. Elle est actuellement utilisée par des dizaines de Premières Nations à proximité de réseaux électriques existants. En outre, elle donne aux gouvernements autochtones l’autonomie nécessaire pour adopter des lois, prendre des décisions et approuver des installations d’énergie propre sur leurs terres. Ces pouvoirs législatifs sont fondamentalement opposés à la Loi sur les Indiens, qui veut que les conseils de bande fassent approuver chaque location par le gouvernement fédéral.

Comme l’indique l’encadré 2 ci-dessous, une version précédente de la Loi sur l’Accord-cadre avait autorisé la Première Nation de Henvey Inlet à créer sa propre législation pour administrer le plus grand parc éolien en Ontario – un parc de 300 mégawatts dans la réserve de la Nation, sur les rives de la baie Georgienne au nord de Parry Sound.

Cette autorité conférée en vertu de la Loi sur l’Accord-cadre pourrait être utile dans les refontes des processus d’octroi de permis dans les réserves du Canada. Ainsi, on voudra sans tarder mettre au travail les gouvernements autochtones qui disposent d’une certaine autonomie législative et contractuelle. Cela dit, il y aurait lieu de modifier la nouvelle Loi sur l’évaluation d’impact du gouvernement fédéral pour en exempter les petites installations de production d’énergie déjà couvertes par des lois autochtones établies en vertu de la Loi sur l’Accord-cadre.

Encadré 2 : Parc éolien de la Première Nation de Henvey Inlet
Grâce aux modifications à la Loi sur l’énergie verte de l’Ontario décrites plus haut, la Première Nation de Henvey Inlet a obtenu une entente de tarifs de rachat garantis pour établir le plus grand parc éolien de la province dans une réserve éloignée dont le raccordement au réseau électrique provincial a demandé un travail important. Au départ, le conseil de Première Nation espérait exécuter le projet au moyen d’une location régie par la Loi sur les Indiens; toutefois, cette approche s’étant avérée lente, le conseil a plutôt opté – comme des dizaines d’autres Premières Nations au pays – pour la signature de l’Accord-cadre engageant l’application de la Loi sur la gestion des terres des premières nations (L.C. 1999, ch. 24). Conformément au processus défini dans cette loi, le conseil a alors obtenu les pouvoirs législatifs d’évaluation, de protection et de gestion de l’environnement sur sa réserve.  

Fort de cette nouvelle autorité, il a ensuite adopté plusieurs lois pour couvrir ses besoins en la matière, dont :
– une loi foncière sur les évaluations environnementales et l’octroi de permis;
– une loi foncière sur la protection de l’environnement;
– une loi foncière sur les autorisations environnementales.  

Quant à l’emplacement choisi, il a dû être approuvé par le gouvernement fédéral en raison de la Loi sur les espèces en péril, qui s’applique à l’ensemble des territoires domaniaux, y compris les réserves.  

Au-delà de l’emplacement lui-même, d’autres approbations ont été nécessaires pour le raccordement au réseau électrique de l’Ontario. Les 104 kilomètres du raccordement traversent notamment les réserves des Premières Nations de Magnetawan et Shawinaga, qui ont utilisé la Loi sur la gestion des terres des premières nations de 1999 pour adopter des lois encadrant la ligne de transport. Le projet a finalement été construit et mis en service en 2019.

Ces nouveaux régimes fédéraux confèrent aux gouvernements autochtones un rôle directeur dans la plupart – voire l’ensemble – des projets d’installations sur leurs terres.

Bien que le présent document vise les installations de plus petite envergure non comparables au projet de taille mené par la Première Nation de Henvey Inlet, on conviendra que, si on a pu construire 90 turbines majeures et une ligne de transport de 104 kilomètres, il devrait être aisé pour les petites installations d’électricité propre d’avoir recours à la Loi sur l’Accord-cadre.

3. Compétence provinciale

La Constitution confère aux gouvernements provinciaux au moins cinq pouvoirs pertinents à l’octroi de permis pour des installations d’énergie propre, notamment un contrôle sur : 1) les terres et les propriétés publiques; 2) les travaux et entreprises d’une nature locale; 3) la propriété et les droits civils; 4) les institutions municipales; et 5) les dossiers d’une nature locale ou privée.

i) Pouvoir provincial d’établir un processus d’approbation accéléré pour les installations d’énergie propre sur des terres et des propriétés publiques

Les provinces ont un grand contrôle sur les terres de leur territoire, y compris les terres publiques, municipales et privées.

De plus, la Constitution présume que l’ensemble des travaux et entreprises dans une province sont de ressort local, à moins qu’ils se trouvent sur des territoires domaniaux (définis plus haut) ou impliquent une autre province ou un autre pays (Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, [2009] CSC 53).

Par conséquent, chaque province dispose d’une vaste autorité réglementaire pour accélérer l’octroi de permis aux installations d’énergie propre locales, sur les terres tant publiques que privées (mais pas sur les terres domaniales).

Terres et propriété publiques

Les provinces ont un grand contrôle sur leur propriété, y compris sur leurs moyens financiers; elles sont libres de dépenser les fonds accumulés grâce à l’impôt et aux transferts fédéraux.

Comme indiqué plus haut, la refonte de 2009 de la Loi sur l’énergie verte et le Programme de tarifs de rachat garantis de l’Ontario sont des exemples importants de façons dont les dépenses provinciales peuvent favoriser les projets d’énergie.

ii) Pouvoir provincial de financer les installations d’énergie propre

Les provinces ont un grand contrôle sur la législation de la propriété et des droits civils; chacune peut définir ses propres modalités pour le partage et la vente de biens ainsi que pour l’administration de contrats. Dans ce contexte, la propriété comprend aussi les moyens financiers. Les provinces sont libres de dépenser les fonds accumulés grâce à l’impôt et aux transferts fédéraux.

iii) Pouvoir provincial de réglementer la propriété et les droits civils

Les provinces ont un grand contrôle sur la législation de la propriété et des droits civils; chacune peut définir ses propres modalités pour le partage et la vente de biens ainsi que pour l’administration de contrats.

Ce pouvoir permet d’établir les contrats et les droits de propriété nécessaires pour construire des installations carboneutres, par exemple un programme de tarifs de rachat garantis semblable à celui instauré en Ontario en vertu de la Loi sur l’énergie verte.

iv) Pouvoir provincial sur les municipalités

Les provinces ont une autorité constitutionnelle sur les institutions et les gouvernements municipaux. De plus, chaque province a un grand contrôle constitutionnel sur les travaux, la propriété et les droits civils à l’échelle locale. Ces pouvoirs généraux permettent d’établir les modalités globales du droit municipal pour l’encadrement d’installations en tout genre. Depuis un certain temps, les provinces délèguent ces pouvoirs législatifs aux municipalités, au moyen de lois autorisant les conseils municipaux à adopter des règlements locaux.

Les pouvoirs municipaux sont explorés plus en détail à la section 4 ci-dessous.

v) Pouvoir provincial sur les dossiers d’une nature locale ou privée

Ce pouvoir provincial s’accorde avec plusieurs autres pouvoirs provinciaux (p. ex. la réglementation des entreprises et travaux locaux). Il permet aux provinces de gérer des dossiers locaux au-delà des travaux et entreprises.

4. Compétence municipale

Les provinces délèguent des pouvoirs législatifs aux municipalités, les autorisant à adopter des règlements municipaux. Par exemple, en Ontario, les municipalités sont habilitées à voter un large éventail de règlements par une multitude de lois, principalement la Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, chap. 25, et la Loi sur l’aménagement du territoire. La modernisation en plusieurs étapes de la Loi sur les municipalités entreprise par l’Ontario de 2001 à 2006 a eu pour effet de conférer aux conseils municipaux un grand contrôle sur leurs règlements grâce aux « domaines de compétence » généraux et à des dispositions précises (Loi sur les municipalités, par. 10 et 11). La Loi sur l’aménagement du territoire est une loi spécialisée régissant les modifications proposées à l’utilisation du territoire, y compris les pouvoirs étendus des municipalités d’adopter des règlements de zonage pour restreindre ou permettre différentes utilisations des propriétés (Loi sur l’aménagement du territoire, L.R.O. 1990, chap. P.13, par. 34).

Depuis 2001, la portée des pouvoirs municipaux en matière de réglementation des approbations d’installations est balisée par la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 RCS 241, qui a modernisé la révision judiciaire des règlements municipaux. Cette décision visait un règlement adopté en vertu d’autres lois municipales pour restreindre l’utilisation de pesticides dans une installation locale. La Cour a établi qu’un règlement municipal pouvait être valide et avoir force de loi même en présence de lois ou d’approbations provinciales ou fédérales, dans la mesure où le règlement municipal n’entrait pas en conflit avec les autres lois. Son interprétation de la définition d’un conflit est assez étroite, conformément aux principes modernes du fédéralisme qui gouvernent les conflits entre les provinces et le fédéral, définis en 1982 dans l’affaire Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 RCS 161. Par conséquent, elle considère qu’il y a conflit lorsqu’il est impossible de se conformer simultanément à toutes les lois existantes; une loi plus restrictive ne crée aucun conflit, car le fait de s’y conformer assurera automatiquement le respect de la loi plus permissive. On considérera aussi qu’il y a conflit lorsqu’une loi contrevient à l’objectif d’une autre loi, mais les paramètres définis par les cours compliquent la confirmation d’un tel conflit.

i) Pouvoir de zonage municipal concernant l’emplacement et l’approbation des installations d’énergie propre

Il existe deux options pour accélérer les processus d’octroi de permis à l’échelle municipale. Premièrement, dans les provinces comme l’Ontario – où les municipalités ont beaucoup de latitude tant que leurs règlements demeurent dans les domaines de compétence municipale –, les municipalités ont généralement des pouvoirs suffisants pour mettre en place des processus accélérés par elles-mêmes, ou en suivant des lignes directrices provinciales (ou nationales) sur les critères d’octroi de permis pour les nouvelles installations d’énergie propre.

Deuxièmement, dans les provinces où les municipalités ont des pouvoirs législatifs traditionnels plus restreints, les gouvernements municipaux peuvent favoriser l’octroi rapide de permis dans leurs règlements de zonage ou d’autres dispositions sur l’utilisation du territoire. De nos jours, la grande majorité du territoire d’une municipalité est soumis à des règlements de zonage; l’approche générale vise à interdire toute utilisation non expressément permise. Néanmoins, plusieurs options s’offrent aux municipalités pour permettre la construction d’installations d’énergie propre. Par exemple, les règlements de zonage pourraient permettre explicitement ces installations dans des zones précises et définir une distance minimale à respecter avec les éléments naturels d’importance patrimoniale et les limites de propriétés résidentielles.

À l’opposé des provinces qui donnent une grande liberté aux municipalités, d’autres conservent l’autorité suprême sur certaines classes d’installations soumises au zonage municipal. Cependant, la refonte récente de la Loi sur l’énergie verte de l’Ontario illustre deux des nombreux problèmes pouvant survenir lorsqu’une province tente d’utiliser une telle autorité pour restreindre le pouvoir municipal en matière de zonage. Notamment, lorsque le gouvernement de l’Ontario a modifié la loi provinciale pour exempter les installations d’énergie verte des règlements municipaux – y compris des règlements zonage –, les collectivités rurales se sont indignées, et de nombreux conseils municipaux se sont opposés au changement. Nombre de conseils municipaux ont fait des pieds et des mains pour contourner les restrictions, et de multiples règlements ont dû être contestés en cour (Suncor Energy Products c. Town of Plympton-Wyoming, 2014 ONSC 2934).

