Refonte des permis pour les projets d’énergie propre dans les États de New York et de la Californie

Introduction

En 2022, les États-Unis ont adopté l’Inflation Reduction Act, qui prévoit l’injection d’au moins 370 milliards de dollars américains de fonds publics dans l’énergie renouvelable, les véhicules électriques, les combustibles propres, les biocarburants de deuxième génération et d’autres technologies semblables. C’est là tout un investissement générationnel dans la transition énergétique – investissement qui rapporte déjà.

Cela dit, bien que cette loi ait le potentiel de transformer l’économie américaine dans la course à la carboneutralité, la concrétisation de ce potentiel demeure incertaine.

Pour atteindre leur cible de carboneutralité d’ici 2050, les États-Unis devront générer une nouvelle capacité de production d’électricité propre équivalente à la construction de deux centrales solaires de 400 mégawatts chaque semaine pendant 30 ans, comme l’illustre cette analyse. Or, la construction d’une seule de ces centrales aux États-Unis prend généralement quatre à cinq ans.

Le défi est encore plus grand du côté des infrastructures de transport; l’électricité propre sera le pivot d’une économie carboneutre, mais il faut en moyenne plus de 10 ans pour construire des lignes de transport. La vitesse de développement de ces infrastructures devra donc doubler – passant d’une moyenne de 1 % par année à 2,3 % jusqu’en 2030 –, sans quoi plus de 80 % des réductions d’émissions rendues possibles par l’Inflation Reduction Act ne verront jamais le jour.

Deux raisons principales expliquent la lenteur des projets d’énergie propre au pays : les processus d’obtention de permis complexes et chronophages, qui impliquent souvent plusieurs ordres de gouvernement, et l’opposition locale aux projets et la politisation du développement de l’énergie propre.

Comme nous le verrons dans la présente étude de cas, ces deux problèmes sont liés; l’octroi de permis sans consultation suffisante mine l’appui, la confiance et l’adhésion du public, ce qui prolonge encore des processus déjà interminables. C’est pourquoi différents législateurs étatiques et fédéraux ont entrepris une refonte visant à accélérer les processus tout en renforçant les consultations pour que les projets d’énergie propre aboutissent plus rapidement.

Si l’on s’attarde généralement au côté fédéral de la question, la présente étude de cas vise plutôt les refontes entreprises par les États. En effet, la majorité des projets d’énergie propre aux États-Unis doivent se soumettre à une évaluation de l’État concerné pour recevoir un permis de construire, tandis que les processus fédéraux accordent souvent des exemptions aux projets dont les répercussions s’annoncent mineures, ce qui est fréquemment le cas des projets d’énergie propre. Ainsi, les refontes étatiques seront plus importantes pour accélérer la construction des projets – et les processus d’évaluation et d’approbation des États se comparent plus facilement à ceux des provinces canadiennes. Les refontes étatiques sont aussi riches d’exemples d’expérimentations stratégiques pouvant être reproduites par les gouvernements aux prises avec des enjeux semblables.

Dans cette optique, la présente étude de cas se penche sur les refontes des systèmes de permis dans deux des États les plus populeux et les plus prospères qui constituent de véritables fers de lance du climat : New York et la Californie. Elle déterminera si ces refontes atteignent pleinement leur objectif, soit d’accélérer la construction des projets, et examinera les apprentissages que peuvent en tirer les gouvernements canadiens malgré les différences majeures entre les deux pays dans la division des pouvoirs et la gouvernance.

Les processus d’octroi de permis pour les projets d’énergie propre aux États-Unis

La figure 1 replace les refontes étatiques dans le contexte du processus global d’octroi de permis aux États-Unis. Si le processus exact dépend de l’emplacement et de la nature de chaque projet, les promoteurs doivent parfois se soumettre aux examens environnementaux et aux processus de demande de permis de plusieurs ordres de gouvernement (municipal, étatique, régional, interétatique, fédéral, tribal et autochtone). C’est que les États-Unis, tout comme le Canada, sont une fédération. Aussi les promoteurs de projets d’énergie propres1 doivent-ils se conformer à une multitude de processus différents avant d’obtenir le feu vert pour la construction.

Figure 1 : Résumé des processus d’octroi de permis pour les projets aux États-Unis

Cette figure illustre comment les processus réglementaires fonctionnent aux différents niveaux de gouvernement aux États-Unis. Il est important de noter que les caractéristiques des projets et/ou leur taille détermine la dépendance des évaluations environnementales. Cela mène à certaines exemptions des processus de validation mentionnés ci-dessus. De plus, le pouvoir des autorités locales de délivrer des permis pour des projets d’énergie propre pourrait être limité, selon la liberté qu’elles ont de créer leurs propres règles (home rule) et en fonction d’à quel point les lois de l’État les y autorisent ou non (state enabling).

À l’échelle municipale, chaque projet – y compris dans les États de New York et de la Californie – doit d’abord obtenir un permis d’utilisation des terres conformément aux règlements municipaux et aux ordonnances de zonage. À l’échelle étatique, la grande majorité des gouvernements exigent que les promoteurs fassent plusieurs demandes de permis; c’est aussi le cas dans nos deux États. Par exemple, selon la taille du projet et l’emplacement, le promoteur pourrait avoir à déposer plusieurs demandes à l’État et se soumettre à une panoplie de règlements et de cadres d’évaluation, comme des lois sur la protection des espèces en voie de disparition ou des oiseaux migrateurs. En outre, quelques États, dont ceux de New York et de la Californie, ont des lois sur les évaluations environnementales qui imposent la réalisation d’une étude d’impact avant l’octroi d’un permis.

Les processus municipaux et étatiques peuvent également se chevaucher avec ceux d’autres ordres de gouvernement. Bien que ce problème dépasse la portée de la présente étude de cas, notons ce qui suit :

  • Échelle régionale et interétatique : Les projets qui s’étendent sur plusieurs États (p. ex. les projets de production et de transport d’énergie renouvelable) doivent aussi être approuvés par des exploitants de réseau indépendants à l’échelle étatique ou interétatique. Par exemple, les promoteurs qui souhaitent relier leur projet d’énergie renouvelable au réseau électrique doivent faire une demande d’interconnexion. Certains projets de transport doivent aussi obtenir l’approbation de la Federal Energy Regulatory Commission.
  • Échelle fédérale : Les projets de grande envergure doivent obtenir des permis fédéraux et se soumettre à une évaluation environnementale fédérale (p. ex. en vertu de la National Environmental Policy Act). Comme à l’échelle étatique, on trouve ici toutes sortes de lois et règlements relevant d’une multitude d’organismes fédéraux qui octroient des permis. Dans les cas où plusieurs permis fédéraux sont nécessaires, un organisme fédéral principal coordonne l’ensemble des processus.
  • Échelle autochtone : En 2012, les tribus autochtones ont obtenu l’autorisation d’établir leurs propres règlements, conformément aux lignes directrices du Bureau des affaires indiennes2. Or, la signature de baux à long terme pour des projets d’énergie propres sur des terres tribales fédérales requiert tout de même l’accord du Secrétaire à l’Intérieur.

Refontes réglementaires à l’échelle étatique

Les États de New York et de la Californie ont pris des mesures audacieuses pour accélérer les projets d’énergie propre. Cette section résume les changements importants en cours.

New York

L’Assemblée législative de l’État de New York a adopté en 2020 l’Accelerated Renewable Energy Growth and Community Benefit Act, la première refonte complète d’un processus étatique d’octroi de permis.

Cette loi multidimensionnelle vise à augmenter la capacité de production d’énergie renouvelable et à accélérer considérablement l’approbation des projets. Elle a instauré l’Office of Renewable Energy Siting, un guichet unique pour les questions de permis, les études d’impact et l’accompagnement des promoteurs dans leurs demandes de permis étatiques. Elle pose aussi des délais légaux pour l’octroi de permis de construire, soit un maximum de six mois pour les projets sur des sites contaminés préapprouvés, et d’un an pour tous les autres projets. La loi prévoit en outre la délivrance automatique du permis si l’Office of Renewable Energy Siting ne rend pas sa décision à temps.

Cette refonte cible principalement les projets d’envergure; seules les propositions de projets d’une capacité de 25 mégawatts ou plus seront automatiquement traitées par l’Office of Renewable Energy Siting, mais les promoteurs de projets de 20 à 25 mégawatts pourront aussi déposer une demande s’ils le désirent.

Ensemble, ces changements réglementaires permettront de réduire fortement les délais de traitement. Avant l’adoption de la loi, il fallait compter environ 5 à 10 ans avant la première pelletée de terre d’un projet d’énergie renouvelable, un obstacle évident à l’atteinte de l’objectif juridiquement contraignant de l’État de New York, soit une production d’électricité à 70 % renouvelable d’ici 2030. Désormais, les nouveaux projets pourraient être approuvés en à peine deux ans.

Qui plus est, la loi comprend un programme « prêt pour la construction » selon lequel le secteur privé peut prédésigner des sites contaminés pour les projets d’énergie renouvelable sur des terrains où des projets de développement économique avaient déjà été approuvés (p. ex. le site d’une ancienne installation industrielle). Lorsqu’un site est jugé viable, la New York State Energy and Research and Development Authority collabore étroitement avec la municipalité concernée pour voir aux permis et à l’interconnexion. Une fois le site pleinement approuvé et doté des permis nécessaires, il est mis aux enchères dans le secteur privé de l’énergie renouvelable.

L’Accelerated Renewable Energy Growth and Community Benefit Act contient aussi des dispositions sur les retombées locales et l’emploi. Tous les nouveaux projets d’énergie renouvelable soumis à l’Office of Renewable Energy Siting et à la New York State Energy and Research and Development Authority doivent offrir des avantages à la communauté d’accueil, comme des crédits de services publics. Le but est d’aller chercher l’adhésion du public dès le départ afin de réduire la probabilité d’une opposition et de retards associés. De plus, la loi prévoit du financement pour permettre à la population d’intervenir pendant le processus d’approbation et de s’assurer des avantages tangibles.

Enfin, la loi autorise l’octroi rapide de permis pour les projets de transport utilisant l’emprise existante et crée un programme d’investissement dans la distribution et le transport local pour faciliter l’atteinte des objectifs climatiques de l’État.

Californie

La construction de projets d’énergie propre dans l’État de la Californie est d’une difficulté notoire; le gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, a récemment indiqué en entrevue que « la population perd confiance en [leur] capacité à mener de grands projets. » Les données lui donnent raison : de tous les états de l’Ouest, c’est la Californie qui met le plus de temps à approuver les projets d’énergie propre.

Les changements climatiques et l’urgence de réduire fortement les émissions de l’État ont fait ressortir les obstacles réglementaires existants. La fréquence croissante des phénomènes météorologiques extrêmes en Californie, illustrée par les vagues de chaleur et les feux incontrôlés récents, ont menacé à maintes reprises la capacité, la fiabilité et la viabilité financière du réseau électrique. Et c’est sans compter que l’État devra considérablement augmenter ses ressources en énergie propre pour atteindre ses cibles.

C’est pourquoi la Californie a entrepris une refonte de son processus d’octroi de permis en 2022, avec le projet de loi no 205.

De bien des façons, cette refonte ressemble à celle observée dans l’État de New York. Elle donne notamment à la California Energy Commission la pleine autorité sur les demandes de permis pour les projets de production éolienne ou solaire de plus de 50 mégawatts et les projets de stockage de plus de 200 mégawattheures. Le projet de loi établit également un délai maximal de 270 jours pour les examens des répercussions environnementales.

La refonte californienne comprend aussi des exigences concernant les retombées locales et l’emploi comparables à celles de la refonte new-yorkaise. Selon le projet de loi no 205, les demandes d’approbation devront s’accompagner de plans sur les retombées pour la communauté afin de réduire ou de prévenir l’opposition du public. Le tout est encadré de normes sur le travail et la rémunération, dont le respect est obligatoire pour toute proposition soumise à la California Energy Commission. Les promoteurs doivent d’ailleurs établir un partenariat avec au moins un organisme communautaire pour la formation professionnelle, l’aménagement d’espaces communautaires comme des parcs ou l’investissement dans les infrastructures publiques. Enfin, la California Energy Commission peut imposer diverses autres conditions d’approbation, selon les enjeux locaux.