Le deuxième problème de la refonte ontarienne provenait de ses angles morts. Bien qu’elle ait couvert la grande majorité des répercussions à surveiller, elle excluait les répercussions sur les espèces en voie de disparition, de sorte que le dossier devait être traité séparément du reste de l’approbation. Le processus d’autorisation de projet renouvelable (APER) comportait plus d’une douzaine de rapports, mais aucun ne demandait d’éviter les habitats des espèces en voie de disparition ni simplement d’en tenir compte. Or, l’Ontario a aussi créé un test réglementaire permettant de faire appel à une approbation si l’on pouvait établir que le projet causerait « des dommages graves et irréversibles à des végétaux, à des animaux ou à l’environnement naturel » (Loi sur la protection de l’environnement, par. 142.1[3]). Un opposant a soulevé l’incohérence entre les éléments surveillés et ce test pour faire annuler une approbation qui n’avait pas tenu compte des espèces en voie de disparition (Prince Edward County Field Naturalists c. Ostrander Point GP Inc., 2015 ONCA 269).

Cette approche, globalement positive mais imparfaite, a fait en sorte qu’une dizaine d’années plus tard, un nouveau gouvernement ontarien avait abrogé les fondements de la Loi sur l’énergie verte et rendu le pouvoir aux municipalités.

L’expérience de l’Ontario nous montre que, si l’on veut favoriser l’adhésion locale au lieu de l’opposition, il est préférable d’examiner toutes les formes raisonnables de refonte susceptibles de bénéficier à long terme aux collectivités qui accueillent les installations d’énergie propre. Le veto provincial sur les décisions locales ne devrait donc être utilisé qu’en situation d’exception et non par défaut.

ii) Pouvoir municipal de réglementer les effets locaux

Il existe une foule de raisons pour les municipalités d’appuyer les installations d’énergie propre respectant les critères proposés dans le présent document. Les municipalités pourraient normaliser leur approche au moyen de règlements municipaux définissant les conditions (financières et autres) minimales pour assurer l’adhésion des propriétaires avoisinants à la vision municipale du bien collectif. Cela dit, elles pourraient aussi souhaiter s’assurer que l’ensemble des installations d’énergie propre sur leur territoire respectent les éléments d’importance municipale. Le présent document suggère à cette fin qu’elles élargissent leur définition d’un élément naturel protégé. Toutefois, comme mentionné plus haut dans cette section, il est crucial que tout règlement municipal s’écartant des critères nationaux ou provinciaux largement appliqués ne contrevienne pas à l’objectif d’un processus d’octroi de permis accéléré en restreignant de façon majeure l’emplacement d’éventuelles installations d’énergie propre.

Références

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Simplifier l’approbation des projets de croissance propre grâce aux évaluations stratégiques

Introduction

Le Canada a besoin d’une meilleure stratégie pour bâtir des projets d’électricité propre, de décarbonisation industrielle et de minéraux critiques à la vitesse et de l’envergure nécessaires pour réussir la transition vers la carboneutralité. Les secteurs privé et public cherchent des moyens de simplifier la réglementation nationale (Chalmers, 2023; Thurton, 2022; Crawley, 2023), et les évaluations stratégiques représentent un outil important, quoique négligé, que le fédéral pourrait et devrait utiliser davantage.

On a très clairement fait la preuve que les changements aux processus d’examen réglementaire doivent être faits avec prudence. Ainsi, la Loi sur l’évaluation d’impact de 2019 du fédéral supplantait le régime réglementaire canadien, avec l’idée de se montrer plus global et plus aligné sur les intérêts du public; son principal instrument était l’évaluation d’impact à l’échelle des projets (Wright, 2021). Chaque évaluation pouvait donc porter sur un projet présentant des risques significatifs pour la durabilité et avait le pouvoir d’y mettre un terme si nécessaire.

Cependant, en octobre 2023, la Cour suprême du Canada a jugé que de nombreux aspects de la Loi étaient inconstitutionnels, arguant que le processus d’évaluation d’impact permettait actuellement au gouvernement fédéral d’examiner et d’arrêter des projets pour des raisons qui sortent de sa compétence (Cour suprême du Canada, 2023). Tant que la constitutionnalité de la Loi n’est pas rétablie, les projets feront face à de grandes incertitudes pendant les examens réglementaires.

C’est ici que pourraient entrer en jeu les évaluations stratégiques. Elles permettraient aux autorités de réglementation d’intégrer au processus d’évaluation d’impact une analyse de nature stratégique, c’est-à-dire qu’on prendrait pour objet d’évaluation les politiques et les questions systémiques plutôt que les projets eux-mêmes. En ajoutant cette dimension, les autorités de réglementation peuvent accélérer et renforcer le système réglementaire canadien, majoritairement orienté sur les projets. En outre, bien que la Loi sur l’évaluation d’impact définisse le concept d’évaluation stratégique, cette section de la Loi n’est pas touchée par la décision d’octobre 2023 de la Cour suprême. Le Canada n’a pas encore réalisé d’évaluation stratégique au titre de la Loi, mais des variantes de l’exercice ont été utilisées par les provinces et territoires et par le Cabinet fédéral (Gibson et coll., 2020; Noble, 2008; Noble, 2021). L’évaluation stratégique des changements climatiques (ÉSCC) du gouvernement fédéral a aussi été réalisée en suivant de près le processus prescrit par la Loi (gouvernement du Canada, 2020).

Tout particulièrement, les évaluations stratégiques sont une façon pour les autorités de réglementation d’évaluer en une fois les conséquences de multiples projets. Elles sont un moyen d’examiner les grandes politiques et les questions systémiques pouvant entraîner des effets à l’échelle des projets et de formuler des recommandations à leur égard. Par exemple, une autorité de réglementation pourrait utiliser une évaluation stratégique pour examiner la Stratégie canadienne sur les minéraux critiques et constater sa possible incidence sur les cours d’eau et sur la gouvernance autochtone. Dans le cadre du processus de l’évaluation stratégique, l’instance réglementaire pourrait alors recommander des approches générales pour mesurer la pollution produite par une mine et évaluer la redistribution des profits de cette dernière dans la communauté. Ces approches pourraient ensuite être utilisées pour l’élaboration de politiques et aussi lors d’évaluations futures, ce qui éliminerait la nécessité d’en concevoir de nouvelles.

Il est peu probable que les évaluations stratégiques causent de problèmes constitutionnels de la même façon que l’ont fait les évaluations d’impact. Constituant un moyen de conseiller le gouvernement fédéral au sujet de ses stratégies, les évaluations stratégiques menées au titre de la Loi sur l’évaluation d’impact représentent en fait une étape de moins à l’approbation de projets et relèvent plus directement de la compétence fédérale. Le corollaire de cette logique est cependant que leur influence sur les projets dépend entièrement de la façon dont le fédéral choisit de suivre les recommandations.

En dépit – ou peut-être en raison – de l’incertitude actuelle qui entoure les examens réglementaires, il vaut la peine de vérifier si ces évaluations stratégiques pourraient être utilisées pour simplifier le processus d’approbation des projets de croissance propres. On entend par projet de croissance propre un projet contribuant à la prospérité, à l’écologie, à l’inclusivité et à la résilience de l’économie canadienne. Au Canada, beaucoup de ces projets seront nécessaires pour que le pays atteigne ses objectifs climatiques et économiques. Le présent document explore comment les autorités de réglementation ont utilisé les évaluations stratégiques dans le passé pour rendre les examens réglementaires de projets plus efficaces, et les leçons que pourrait en tirer le Canada.

Localiser les évaluations stratégiques au sein du système réglementaire canadien

La Loi sur l’évaluation d’impact désigne les évaluations stratégiques comme l’outil à utiliser lors des évaluations d’impact. Il pourrait ainsi contribuer à simplifier les examens réglementaires, et ce serait une façon inédite d’utiliser ce mécanisme. D’autres compétences, notamment canadiennes, ont déjà utilisé les évaluations stratégiques, mais rarement de la façon dont le prévoit la Loi. Par exemple, le Cabinet fédéral possède sa propre directive pour mener des évaluations stratégiques, mais s’en sert dans le seul but de rejeter les politiques environnementalement néfastes, et non pour un usage stratégique. Le gouvernement fédéral a aussi mené une évaluation stratégique des changements climatiques, mais l’a principalement utilisée pour repérer les conséquences climatiques plutôt que pour les évaluer (encadré 1). Cette même autorité a aussi donné quelques indications sur la façon dont il entend se servir des évaluations stratégiques au titre de la Loi sur l’évaluation d’impact, mais la plus grande partie du processus n’est pas encore définie.

Les évaluations stratégiques correspondent aux trois types d’évaluation prescrits par la Loi sur l’évaluation d’impact :

  1. Les évaluations d’impact servent à examiner les projets individuels et à mesurer leur incidence directe et cumulative.
  2. Les évaluations régionales servent à examiner tous les projets dans une région donnée et à mesurer leur incidence cumulative.
  3. Les évaluations stratégiques servent à examiner les politiques ou questions qui relèvent des évaluations d’impact et à mesurer leur incidence cumulative.

La Loi détermine que les évaluations stratégiques peuvent servir à examiner :

« a) toute politique, tout plan ou tout programme – actuel ou éventuel – de l’administration fédérale pertinent dans le cadre de l’évaluation d’impact;

b) toute question pertinente dans le cadre de l’évaluation d’impact de projets désignés ou d’une catégorie de projets désignés. » (Loi sur l’évaluation d’impact, 2019).

Il n’y a pratiquement aucune limite à ce qui pourrait être considéré comme « une politique ou une question pertinente ». Une politique, un plan ou un programme pertinent pourraient être par exemple des politiques de développement dans un secteur environnementalement vulnérable, de mise en œuvre d’une série de grands projets ou de création d’une chaîne d’approvisionnement pour un produit causant de graves problèmes de pollution. Une question pertinente pourrait quant à elle porter sur des problèmes couramment posés par des projets en ce qui a trait à l’environnement, à la santé, à l’économie locale et aux titres ou droits autochtones.

La définition canadienne du concept d’« évaluation stratégique » est plus large que celle d’autres pays sur trois grands aspects. D’abord, le Canada utilise le terme évaluation stratégique plutôt que celui d’évaluation environnementale stratégique, terme beaucoup plus usité aux États-Unis et ailleurs (Arnold et Beck, 2023). Ce choix reflète la perspective globale de la Loi sur l’évaluation d’impact dans sa forme actuelle, qui tient compte des effets non environnementaux (ex. : conséquences sociales, économiques, relatives à la santé).

Ensuite, peu de pays reconnaissent les évaluations régionales comme étant distinctes des évaluations stratégiques, et si distinction il y a, c’est qu’elles sont perçues comme une sous-classe d’évaluation stratégique correspondant, par hasard, à des frontières régionales (Partidário, 2003; Arnold et coll., 2022). Le présent document se concentre sur les évaluations stratégiques, en adoptant l’idée que beaucoup de leçons sont aussi applicables aux évaluations régionales. Il est toutefois important au Canada de disposer d’évaluations régionales distinctes, étant données ses différences régionales et les relations fondées sur le lieu qu’entretiennent les peuples autochtones.