Points forts des refontes réglementaires

Dans les deux États, les refontes réglementaires ont le potentiel d’accélérer les projets d’énergie propre et de générer des retombées économiques locales dans le respect de l’environnement. On notera plusieurs points forts déterminants :

1) La définition d’un échéancier plus clair pour les promoteurs contribue à assurer la viabilité financière d’un plus grand nombre de projets d’énergie propre d’importance.

La longueur des processus d’obtention de permis ne fait pas que ralentir les projets d’énergie propre; elle a aussi pour effet de réduire leur bancabilité et leur viabilité économique. En effet, les promoteurs doivent investir dans la mobilisation de la population et des peuples autochtones et embaucher des avocats pour se retrouver dans les dédales administratifs complexes, tout en continuant de payer leurs employés, à une étape où le projet ne rapporte encore aucun revenu. Ainsi, les retards répétés les obligent parfois à trouver du financement supplémentaire – ce qui devient de plus en plus difficile avec le temps – ou à abandonner3 complètement le projet.

Dans l’État de New York, le nouveau système s’avère déjà plus rapide et plus prévisible que l’ancien. Les données publiques indiquent que les huit demandes de projets d’énergie renouvelable entièrement traitées par l’Office of Renewable Energy Siting ont en moyenne mené à l’obtention d’un permis en moins de huit mois. Un seul projet a atteint le délai maximal autorisé d’un an.

Les données initiales suggèrent aussi que les changements opérés dans cet État ont permis de raccourcir toutes les étapes des projets. Avant l’adoption de la loi, on comptait 5 à 10 ans pour l’approbation d’un projet; depuis son adoption, sept des huit projets proposés ont été approuvés en moins de deux ans, l’approbation du huitième ayant pris deux ans et un mois.

La refonte des processus en Californie est pour sa part trop récente pour qu’on puisse en évaluer les effets sur la durée du processus, mais comme elle ressemble à celle de New York, on peut s’attendre à des résultats similaires.

2) L’obligation de conclure des ententes sur les retombées avec la communauté contribue à atténuer l’opposition locale et à accélérer l’octroi de permis.

Une étude américaine récente a révélé que les inquiétudes quant à une éventuelle diminution de la valeur des terres étaient la principale source d’opposition locale aux projets d’énergie propre. L’analyse indiquait également que les détracteurs des projets croyaient qu’une utilisation différente du site désigné servirait mieux la collectivité. Enfin, elle soulignait que l’opposition locale était plus grande lorsque la population ne se sentait pas écoutée ou suffisamment consultée pendant le processus. Par ailleurs, la mésinformation sur les prétendus dangers des énergies renouvelables ferait aussi obstacle à l’obtention de permis d’utilisation des terres.

Les refontes dans les États de New York et de la Californie exigent que les promoteurs s’entendent sur des retombées avec la population locale, dans l’objectif d’assurer des avantages tangibles au milieu hôte pour apaiser les inquiétudes qui ralentissent ou empêchent typiquement la construction de projets. En favorisant les investissements dans les centres communautaires, les écoles et d’autres ressources précieuses pour la communauté, ces ententes atténuent les craintes concernant la valeur des propriétés et l’utilisation du territoire. Par exemple, dans le cadre du projet solaire Tracy, autorisé par l’Office of Renewable Energy Siting de New York, EDF Renouvelables prévoit investir chaque année 20 000 dollars américains dans des initiatives locales et communautaires, sur une période de 10 ans suivant la mise en service du site en 2025.

L’État de New York va encore plus loin, demandant aux promoteurs de projets d’énergie propre de fournir des crédits de services publics aux quartiers touchés et de financer des occasions de participation. La proposition pour le projet Mill Point Solar I, par exemple, prévoit la répartition égale de 1,25 million de dollars américains sur 10 ans entre les clients de services publics dans la municipalité de Glen. De telles ententes permettent aux membres de la collectivité de prendre part au processus d’octroi de permis, et à la transition énergétique plus largement.

Autre avantage des ententes avec la communauté : elles priorisent indirectement les projets les plus stables financièrement. En effet, la préparation d’une telle entente requiert une grande coordination et planification ainsi que des finances solides. Les projets plus faibles sont dès lors écartés.

Dans l’ensemble, la prévision d’ententes sur les retombées pour la communauté aide à définir et à officialiser les attentes des deux parties – la communauté et le promoteur –, ce qui accélère le processus et favorise l’adhésion du public. Les refontes des deux États partent du principe qu’une entente consciencieuse est un investissement nécessaire pour garantir un appui à long terme, et que plus l’entente arrive tôt, plus elle sera efficace.

3) L’élimination des coûts liés aux demandes de permis pour les projets d’énergie propre visant des sites contaminés encourage leur réalisation.

Le programme « prêt pour la construction » de l’État de New York renverse le processus d’octroi de permis pour les projets d’énergie propre. En évaluant des sites contaminés pour y préautoriser la construction de projets d’énergie propre et en établissant à l’avance un lien et une entente avec la communauté, ce programme élimine les coûts et l’incertitude qui insécurisent les promoteurs dans le processus. Une fois les demandes de permis et d’interconnexion approuvées et le site vendu à un promoteur privé, la construction peut commencer immédiatement, sans menace de retards réglementaires ni risques majeurs de poursuite.

La refonte de la Californie, quant à elle, ne prévoit aucun mécanisme pour accélérer les projets sur les sites contaminés.

4) La définition de délais maximums pour les contestations et les révisions judiciaires permet de réduire les coûts pour les promoteurs.

Les poursuites visant des projets de construction, souvent lancées par des citoyens inquiets des répercussions sociales ou environnementales, sont assez fréquentes aux États-Unis. Ces litiges créent un obstacle important à l’accélération de la construction des projets d’énergie propre à l’échelle locale et nationale, et ce même lorsque des efforts sont faits pour simplifier le processus de sélection des sites. 

Les actions judiciaires sont particulièrement répandues en Californie, où la California Environmental Quality Act (CEQA) définit les projets publics de façon à englober tout projet de développement privé. Résultat : on peut facilement et à peu de frais soumettre une contestation anonyme avançant que l’examen en vertu de la CEQA était incomplet ou insuffisant. Évidemment, une telle contestation peut rallonger le processus de manière importante, voire décourager complètement les promoteurs de proposer un projet.

Les changements du projet de loi no 205, en Californie, tentent de contourner ce problème en imposant une limite de temps pour les demandes de révision judiciaire. L’État espère ainsi réduire les coûts pour les promoteurs et réduire l’efficacité des poursuites frivoles.

Cela dit, on ignore encore si cette refonte aura l’effet escompté. La limite de temps pourrait notamment empêcher les citoyens de faire valoir des préoccupations pertinentes au sujet des projets d’énergie propre. D’autres outils, comme des lois strictes contre les poursuites-bâillons (poursuites de mauvaise foi visant à limiter ou à compromettre des processus publics) ou la fin des contestations anonymes, pourraient aussi contribuer à endiguer ce phénomène. À l’avenir, les stratégies juridiques visant à ralentir ou arrêter les projets d’énergie propre resteront probablement un frein important dans le processus d’examen réglementaire dans les deux juridictions.

5) La possibilité pour les promoteurs d’adhérer ou non au processus accéléré leur donne plus de latitude.

La refonte californienne propose une adhésion facultative, permettant aux promoteurs de choisir le forum le plus favorable. Par exemple, si le site proposé se trouve sur un territoire largement favorable aux projets d’énergie renouvelable, le promoteur pourrait décider de ne pas utiliser le processus de la California Energy Commission. À l’inverse, si le projet affronte une opposition citoyenne ou que l’autorité locale n’a pas d’expérience en énergie renouvelable, le promoteur peut faire appel à la Commission, qui aura alors le plein contrôle sur l’octroi de permis.

Cette latitude supplémentaire permet à chaque promoteur de choisir l’option qui convient le mieux à son projet, pour assurer la rapidité du processus.

Cependant, tout comme la limite de temps pour les actions judiciaires, cette mesure californienne pourrait avoir des conséquences indésirées, soit de minimiser ou d’écarter des questions légitimes à l’échelle locale. La gravité de ces conséquences dépendra largement de la façon dont l’État appliquera la loi. Il est toutefois prévu que la California Energy Commission confirme que les projets sont dans l’intérêt du public, ce qui pourrait atténuer ce problème.

6) Les critères de taille minimale assurent la priorité aux projets de grande envergure, qui se heurtent souvent au plus d’obstacles.

Dans les deux États, les refontes ciblent les projets de grande envergure. Dans l’État de New York, les nouveaux processus réglementaires et d’octroi de permis ne s’appliquent qu’aux projets de plus de 20 mégawatts. En Californie, on vise plus de 50 mégawatts pour les projets de production, et plus de 200 mégawattheures pour les projets de stockage.

Cette façon de procéder offre plusieurs avantages. D’abord, les gros projets sont souvent analysés plus en profondeur au moment de l’octroi de permis, en raison de l’ampleur de leurs répercussions environnementales. Ainsi, ce type de projets implique souvent davantage de décisions et d’ordres de gouvernement, ce qui peut causer des tensions et des retards indus. Parallèlement, les gros projets ont aussi un plus gros potentiel : ils peuvent donner lieu à des économies d’échelle qui rapprocheront l’État de ses cibles d’énergie propre tout en assurant des retombées locales positives considérables.

Néanmoins, malgré leur exclusion des processus accélérés, les projets de plus petite taille ne sont pas immunisés contre ces difficultés. Pire, les petits projets sont susceptibles d’être encore plus vulnérables aux obstacles financiers causés par les délais réglementaires; la mise en place de dispositions supplémentaires adaptées à leur particularité pourrait être bénéfique. On pourrait notamment penser à un cadre pour accélérer les petits et moyens projets qui répondent à une liste minimale de critères environnementaux et sociaux.

Limites des refontes

Bien que les refontes new-yorkaise et californienne soient encore jeunes et ne soient pas pleinement déployées, on observe déjà certaines limites qui, si elles étaient ignorées, pourraient en restreindre l’efficacité, voire avoir des conséquences indésirées.

1) Le vocabulaire imprécis de la refonte californienne met en péril son efficacité.

Si la refonte californienne définit des cibles légales ambitieuses pour accélérer l’octroi de permis, le vocabulaire imprécis employé dans le texte de loi pourrait bien lui nuire. Par exemple, il est possible de repousser la limite de 270 jours pour les examens des répercussions environnementales en cas « de changements importants […] pouvant avoir de nouveaux effets considérables […] » ou « de nouvelle information d’importance majeure […] », ou encore si le ministère étatique de la Pêche et de la Faune ou le State Water Resources Control Board ont besoin de plus de temps pour recueillir des renseignements. Et ce n’est pas tout : la loi établit explicitement que la California Energy Commission doit certifier un examen des répercussions et rendre sa décision « au plus tard 270 jours suivant la réception d’une demande, ou aussi vite que possible après cette date. » Or, « aussi vite que possible » est une mesure de temps très large qui laisse place à des abus.

2) L’accélération du processus d’octroi de permis pourrait compromettre les droits des nations et des résidents autochtones dans les États de la Californie et de New York.

En vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que les États-Unis n’ont pas signée, mais ont dit appuyer en 2010, le consentement préalable des peuples autochtones, donné librement et en connaissance de cause, est essentiel à tout projet. Le respect des conditions définies dans la Déclaration requiert l’établissement de relations avec les nations et communautés autochtones touchées, ce qui demande temps et effort. Comme l’explique Trent Fequet, président-directeur général de Steel River Group, une société autochtone de gestion des affaires, « le développement de relations ne peut pas se faire plus vite que le développement de la confiance »; aussi les promoteurs doivent-ils entrer en contact régulier avec la communauté et s’y impliquer dès le début de leur projet.

Or, le fait d’accélérer les processus d’octroi de permis pourrait compromettre l’obtention du consentement préalable libre et éclairé que préconise la Déclaration.