Enfin, dans la plupart des pays, les évaluations stratégiques sont utilisées pour analyser les politiques, plans ou programmes et ne sont pas directement liées aux évaluations d’impact. Au Canada toutefois, en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact, les évaluations stratégiques peuvent uniquement porter sur les politiques et questions pertinentes dans le cadre d’évaluations d’impact (Noble, 2021; Loi sur l’évaluation d’impact, 2019). Cette formulation donne aux évaluations stratégiques canadiennes un meilleur potentiel d’examiner de manière proactive les secteurs où sont menées des évaluations d’impact, mais où des politiques manquent ou sont en élaboration. Par exemple, le Canada pourrait évaluer stratégiquement comment les projets réutilisent les matériaux de construction, même si le gouvernement est encore en train de concevoir les règlements en la matière (Cundiff et coll., 2023).

Mais peu importe comment ils sont définis, tous les types d’évaluation suivent la même procédure de base : elles commencent par un élément déclencheur, puis sont utilisées pour déterminer et évaluer les impacts, et se concluent par la formulation d’une décision ou de recommandations sur ces impacts. Les évaluations stratégiques au Canada n’ont pas de cadre officiel plus poussé, ce qui signifie que leur procédure est encore bien peu définie.

Sans précision sur les éléments déclencheurs, les évaluations stratégiques prescrites par la Loi sur l’évaluation d’impact manquent d’emblée de cadre officiel. Si l’ampleur ou l’emplacement d’un projet peuvent suffire à déclencher une évaluation d’impact, les évaluations stratégiques sont à la seule discrétion du ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique. L’Agence d’évaluation d’impact du Canada est l’autorité fédérale en matière d’évaluations et peut recommander que le ministre lance une évaluation stratégique. N’importe qui – citoyens, entités privées ou autres secteurs de compétence – peut aussi demander une évaluation stratégique à l’Agence. Il reste qu’en fin de compte, le pouvoir de lancer des évaluations stratégiques demeure entre les mains du ministre.

De plus, les priorités en la matière du ministre ou de l’Agence demeurent plutôt floues, outre les critères de base du cadre stratégique pour l’évaluation stratégique. Selon ce cadre, les recommandations de l’Agence quant à savoir s’il faut entreprendre une évaluation stratégique pour un projet donné reposent sur la pertinence de le faire, sur le fait que l’évaluation entre dans un domaine de compétence fédérale et qu’elle éveille l’intérêt du public et sur la capacité de cette évaluation à éclairer des évaluations d’impact futures, d’améliorer leur efficacité et d’aider globalement à leur gestion (AEIC, 2022). Il est difficile d’imaginer l’Agence recommandant une évaluation stratégique qui sort de ces critères.

Une fois déclenchées, les évaluations stratégiques manquent aussi de directives officielles sur la façon dont elles peuvent servir pour déterminer et évaluer les impacts. L’Agence d’évaluation d’impact du Canada ne prescrit que des étapes générales, et les détails sont évalués au cas par cas (AEIC, 2022) :

  1. Décision d’entreprendre l’évaluation
  2. Planification éclairée par une mobilisation précoce
  3. Version provisoire du mandat d’évaluation
  4. Version définitive du mandat d’évaluation
  5. Réalisation de l’évaluation
  6. Version provisoire du rapport d’évaluation stratégique
  7. Version définitive du rapport d’évaluation stratégique

Lorsqu’une évaluation stratégique est terminée, le processus nécessaire pour l’intégration de ses résultats aux évaluations d’impact manque lui aussi de lignes directrices officielles. Les évaluations d’impact sont actuellement conçues pour prendre en compte les évaluations stratégiques pertinentes à diverses étapes, mais l’Agence n’a émis aucune définition de ce qui est entendu par « prendre en compte » ou par « pertinente ».

Il existe des recommandations antérieures à la Loi sur l’évaluation d’impact. En 2009, le Conseil canadien des ministres de l’environnement (CCME) a présenté des directives détaillées sur l’évaluation stratégique des politiques (CCME, 2009). Selon ces principes, l’évaluation stratégique se déroulerait en trois phases : i) mesure et identification, ii) projection et évaluation, et iii) mise en œuvre et surveillance.

Selon ces principes et orientations, l’Agence d’évaluation d’impact devrait donc, à la première phase de l’évaluation stratégique, élaborer un cadre de référence et cerner les tendances et points de référence les plus importants. Dans la deuxième phase, elle devrait évaluer les autres options possibles en évaluant les effets cumulatifs. Par exemple, l’Agence pourrait composer des scénarios représentant différents choix de politiques, intensités des activités et mélanges de technologies, puis choisir celui à l’issue la plus favorable. Dans la troisième phase, elle devrait formuler des recommandations qui s’inscrivent dans l’option privilégiée, ce qui pourrait inclure de nouvelles exigences réglementaires, et établir les modalités de surveillance et d’évaluation. Enfin, le document recommande que le public soit mis à contribution (CCME, 2009).

Ces recommandations du Conseil n’ont visiblement pas servi de boussole au Canada pour l’élaboration des règlements pendant les années qui ont suivi, et on ignore si les évaluations stratégiques menées au titre de la Loi sur l’évaluation d’impact s’en inspireront. On ignore aussi si le gouvernement fédéral modifiera la Loi en réponse à la décision de la Cour suprême du Canada (Cour suprême du Canada, 2023), décision qui reflétait principalement des préoccupations liées à un élargissement excessif des pouvoirs fédéraux lors des évaluations d’impact, jugé inconstitutionnel. Les évaluations stratégiques n’étaient donc pas directement concernées. Cependant, toute modification apportée aux évaluations d’impact pourrait indirectement toucher les évaluations stratégiques, car ces dernières doivent être pertinentes dans le cadre des évaluations d’impact. Si la portée des évaluations d’impact est réduite, il est à prévoir que l’étendue des sujets pouvant être couverts par les évaluations stratégiques sera elle aussi limitée.

L’Agence d’évaluation d’impact reconnaît que les évaluations stratégiques pourraient simplifier le processus d’examen réglementaire de projets en amenant de nouvelles informations (AEIC, 2022). Cependant, pour déployer le potentiel de simplification des évaluations stratégiques, le Canada doit officialiser davantage son processus, et à cela l’expérience d’autres compétences pourrait être utile.

Encadré 1 : Les évaluations stratégiques au Canada en bref Au Canada, les évaluations stratégiques ont une histoire longue, mais fragmentaire. Depuis les années 1990, le Cabinet fédéral a le mandat de réaliser l’évaluation stratégique des propositions de politique présentant des risques de conséquences environnementales significatives (BCP et LCEE, 2010). Cependant, il n’a commencé que récemment à se plier aux exigences de ce mandat. Qui plus est, il utilise davantage les évaluations stratégiques comme filet de sécurité ultime contre les politiques néfastes plutôt que comme source d’informations lors des examens réglementaires (Noble, 2021).

Les gouvernements provinciaux ont aussi utilisé des variantes de l’évaluation stratégique, quoique différemment (Gibson, 2020). L’Ontario a mené des évaluations environnementales dans des domaines qui se prêtaient à des approches stratégiques, comme la gestion du bois d’œuvre et des déchets dangereux et la planification hydroélectrique (Gibson et coll., 2020). La Saskatchewan a aussi mené une étude environnementale régionale dans les dunes de Great Sand Hills qui a guidé l’élaboration des directives sur les évaluations stratégiques présentées par le Conseil canadien des ministres de l’environnement (Noble, 2008; CCME, 2009). Les directives elles-mêmes ont aussi été utilisées par Parcs Canada pour mener l’évaluation stratégique des activités réalisées dans le parc national Wood Buffalo (Services publics et Approvisionnement Canada, 2016).

La Loi sur l’évaluation d’impact de 2019 est la première disposition législative fédérale encadrant les évaluations stratégiques au Canada. La Loi se dissocie des usages précédents en liant directement les évaluations stratégiques aux évaluations d’impact. Jusqu’ici, deux évaluations stratégiques y ont été associées, bien qu’aucune n’ait été réalisée entièrement au titre de cette loi. La première, l’évaluation stratégique pour l’exploitation minière du charbon thermique, a bien été déclenchée par une disposition de la Loi sur l’évaluation d’impact, pour ensuite être annulée, car on a jugé qu’étant donné que le Canada ne projette pas de bâtir davantage de projets d’exploitation minière du charbon thermique, cette évaluation n’était pas pertinente (AEIC, 2021).

La deuxième, l’évaluation stratégique des changements climatiques (ÉSCC), a été déclenchée en vertu d’une autre loi, mais est maintenant considérée comme une évaluation stratégique aux yeux de la Loi sur l’évaluation d’impact. Cette évaluation fournit des recommandations techniques sur la façon dont les promoteurs de projets devraient rendre compte des émissions de gaz à effet de serre de leur projet et communiquer ces informations ainsi que d’autres données relatives au climat lors de la réalisation d’une évaluation d’impact du fédéral. Cela comprend des recommandations sur la manière de quantifier les émissions nettes et les émissions en amont pour un projet, la résilience climatique et la trajectoire pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050 (gouvernement du Canada, 2020). L’ÉSCC recommande que, pendant les évaluations d’impact, l’Agence d’évaluation d’impact compare le rendement des émissions du projet avec celui de projets semblables, évalue la capacité du projet d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050 et examine si le projet s’aligne aux cibles canadiennes en matière d’émissions et s’inscrit dans les prévisions nationales (gouvernement du Canada, 2020).

Elle omet cependant de fournir des recommandations détaillées sur la façon dont l’Agence devrait concrètement mettre en œuvre ces directives (Johnston et coll., 2021). Par exemple, l’ÉSCC prescrit à l’Agence d’évaluer le plan de carboneutralité d’un projet en vérifiant si on prévoit de limiter ses émissions de gaz à effet de serre le plus tôt possible dans son cycle de vie, mais ne donne pas de délai butoir permettant d’établir clairement que les réductions d’un projet arrivent trop tard. D’autres détails pourraient se préciser dans des recommandations techniques futures. Jusqu’ici, l’ÉSCC a produit deux guides techniques provisoires, l’un sur les données d’émissions en 2021 et un autre sur la résilience climatique en 2022.

Utiliser les évaluations stratégiques pour simplifier les examens réglementaires

L’idée de simplifier l’approbation des projets de croissance propre implique de réaliser les examens réglementaires plus rapidement sans toutefois nuire à la durabilité – et idéalement, en l’améliorant. Les autorités de réglementation peuvent utiliser les évaluations stratégiques pour simplifier le processus d’examen réglementaire en exploitant leur potentiel de réglementation des effets cumulatifs des projets et du partage du fardeau réglementaire avec les évaluations d’impact.

Les évaluations stratégiques peuvent aider à gérer efficacement les effets cumulatifs des projets

Les évaluations stratégiques sont un meilleur instrument pour encadrer les effets cumulatifs des projets que les évaluations d’impact, qui examinent les projets selon une approche individuelle. Les effets cumulatifs correspondent à la combinaison de conséquences pouvant sembler négligeables dans une perspective individuelle, mais pouvant se révéler significatives dans une perspective plurielle. L’évaluation des effets cumulatifs totaux de tous les projets est essentielle pour la gestion de problèmes complexes comme les changements climatiques, la perte de biodiversité et les menaces pour les droits et titres autochtones. Première au Canada, la Cour suprême de Colombie-Britannique s’est appuyée en 2021 sur le concept d’effets cumulatifs pour déterminer que la Couronne avait enfreint des droits issus de traités (Buhler et coll., 2023).