La Californie a porté une attention particulière aux droits et aux titres autochtones dans son processus. Par exemple, l’État est tenu de remettre une copie de la proposition aux tribus autochtones « culturellement et traditionnellement associées à l’emplacement géographique du site et d’entreprendre une consultation de ces tribus. » Il doit aussi intégrer le savoir autochtone traditionnel à son processus, et les promoteurs doivent tenir compte des tribus concernées dans leurs ententes d’avantages pour la communauté.

Malgré cette bonne volonté, la limite de temps imposée pour l’octroi de permis en Californie pourrait mener à une inclusion des nations autochtones non conforme aux principes de la Déclaration. Contrairement au Canada, les États-Unis n’ont pas d’obligation légale en ce qui concerne la participation ni même la consultation des gouvernements autochtones avant la délivrance d’un permis susceptible d’avoir des répercussions majeures sur ceux-ci. Le langage imprécis entourant l’échéancier (mentionné plus haut) donne un peu plus de latitude en la matière, mais il est encore trop tôt pour déterminer comment le tout se jouerait en pratique.

Notons que la refonte mise en place dans l’État de New York n’offre pour sa part aucune disposition ni aucun vocabulaire en lien avec les droits et les titres autochtones.

3) Les deux refontes améliorent l’efficacité administrative, mais il n’est pas certain que les ressources humaines soient suffisantes pour traiter toutes les demandes de projets d’énergie propre à venir.

Aux échelles nationale et étatique, la capacité administrative limitée est l’une des principales causes de retards dans l’octroi de permis et d’autres questions réglementaires. Pour assurer un examen des demandes dans un délai raisonnable, il sera crucial de voir à la planification et au financement soutenu à long terme d’une dotation en personnel compétent et expérimenté. La capacité administrative devra suivre la hausse marquée des propositions de projets pour que le processus demeure efficace.

Cela dit, les refontes dans les États de New York et de la Californie visent à simplifier le processus d’octroi de permis, ce qui contribue à pallier le déficit de capacité administrative. Par exemple, la nouvelle autorité dans l’État de New York a été spécialement conçue pour réunir les ressources administratives dispersées.

Il n’est cependant pas donné que l’une ou l’autre refonte permettra d’assurer une capacité administrative adaptée à un nombre de demandes bien plus élevé. La Californie a dans cette optique proposé un financement à long terme pour la California Energy Commission, mais doit encore le budgétiser.

4) Aucune des deux refontes ne règle la question des interconnexions d’énergie propre, ce qui souligne l’importance du gouvernement fédéral.

Le processus pour relier les projets d’énergie propre au réseau électrique est souvent long aux États-Unis. Les demandes d’interconnexion sont évaluées dans l’ordre où elles sont reçues par des exploitants de réseau indépendants ou régionaux, ce qui engendre souvent des délais de traitement de plusieurs années. À la fin de 2021, l’équivalent de 1,4 térawatt (14 000 gigawatts) de capacité de production et de stockage était en attente d’interconnexion au pays, soit trois fois plus qu’en 2016. Les demandes en attente auprès d’exploitants de réseau indépendants ont plus que quintuplé en Californie depuis 2014, et dans l’État de New York, elles sont passées d’un total d’environ 10 gigawatts en 2014 à environ 75 gigawatts en 2021.

En raison de la situation, de nombreux promoteurs ont abandonné leur projet d’énergie propre. À l’échelle nationale, seuls 23 % des projets proposés finissent par voir le jour, et ce taux est à la baisse. Il se trouve même que la Californie et New York sont les deux États affichant les plus bas taux de projets mis en service, avec 13 % et 17 % respectivement.

Malheureusement, la refonte de la Californie ne résout pas la question des interconnexions; le projet de loi no 205 ne prévoit aucun changement pour California ISO, l’exploitant de réseau indépendant de l’État. Et si celle de New York propose des mesures prometteuses pour accélérer l’octroi de permis et investir dans les plans de financement de la distribution et du transport local, celles-ci ne seront peut-être pas suffisantes, car les projets de transport interétatique relèvent de la compétence fédérale.

Néanmoins, des annonces récentes laissent présager que le gouvernement fédéral travaille sur ce problème. Notamment, la Federal Energy Regulatory Commission a récemment vu son pouvoir de filet de sécurité en matière d’octroi de permis élargi. Si le gouvernement continue sur cette lancée, elle pourrait régler encore plus d’enjeux d’interconnexion. De plus, le ministère de l’Énergie a publié, en août 2023, une proposition de programme interorganisme coordonné d’autorisation et d’octroi de permis pour les projets de transport, qui prévoit une limite de deux ans pour les examens et simplifie le processus de demande.

Leçons pour le Canada

Les nouveaux processus d’octroi de permis de la Californie et de New York ont beaucoup de potentiel pour ce qui est d’accélérer l’évaluation et l’approbation des projets d’énergie propre; ils réduisent les délais d’approbation et de construction et exigent un réinvestissement explicite dans la collectivité d’accueil. Cette façon de faire vise à garantir l’appui de la population plus tôt dans le processus et à réduire les tensions indues sans toutefois compromettre les principes environnementaux et sociaux que les processus initiaux avaient été conçus pour protéger. Les points forts et les limites des deux refontes sont résumés dans le tableau 1. On peut voir les limites comme des possibilités d’amélioration et d’approfondissement de la recherche.

Tableau 1 : Points forts et limites des refontes californienne et new-yorkaise de l’octroi de permis pour les projets d’énergie propre

Points fortsLimites
1. La définition d’un échéancier clair les favorise la viabilité financière des projets d’énergie propre.1. Le vocabulaire imprécis de la refonte californienne met en péril son efficacité.
2. Le fait d’imposer des ententes sur les retombées avec la communauté atténue l’opposition locale et accélère l’octroi de permis.2. L’accélération de l’octroi de permis pourrait compromettre les droits des nations et des résidents autochtones.
3. L’élimination des coûts liés aux demandes de permis visant des sites contaminés accélère le développement des projets d’énergie propre.3. Les deux refontes visent l’efficacité administrative, mais la dotation en personnel est incertaine.
4. La définition de délais maximums pour les litiges réduit les coûts pour les promoteurs.4. Aucune des deux refontes ne règle la question du transport interétatique, ce qui souligne l’importance du travail du gouvernement fédéral sur ce plan.
5. La possibilité d’adhérer au processus accéléré confère une latitude supplémentaire.
6. Les critères de taille minimale donnent la priorité aux grands projets, plus susceptibles de se heurter à des obstacles.

Tant les points forts que les limites des refontes comportent des leçons importantes pour le Canada, qui doit lui aussi accélérer rapidement la construction des projets d’énergie propre s’il espère atteindre ses cibles climatiques. Au Canada comme aux États-Unis, les processus d’examen réglementaire et d’octroi de permis sont des obstacles considérables. Les différences dans la structure de gouvernement des deux pays – dont la répartition des compétences entre les administrations fédérale et étatiques ou provinciales – font en sorte que certaines notions ne seront pas directement applicables, mais le Canada peut tout de même tirer plusieurs leçons importantes de cette analyse.

Tout d’abord, l’expérience de l’État de New York (et, dans une moindre mesure, de la Californie) montre que la création d’un guichet unique peut simplifier les processus d’octroi de permis. Ensuite, la définition de délais légaux offrirait une plus grande certitude réglementaire aux promoteurs canadiens et réduirait les coûts et les retards superflus. De plus, le programme new-yorkais permettant de désigner et de préapprouver des sites contaminés pour la construction est une avenue intéressante pour le Canada; les examens environnementaux de ces sites peuvent probablement être raccourcis (particulièrement dans les cas où la nouvelle activité aurait des répercussions sans conteste moindres que l’ancienne). Enfin, le fait d’assurer des retombées à la collectivité d’accueil pourrait s’avérer utile de notre côté de la frontière aussi, en favorisant l’adhésion locale dès le début du processus.

Par ailleurs, les limites et les manques à gagner offrent leurs propres leçons importantes. Notamment, le vocabulaire imprécis utilisé dans la refonte californienne pour poser l’échéancier des examens crée des risques d’abus qui viennent miner l’objectif initial, soit d’apporter une plus grande certitude réglementaire aux promoteurs de projets. En outre, l’expérience des deux États accentue l’importance de veiller à ce que les refontes réglementaires et le resserrement des échéanciers ne compromettent pas les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Cependant, le contexte est manifestement différent entre les deux pays; le Canada a l’obligation constitutionnelle de veiller à la pleine consultation et participation des nations et communautés autochtones, tandis que les États-Unis n’ont pas officiellement signé la Déclaration. Cela dit, si le gouvernement canadien a adopté la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 2021, nous ignorons toujours comment celle-ci sera intégrée au processus d’octroi de permis. Dans les faits, les engagements pris dans cette loi compliquent la définition de nouveaux délais réglementaires pour l’octroi de permis, ce qui signifie que les gouvernements canadiens devront se montrer plus prudents que leurs pendants américains.

Le manque de capacité administrative dans les deux États à l’étude est une autre faiblesse dont le Canada doit tenir compte; il sera important que toute refonte au pays s’accompagne d’un plan de dotation en personnel pensé en fonction de la hausse à prévoir du nombre de demandes et d’examens environnementaux. En dernier lieu, les refontes au Canada devraient s’inspirer des problèmes rencontrés avec les projets de transport et d’interconnexion traversant les frontières étatiques et accorder une attention particulière à l’enjeu de taille que constitue le traitement des lignes de transport interprovincial.

En bref, les gouvernements canadiens devront tenir compte des expériences internationales au moment de réviser leurs propres processus rébarbatifs d’octroi de permis. Mais pour pouvoir tirer pleinement parti de ces leçons, il faudra d’abord comprendre plus pleinement les obstacles parfois uniques qui ralentissent le développement des projets au Canada. S’il est clair que les projets d’énergie propre ne se construisent pas assez rapidement pour atteindre les objectifs climatiques, il sera essentiel de cerner adéquatement les principaux manques à combler dans le système canadien. Sans compréhension exacte et généralisée des faiblesses existantes, aucune refonte ne pourra remplir ses visées à long terme. C’est pourquoi l’Institut climatique du Canada étudie actuellement de plus près les obstacles propres au Canada, dans le but d’aider les gouvernements à faire bon usage des leçons des autres pays.

Les auteurs remercient Jared Forman, employé de l’Institut climatique jusqu’en 2023, pour ses contributions importantes aux premières versions de la présente étude de cas.


Références

Le secteur pétrogazier du Canada, la voie vers la carboneutralité et l’équité régionale

Lorsque vient le temps de tracer la voie vers la carboneutralité, l’industrie pétrolière et gazière est confrontée à des défis bien particuliers. Alors que d’autres secteurs au Canada mettent progressivement le cap sur la sobriété carbone, les émissions de cette industrie sont tenaces et sa production, ses profits, et son activité économique poursuivent leur croissance. Les sociétés pétrogazières se détournent de la réduction des émissions au profit de la production, des profits et des ristournes à court terme. Parallèlement, les efforts mondiaux pour stabiliser le climat soulèvent de véritables questions sur la demande en gaz et en pétrole canadiens à long terme; pensons au fait que dans la transition mondiale vers la carboneutralité, la demande en acier et en ciment (sobres en carbone) augmentera, alors que celle en gaz et pétrole comme carburant diminuera pour l’économie mondiale, même si la production de combustibles fossiles devient moins gourmande en émissions.

Cette tension nous confronte à un dilemme : combien de capital – politique comme financier – les gouvernements fédéral et provinciaux sont-ils prêts à dépenser pour la décarbonisation d’un secteur appelé à se transformer sur les marchés internationaux? Source de discorde, cette question a alimenté des discussions enflammées au Canada, mais gagnerait à être clarifiée.

Ces visions incompatibles sur le secteur pétrolier et gazier canadien font obstacle aux cibles de 2030 du pays et à sa trajectoire vers la carboneutralité. L’élimination progressive de la production avec des stratégies gouvernementales n’est pas une option viable à court ou à moyen terme. Cependant, les politiques mises en place par le Canada pour l’atteinte des cibles ne sont pas optimales non plus, et l’augmentation des émissions de la production gazière et pétrolière est le principal obstacle.

La solution pour créer les bonnes politiques climatiques pour le secteur pétrolier et gazier au Canada – et, chose tout aussi importante, pour stimuler des échanges véritables sur le sujet au Canada – est de mettre de l’avant explicitement un élément qui a longtemps été politiquement indéfendable : l’équité régionale. Comment les différents secteurs (et les régions associées) devraient-ils contribuer aux trajectoires nationales vers la carboneutralité? Comment les coûts de ces réductions devraient-ils se répartir au pays?

Voilà des questions qui font sourciller les spécialistes de longue date en matière de politiques climatiques. C’est que par le passé, les débats sur l’équité régionale ont paralysé la prise de décision au pays, comme ils l’ont fait pour les négociations internationales sur le climat. Toutefois, ces aspects sont incontournables si l’on souhaite la réussite du Canada dans la transition énergétique mondiale.

Pour trouver le bon chemin vers le progrès, il faut s’attaquer de front à l’équité. En se concentrant explicitement sur cet enjeu, on reconnaît d’emblée que les solutions stratégiques doivent aller au-delà de la réduction des émissions et de l’atteinte des cibles du Canada, tout comme il faut aller au-delà des efforts visant à diminuer les coûts globaux de la réduction des émissions le plus possible et à maintenir la position concurrentielle de l’économie canadienne. Il ne s’agit pas de mettre en place des politiques par consensus, limitées par le plus petit dénominateur commun, mais plutôt d’user de créativité pour élaborer des stratégies permettant d’atteindre les cibles de réduction d’émissions du Canada d’une manière qui est rentable, qui protège le statut concurrentiel et qui est équitable.

En tenant compte de l’équité régionale dans les discussions stratégiques, nous avons dégagé quatre politiques précises qui, sans négliger la nécessité de préparer le terrain avant la transition, placent le secteur pétrolier et gazier du Canada sur la voie d’un avenir concurrentiel et sont compatibles avec un pays et un monde carboneutre. Certaines de ces stratégies tombent sous le sens, d’autres peut-être moins, mais ensemble, elles forment un tout cohérent plus grand que la somme de ses parties.

  1. Mettre en place des règles strictes pour réduire radicalement les fuites et le torchage non urgent de méthane dans la production pétrolière et gazière en amont.
  2. Offrir du soutien financier public pour le captage et le stockage du CO₂ dans le secteur pétrolier et gazier – y compris le crédit d’impôt à l’investissement déjà proposé et un soutien ciblé potentiel supplémentaire pour réduire encore davantage les risques des projets.
  3. Fixer un plafond pour les émissions du secteur pétrolier et gazier canadien qui s’ajouterait à la tarification du carbone déjà en place à l’échelle de l’économie.
  4. Établir, avec le concours du gouvernement, une taxonomie des investissements « de transition » pour répertorier et accroître les investissements privés susceptibles de réduire considérablement les émissions des secteurs difficiles à décarboner.

Quelle forme prend la réussite?

Avant de nous plonger dans les détails stratégiques, prenons un pas de recul. Quels problèmes les gouvernements tentent-ils de résoudre? La définition de la réussite est la première étape vers la compréhension de la place de l’équité dans l’équation.

Objectif no 1 : La réduction des émissions

Ultimement, l’objectif des stratégies de réduction est l’atteinte des cibles d’émissions du Canada dans une optique de diminution des coûts et des risques associés aux changements climatiques. Un été marqué par la chaleur et les feux incontrôlés – dans le monde, mais aussi un peu partout au Canada – montre d’ailleurs toute la nécessité de cette ambition.

La rigueur des politiques climatiques canadiennes s’est intensifiée au courant de la dernière décennie, ce qui s’est manifesté par une réduction tangible des émissions. Cependant, comme le montre la figure ci-dessous, à moins de mettre rapidement en place toutes les stratégies supplémentaires qu’il a proposées, le Canada ne fera que s’éloigner davantage de sa cible pour 2030.

La trajectoire est importante; si l’on rate la cible de 2030, il sera encore plus difficile d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. De plus, la réduction des émissions est un défi cumulatif : moins il y en a en route vers la carboneutralité, plus grands sont nos progrès dans la lutte contre les changements climatiques.

Ce graphique montre les émissions totales de gaz à effet de serre au Canada de 2005 à 2050. Des projections sont présentées montrant 3 scénarios d'évolution des politiques d'ici 2030 : légiférées, légiférées et en élaboration, légiférées, en élaboration et annoncées.

Bien que l’on vise la réduction des émissions à l’échelle de l’économie,il est difficile de faire la distinction entre ce grand objectif et les émissions de la production pétrolière et gazière plus précisément. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) provenant de la production pétrogazière (surtout les émissions de portée 1 et 2) sont les plus abondantes et connaissent la croissance la plus rapide au Canada. Le pétrole et le gaz étaient responsables de la production de 189 Mt d’émissions de GES en 2021, soit 28 % des émissions totales officielles du pays. Le secteur pétrolier a connu des améliorations quant à l’intensité de ses émissions (celles produites par baril de pétrole), mais ces améliorations ont été noyées par la hausse de la production globale, qui a fait augmenter les émissions totales.

Objectif no 2 : La rentabilité

En plus de réduire les émissions, la politique climatique devrait aussi chercher à réduire au minimum les coûts économiques de l’atteinte des objectifs climatiques. Les politiques qui imposent des coûts moindres aux entreprises, aux individus et aux gouvernements favorisent une croissance propre et des revenus plus élevés pour la population canadienne. Autrement dit, en tenant compte de la rentabilité de la politique, on reconnaît explicitement que certaines mesures pour réduire les émissions sont plus coûteuses que d’autres, et qu’une réduction des émissions coûteuse serait contre-productive pour le bien-être de la population canadienne.

Il ne s’agit pas de dire que le Canada devrait suivre les principes d’efficacité économique les yeux fermés, mais plutôt qu’il ne devrait pas ignorer l’aspect financier. Il ne fait aucun doute que l’arrêt de la production pétrolière et gazière au Canada réduirait les émissions, mais cela ne se ferait pas sans engendrer des coûts importants. À l’autre extrême, un secteur pétrogazier mésadapté aux marchés mondiaux changeants pourrait aussi engendrer des coûts élevés par ses actifs non concurrentiels voués à la désuétude.

Ainsi, si l’on tient compte de la rentabilité, on tient également compte des retombées économiques historiques, actuelles et futures du secteur pétrolier et gazier. Le pétrole et le gaz occupent encore une place importante dans l’économie canadienne; le secteur représente environ 5 % du PIB et a gonflé les revenus des travailleurs dans les provinces productrices. Il constitue également une énorme source de revenus – provenant de l’impôt sur le revenu et de redevances sur les ressources – pour les gouvernements provinciaux.

Il est essentiel de mettre de l’avant des politiques climatiques rentables pour la prospérité à long terme de la population. Dans le contexte du pétrole et du gaz canadiens, l’élaboration de politiques qui diminuent les coûts au minimum et mènent à une réduction des émissions transformationnelle peut simplifier la transition lorsque la demande mondiale en énergie change.

Objectif no 3 : La concurrentialité

Une bonne politique climatique devrait renforcer la capacité des secteurs à attirer des investissements en harmonie avec le climat pour encourager la croissance économique, les emplois et le bien-être de la population canadienne. En ce qui a trait au secteur pétrolier et gazier, il y a deux côtés à la médaille de la concurrentialité.

D’un côté, si les politiques climatiques nationales restreignent la production plutôt que les émissions de pétrole et de gaz, l’écart de demande ainsi créé serait comblé par l’offre des autres pays tant que la demande mondiale persiste, ce qui mènerait à ce que les économistes appellent la « délocalisation des émissions ». Le résultat net est le pire des deux mondes : un gros coup potentiel à l’équilibre commercial du Canada – en 2022, le pétrole et le gaz représentaient 30 % des exportations du pays – avec des retombées négligeables sur les émissions mondiales. Ces réalités mondiales viennent appuyer la logique du système de tarification fondé sur le rendement du Canada, un type de système de tarification du carbone adapté aux grands émetteurs qui maintient les mesures incitatives de réduction tout en protégeant les producteurs canadiens de la pression excessive de la concurrence.

De l’autre côté, une transition mondiale vers la carboneutralité menace aussi la concurrentialité du pétrole et du gaz canadiens, mais de manière différente. De nouveaux scénarios de l’Agence internationale de l’énergie, de BP et de la Régie de l’énergie du Canada montrent que, dans un monde où le climat est pris au sérieux, la demande mondiale en pétrole reste constante pendant les cinq prochaines années, pour ensuite diminuer, potentiellement rapidement. Même dans le scénario de la Régie, dans lequel le reste du monde progresse plus lentement vers la carboneutralité, la production pétrolière canadienne baisse de 22 % et la production gazière de 37 %. Très rapidement, les politiques externes comme les normes sur les carburants à faible teneur en carbone ou des mesures frontalières pourraient mener à ce que seuls les carburants canadiens produits de manière plus sobre en carbone puissent être concurrentiels sur les marchés internationaux.

Une réalité importante pour la politique climatique canadienne est ainsi mise en lumière : les émissions de combustion associées au pétrole et au gaz canadiens exportés (c.-à-d. les émissions de portée 3, dans le jargon) n’ébranlent pas les cibles climatiques du Canada, car elles sont comptabilisées pour les autres pays où les carburants sont utilisés. Cependant, à mesure que la demande mondiale en combustible fossile diminue, l’incidence des émissions de combustion sur le prix de référence du pétrole, sur la concurrentialité à long terme du secteur pétrolier et gazier du Canada et sur l’équilibre commercial du pays gagne en importance. L’Inflation Reduction Act des États-Unis est un bon exemple illustrant la manière dont le risque d’une telle transition pourrait se manifester, comme on s’attend à ce que ce projet de loi stratégique emblématique pour le climat et le secteur accélère l’abandon des combustibles fossiles dans le marché d’exportation principal du Canada.

La concurrentialité n’est pas seulement un enjeu à court terme. Une bonne politique climatique doit aussi prendre en compte la manière dont les régions peuvent attirer et maintenir les investissements tout au long de la transition. Au fil du temps, le secteur pétrolier et gazier pourrait se transformer et offrir des biens et services – ainsi des emplois et des revenus – qui auraient leur place dans une économie carboneutre.

Objectif no 4 : L’équité régionale

L’approche actuelle du Canada en matière de politiques climatiques est à peu près conforme aux trois objectifs mentionnés jusqu’à présent. Une tarification du carbone à l’échelle de l’économie encourage la réduction des émissions à moindre coût dans tous les secteurs. Grâce à une approche de tarification du carbone axée sur les résultats – pour des secteurs fortement émetteurs, mais dont le prix est aussi négocié sur les marchés internationaux, comme le pétrole et le gaz –, le Canada est concurrentiel à l’international et évite les enjeux de délocalisation des émissions mentionnés plus haut. La réglementation du méthane pourrait réduire à moindre coût les émissions auxquelles il est difficile d’attribuer une valeur. Toutes choses étant égales par ailleurs, le resserrement de ces politiques, surtout celui de la tarification du carbone, serait une manière rentable de réduire encore davantage les émissions tout en protégeant la concurrentialité.

Les objectifs d’une bonne politique ne s’arrêtent pas là. Bien que ce soit le plus difficile à mesurer et à mettre en action, un quatrième objectif est tout aussi important : l’équité régionale.

La question de la répartition des efforts pour atteindre la carboneutralité nationale entre les provinces et territoires est particulièrement épineuse, mais il s’agit, selon nous, de la dimension la plus importante pour faire avancer les politiques climatiques au Canada. Les compétences en environnement sont partagées par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, ce qui fait de l’équité régionale un enjeu complexe et incontournable.