À l’international, les évaluations stratégiques ont servi à réguler avec succès les effets cumulatifs de divers projets, principalement en influençant des politiques. L’Union européenne applique un processus d’évaluation des politiques depuis 2001 par l’intermédiaire d’une directive d’évaluation environnementale stratégique, et certains États membres disposent de mécanismes depuis plus longtemps encore (EC, 2001). Dans une étude portant sur 60 évaluations stratégiques européennes des politiques de transport et d’utilisation du territoire, Thomas B. Fischer (2002) a montré que les politiques qui suivaient une évaluation stratégique comportaient significativement plus de mesures de développement durable.

Selon la Loi sur l’évaluation d’impact du Canada, les évaluations stratégiques peuvent influencer des projets au-delà des seules politiques. La Loi exige actuellement que les évaluations stratégiques soient pertinentes dans le cadre des évaluations d’impact. Même si elles n’ont aucune portée directe sur l’approbation de projets, les évaluations stratégiques menées au titre de la Loi peuvent néanmoins apporter des renseignements utiles aux projets évalués. En fournissant un cadre élargi permettant de mieux appréhender les effets cumulatifs des projets, les évaluations stratégiques peuvent servir de point de référence pour des actions collaboratives au sein d’un secteur, comme les travaux menés par le Conseil du Partenariat pour le secteur canadien de l’automobile sur l’efficacité réglementaire, de nature stratégique et portant sur les effets de multiples projets (Groupe de travail sur les grands projets de développement et sur l’excellence réglementaire, 2023). Les autorités de réglementation peuvent aussi utiliser les méthodes d’évaluation stratégique pour améliorer l’efficacité des évaluations d’impact. Par exemple, l’ÉSCC a élaboré une méthode d’évaluation des répercussions climatiques qui facilite les évaluations d’impact.

Les évaluations stratégiques peuvent partager le fardeau réglementaire avec les évaluations d’impact et rendre ces dernières plus efficaces

Les autorités de réglementation peuvent utiliser les évaluations stratégiques pour réaliser des examens réglementaires plus efficaces en leur transférant une partie du fardeau réglementaire des évaluations d’impact (Bonnell, 2019). Elles peuvent ainsi cibler précisément les politiques et questions courantes lors des évaluations d’impact de projets et orienter l’exécution des évaluations d’impact subséquentes. Par exemple, la méthode pour évaluer les conséquences climatiques de l’ÉSCC du Canada pourrait faire gagner du temps aux évaluations d’impact futures, qui l’utiliseraient plutôt que d’en concevoir une autre semblable.

Les évaluations stratégiques sont aussi une manière efficace d’évaluer certains thèmes stratégiques, comme un plan de construction d’un barrage hydroélectrique et son incidence sur les cours d’eau, à tout le moins si on les compare aux coûts généraux liés à l’élaboration de politiques. À l’échelle mondiale, les évaluations stratégiques dépassent rarement les 685 000 $, et elles représentent habituellement moins de 10 % des coûts de planification d’une politique et moins de 1 % des coûts de mise en œuvre d’une politique (Thérivel et González, 2020; Thérivel et González, 2021b). Les informations qu’elles génèrent peuvent aussi rendre plus efficaces les évaluations d’impact. Des recommandations découlant d’une évaluation stratégique ont ainsi guidé des évaluations d’impact en Irlande, particulièrement en ce qui a trait au cadrage des conséquences à évaluer et à la détermination des secteurs vulnérables (González et Thérivel, 2022).

Ce n’est que récemment que les autorités de réglementation ont commencé à s’intéresser aux évaluations stratégiques pour leur potentiel de simplifier les processus d’examen réglementaire. Historiquement, leur rôle principal a été d’améliorer les politiques, et leur participation aux projets et aux évaluations d’impact demeurait plutôt secondaire (Thérivel et González, 2021b). Des données probantes montrent cependant que ce type d’évaluation peut servir à simplifier les processus, si on les met en place adéquatement.

Pratiques exemplaires pour renforcer le potentiel de simplification des évaluations stratégiques

Les autorités de réglementation peuvent se servir des évaluations stratégiques pour faciliter le processus d’examen réglementaire des projets de croissance propre, mais leur succès n’est pas assuré. Dans une analyse des évaluations stratégiques des politiques d’énergie éolienne, les intervenants des gouvernements britannique et allemand ont catégorisé 7 des 18 évaluations stratégiques comme insatisfaisantes, ce qui indique que ces évaluations sont souvent mal effectuées (Phylip-Jones et Fischer 2015).

Si le Canada veut faire mieux, il doit tirer des leçons de l’utilisation des évaluations stratégiques à l’international comme au pays. Selon le survol de l’utilisation effectué dans le cadre du présent document, les autorités de réglementation qui souhaitent avoir recours aux évaluations stratégiques devraient d’abord les utiliser pour des priorités stratégiques et mettre à contribution le public pour les valider. Les évaluations stratégiques doivent également fournir des renseignements opportuns et pratiques, et les autorités de réglementation les effectuant doivent faire le suivi des résultats post-évaluation. Autrement, les évaluations stratégiques risquent d’être utilisées abusivement à des fins politiques et de fournir des renseignements inutiles ou de ne pas donner d’orientation durable.

Donner la priorité aux thèmes stratégiques les plus importants

Les évaluations stratégiques doivent être conçues autour de thèmes ayant des implications manifestement importantes pour les projets de croissance propre, comme des politiques visant à construire des projets, ou des enjeux systémiques causés par des projets. Par exemple, les autorités de réglementation peuvent vouloir évaluer l’approche en matière de déchets dangereux de la stratégie de projets de minéraux critiques si de tels projets s’avèrent souvent incompatibles avec la réglementation sur les déchets dangereux. Ou encore, elles peuvent souhaiter évaluer stratégiquement les répercussions des projets d’énergie propre sur les espèces en péril s’il s’agit des répercussions les plus dommageables des projets d’énergie propre.

L’International Association for Impact Assessment travaille à cibler les enjeux fréquents des projets d’énergies renouvelables. Dans son premier rapport sur le sujet, l’association classe ces enjeux par type de projet. Elle fait la distinction entre les enjeux environnementaux et les enjeux sociaux, l’aménagement du terrain et la gestion des déchets étant classés dans la première catégorie et les moyens de subsistance et le bien-être public, dans la seconde (Dalal-Clayton et Scott-Brown 2022).

Tableau 1 : Enjeux fréquents à l’examen réglementaire des projets d’énergies renouvelables à l’échelle internationale

Enjeux environnementauxEnjeux sociauxEnjeux généraux
Qualité de l’air et de l’eauPolluants, y compris les émissions de GESBiodiversité et services écosystémiquesAdaptation et résilience climatiqueAménagement du terrainGestion des déchetsMoyens de subsistance et possibilités d’emploi pour la population locale Acceptation socialeBien-être publicPatrimoine culturelPropriété des terresCoûts initiauxInfrastructure associée, dont les routes et les lignes de transportDisponibilité des données de référenceAutres projets
Source : Dalal-Clayton et Scott-Brown, 2022.

L’Union européenne utilise des prévisions stratégiques pour cibler un éventail de thèmes stratégiques importants : la portée sociopolitique de la migration, l’influence des médias sociaux, les changements climatiques et la dégradation de l’environnement, etc. (CE, 2023). De façon distincte, l’UE utilise également des éléments déclencheurs formels pour orienter les évaluations stratégiques vers les thèmes importants, comme les politiques essentielles au développement durable, les politiques établissant un cadre d’approbation pour un projet, et les politiques concernant une liste de secteurs prédéfinie. D’autres éléments déclencheurs concernent les politiques ayant des incidences transfrontalières, des effets cumulatifs, répandus, intenses ou des conséquences sur des caractéristiques naturelles uniques ou sur le patrimoine culturel (CE, 2001).

Mener des consultations précoces et continues

Les évaluations publiques devraient être guidées par des consultations publiques précoces et continues (González et Thérivel, 2022; Rega et coll., 2018; Phylip-Jones et Fischer, 2015; Noble et coll., 2019). La Loi sur l’évaluation d’impact du Canada reflète déjà cela en exigeant des évaluations stratégiques pour encourager une participation publique significative et faire état de l’intégration des connaissances autochtones (Loi sur l’évaluation d’impact, 2019). Il existe des exemples de ces deux derniers aspects à l’échelle infranationale. Au Québec, des évaluations stratégiques indiquent qu’une participation publique significative exige d’ouvrir le dialogue collaboratif assez tôt si l’on souhaite qu’elle influence la conception d’une politique (Gauthier et coll., 2011). Pendant ce temps, au Nunavut, une évaluation publique présente des méthodes pour intégrer le savoir autochtone, notamment par la corédaction de rapports, des comités consultatifs sur le savoir autochtone et des visites informatives pour les communautés autochtones (Two Worlds Consulting, 2020).

Rendre les renseignements pratiques et opportuns pour les évaluations d’impact

Les évaluations stratégiques doivent fournir des renseignements assez précis pour être utilisés lors des évaluations d’impact, mais également assez généraux pour s’appliquer dans différents contextes. Le moment est également important : réalisées assez tôt, les évaluations stratégiques permettent d’orienter l’élaboration des politiques, mais trop tôt, elles risquent d’être rapidement dépassées (Phylip-Jones et Fischer, 2015; Bonnell, 2019; González et Thérivel, 2022; Buse et coll., 2020; Arnold et coll., 2022).

Les États-Unis ont été le premier pays à reconnaître officiellement le caractère concret des évaluations de hiérarchisation. La hiérarchisation est le positionnement d’évaluations globales ou générales visant à guider la réalisation d’évaluations plus précises. Les États-Unis ont utilisé la hiérarchisation par exemple lors de l’évaluation stratégique d’un projet complet de train à grande vitesse, suivie d’évaluations d’impact de projets irréguliers. En substance, les États-Unis montrent que les évaluations stratégiques peuvent être utilisées de manière concrète pour déterminer et évaluer des seuils d’impact optimaux et des modèles de conception. Les évaluations d’impact peuvent ensuite se concentrer sur des projets qui dépassent les seuils optimaux ou les modèles idéaux (Thérivel et González, 2021a). De plus, pour améliorer la ponctualité, les autorités de réglementation devraient faire le point régulièrement sur les évaluations stratégiques en cours (Bonnell, 2019).

Assurer un suivi complet des résultats

Les autorités de réglementation vont rarement au-delà de la vérification de la conformité des évaluations stratégiques aux processus législatifs. Toutefois, comme l’objectif principal des évaluations stratégiques devrait être de contribuer à des résultats durables, il leur faudrait également surveiller l’influence externe de ces évaluations sur les évaluations, les politiques et les projets ultérieurs (Thérivel et González, 2021a; Fischer et Retief, 2021).

Avec cette exigence en tête, le Royaume-Uni s’engage potentiellement sur la voie de rapports qui évaluerait l’effet environnemental des projets, un nouveau type d’instrument qui pourrait remplacer les évaluations stratégiques et d’impact (Department for Levelling Up, Housing and Communities, 2023). Au lieu d’évaluer les conséquences sur l’environnement actuel, ces rapports serviraient à mesurer les écarts par rapport à un environnement idéal. Par exemple, une évaluation stratégique peut être utilisée pour évaluer le risque que les lignes de transport d’électricité causent un feu incontrôlé. Pendant ce temps, dans un rapport sur les effets environnementaux, on commencerait par définir ce qui constitue un résultat optimal, soit un bas niveau de risque et on évaluerait si les lignes de transport d’électricité dépasseraient ce seuil. Il est trop tôt pour dire si ces rapports sont préférables aux évaluations stratégiques ou d’impact, mais ces derniers montrent que les instruments réglementaires peuvent être conçus dans le but d’améliorer les résultats plutôt que la seule prévention des dommages.

Les autorités de réglementation qui conçoivent les évaluations stratégiques devraient respecter les pratiques exemplaires, à commencer par le choix des thèmes importants et la priorisation des résultats durables. Cela pourrait faciliter la gestion que nécessitera la construction à la vitesse et à l’échelle requises pour assurer la transition vers la carboneutralité.

Considérations pour l’utilisation d’évaluations stratégiques visant à simplifier les projets de croissance propre au Canada

Les évaluations stratégiques ont un important potentiel de simplification des approbations de projets de croissance propre, mais seulement si elles sont bien faites. En tant qu’autorité fédérale des évaluations, l’Agence d’évaluation d’impact est la principale conceptrice des évaluations stratégiques au Canada. Voici quelques considérations dont l’Agence devrait tenir compte dans la conception et l’utilisation des instruments.

Concevoir des évaluations stratégiques qui ont des éléments déclencheurs

Les éléments déclencheurs des évaluations stratégiques en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact sont ambigus, ce qui les rend vulnérables à la sous-utilisation ou à la politisation. L’Agence d’évaluation d’impact peut recommander des thèmes à évaluer stratégiquement, et la décision de réaliser une évaluation revient au ministre, mais aucune de ces entités n’a dévoilé de détails sur leurs priorités d’évaluation. L’Agence devrait communiquer des critères plus détaillés sur les types d’enjeux et de politiques qui mériteraient de déclencher une évaluation stratégique, à l’instar de l’Union européenne qui a des éléments déclencheurs plus officiels.

Concevoir des évaluations stratégiques qui ont une hiérarchisation

La Loi sur l’évaluation d’impact exige la hiérarchisation des différents types d’évaluation, mais cette partie de la Loi n’a pas été appliquée de façon substantielle. Le Canada n’a pas de normes encadrant la façon dont les évaluations stratégiques devraient éclairer les évaluations d’impact, puisque l’Agence d’évaluation d’impact ne fournit pas de canal dédié, de tests de pertinence, d’échéanciers, ou de procédures pour communiquer l’information. Plus fondamentalement, la Loi exige que les deux types d’évaluations tiennent compte des effets cumulatifs, ce qui complique le classement des effets (Loi sur l’évaluation d’impact, 2019; AEIC, 2022). S’il ne précise pas de hiérarchisation, le Canada continuera à évaluer par défaut les thèmes stratégiques dans les évaluations de projets (Leach, 2021).

Terre-Neuve-et-Labrador est un exemple des limites de la réalisation d’évaluations stratégiques sans hiérarchisation claire. L’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers mène des évaluations stratégiques sur les hydrocarbures extracôtiers depuis 2002, ce qui implique généralement une description de l’environnement, la détermination des effets des hydrocarbures et des approches d’atténuation, des recommandations stratégiques et des consultations du public à diverses étapes du processus. L’Office révise également ses évaluations stratégiques aux cinq ans pour demeurer dans les délais. En général, de plusieurs façons, ces évaluations stratégiques reflètent des pratiques exemplaires. Toutefois, elles n’ont pas réussi à influencer de façon significative les évaluations d’impact. L’Office est trop prudent pour intervenir avec des recommandations à l’échelle des projets dans ses évaluations stratégiques, et est également trop prudent pour faire confiance aux renseignements sans répéter le processus dans ses évaluations d’impact (Bonnell, 2019).

Concevoir des évaluations stratégiques pour avoir un suivi des résultats

Les suivis sont essentiels pour l’amélioration de toute politique ou de tout programme, mais on ignore la façon dont l’Agence d’évaluation d’impact compte faire le suivi de ses évaluations stratégiques. Jusqu’à maintenant, la pratique au Canada suggère que le suivi de base doit, au moins, permettre un meilleur respect des processus d’évaluation stratégique. Le cabinet fédéral a pour mandat de réaliser sa version d’une évaluation stratégique après avoir reçu des projets de politiques aux répercussions environnementales potentiellement importantes. Cependant, une analyse a conclu que le cabinet a évalué seulement 6 % de ces projets de politiques entre 2011 et 2014. Après l’obligation de tenir des audits annuels, la proportion a rapidement bondi à 93 % en 2017 (Noble et coll., 2019).

Tableau 2 : Amélioration du respect de la directive d’évaluer stratégiquement les projets de politiques après l’obligation de tenir des audits annuels

 Audit de 2015Audit de 2016Audit de 2017Audit de 2018
Années analysées2011 à 20142013 à 20152013 à 20162017
Projets de politiques à évaluer1 955506359283
Projets de politiques évalués115 (6 %)98 (19 %)80 (22 %)263 (93 %)
Source : Noble et coll., 2019

Si l’Agence n’a pas les capacités de suivi adéquates, elle peut déléguer cette tâche à un autre organisme. Par exemple, le gouvernement fédéral fournit jusqu’à 2 millions de dollars par année pour le suivi du projet de développement dans les sables bitumineux en Alberta mené par les Autochtones (Raderschall et coll., 2020).

Utilisation des évaluations stratégiques pour des projets de croissance propre

En plus des éléments à considérer sur le plan de l’élaboration, si le Canada doit accélérer la mise en œuvre de projets de croissance propre, les évaluations stratégiques devraient être utilisées pour des sujets pertinents. Les évaluations d’impact pourraient grandement bénéficier de directives stratégiques sur deux plans : l’évaluation des effets positifs des projets de croissance propre et l’évaluation des effets négatifs cumulatifs de ces projets sur les collectivités autochtones.

La Loi sur l’évaluation d’impact exige que les autorités de réglementation reconnaissent à la fois les effets négatifs et positifs durant les évaluations, mais le Canada n’a pas d’approche bien définie pour déterminer ou évaluer les effets positifs (Hatfield Consultants LLP, 2021). En ignorant ces effets, le travail des autorités de réglementation se résume à l’élimination des pires projets et ne consiste pas vraiment à repérer les meilleurs. Les projets de croissance propre en particulier ont un certain nombre d’avantages importants qui ne sont pas formellement pris en compte dans les évaluations d’impact, comme l’innovation en matière de technologies propres, l’augmentation de la résilience climatique, l’amélioration de la sécurité énergétique et la diminution de la consommation de combustibles fossiles.

Les évaluations stratégiques peuvent contenir des recommandations sur la façon dont les autorités de réglementation devraient tenir compte de l’importance stratégique des projets de croissance propre durant les évaluations d’impact. Elles peuvent mettre en lumière les retombées positives sur l’environnement, par exemple en fournissant des méthodes pour déterminer et quantifier la valeur des actions climatiques (CAFD, 2022; Dasgupta, 2021). Ces recommandations peuvent également donner des points de repère définissant les retombées climatiques positives qui rendraient un projet admissible à un examen réglementaire simplifié, similaire aux systèmes hiérarchisés aux États-Unis et à Terre-Neuve-et-Labrador.

En parallèle, les effets négatifs des projets en territoire autochtone sur les collectivités qui s’y trouvent vont au-delà de ce que les évaluations d’impact ont pu identifier. En septembre 2023, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué que le processus réglementaire de la province pour les projets miniers va à l’encontre du devoir de la province de consulter les groupes autochtones. La cour s’est opposée précisément au fait que les tenants du projet minier se sont permis de revendiquer des minéraux et de surveiller des sites avant la tenue desdites consultations. La Cour suprême a donné au gouvernement provincial un délai de 18 mois pour modifier son processus (Fionda, 2023). La manière dont la Colombie-Britannique réagira pourrait avoir une incidence sur les droits des Autochtones au pays, puisque la majorité des provinces et des territoires exigent de façon similaire quelques préalables pour revendiquer des minéraux – il y a seulement en Alberta, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard que l’approbation des revendications initiales est à la discrétion du gouvernement provincial (Manhas et coll., 2021).

Les évaluations stratégiques peuvent être utilisées pour déterminer et évaluer les effets cumulatifs sur les collectivités autochtones, dont les conséquences des projets de croissance propre. Par exemple, des normes peuvent être établies pour faire connaître les avantages de ces projets aux collectivités autochtones et consulter les détenteurs de droits autochtones concernés (Raderschall et coll., 2020; Tsuji, 2022). De plus, l’Agence d’évaluation d’impact a fait des progrès sur les cadres réglementaires visant à intégrer le savoir autochtone aux évaluations d’impact, mais des obstacles stratégiques majeurs demeurent, dont le manque de capacités d’évaluation et les effets historiques et persistants de la colonisation et de la méfiance (Eckert et coll., 2020).

Conclusion

D’aussi loin que 2009, le Conseil canadien des ministres de l’Environnement réclame davantage d’évaluations stratégiques, car elles peuvent aider à promouvoir des politiques plus écologiques, orientent et simplifient les évaluations d’impact, et mesurent efficacement les effets cumulatifs (CCME, 2009). Ces raisons demeurent d’actualité aujourd’hui, et les progrès ne sont pas assez significatifs pour mettre en application cet instrument.

Les expériences à l’échelle internationale montrent que les autorités de réglementation peuvent utiliser les évaluations stratégiques pour simplifier les examens réglementaires en donnant des renseignements utiles et en raccourcissant les processus. Pour maximiser le potentiel de cet instrument, les autorités de réglementation devraient faire en sorte que les évaluations stratégiques ciblent les politiques et les enjeux les plus controversés pour les projets de croissance propre et fournissent des renseignements à la fois pratiques et opportuns. Elles devraient également faire le suivi des résultats pour déterminer comment et à quel point les échéanciers des projets de croissance propre sont simplifiés.

Jusqu’à présent, au Canada, c’est l’évaluation stratégique des changements climatiques qui se rapproche le plus d’une évaluation stratégique en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact. Elle repère les répercussions climatiques qui devraient être prises en compte durant les évaluations d’impact, mais elle pourrait aller plus loin en recommandant une manière de les évaluer en détail. Dans un contexte où la Cour suprême du Canada a statué que cette Loi est largement inconstitutionnelle, toute certitude supplémentaire que les évaluations stratégiques peuvent constituer une valeur ajoutée aux examens réglementaires serait utile. Si le Canada doit se donner une économie propre et compétitive, les autorités de réglementation devraient faire un usage plus fréquent d’évaluations stratégiques mieux structurées.

Références (cliquer pour agrandir)

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Refonte des permis pour les projets d’énergie propre dans les États de New York et de la Californie

Introduction

En 2022, les États-Unis ont adopté l’Inflation Reduction Act, qui prévoit l’injection d’au moins 370 milliards de dollars américains de fonds publics dans l’énergie renouvelable, les véhicules électriques, les combustibles propres, les biocarburants de deuxième génération et d’autres technologies semblables. C’est là tout un investissement générationnel dans la transition énergétique – investissement qui rapporte déjà.