Il existe plus d’une manière d’aborder la répartition équitable des efforts au sein des secteurs et des régions. À l’avenir, faudrait-il mesurer l’équité régionale en fonction des réductions d’émissions? Des réductions d’émissions cumulatives au fil du temps? Des améliorations sur le plan de l’intensité des émissions? Des émissions relatives au point de référence pour une année donnée? Des coûts de réduction? L’enjeu sous-jacent de ces différentes définitions, c’est l’absence de méthode objective et juste pour mesurer l’équité. Une discussion claire sur les compromis peut toutefois contribuer à faire avancer les négociations.

Dans les dernières années, l’approche en matière de politiques climatiques du Canada a réussi, dans une certaine mesure, à contourner cette question. Un prix du carbone établi pour l’ensemble de l’économie stimule une réduction des émissions rentable, mais qui ne tient pas compte du secteur ou de la région. Les régions où ces mesures sont plus rentables peuvent en faire plus. En d’autres mots, les politiques canadiennes se sont concentrées sur le traitement équitable des secteurs et régions.

Avec le Canada qui pousse pour réduire davantage ses émissions, toutefois, cet équilibre ne tient plus.

Le processus de législation de la responsabilisation en matière de carboneutralité du Canada, répondant à un besoin, suit de plus en plus le progrès secteur par secteur, et d’autres pays font de même. Les émissions par secteur sont réparties de manière asymétrique entre les provinces en raison des différences géographiques et géologiques, mais aussi des choix historiques et du développement économique. Des provinces comme l’Alberta et la Saskatchewan jugent injuste la perspective d’une politique – comme le plafond proposé pour les émissions – plus stricte pour le secteur pétrogazier que pour les autres secteurs. Il est important de noter que ces préoccupations concernent autant les coûts que l’ampleur des réductions d’émissions exigées.

L’équité peut aussi devenir une lame à double tranchant. À mesure que le Canada trace des trajectoires vers la carboneutralité, il exige une réduction des émissions de plus en plus importante. En augmentant le prix du carbone comme prévu, soit en le faisant passer à 170 $ par tonne d’ici 2030, il pourrait combler les lacunes et stimuler une plus grande réduction des émissions dans l’ensemble de l’économie. Or, le fait de parvenir aux réductions exigées par l’établissement d’un prix du carbone commun pour toute l’économie exacerbe les enjeux de répartition dans les régions et secteurs.

Les émissions associées au pétrole et au gaz pourraient bien continuer d’augmenter, comme elles le font considérablement depuis 2005, à cause des coûts élevés de réduction pour le secteur. Ainsi, si le Canada garde le cap vers son objectif, les autres secteurs se verraient contraints de prendre des mesures plus draconiennes, puisqu’ils auraient droit à une moins grande part d’émissions. En parallèle, les retombées économiques de ces activités polluantes – qui sont considérables à l’échelle locale – sont concentrées en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et à Terre-Neuve-et-Labrador.

Les tendances d’émissions historiques ont aussi des conséquences sur l’équité régionale perçue. Les actions passées visant à réduire les émissions sont négligeables pour la rentabilité de la réduction des émissions pour l’avenir; ce sont des coûts irrécupérables. Toutefois, ce ne sont pas tous les secteurs qui ont pris les mêmes mesures; certaines régions ont contribué plus que d’autres aux réductions passées.

Enfin, en ce qui a trait à l’équité régionale, on doit considérer non seulement la répartition des réductions, mais aussi celle des coûts de ces réductions. Comme nous le verrons plus bas, les politiques peuvent répartir les coûts de la réduction d’émissions de plusieurs manières. Les subventions fédérales, par exemple, font payer les contribuables canadiens.

Une politique jugée injuste suscite de l’opposition et a moins de chance de perdurer. Oui, les différentes approches pour mesurer l’équité peuvent être controversées, mais le fait d’ignorer l’équité ne fera qu’exacerber ces problèmes en fin de compte. En tenant explicitement compte de l’équité régionale, on ouvre la porte à des politiques climatiques durables et efficaces au Canada.

Quatre politiques importantes pour le secteur pétrolier et gazier

Quatre politiques peuvent, ensemble, équilibrer les tensions et les compromis liés aux quatre objectifs, soit la réduction des émissions, la rentabilité, la concurrentialité et l’équité régionale. Elles exigent elles aussi des compromis, mais dans l’ensemble, abordent les différents enjeux soulevés par chacune des politiques.

Politique no 1 : Des règlements stricts sur le méthane pour la production pétrolière et gazière en amont

Commençons avec la politique la plus accessible pour le secteur. Le gouvernement fédéral a présentement dans ses cartons de nouveaux projets de règlements pour obliger les sociétés pétrolières et gazières à prendre des mesures pour réduire radicalement les fuites et le torchage de méthane dans l’atmosphère. Selon ces règlements, les producteurs de gaz et de pétrole devront réduire leurs émissions de méthane de 75 % d’ici 2030. Il est à noter que le gouvernement de l’Alberta a suggéré qu’il faudrait plutôt une réduction de près de 80 %, et le gouvernement de la Colombie-Britannique désire réduire presque complètement ses émissions de méthane d’ici 2035; deux cibles jugées atteignables et peu coûteuses.

Le gouvernement fédéral a de multiples raisons d’aller de l’avant avec ses règlements sans tarder.

Sur le plan environnemental, il est très important de réduire le méthane, car il s’agit d’un GES puissant. Il est crucial de contenir ces émissions, car elles sont pour l’instant considérablement sous-estimées par le secteur pétrolier et gazier : le problème est plus grand que ce que le Rapport d’inventaire national laisse entendre.

Les réductions de méthane sont aussi peu coûteuses, car l’élimination des fuites et les solutions au torchage non urgent permettent la vente de gaz qui autrement serait gaspillé. Comme de nombreuses activités et technologies de réduction des fuites de méthane fugitives sont abordables, les règlements qui exigent des mesures régulières de surveillance et de réduction des fuites de méthane sont une solution rentable et comblent une lacune importante. Une analyse de Dunsky Énergie + Climat va dans le même sens : l’objectif de réduction de 75 % du gouvernement pourrait coûter en moyenne l’équivalent de 11 $ par tonne d’éq. CO₂. Une nouvelle analyse de l’Institut climatique montre qu’en suivant simplement les règlements de réduction du méthane prévus, on peut atteindre le tiers des réductions nécessaires pour mettre le secteur pétrolier et gazier sur le droit chemin vers les objectifs de carboneutralité du Canada. De plus, le fait de mettre plus d’efforts sur la réduction du méthane entraîne une diminution des coûts de la réduction.

Il est aussi logique de s’attaquer au méthane pour la concurrentialité à long terme du secteur. Comme la demande mondiale en gaz baisse, à cause du progrès international pour réduire les émissions, le secteur pétrolier et gazier canadien pourrait se réorienter, notamment vers la production d’hydrogène bleu ou d’asphalte. Toutefois, ces occasions ne sont conformes à l’objectif de carboneutralité que si les sociétés éliminent leurs émissions de méthane en amont. Même à court terme, les États-Unis visent aussi de grandes réductions dans leurs émissions de méthane, équilibrant le marché pour les sociétés canadiennes.

Il demeure que l’efficacité absolue des règlements canadiens en matière de méthane reposera sur des éléments d’équité régionale. Il est essentiel pour l’équité perçue de la politique, et ainsi pour sa pérennité, d’établir une tarification cohérente entre les provinces et les régions. Alors que des provinces comme l’Alberta et la Colombie-Britannique poussent pour avoir une norme plus stricte que l’approche fédérale proposée, il semble possible d’atteindre une répartition équitable. Et comme les règlements demandent aux sociétés pétrolières et gazières de prendre des mesures à faibles coûts pour réduire leurs propres émissions, les autres aspects d’iniquités régionales, réels et perçus, sont réduits au minimum. Cependant, nous le verrons sous peu : ce n’est pas le cas des subventions fédérales.

Politique no 2 : Un appui politique ciblé et temporaire pour le captage et le stockage du CO₂

Selon les options qui s’offrent aux producteurs pétroliers et gaziers pour réduire leurs émissions, le captage et le stockage du CO₂ (CSC) seraient parmi les meilleures pour mettre le secteur sur la voie de la carboneutralité (avec la réduction du méthane). Le déploiement du CSC est une façon de réduire substantiellement l’intensité carbonique de la production pétrolière et gazière dans un contexte où la demande persiste sur les marchés internationaux. Ce pourrait être la clé de la concurrentialité du secteur canadien au « milieu de la transition » (c.-à-d., quand la demande internationale persiste, mais que les émissions sont de plus en plus importantes).

Cela dit, le déploiement de technologies de CSC, à une échelle suffisante pour réduire substantiellement les émissions, nécessite des investissements sans précédent. Et pour le moment, les montants déboursés sont insuffisants, malgré la tarification du carbone.

Un appui politique peut mobiliser des investissements privés d’entreprises pétrolières et gazières pour le déploiement de technologies de CSC dans leurs installations. Le gouvernement fédéral a proposé un crédit d’impôt à l’investissement pour le CSC, mais les sociétés pétrolières et gazières en veulent plus, notamment des contrats sur différence appliqués au carbone,qui garantiraient la valeur des crédits sur les marchés de tarification du carbone existants (voir l’explication sur ces contrats de l’Institut climatique du Canada).

En mettant sur place ces deux mesures, il est possible de bâtir des projets de CSC à grande échelle avant 2030. Une analyse récente du Pembina Institute et de l’Institut climatique, par exemple, montre que c’est seulement en combinant les contrats sur différence appliqués au carbone aux crédits d’impôt proposés que le déploiement du CSC aux installations de sables bitumineux existantes devient économiquement viable. Elle prouve également qu’aucun incitatif supplémentaire – au-delà des mesures déjà annoncées – n’est nécessaire pour que ces projets dépassent le taux de rendement minimal, surtout si les contrats sur différence rajoutent de la certitude quant à la tarification du carbone.

La combinaison de ces politiques permet de combler d’importants écarts sur le marché, ce qui signifie que le soutien du public apporté aux infrastructures de CSC peut avoir des avantages sociaux qui justifient les coûts.

L’incertitude politique entourant le CSC est un grand obstacle auquel le secteur pétrolier et gazier doit faire face en misant sur cette technologie. Les contrats sur différence appliqués au carbone réduisent cette incertitude en garantissant que les prix du carbone (ou le cours des crédits) augmenteront en fonction de l’échéancier établi par les gouvernements. Ces contrats donnent l’assurance aux producteurs pétroliers et gaziers que les prochains gouvernements ne changeront pas leurs politiques et ne nuiront pas à leurs investissements dans une optique de carboneutralité. Ils sont aussi bien moins coûteux que le financement direct, car des fonds sont seulement attribués à condition qu’un resserrement ultérieur des mesures ne se passe pas comme prévu.

Sans cette combinaison de crédits d’impôt et de contrats sur différence appliqués au carbone, les entreprises privées risquent d’investir trop peu dans le CSC. Conscientes qu’il est peu probable qu’elles obtiennent tous les bénéfices des innovations potentielles, elles investissent moins en recherche et développement que ce qu’on aurait souhaité du point de vue social. Leur expérience pourrait les mener à des apprentissages qui rendent le CSC plus efficace et moins coûteux, mais ce sont d’autres entreprises qui peuvent et vont tirer profit de ces innovations. Cette situation pourrait paver la voie au développement de l’hydrogène bleu ou du secteur émergent basé sur la captation atmosphérique directe et les technologies qui éliminent le CO₂ de l’atmosphère pour toujours, technologies que le GIEC juge maintenant nécessaires pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Autrement dit, les subventions pour le CSC seraient rentables pour la société, même au-delà la demande internationale en pétrole et en gaz qui s’annonce.

Cette combinaison de mesures – crédits d’impôt incitatifs et d’atténuation des risques par les contrats sur différence – peut donc contribuer à mobiliser les investissements et l’expertise dans le secteur afin de réduire les émissions ailleurs dans l’économie. Ces avantages perdureraient bien longtemps après la baisse de demande mondiale en pétrole et en gaz : à mesure que le monde accélère sa transition, de meilleures technologies de CSC moins coûteuses offriront un avantage compétitif pour le ciment, l’acier et l’engrais canadiens dans un marché international qui comptabilise explicitement les émissions.