Cela dit, bien que cette loi ait le potentiel de transformer l’économie américaine dans la course à la carboneutralité, la concrétisation de ce potentiel demeure incertaine.

Pour atteindre leur cible de carboneutralité d’ici 2050, les États-Unis devront générer une nouvelle capacité de production d’électricité propre équivalente à la construction de deux centrales solaires de 400 mégawatts chaque semaine pendant 30 ans, comme l’illustre cette analyse. Or, la construction d’une seule de ces centrales aux États-Unis prend généralement quatre à cinq ans.

Le défi est encore plus grand du côté des infrastructures de transport; l’électricité propre sera le pivot d’une économie carboneutre, mais il faut en moyenne plus de 10 ans pour construire des lignes de transport. La vitesse de développement de ces infrastructures devra donc doubler – passant d’une moyenne de 1 % par année à 2,3 % jusqu’en 2030 –, sans quoi plus de 80 % des réductions d’émissions rendues possibles par l’Inflation Reduction Act ne verront jamais le jour.

Deux raisons principales expliquent la lenteur des projets d’énergie propre au pays : les processus d’obtention de permis complexes et chronophages, qui impliquent souvent plusieurs ordres de gouvernement, et l’opposition locale aux projets et la politisation du développement de l’énergie propre.

Comme nous le verrons dans la présente étude de cas, ces deux problèmes sont liés; l’octroi de permis sans consultation suffisante mine l’appui, la confiance et l’adhésion du public, ce qui prolonge encore des processus déjà interminables. C’est pourquoi différents législateurs étatiques et fédéraux ont entrepris une refonte visant à accélérer les processus tout en renforçant les consultations pour que les projets d’énergie propre aboutissent plus rapidement.

Si l’on s’attarde généralement au côté fédéral de la question, la présente étude de cas vise plutôt les refontes entreprises par les États. En effet, la majorité des projets d’énergie propre aux États-Unis doivent se soumettre à une évaluation de l’État concerné pour recevoir un permis de construire, tandis que les processus fédéraux accordent souvent des exemptions aux projets dont les répercussions s’annoncent mineures, ce qui est fréquemment le cas des projets d’énergie propre. Ainsi, les refontes étatiques seront plus importantes pour accélérer la construction des projets – et les processus d’évaluation et d’approbation des États se comparent plus facilement à ceux des provinces canadiennes. Les refontes étatiques sont aussi riches d’exemples d’expérimentations stratégiques pouvant être reproduites par les gouvernements aux prises avec des enjeux semblables.

Dans cette optique, la présente étude de cas se penche sur les refontes des systèmes de permis dans deux des États les plus populeux et les plus prospères qui constituent de véritables fers de lance du climat : New York et la Californie. Elle déterminera si ces refontes atteignent pleinement leur objectif, soit d’accélérer la construction des projets, et examinera les apprentissages que peuvent en tirer les gouvernements canadiens malgré les différences majeures entre les deux pays dans la division des pouvoirs et la gouvernance.

Les processus d’octroi de permis pour les projets d’énergie propre aux États-Unis

La figure 1 replace les refontes étatiques dans le contexte du processus global d’octroi de permis aux États-Unis. Si le processus exact dépend de l’emplacement et de la nature de chaque projet, les promoteurs doivent parfois se soumettre aux examens environnementaux et aux processus de demande de permis de plusieurs ordres de gouvernement (municipal, étatique, régional, interétatique, fédéral, tribal et autochtone). C’est que les États-Unis, tout comme le Canada, sont une fédération. Aussi les promoteurs de projets d’énergie propres1 doivent-ils se conformer à une multitude de processus différents avant d’obtenir le feu vert pour la construction.

Figure 1 : Résumé des processus d’octroi de permis pour les projets aux États-Unis

Cette figure illustre comment les processus réglementaires fonctionnent aux différents niveaux de gouvernement aux États-Unis. Il est important de noter que les caractéristiques des projets et/ou leur taille détermine la dépendance des évaluations environnementales. Cela mène à certaines exemptions des processus de validation mentionnés ci-dessus. De plus, le pouvoir des autorités locales de délivrer des permis pour des projets d’énergie propre pourrait être limité, selon la liberté qu’elles ont de créer leurs propres règles (home rule) et en fonction d’à quel point les lois de l’État les y autorisent ou non (state enabling).

À l’échelle municipale, chaque projet – y compris dans les États de New York et de la Californie – doit d’abord obtenir un permis d’utilisation des terres conformément aux règlements municipaux et aux ordonnances de zonage. À l’échelle étatique, la grande majorité des gouvernements exigent que les promoteurs fassent plusieurs demandes de permis; c’est aussi le cas dans nos deux États. Par exemple, selon la taille du projet et l’emplacement, le promoteur pourrait avoir à déposer plusieurs demandes à l’État et se soumettre à une panoplie de règlements et de cadres d’évaluation, comme des lois sur la protection des espèces en voie de disparition ou des oiseaux migrateurs. En outre, quelques États, dont ceux de New York et de la Californie, ont des lois sur les évaluations environnementales qui imposent la réalisation d’une étude d’impact avant l’octroi d’un permis.

Les processus municipaux et étatiques peuvent également se chevaucher avec ceux d’autres ordres de gouvernement. Bien que ce problème dépasse la portée de la présente étude de cas, notons ce qui suit :

  • Échelle régionale et interétatique : Les projets qui s’étendent sur plusieurs États (p. ex. les projets de production et de transport d’énergie renouvelable) doivent aussi être approuvés par des exploitants de réseau indépendants à l’échelle étatique ou interétatique. Par exemple, les promoteurs qui souhaitent relier leur projet d’énergie renouvelable au réseau électrique doivent faire une demande d’interconnexion. Certains projets de transport doivent aussi obtenir l’approbation de la Federal Energy Regulatory Commission.
  • Échelle fédérale : Les projets de grande envergure doivent obtenir des permis fédéraux et se soumettre à une évaluation environnementale fédérale (p. ex. en vertu de la National Environmental Policy Act). Comme à l’échelle étatique, on trouve ici toutes sortes de lois et règlements relevant d’une multitude d’organismes fédéraux qui octroient des permis. Dans les cas où plusieurs permis fédéraux sont nécessaires, un organisme fédéral principal coordonne l’ensemble des processus.
  • Échelle autochtone : En 2012, les tribus autochtones ont obtenu l’autorisation d’établir leurs propres règlements, conformément aux lignes directrices du Bureau des affaires indiennes2. Or, la signature de baux à long terme pour des projets d’énergie propres sur des terres tribales fédérales requiert tout de même l’accord du Secrétaire à l’Intérieur.

Refontes réglementaires à l’échelle étatique

Les États de New York et de la Californie ont pris des mesures audacieuses pour accélérer les projets d’énergie propre. Cette section résume les changements importants en cours.

New York

L’Assemblée législative de l’État de New York a adopté en 2020 l’Accelerated Renewable Energy Growth and Community Benefit Act, la première refonte complète d’un processus étatique d’octroi de permis.

Cette loi multidimensionnelle vise à augmenter la capacité de production d’énergie renouvelable et à accélérer considérablement l’approbation des projets. Elle a instauré l’Office of Renewable Energy Siting, un guichet unique pour les questions de permis, les études d’impact et l’accompagnement des promoteurs dans leurs demandes de permis étatiques. Elle pose aussi des délais légaux pour l’octroi de permis de construire, soit un maximum de six mois pour les projets sur des sites contaminés préapprouvés, et d’un an pour tous les autres projets. La loi prévoit en outre la délivrance automatique du permis si l’Office of Renewable Energy Siting ne rend pas sa décision à temps.

Cette refonte cible principalement les projets d’envergure; seules les propositions de projets d’une capacité de 25 mégawatts ou plus seront automatiquement traitées par l’Office of Renewable Energy Siting, mais les promoteurs de projets de 20 à 25 mégawatts pourront aussi déposer une demande s’ils le désirent.

Ensemble, ces changements réglementaires permettront de réduire fortement les délais de traitement. Avant l’adoption de la loi, il fallait compter environ 5 à 10 ans avant la première pelletée de terre d’un projet d’énergie renouvelable, un obstacle évident à l’atteinte de l’objectif juridiquement contraignant de l’État de New York, soit une production d’électricité à 70 % renouvelable d’ici 2030. Désormais, les nouveaux projets pourraient être approuvés en à peine deux ans.

Qui plus est, la loi comprend un programme « prêt pour la construction » selon lequel le secteur privé peut prédésigner des sites contaminés pour les projets d’énergie renouvelable sur des terrains où des projets de développement économique avaient déjà été approuvés (p. ex. le site d’une ancienne installation industrielle). Lorsqu’un site est jugé viable, la New York State Energy and Research and Development Authority collabore étroitement avec la municipalité concernée pour voir aux permis et à l’interconnexion. Une fois le site pleinement approuvé et doté des permis nécessaires, il est mis aux enchères dans le secteur privé de l’énergie renouvelable.

L’Accelerated Renewable Energy Growth and Community Benefit Act contient aussi des dispositions sur les retombées locales et l’emploi. Tous les nouveaux projets d’énergie renouvelable soumis à l’Office of Renewable Energy Siting et à la New York State Energy and Research and Development Authority doivent offrir des avantages à la communauté d’accueil, comme des crédits de services publics. Le but est d’aller chercher l’adhésion du public dès le départ afin de réduire la probabilité d’une opposition et de retards associés. De plus, la loi prévoit du financement pour permettre à la population d’intervenir pendant le processus d’approbation et de s’assurer des avantages tangibles.

Enfin, la loi autorise l’octroi rapide de permis pour les projets de transport utilisant l’emprise existante et crée un programme d’investissement dans la distribution et le transport local pour faciliter l’atteinte des objectifs climatiques de l’État.

Californie

La construction de projets d’énergie propre dans l’État de la Californie est d’une difficulté notoire; le gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, a récemment indiqué en entrevue que « la population perd confiance en [leur] capacité à mener de grands projets. » Les données lui donnent raison : de tous les états de l’Ouest, c’est la Californie qui met le plus de temps à approuver les projets d’énergie propre.

Les changements climatiques et l’urgence de réduire fortement les émissions de l’État ont fait ressortir les obstacles réglementaires existants. La fréquence croissante des phénomènes météorologiques extrêmes en Californie, illustrée par les vagues de chaleur et les feux incontrôlés récents, ont menacé à maintes reprises la capacité, la fiabilité et la viabilité financière du réseau électrique. Et c’est sans compter que l’État devra considérablement augmenter ses ressources en énergie propre pour atteindre ses cibles.

C’est pourquoi la Californie a entrepris une refonte de son processus d’octroi de permis en 2022, avec le projet de loi no 205.

De bien des façons, cette refonte ressemble à celle observée dans l’État de New York. Elle donne notamment à la California Energy Commission la pleine autorité sur les demandes de permis pour les projets de production éolienne ou solaire de plus de 50 mégawatts et les projets de stockage de plus de 200 mégawattheures. Le projet de loi établit également un délai maximal de 270 jours pour les examens des répercussions environnementales.

La refonte californienne comprend aussi des exigences concernant les retombées locales et l’emploi comparables à celles de la refonte new-yorkaise. Selon le projet de loi no 205, les demandes d’approbation devront s’accompagner de plans sur les retombées pour la communauté afin de réduire ou de prévenir l’opposition du public. Le tout est encadré de normes sur le travail et la rémunération, dont le respect est obligatoire pour toute proposition soumise à la California Energy Commission. Les promoteurs doivent d’ailleurs établir un partenariat avec au moins un organisme communautaire pour la formation professionnelle, l’aménagement d’espaces communautaires comme des parcs ou l’investissement dans les infrastructures publiques. Enfin, la California Energy Commission peut imposer diverses autres conditions d’approbation, selon les enjeux locaux.

Points forts des refontes réglementaires

Dans les deux États, les refontes réglementaires ont le potentiel d’accélérer les projets d’énergie propre et de générer des retombées économiques locales dans le respect de l’environnement. On notera plusieurs points forts déterminants :

1) La définition d’un échéancier plus clair pour les promoteurs contribue à assurer la viabilité financière d’un plus grand nombre de projets d’énergie propre d’importance.

La longueur des processus d’obtention de permis ne fait pas que ralentir les projets d’énergie propre; elle a aussi pour effet de réduire leur bancabilité et leur viabilité économique. En effet, les promoteurs doivent investir dans la mobilisation de la population et des peuples autochtones et embaucher des avocats pour se retrouver dans les dédales administratifs complexes, tout en continuant de payer leurs employés, à une étape où le projet ne rapporte encore aucun revenu. Ainsi, les retards répétés les obligent parfois à trouver du financement supplémentaire – ce qui devient de plus en plus difficile avec le temps – ou à abandonner3 complètement le projet.

Dans l’État de New York, le nouveau système s’avère déjà plus rapide et plus prévisible que l’ancien. Les données publiques indiquent que les huit demandes de projets d’énergie renouvelable entièrement traitées par l’Office of Renewable Energy Siting ont en moyenne mené à l’obtention d’un permis en moins de huit mois. Un seul projet a atteint le délai maximal autorisé d’un an.

Les données initiales suggèrent aussi que les changements opérés dans cet État ont permis de raccourcir toutes les étapes des projets. Avant l’adoption de la loi, on comptait 5 à 10 ans pour l’approbation d’un projet; depuis son adoption, sept des huit projets proposés ont été approuvés en moins de deux ans, l’approbation du huitième ayant pris deux ans et un mois.

La refonte des processus en Californie est pour sa part trop récente pour qu’on puisse en évaluer les effets sur la durée du processus, mais comme elle ressemble à celle de New York, on peut s’attendre à des résultats similaires.

2) L’obligation de conclure des ententes sur les retombées avec la communauté contribue à atténuer l’opposition locale et à accélérer l’octroi de permis.

Une étude américaine récente a révélé que les inquiétudes quant à une éventuelle diminution de la valeur des terres étaient la principale source d’opposition locale aux projets d’énergie propre. L’analyse indiquait également que les détracteurs des projets croyaient qu’une utilisation différente du site désigné servirait mieux la collectivité. Enfin, elle soulignait que l’opposition locale était plus grande lorsque la population ne se sentait pas écoutée ou suffisamment consultée pendant le processus. Par ailleurs, la mésinformation sur les prétendus dangers des énergies renouvelables ferait aussi obstacle à l’obtention de permis d’utilisation des terres.

Les refontes dans les États de New York et de la Californie exigent que les promoteurs s’entendent sur des retombées avec la population locale, dans l’objectif d’assurer des avantages tangibles au milieu hôte pour apaiser les inquiétudes qui ralentissent ou empêchent typiquement la construction de projets. En favorisant les investissements dans les centres communautaires, les écoles et d’autres ressources précieuses pour la communauté, ces ententes atténuent les craintes concernant la valeur des propriétés et l’utilisation du territoire. Par exemple, dans le cadre du projet solaire Tracy, autorisé par l’Office of Renewable Energy Siting de New York, EDF Renouvelables prévoit investir chaque année 20 000 dollars américains dans des initiatives locales et communautaires, sur une période de 10 ans suivant la mise en service du site en 2025.

L’État de New York va encore plus loin, demandant aux promoteurs de projets d’énergie propre de fournir des crédits de services publics aux quartiers touchés et de financer des occasions de participation. La proposition pour le projet Mill Point Solar I, par exemple, prévoit la répartition égale de 1,25 million de dollars américains sur 10 ans entre les clients de services publics dans la municipalité de Glen. De telles ententes permettent aux membres de la collectivité de prendre part au processus d’octroi de permis, et à la transition énergétique plus largement.

Autre avantage des ententes avec la communauté : elles priorisent indirectement les projets les plus stables financièrement. En effet, la préparation d’une telle entente requiert une grande coordination et planification ainsi que des finances solides. Les projets plus faibles sont dès lors écartés.

Dans l’ensemble, la prévision d’ententes sur les retombées pour la communauté aide à définir et à officialiser les attentes des deux parties – la communauté et le promoteur –, ce qui accélère le processus et favorise l’adhésion du public. Les refontes des deux États partent du principe qu’une entente consciencieuse est un investissement nécessaire pour garantir un appui à long terme, et que plus l’entente arrive tôt, plus elle sera efficace.

3) L’élimination des coûts liés aux demandes de permis pour les projets d’énergie propre visant des sites contaminés encourage leur réalisation.

Le programme « prêt pour la construction » de l’État de New York renverse le processus d’octroi de permis pour les projets d’énergie propre. En évaluant des sites contaminés pour y préautoriser la construction de projets d’énergie propre et en établissant à l’avance un lien et une entente avec la communauté, ce programme élimine les coûts et l’incertitude qui insécurisent les promoteurs dans le processus. Une fois les demandes de permis et d’interconnexion approuvées et le site vendu à un promoteur privé, la construction peut commencer immédiatement, sans menace de retards réglementaires ni risques majeurs de poursuite.

La refonte de la Californie, quant à elle, ne prévoit aucun mécanisme pour accélérer les projets sur les sites contaminés.

4) La définition de délais maximums pour les contestations et les révisions judiciaires permet de réduire les coûts pour les promoteurs.

Les poursuites visant des projets de construction, souvent lancées par des citoyens inquiets des répercussions sociales ou environnementales, sont assez fréquentes aux États-Unis. Ces litiges créent un obstacle important à l’accélération de la construction des projets d’énergie propre à l’échelle locale et nationale, et ce même lorsque des efforts sont faits pour simplifier le processus de sélection des sites. 

Les actions judiciaires sont particulièrement répandues en Californie, où la California Environmental Quality Act (CEQA) définit les projets publics de façon à englober tout projet de développement privé. Résultat : on peut facilement et à peu de frais soumettre une contestation anonyme avançant que l’examen en vertu de la CEQA était incomplet ou insuffisant. Évidemment, une telle contestation peut rallonger le processus de manière importante, voire décourager complètement les promoteurs de proposer un projet.

Les changements du projet de loi no 205, en Californie, tentent de contourner ce problème en imposant une limite de temps pour les demandes de révision judiciaire. L’État espère ainsi réduire les coûts pour les promoteurs et réduire l’efficacité des poursuites frivoles.

Cela dit, on ignore encore si cette refonte aura l’effet escompté. La limite de temps pourrait notamment empêcher les citoyens de faire valoir des préoccupations pertinentes au sujet des projets d’énergie propre. D’autres outils, comme des lois strictes contre les poursuites-bâillons (poursuites de mauvaise foi visant à limiter ou à compromettre des processus publics) ou la fin des contestations anonymes, pourraient aussi contribuer à endiguer ce phénomène. À l’avenir, les stratégies juridiques visant à ralentir ou arrêter les projets d’énergie propre resteront probablement un frein important dans le processus d’examen réglementaire dans les deux juridictions.

5) La possibilité pour les promoteurs d’adhérer ou non au processus accéléré leur donne plus de latitude.

La refonte californienne propose une adhésion facultative, permettant aux promoteurs de choisir le forum le plus favorable. Par exemple, si le site proposé se trouve sur un territoire largement favorable aux projets d’énergie renouvelable, le promoteur pourrait décider de ne pas utiliser le processus de la California Energy Commission. À l’inverse, si le projet affronte une opposition citoyenne ou que l’autorité locale n’a pas d’expérience en énergie renouvelable, le promoteur peut faire appel à la Commission, qui aura alors le plein contrôle sur l’octroi de permis.

Cette latitude supplémentaire permet à chaque promoteur de choisir l’option qui convient le mieux à son projet, pour assurer la rapidité du processus.

Cependant, tout comme la limite de temps pour les actions judiciaires, cette mesure californienne pourrait avoir des conséquences indésirées, soit de minimiser ou d’écarter des questions légitimes à l’échelle locale. La gravité de ces conséquences dépendra largement de la façon dont l’État appliquera la loi. Il est toutefois prévu que la California Energy Commission confirme que les projets sont dans l’intérêt du public, ce qui pourrait atténuer ce problème.

6) Les critères de taille minimale assurent la priorité aux projets de grande envergure, qui se heurtent souvent au plus d’obstacles.

Dans les deux États, les refontes ciblent les projets de grande envergure. Dans l’État de New York, les nouveaux processus réglementaires et d’octroi de permis ne s’appliquent qu’aux projets de plus de 20 mégawatts. En Californie, on vise plus de 50 mégawatts pour les projets de production, et plus de 200 mégawattheures pour les projets de stockage.

Cette façon de procéder offre plusieurs avantages. D’abord, les gros projets sont souvent analysés plus en profondeur au moment de l’octroi de permis, en raison de l’ampleur de leurs répercussions environnementales. Ainsi, ce type de projets implique souvent davantage de décisions et d’ordres de gouvernement, ce qui peut causer des tensions et des retards indus. Parallèlement, les gros projets ont aussi un plus gros potentiel : ils peuvent donner lieu à des économies d’échelle qui rapprocheront l’État de ses cibles d’énergie propre tout en assurant des retombées locales positives considérables.

Néanmoins, malgré leur exclusion des processus accélérés, les projets de plus petite taille ne sont pas immunisés contre ces difficultés. Pire, les petits projets sont susceptibles d’être encore plus vulnérables aux obstacles financiers causés par les délais réglementaires; la mise en place de dispositions supplémentaires adaptées à leur particularité pourrait être bénéfique. On pourrait notamment penser à un cadre pour accélérer les petits et moyens projets qui répondent à une liste minimale de critères environnementaux et sociaux.

Limites des refontes

Bien que les refontes new-yorkaise et californienne soient encore jeunes et ne soient pas pleinement déployées, on observe déjà certaines limites qui, si elles étaient ignorées, pourraient en restreindre l’efficacité, voire avoir des conséquences indésirées.

1) Le vocabulaire imprécis de la refonte californienne met en péril son efficacité.

Si la refonte californienne définit des cibles légales ambitieuses pour accélérer l’octroi de permis, le vocabulaire imprécis employé dans le texte de loi pourrait bien lui nuire. Par exemple, il est possible de repousser la limite de 270 jours pour les examens des répercussions environnementales en cas « de changements importants […] pouvant avoir de nouveaux effets considérables […] » ou « de nouvelle information d’importance majeure […] », ou encore si le ministère étatique de la Pêche et de la Faune ou le State Water Resources Control Board ont besoin de plus de temps pour recueillir des renseignements. Et ce n’est pas tout : la loi établit explicitement que la California Energy Commission doit certifier un examen des répercussions et rendre sa décision « au plus tard 270 jours suivant la réception d’une demande, ou aussi vite que possible après cette date. » Or, « aussi vite que possible » est une mesure de temps très large qui laisse place à des abus.