Ces avantages sociaux plus larges justifient également le soutien fédéral et provincial ciblé pour le développement des infrastructures de CSC, comme les pipelines de CO₂ et les installations de stockage. L’appui du public pour un réseau d’infrastructures de CSC pourrait permettre à ces secteurs difficiles à décarboner, comme le ciment, l’acier et les produits chimiques, de directement tirer parti des mêmes infrastructures que le secteur pétrolier et gazier. Cependant, parce que la construction de ce type d’infrastructure nécessite beaucoup de capital, et parce qu’il est difficile pour une entreprise de profiter pleinement des avantages de l’investissement, l’appui politique permettrait d’attirer des investissements privés et de construire ces projets. Dans ce cas-ci, le financement public (prêts, garanties, assurances) pourrait faire bouger les choses.

Mais ces appuis politiques viennent aussi avec leur lot d’enjeux et de pièges.

Premièrement, il est très facile de subventionner cette technologie à outrance. L’analyse de l’Institut climatique sur les entrées de sorties de fonds portant sur l’ajout de dispositifs de CSC dans des installations de sables bitumineux montre que, avec la combinaison d’incitatifs de stratégies gouvernementales existantes et proposées, les exploitants de sables bitumineux peuvent avoir un bon taux de rendement du capital investi. À un certain point, ces appuis deviennent moins une question de partage des risques avec le secteur et concernent davantage la privatisation des avantages et la socialisation des risques. Les fonds publics ont un coût de renonciation; si on les dépense inutilement, on mine la rentabilité de la stratégie.

Deuxièmement, l’appui public direct – qu’il soit par des subventions directes ou qu’il soit plus indirect comme le financement public – vient avec des coûts de renonciation substantiels. Contrairement à d’autres secteurs importants de l’économie canadienne où on s’attend à une stabilisation ou à une augmentation de la demande au fil de la transition (p. ex., énergies renouvelables, hydrogène sobre en carbone, voitures électriques, batteries, et autres biens industriels comme l’acier et le ciment), la demande en pétrole et en gaz devrait diminuer. Et les budgets gouvernementaux ont leurs limites; un dollar dépensé pour la réduction d’émissions du secteur pétrolier et gazier est un dollar de moins pour un secteur à grand potentiel de croissance. Plus vite le reste du monde effectue le virage vers la carboneutralité, plus grands sont les risques que les installations de CSC pour les projets pétroliers et gaziers deviennent non rentables. Par conséquent, les projets de CSC rattachés à la production pétrolière et gazière risquent d’être un gaspillage de fonds publics.

Troisièmement, les subventions pour cette technologie risquent aussi faire augmenter les émissions. Il n’est pas facile d’isoler les investissements en CSC pour la production pétrolière et gazière. En offrant du financement public à un projet de CSC, on pourrait rendre du capital privé accessible pour le développement ou la création de projets qui ne font aucun effort de réduction d’émissions. En d’autres mots, si les fonds publics cette technologie finissent par attirer des investissements en production de combustibles fossiles de manière plus générale, il y a un risque d’engendrer plus d’émissions à long terme, autant au Canada qu’à l’international. Compte tenu des plans de croissance et d’expansion du secteur pétrolier et gazier, ce risque est non négligeable. Pour réduire les risques, la nouvelle taxonomie des investissements climatiques proposée par le Conseil d’action en matière de finance durable du Canada (décrite plus bas) pourrait offrir des critères clairs pour nous aider à déterminer si les investissements ou les projets de CSC sont réellement conformes aux trajectoires de carboneutralité.

Quatrièmement, les subventions fédérales pour le CSC soulèvent des questionnements sur l’équité régionale. Les subventions pour le CSC sont financées par les contribuables canadiens, mais visent des mesures précises dans des régions précises. On peut voir cela comme un enjeu d’équité. Toutefois, si l’on embrasse une perspective plus large, ce l’est moins : en effet, le gouvernement fédéral offre aussi d’autres subventions à des secteurs comme les batteries et les constructeurs automobiles, situés pour la plupart dans le centre de l’Ontario, ce qui en soi constitue également un enjeu d’équité.

Ces enjeux soulignent l’importance d’une conception attentive du financement public pour le CSC, conformément au cadre récemment proposé par l’Institut climatique et l’Institut de recherche en politiques publiques. Comme l’illustre la figure ci-dessous, ce cadre recommande d’utiliser le soutien gouvernemental pour des projets qui ont plus de chances de survivre au déclin de la demande mondiale (c.-à-d. ceux avec des coûts de production moins élevés et des émissions plus faibles). Cela signifie aussi qu’il faut choisir avec soin les leviers d’intervention qui réduisent l’exposition générale au risque de transition pour les investissements publics.

Cette figure montre que les gouvernements devraient tenir compte des risques du projet et des politiques lorsqu'ils misent sur la réduction des émissions du pétrole et du gaz.

Politique no 3 : Un plafond d’émissions pour les producteurs pétroliers et gaziers

Voilà qui nous ramène au plafond proposé pour les émissions associées au pétrole et au gaz du gouvernement fédéral.

Du point de vue des émissions, l’attrait d’un plafond est simple : le secteur pétrolier et gazier du Canada demeure la plus grande source de GES du pays. C’est aussi l’un des seuls secteurs dont les émissions ont augmenté depuis 2005, augmentation qui n’est pas près d’arrêter. Les solutions sobres en carbone ne sont pas encore déployées à grande échelle dans le secteur pétrolier et gazier, alors qu’elles le sont dans les autres secteurs, et de récentes annonces de la part d’entreprises montrent que le secteur renonce à ses engagements en matière d’investissements pour réduire ses émissions.

Un plafond pour les émissions encadrerait efficacement les activités du secteur pétrolier et gazier et pourrait imposer une trajectoire de décarbonisation conforme aux cibles de 2035 et de 2050 du gouvernement. Une telle mesure peut également établir un incitatif réglementaire assez fort pour que le secteur respecte ses propres engagements de carboneutralité. Pour ces mêmes raisons, la Colombie-Britannique examine la possibilité d’imposer au secteur son propre plafond, en partie pour veiller à ce que les nouveaux projets de gaz liquéfié ne compromettent pas les cibles climatiques de la province.

De plus, un plafond fédéral pour les émissions remédierait à certains effets collatéraux négatifs pour l’environnement que pourraient avoir ces subventions : le risque que le financement public fasse augmenter les émissions du secteur serait réduit, et les émissions totales seraient limitées, empêchant les sociétés pétrolières et gazières de compenser les émissions de projets utilisant le CSC (financés par les subventions) tout en augmentant la production sans dispositif d’atténuation dans d’autres projets. Le plafond ferait également porter une partie des risques technologiques aux producteurs pétroliers et gaziers, dans l’éventualité où le CSC se révélerait non viable pour la réduction des émissions de GES à grande échelle. Il forcerait le secteur à respecter ses engagements de carboneutralité d’ici 2050.

Toutefois, les objectifs climatiques du Canada ne sont pas établis par secteur. Un plafond mènerait probablement à une hausse du prix du carbone dans le secteur pétrolier et gazier par rapport aux autres secteurs; par conséquent, la réduction des émissions serait en général plus coûteuse que si l’on haussait cette tarification à l’échelle de l’économie. La solution de rechange n’est cependant pas sans écueils : comme nous l’avons expliqué, il est peu probable que l’augmentation du prix du carbone à l’échelle de l’économie (au-delà de 170 $ par tonne) se traduise par des réductions d’émissions transformatrices dans le secteur pétrogazier, ce qui suscite des préoccupations importantes concernant l’équité pour les autres secteurs qui font déjà le gros du travail.

Le fait que le plafond s’applique aux émissions – et non à la production – aide à protéger la concurrentialité du secteur, puisque cela donne de la latitude aux sociétés quant à leur manière de se conformer; elles peuvent notamment opter pour la réduction directe comme le CSC ou l’électrification, ou par l’achat de crédits sur le marché. Avec ce plafond, les sociétés les plus abordables et moins polluantes auront un avantage concurrentiel. Par ailleurs, si l’on combine un plafond pour les émissions et le financement public pour le CSC, on répartit plus équitablement les coûts des émissions entre les entreprises et le public.

D’un point de vue équitable, un plafond pour les émissions du secteur pétrolier et gazier a des avantages supplémentaires : le secteur – et les régions économiquement liées – devra obligatoirement contribuer aux réductions dans une optique de carboneutralité et respecter les engagements qu’il a pris selon un échéancier conforme aux objectifs du Canada.

Oui, cette politique ne vient pas sans compromis. Un plafond ambitieux imposerait fort probablement un prix du carbone élevé pour le secteur pétrolier et gazier, ce qui rendrait les réductions d’émissions plus coûteuses. Toutefois, les avantages d’un ensemble de politiques équitables peuvent justifier ces prix élevés. Parallèlement, le financement public enlève une partie du fardeau des coûts que le secteur doit respecter.

Un dernier mot sur le plafond sur les émissions : la baisse du taux de capitalisation – c.-à-d. la sévérité du plafond – sème encore la discorde. Le secteur s’inquiète de la vitesse à laquelle il est possible de mobiliser des projets de CSC, ce qui comprend notamment l’infrastructure nécessaire au transport et à l’entreposage sécuritaire de quantités inégalées de dioxyde de carbone. Cependant, en donnant trop de souplesse quant à l’échéance des grandes réductions d’émission, on risque de donner l’impression (possiblement juste) que les sociétés pétrolières et gazières retarderont des investissements sérieux en espérant que les futurs gouvernements assoupliront leurs ambitions stratégiques au lieu de les rendre plus strictes. Il convient d’aborder les coûts et les échéances en tenant compte de débats similaires précédents sur la conformité à des règlements environnementaux où les coûts ont été généralement beaucoup plus bas que les estimations du secteur.

Politique no 4 : Une taxonomie de la transition appuyée par le gouvernement

Les sociétés de combustibles fossiles et leurs investisseurs commencent à mesurer les risques de la transition d’une demande mondiale à la baisse. Mais les informations sur le risque de la transition pour le secteur ne sont pas normalisées dans les marchés financiers, et le risque d’écoblanchiment (c.-à-d. que les sociétés investissent plus dans le marketing et les communications que dans la réduction des émissions) est répandu. Peut-être que, sans surprise, les sociétés pétrolières et gazières ont tendance à planifier autour de scénarios de marché mondial qui n’atteignent pas la carboneutralité en essayant d’attirer du capital, plutôt que de scénarios qui prévoient une baisse importante des émissions et de la demande mondiales.

En adoptant formellement la taxonomie des investissements climatiques proposée par le Conseil d’action en matière de finance durable, le gouvernement fédéral pourrait résoudre le problème d’information. À l’instar des autres taxonomies, qui codifient et identifient les éléments individuels d’un système complexe (p. ex. en biologie), celle de l’investissement climatique se voudrait un cadre normalisé pour aider les marchés financiers à évaluer si leurs projets et investissements concordent effectivement ou non avec les objectifs climatiques du Canada. Des intervenants importants du système de réglementation financière canadien, comme le Bureau du surintendant des institutions financières, la Banque du Canada, des autorités provinciales de réglementation de la sécurité, entre autres, suivent déjà la question. Il ne reste plus qu’à ce que le gouvernement fédéral soutienne officiellement la création d’un nouveau Conseil de la taxonomie et gardien, comme le gouvernement de l’Australie l’a fait cette année.

En améliorant l’information accessible aux investisseurs et aux marchés financiers, une taxonomie canadienne pourrait attirer les capitaux privés dans les activités de réduction des émissions du secteur pétrolier et gazier véritablement en phase avec les engagements climatiques du Canada, ce qui serait avantageux pour la concurrentialité. L’équité et la rentabilité de l’ensemble général seraient par le fait même améliorées. Plus les fonds privés subventionnent les projets de réduction des émissions, moins la nécessité de fonds publics pour la concrétisation de projets est grande.

En d’autres mots, la taxonomie s’ajoute aux subventions pour le CSC et offre un cadre solide pour l’évaluation d’autres types de financement public pour les combustibles fossiles. À long terme, le fait de rendre d’autres éléments centraux de l’infrastructure d’investissement obligatoire, comme la divulgation sur le climat, l’établissement d’une cible de carboneutralité et les plans de transition peuvent améliorer davantage l’information offerte aux marchés financiers et libérer de l’investissement indispensable.

Certains ont dit craindre que la taxonomie sur la transition ne réduise pas vraiment les émissions du secteur pétrolier et gazier. Toutefois, conjuguée à un plafond sur les émissions, elle atténue ces risques : le plafond force le secteur à réduire ses émissions et la taxonomie attire le capital nécessaire à la réduction des émissions du secteur le plus difficile à décarboner au Canada.

Aborder explicitement l’équité régionale favorise la durabilité des politiques climatiques canadiennes

Au début de cet article, nous avons posé une question fondamentale : combien de capital – politique comme financier – les gouvernements fédéral et provinciaux sont-ils prêts à dépenser pour la décarbonisation d’un secteur appelé à se transformer sur les marchés internationaux? Notre réponse : une bonne quantité des deux.

Plus grand émetteur en pleine croissance du Canada – et, à court terme, moteur économique du commerce et de la croissance – le secteur pétrolier et gazier a immédiatement besoin de solutions stratégiques pour réduire ses émissions à court terme et se positionner sur la voie du succès à long terme. Mais une bonne politique doit résister à l’épreuve du temps, et ce sont celles qui récoltent une vaste adhésion qui ont plus de chance d’y arriver. Pour ce faire, il faut prendre en compte l’équité explicitement.

Prendre l’équité régionale au sérieux, ce n’est pas d’ignorer les cibles d’émissions, les coûts ou les implications pour la concurrentialité du secteur. Oui, le Canada a besoin de politiques pour résoudre efficacement les défaillances du marché (p. ex., la tarification du carbone, la réglementation sur le méthane, des informations normalisées). En ajoutant la perspective de l’équité, on jette toutefois un nouvel éclairage les problèmes que les solutions concernant les émissions et l’investissement dans le secteur pétrolier et gazier canadien.

Ultimement, les quatre politiques soulignées dans cet article sont complémentaires et s’attaquent directement aux objectifs centraux d’une bonne politique climatique canadienne. Chaque élément de notre proposition apporte des solutions à des compromis d’autres éléments :

  • Le resserrement des règles sur les émissions de méthane peut entraîner une réduction des émissions à moindre coût et permettre environ le tiers de la réduction nécessaire pour que le secteur atteigne les cibles de 2030, relâchant un peu la pression sur le plafond sur les émissions.
  • Un plafond sur les émissions associées au pétrole et au gaz permet l’atteinte des objectifs climatiques pour 2030 et 2050 du Canada, même si le prix du carbone est plus élevé que pour les autres secteurs. Il permet d’éviter que les autres politiques compromettent l’atteinte des cibles d’émissions et garde le secteur – et les régions où il exerce ses activités – sur le chemin de la carboneutralité.
  • Un soutien financier public pour des technologies comme le CSC peut aider le secteur à respecter le plafond, répondant ainsi aux préoccupations d’équité par rapport au prix du carbone plus élevé. Il aurait également des avantages potentiels pour les fonds publics, et ce, même dans un contexte de décroissance de la demande internationale, en appuyant les infrastructures de CSC que les autres secteurs peuvent aussi utiliser (en tirant profit des investissements privés pour le secteur).
  • Une taxonomie des investissements climatiques appuyée par le gouvernement peut aider le secteur à amasser du capital privé pour la transition afin d’injecter du financement dans de nouveaux investissements respectant le plafond pour les émissions et la réglementation sur le méthane. Cette mesure serait bénéfique pour une concurrentialité sobre en carbone, mais aussi pour une transition vers la carboneutralité rentable.

Ensemble, ces quatre politiques sont plus grandes que la somme de leurs parties et veillent à ce que le secteur pétrolier et gazier contribue à la transition du Canada vers l’énergie propre. Cet ensemble de politiques serait juste pour les provinces productrices de combustibles fossiles, le gouvernement fédéral, le secteur et le reste du Canada. Il pourrait bien s’agir du portail d’entrée d’un chemin crédible et durable vers la carboneutralité pour les années à venir.

Comment assurer la réussite du Fonds de croissance du Canada

Le budget fédéral de 2023 communique une nouvelle importante à l’égard du Fonds de croissance du Canada, la « banque verte » récemment créée pour catalyser les investissements privés dans l’économie verte du Canada. L’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public (Investissements PSP), une société d’État fédérale, gérera les actifs du Fonds de croissance afin de remplir son mandat, qui est d’attirer des capitaux privés pour investir dans l’économie verte du Canada.

C’est une bonne nouvelle qui favorise le démarrage rapide du Fonds de croissance. Investissements PSP dispose déjà d’une expertise et de ressources, et entretient une relation indépendante avec le gouvernement fédéral.

Mais voici le défi : pour réussir, le Fonds de croissance du Canada ne peut pas cibler seulement les rendements privés. Son objectif est d’investir dans des projets dans lesquels le marché seul n’investira pas. Sa mission consistera à trouver des projets qui n’offrent pas de rendement privé à l’heure actuelle, mais qui procureront des avantages plus importants et plus vastes à la société en débloquant des investissements privés supplémentaires. Il s’agit d’une fonction importante, mais qui se distingue de celle à laquelle Investissements PSP est habitué, et elle va probablement à l’encontre de l’instinct de ses stratèges en matière d’investissement.

Nous analysons les principales différences entre les fonctions du Fonds de croissance du Canada et celles d’Investissements PSP et nous en examinons les répercussions sur leurs stratégies d’investissement respectives. Nous abordons également trois moyens de contribuer à la réussite de la relation entre les deux organismes et de permettre au Fonds de croissance du Canada d’atteindre son objectif.

Le Fonds de croissance du Canada et Investissements PSP ont des responsabilités et des objectifs distincts

Organisme créé en 2000, Investissements PSP est l’un des plus importants gestionnaires de fonds pour des régimes de pension au Canada, avec 230,5 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Investissements PSP a pour mandat de gérer ces actifs dans l’intérêt des contributeurs et des bénéficiaires. Il a pour objectif « de placer ses actifs en vue de générer un rendement maximal, tout en évitant les risques de perte indus » et en tenant compte des politiques et exigences des régimes de pension concernés.

De son côté, le Fonds de croissance du Canada a été créé à la fin de 2022 et doté de 15 milliards de dollars provenant du budget fédéral. Son objectif est de faire « des investissements qui catalyseront d’importants investissements du secteur privé dans des entreprises et des projets canadiens pour aider à transformer et à faire croître l’économie canadienne à grande vitesse et à grande échelle sur la voie de la carboneutralité ». Le Fonds a été créé pour soutenir les objectifs de la politique économique et climatique, notamment la réduction des émissions et le bien-être économique futur du Canada. Doté de fonds publics et mis en place pour favoriser des objectifs de politique publique, il est responsable au bout du compte envers la population canadienne.

Ces fonctions distinctes signifient qu’il existe des différences en matière de stratégies d’investissement et de critères de décision (voir le tableau 1).

Le Fonds de croissance du Canada utilisera des outils de financement concessionnels qui permettront d’attirer des investisseurs du secteur privé pour lancer des projets de croissance propre dont la rentabilité économique ne présente pas d’attrait pour les investisseurs traditionnels (y compris Investissements PSP). Les projets de croissance propre sont souvent peu rentables pour les investisseurs privés, car ils reposent sur des technologies novatrices à risque élevé, qu’ils exigent d’importants investissements de capitaux initiaux et que leur horizon de rentabilité est lointain. Ces projets peuvent néanmoins générer des avantages considérables pour la société canadienne, en favorisant la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, en créant des emplois et en permettant aux entreprises, du même secteur ou d’autres, de tirer profit des retombées d’apprentissage. Mais les investisseurs privés ne sont pas en mesure de tirer parti de ces avantages qui profitent à la société dans son ensemble. L’objectif du Fonds de croissance est d’intervenir en réduisant suffisamment les risques des investisseurs privés pour rendre ces projets de croissance propre acceptables et procurer ainsi des avantages pour la société canadienne. Autrement dit, le fait d’assumer des risques plus élevés que les investisseurs traditionnels doit faire partie de la stratégie d’investissement du Fonds et est nécessaire à la réalisation de son objectif. Parallèlement, le Fonds de croissance du Canada cherche également à recouvrer son capital pour l’ensemble de son portefeuille d’investissement (donc pas nécessairement pour chaque projet individuel) et à recycler son capital à long terme (c’est-à-dire pas immédiatement).

En revanche, Investissements PSP n’effectue pas d’investissements concessionnels. Il n’a pas pour mandat de tenir compte des avantages sociétaux dans ses décisions d’investissement, qui dépendent exclusivement de la rentabilité économique du projet, et des risques et rendements pour les investisseurs. Bien qu’Investissements PSP ait élaboré une stratégie climatique et se soit fixé des objectifs en vue de réorienter son portefeuille vers des actifs compatibles avec les objectifs de réduction des émissions du Canada, il n’a pas pour raison d’être de soutenir les objectifs climatiques du Canada. Tenir compte des risques liés au climat et à la transition s’inscrit simplement dans le cadre d’une gestion financière prudente visant à mieux servir les personnes envers lesquelles Investissements PSP doit rendre des comptes, à savoir les retraités actuels et futurs.

En résumé, le Fonds de croissance du Canada et Investissements PSP ont des mandats et des responsabilités qui se chevauchent, mais qui sont distincts (voir le tableau 1). Ces différences supposent des critères d’investissement différents, ou du moins une pondération différente des critères (par exemple, le rendement financier prévu d’un actif par rapport à son rôle anticipé dans la transformation de l’économie canadienne). Par conséquent, la gestion du Fonds de croissance du Canada devra adopter un état d’esprit différent (par exemple, un niveau différent de tolérance au risque) et une expertise différente (par exemple, en matière de politique climatique nationale et mondiale, de financement concessionnel, d’innovation technologique et de marchés des technologies à faibles émissions de carbone).

Le recoupement entre le rendement privé et le rendement social pourrait nuire à l’efficacité du Fonds de croissance du Canada

L’un des principaux risques que comporte cette nouvelle entente est que la fonction du Fonds de croissance du Canada soit érodée par la démarche habituelle d’Investissements PSP en matière de gestion de fonds.La mission du Fonds, qui est d’être axée sur les politiques, risque d’être confondue avec un souci du rendement privé, plutôt que social, que ce soit intentionnel ou non.

La bonne nouvelle est qu’il reste encore des détails importants à régler concernant la relation entre le Fonds de croissance du Canada et son nouvel organisme responsable, ainsi qu’entre le Fonds et le gouvernement fédéral. Et là sera l’occasion d’amoindrir les risques que nous avons décrits ici et d’assurer la réussite du Fonds.

Il y a trois moyens d’atténuer les risques liés à ces ententes :

  1. Le Fonds de croissance du Canada doit être doté d’une stratégie d’investissement claire et transparente.

Pour concrétiser la mission et l’objectif distincts du Fonds de croissance du Canada, il faut le doter d’une stratégie d’investissement explicite et transparente, qui comporte un ensemble de critères de rendement clairement établis et mesurables qui le distinguent des activités principales d’Investissements PSP.

La première lecture du projet de loi C-47 stipule qu’Investissements PSP « peut constituer une filiale dans le but de fournir au Fonds de croissance du Canada Inc., conformément à toute condition convenue par la filiale et le Fonds, des services de gestion de placements ». Le projet de loi propose également d’autres modifications à la Loi sur l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public qui exonèrent la filiale des principes, normes et procédures habituels d’Investissements PSP en matière de placements. Autrement dit, ce projet de loi propose une séparation claire entre les activités principales d’Investissements PSP et la gestion du Fonds de croissance du Canada, conformément à la présente recommandation.

La stratégie d’investissement du Fonds de croissance du Canada devrait être rédigée conjointement par des experts en politique et en finance, car le travail du Fonds doit concilier ces deux domaines. Les auteurs de la stratégie devront avoir une expertise en matière de politique climatique et de croissance propre, ainsi que dans le domaine financier.