2) L’accélération du processus d’octroi de permis pourrait compromettre les droits des nations et des résidents autochtones dans les États de la Californie et de New York.

En vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que les États-Unis n’ont pas signée, mais ont dit appuyer en 2010, le consentement préalable des peuples autochtones, donné librement et en connaissance de cause, est essentiel à tout projet. Le respect des conditions définies dans la Déclaration requiert l’établissement de relations avec les nations et communautés autochtones touchées, ce qui demande temps et effort. Comme l’explique Trent Fequet, président-directeur général de Steel River Group, une société autochtone de gestion des affaires, « le développement de relations ne peut pas se faire plus vite que le développement de la confiance »; aussi les promoteurs doivent-ils entrer en contact régulier avec la communauté et s’y impliquer dès le début de leur projet.

Or, le fait d’accélérer les processus d’octroi de permis pourrait compromettre l’obtention du consentement préalable libre et éclairé que préconise la Déclaration.

La Californie a porté une attention particulière aux droits et aux titres autochtones dans son processus. Par exemple, l’État est tenu de remettre une copie de la proposition aux tribus autochtones « culturellement et traditionnellement associées à l’emplacement géographique du site et d’entreprendre une consultation de ces tribus. » Il doit aussi intégrer le savoir autochtone traditionnel à son processus, et les promoteurs doivent tenir compte des tribus concernées dans leurs ententes d’avantages pour la communauté.

Malgré cette bonne volonté, la limite de temps imposée pour l’octroi de permis en Californie pourrait mener à une inclusion des nations autochtones non conforme aux principes de la Déclaration. Contrairement au Canada, les États-Unis n’ont pas d’obligation légale en ce qui concerne la participation ni même la consultation des gouvernements autochtones avant la délivrance d’un permis susceptible d’avoir des répercussions majeures sur ceux-ci. Le langage imprécis entourant l’échéancier (mentionné plus haut) donne un peu plus de latitude en la matière, mais il est encore trop tôt pour déterminer comment le tout se jouerait en pratique.

Notons que la refonte mise en place dans l’État de New York n’offre pour sa part aucune disposition ni aucun vocabulaire en lien avec les droits et les titres autochtones.

3) Les deux refontes améliorent l’efficacité administrative, mais il n’est pas certain que les ressources humaines soient suffisantes pour traiter toutes les demandes de projets d’énergie propre à venir.

Aux échelles nationale et étatique, la capacité administrative limitée est l’une des principales causes de retards dans l’octroi de permis et d’autres questions réglementaires. Pour assurer un examen des demandes dans un délai raisonnable, il sera crucial de voir à la planification et au financement soutenu à long terme d’une dotation en personnel compétent et expérimenté. La capacité administrative devra suivre la hausse marquée des propositions de projets pour que le processus demeure efficace.

Cela dit, les refontes dans les États de New York et de la Californie visent à simplifier le processus d’octroi de permis, ce qui contribue à pallier le déficit de capacité administrative. Par exemple, la nouvelle autorité dans l’État de New York a été spécialement conçue pour réunir les ressources administratives dispersées.

Il n’est cependant pas donné que l’une ou l’autre refonte permettra d’assurer une capacité administrative adaptée à un nombre de demandes bien plus élevé. La Californie a dans cette optique proposé un financement à long terme pour la California Energy Commission, mais doit encore le budgétiser.

4) Aucune des deux refontes ne règle la question des interconnexions d’énergie propre, ce qui souligne l’importance du gouvernement fédéral.

Le processus pour relier les projets d’énergie propre au réseau électrique est souvent long aux États-Unis. Les demandes d’interconnexion sont évaluées dans l’ordre où elles sont reçues par des exploitants de réseau indépendants ou régionaux, ce qui engendre souvent des délais de traitement de plusieurs années. À la fin de 2021, l’équivalent de 1,4 térawatt (14 000 gigawatts) de capacité de production et de stockage était en attente d’interconnexion au pays, soit trois fois plus qu’en 2016. Les demandes en attente auprès d’exploitants de réseau indépendants ont plus que quintuplé en Californie depuis 2014, et dans l’État de New York, elles sont passées d’un total d’environ 10 gigawatts en 2014 à environ 75 gigawatts en 2021.

En raison de la situation, de nombreux promoteurs ont abandonné leur projet d’énergie propre. À l’échelle nationale, seuls 23 % des projets proposés finissent par voir le jour, et ce taux est à la baisse. Il se trouve même que la Californie et New York sont les deux États affichant les plus bas taux de projets mis en service, avec 13 % et 17 % respectivement.

Malheureusement, la refonte de la Californie ne résout pas la question des interconnexions; le projet de loi no 205 ne prévoit aucun changement pour California ISO, l’exploitant de réseau indépendant de l’État. Et si celle de New York propose des mesures prometteuses pour accélérer l’octroi de permis et investir dans les plans de financement de la distribution et du transport local, celles-ci ne seront peut-être pas suffisantes, car les projets de transport interétatique relèvent de la compétence fédérale.

Néanmoins, des annonces récentes laissent présager que le gouvernement fédéral travaille sur ce problème. Notamment, la Federal Energy Regulatory Commission a récemment vu son pouvoir de filet de sécurité en matière d’octroi de permis élargi. Si le gouvernement continue sur cette lancée, elle pourrait régler encore plus d’enjeux d’interconnexion. De plus, le ministère de l’Énergie a publié, en août 2023, une proposition de programme interorganisme coordonné d’autorisation et d’octroi de permis pour les projets de transport, qui prévoit une limite de deux ans pour les examens et simplifie le processus de demande.

Leçons pour le Canada

Les nouveaux processus d’octroi de permis de la Californie et de New York ont beaucoup de potentiel pour ce qui est d’accélérer l’évaluation et l’approbation des projets d’énergie propre; ils réduisent les délais d’approbation et de construction et exigent un réinvestissement explicite dans la collectivité d’accueil. Cette façon de faire vise à garantir l’appui de la population plus tôt dans le processus et à réduire les tensions indues sans toutefois compromettre les principes environnementaux et sociaux que les processus initiaux avaient été conçus pour protéger. Les points forts et les limites des deux refontes sont résumés dans le tableau 1. On peut voir les limites comme des possibilités d’amélioration et d’approfondissement de la recherche.

Tableau 1 : Points forts et limites des refontes californienne et new-yorkaise de l’octroi de permis pour les projets d’énergie propre

Points fortsLimites
1. La définition d’un échéancier clair les favorise la viabilité financière des projets d’énergie propre.1. Le vocabulaire imprécis de la refonte californienne met en péril son efficacité.
2. Le fait d’imposer des ententes sur les retombées avec la communauté atténue l’opposition locale et accélère l’octroi de permis.2. L’accélération de l’octroi de permis pourrait compromettre les droits des nations et des résidents autochtones.
3. L’élimination des coûts liés aux demandes de permis visant des sites contaminés accélère le développement des projets d’énergie propre.3. Les deux refontes visent l’efficacité administrative, mais la dotation en personnel est incertaine.
4. La définition de délais maximums pour les litiges réduit les coûts pour les promoteurs.4. Aucune des deux refontes ne règle la question du transport interétatique, ce qui souligne l’importance du travail du gouvernement fédéral sur ce plan.
5. La possibilité d’adhérer au processus accéléré confère une latitude supplémentaire.
6. Les critères de taille minimale donnent la priorité aux grands projets, plus susceptibles de se heurter à des obstacles.

Tant les points forts que les limites des refontes comportent des leçons importantes pour le Canada, qui doit lui aussi accélérer rapidement la construction des projets d’énergie propre s’il espère atteindre ses cibles climatiques. Au Canada comme aux États-Unis, les processus d’examen réglementaire et d’octroi de permis sont des obstacles considérables. Les différences dans la structure de gouvernement des deux pays – dont la répartition des compétences entre les administrations fédérale et étatiques ou provinciales – font en sorte que certaines notions ne seront pas directement applicables, mais le Canada peut tout de même tirer plusieurs leçons importantes de cette analyse.

Tout d’abord, l’expérience de l’État de New York (et, dans une moindre mesure, de la Californie) montre que la création d’un guichet unique peut simplifier les processus d’octroi de permis. Ensuite, la définition de délais légaux offrirait une plus grande certitude réglementaire aux promoteurs canadiens et réduirait les coûts et les retards superflus. De plus, le programme new-yorkais permettant de désigner et de préapprouver des sites contaminés pour la construction est une avenue intéressante pour le Canada; les examens environnementaux de ces sites peuvent probablement être raccourcis (particulièrement dans les cas où la nouvelle activité aurait des répercussions sans conteste moindres que l’ancienne). Enfin, le fait d’assurer des retombées à la collectivité d’accueil pourrait s’avérer utile de notre côté de la frontière aussi, en favorisant l’adhésion locale dès le début du processus.

Par ailleurs, les limites et les manques à gagner offrent leurs propres leçons importantes. Notamment, le vocabulaire imprécis utilisé dans la refonte californienne pour poser l’échéancier des examens crée des risques d’abus qui viennent miner l’objectif initial, soit d’apporter une plus grande certitude réglementaire aux promoteurs de projets. En outre, l’expérience des deux États accentue l’importance de veiller à ce que les refontes réglementaires et le resserrement des échéanciers ne compromettent pas les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Cependant, le contexte est manifestement différent entre les deux pays; le Canada a l’obligation constitutionnelle de veiller à la pleine consultation et participation des nations et communautés autochtones, tandis que les États-Unis n’ont pas officiellement signé la Déclaration. Cela dit, si le gouvernement canadien a adopté la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 2021, nous ignorons toujours comment celle-ci sera intégrée au processus d’octroi de permis. Dans les faits, les engagements pris dans cette loi compliquent la définition de nouveaux délais réglementaires pour l’octroi de permis, ce qui signifie que les gouvernements canadiens devront se montrer plus prudents que leurs pendants américains.

Le manque de capacité administrative dans les deux États à l’étude est une autre faiblesse dont le Canada doit tenir compte; il sera important que toute refonte au pays s’accompagne d’un plan de dotation en personnel pensé en fonction de la hausse à prévoir du nombre de demandes et d’examens environnementaux. En dernier lieu, les refontes au Canada devraient s’inspirer des problèmes rencontrés avec les projets de transport et d’interconnexion traversant les frontières étatiques et accorder une attention particulière à l’enjeu de taille que constitue le traitement des lignes de transport interprovincial.

En bref, les gouvernements canadiens devront tenir compte des expériences internationales au moment de réviser leurs propres processus rébarbatifs d’octroi de permis. Mais pour pouvoir tirer pleinement parti de ces leçons, il faudra d’abord comprendre plus pleinement les obstacles parfois uniques qui ralentissent le développement des projets au Canada. S’il est clair que les projets d’énergie propre ne se construisent pas assez rapidement pour atteindre les objectifs climatiques, il sera essentiel de cerner adéquatement les principaux manques à combler dans le système canadien. Sans compréhension exacte et généralisée des faiblesses existantes, aucune refonte ne pourra remplir ses visées à long terme. C’est pourquoi l’Institut climatique du Canada étudie actuellement de plus près les obstacles propres au Canada, dans le but d’aider les gouvernements à faire bon usage des leçons des autres pays.

Les auteurs remercient Jared Forman, employé de l’Institut climatique jusqu’en 2023, pour ses contributions importantes aux premières versions de la présente étude de cas.


Références