Le Fonds de croissance du Canada doit viser les rendements sociaux en plus d’être financièrement rentable. Il doit financer des projets établis au Canada et qui sont avantageux pour la population canadienne. Ce n’est pas une mince tâche. Les marchés mondiaux de capitaux ne se concernent pas particulièrement des avantages localisés des investissements : l’argent va simplement là où les rendements financiers attendus sont les plus élevés.

Il est important que la stratégie du Fonds de croissance du Canada soit accessible au public. Pour renforcer la confiance du public dans le nouvel organisme, la transparence est de mise et elle établira le fondement qui tiendra le Fonds responsable de son rendement dans le cadre de son mandat.

En Australie, la Clean Energy Finance Corporation (CEFC), la plus grande banque verte du monde, est un exemple d’organisme guidé par le type de langage dont pourrait s’inspirer le Fonds de croissance du Canada dans sa stratégie d’investissement. La CEFC a pour objectif de contribuer à la fois à obtenir des résultats politiques et à transformer le secteur de l’énergie renouvelable en Australie. Tout comme le Fonds de croissance du Canada, le rôle de la CEFC est d’établir de nouveaux marchés en finançant des projets dans lesquels les marchés privés n’investissent pas. À l’instar du Fonds, la banque verte australienne investit au nom du gouvernement australien.

Le mandat d’investissement de la CEFC énonce expressément son double objectif. Le mandat établit un rendement de référence du portefeuille que la CEFC doit atteindre à moyen et long terme. Dans un même temps, le mandat stipule également qu’elle doit « tenir compte des externalités positives et des résultats des politiques publiques lorsqu’elle prend des décisions d’investissement et lorsqu’elle détermine l’envergure du financement concessionnel d’un investissement ». À titre d’exemple, le mandat d’investissement encourage fortement la CEFC à « accorder la priorité aux investissements qui soutiennent la fiabilité et la sécurité de l’approvisionnement en électricité ». Dans son rapport annuel, la CEFC doit rendre compte des résultats financiers et non financiers de tous ses investissements.

  1. Pour remplir l’objectif du Fonds, il faut réunir un ensemble diversifié d’expertises.

Le comité décisionnel et le personnel du Fonds de croissance du Canada devraient s’appuyer sur des expertises d’une variété de domaines, y compris la politique climatique nationale et mondiale, le fonctionnement des marchés du carbone au Canada, les outils de financement concessionnels, les voies de la transition vers la carboneutralité, les innovations technologiques et les marchés à faibles émissions de carbone. La consultation formelle d’experts politiques, de l’industrie, de la société civile et des gardiens du savoir autochtones permettrait à PSP d’intégrer des perspectives externes sur ces thèmes. Les décideurs doivent comprendre et savoir comment mettre en œuvre la fonction politique plus vaste du Fonds, en plus de la réalisation du rendement financier des projets. Les décideurs doivent comprendre et connaître comment investir dans des projets présentant des risques plus élevés et utilisant des technologies plus récentes que certains des placements habituels d’Investissements PSP.

De même, ils doivent comprendre le concept d’externalités et d’impacts locaux des projets et des investissements. Les meilleures décisions d’investissement du Fonds de croissance du Canada tiendront compte du potentiel d’un projet à produire des externalités positives pour la société canadienne. À titre d’exemple, les décideurs devraient être en mesure de répondre aux questions suivantes pour saisir pleinement les retombées du projet pour la société canadienne au-delà des considérations financières :

  • Où se situe la technologie sur la courbe d’apprentissage et quel est le potentiel de réduction des coûts de ce projet au fil du temps?
  • Comment le projet profite-t-il à la communauté locale, crée-t-il des possibilités d’emploi et de formation, et contribue-t-il au développement économique régional?
  • Comment le projet contribue-t-il à la réalisation des objectifs de réduction des émissions du Canada?

Pour en revenir à l’exemple de la CEFC en Australie, les décideurs en matière d’investissement doivent avoir une certaine connaissance des réseaux d’électricité pour être capables d’établir les incidences d’un projet donné sur la fiabilité et la sécurité de l’approvisionnement en électricité.

  1. Définir des responsabilités transparentes et différenciées pour les activités principales d’investissement PSP, le gouvernement fédéral et le public rendra le Fonds canadien de croissance plus efficace.

Le Fonds de croissance du Canada a besoin de mécanismes de responsabilité bien conçus pour gérer prudemment ses relations internes et externes.

En raison de son objectif précis, il est essentiel de protéger la séparation entre le Fonds de croissance du Canada et Investissements PSP, tout en gardant la communication suffisamment ouverte pour permettre au Fonds de bénéficier des connaissances spécialisées d’Investissements PSP en matière de placement.

La relation entre le Fonds et le gouvernement fédéral doit éviter à la fois, de la part du gouvernement, une ingérence dans les décisions d’investissement et, de la part du Fonds, un manque d’imputabilité. L’équilibre est délicat, mais des structures de responsabilité robustes peuvent servir de garde-fou efficace.

En ce qui concerne la relation entre le Fonds de croissance du Canada et le public, la transparence et la communication proactive seront déterminantes. À court terme, la publication d’une Déclaration sur les priorités et sur la responsabilité délivré par le Ministère des Finances pour le Fonds contribuerait à une plus grande clarté et transparence. De plus, en établissant une relation harmonieuse avec Investissements PSP et avec le gouvernement fédéral, le Fonds peut instaurer un climat de confiance auprès du grand public.

Conclusion

Comme c’est le cas pour tout investissement, pour que cette entente soit fructueuse, elle doit maximiser les rendements tout en équilibrant les risques. Le Fonds de croissance du Canada peut tirer parti de l’expertise et de la force institutionnelle d’Investissements PSP sans pour autant perdre de vue son objectif particulier et les différences en matière d’expertise et de prise de décisions qui sont nécessaires à sa réussite.

Le Fonds de croissance du Canada a un mandat ambitieux et un rôle important à jouer dans la stratégie politique de croissance propre du Canada. Il sera essentiel d’établir des structures institutionnelles et des mécanismes de responsabilité adéquats pour prendre des décisions d’investissement qui renforcent l’avenir du Canada en matière de faibles émissions de carbone.

Tableau 1 : Principales différences entre le Fonds de croissance du Canada et Investissements PSP

Fonds de croissance du CanadaInvestissements PSP
Raison d’être« Le FCC fera des investissements qui catalyseront d’importants investissements du secteur privé dans des entreprises et des projets canadiens pour aider à transformer et à faire croître l’économie canadienne à grande vitesse et à grande échelle sur la voie de la carboneutralité. »
 
Soutenir les objectifs nationaux en matière de politique économique et climatique :
Réduire les émissions, accélérer le déploiement de technologies à faible teneur en carbone, faire prendre de l’expansion aux entreprises qui stimulent la croissance propre, assurer le bien-être économique et environnemental futur du Canada (source)
« Gérer les montants qui lui sont transférés dans le meilleur intérêt des cotisants et des bénéficiaires en vertu des lois relatives aux régimes. » (source)
Objectifs/stratégie d’investissement« Pour atteindre ses objectifs stratégiques, le FCC utilisera des instruments d’investissement qui absorbent certains risques afin d’encourager l’investissement privé dans des projets, des technologies, des entreprises et des chaînes d’approvisionnement à faibles émissions de carbone, y compris des investissements qui faciliteront l’expansion des entreprises canadiennes de technologies propres. » (source)
 
« Il visera à atteindre ses objectifs stratégiques tout en recouvrant son capital pour l’ensemble de son portefeuille d’investissement et en recyclant son capital à long terme. » (source)
 
« Le FCC apportera un financement concessionnel en acceptant, au besoin, des rendements inférieurs au rendement du marché par rapport au risque qu’il encourt. » (source)
 
La prise de risques s’inscrit dans la stratégie d’investissement et sera nécessaire pour que le Fonds de croissance du Canada puisse s’acquitter de son mandat.
« Placer ses actifs en vue de générer un rendement maximal, tout en évitant les risques de perte indus et en tenant compte de la capitalisation et des politiques et exigences des régimes, ainsi que de la capacité de ces régimes à s’acquitter de leurs obligations financières. » (source)
 
Engagement en faveur de l’investissement durable et des valeurs ESG, action climatique, engagement à investir en contribuant à la transition mondiale vers des émissions carboneutres, taxonomie des actifs verts, augmentation des investissements dans les actifs verts et de transition, diminution des investissements dans les actifs à forte intensité de carbone.
Responsabilité envers qui?« Pleine reddition de comptes auprès de la population canadienne » (source)« Responsabilités envers les contributeurs et les bénéficiaires » (source)

Le pouvoir d’Acimowin (la narration) dans le contexte des politiques sur le changement climatique

Tan’si, Sandra Lamouche nitsîkason, nîya nêhiyaw iskwew. Nation crie de Bigstone ochi nîya. Bonjour, je m’appelle Sandra Lamouche. Je viens de la nation crie de Bigstone.

Cette étude de cas a été inspirée par ma recherche de thèse, intitulée « Ê-Nitohnahk Miyo-Pimâtisiwin (Prendre le temps de vivre) grâce à la danse autochtone » et par la façon dont les individus sont liés et sont guidés par chaque direction de la roue de médecine nêhiyawak (en dialecte du cri des plaines). La roue comprend les quatre points cardinaux, les quatre éléments et les quatre aspects de l’être humain — spirituel, physique, affectif et mental (voir image 1) — et est holistique, nous aidant à vivre de manière saine et équilibrée. Elle comporte des cercles concentriques où l’individu occupe le centre, puis la famille et les amis, la communauté et la nation dans le cercle le plus éloigné. Elle symbolise la façon dont nos actes individuels influent sur notre monde et sur autrui.

L’aspect spirituel de la roue, qui est celui de la culture et de l’identité, est enseigné par le biais de contes et est particulièrement important, car il nous apprend la possibilité du changement et de la transformation. Il montre comment nous pouvons modifier notre comportement, tant personnel que collectif, pour nous harmoniser avec les leçons et les visions du monde des contes traditionnels, et incarner celles-ci. J’utilise une roue de médecine nêhiyawak comme cadre de référence pour expliquer un conte nêhiyawak et révéler ainsi les leçons qu’il offre pour modifier notre comportement envers l’action climatique et guider les changements politiques particuliers que nous demandons des entreprises, des gouvernements et de nos dirigeants. Les contes autochtones peuvent nous aider à réaliser des progrès efficaces et importants, car ils sont propres à la terre sur laquelle nous vivons et « pour accomplir ce que la crise climatique exige de nous, nous devons trouver des contes d’un avenir viable, des récits de pouvoir populaire, des histoires qui motivent les gens à faire ce qu’il faut pour créer le monde dont nous avons besoin » (Solnit, 2023).

La roue de médecine nêhiyawak qui comprend les quatre points cardinaux, les quatre éléments et les quatre aspects de l’être humain : spirituel, physique, affectif et mental.
Image 1 : La roue de médecine nêhiyawak qui comprend les quatre points cardinaux, les quatre éléments et les quatre aspects de l’être humain : spirituel, physique, affectif et mental.

Le racisme, un obstacle à l’intégration des Autochtones dans la politique en matière de changement climatique

La politique canadienne en matière de changement climatique bafoue les droits des Autochtones, car elle ne tient pas intégralement compte des opinions des peuples autochtones dans la recherche sur le changement climatique. Dans certains cas, on ne tient pas compte des points de vue autochtones, de leurs connaissances du changement climatique et de leurs méthodes à cet égard (Reed et autres, 2021), ce qui a renforcé le comportement colonial des populations non autochtones envers les populations autochtones. Ma propre expérience m’a appris qu’il existe un manque de connaissances et de compréhension des cultures autochtones, ce qui conduit à les dévaloriser et à les rejeter.

L’une des raisons pour lesquelles les peuples autochtones continuent d’être exclus des milieux où l’on conçoit et met en œuvre les politiques climatiques est que le racisme sous-jacent rejette les connaissances autochtones et la vision autochtone du monde au profit des connaissances et de la pensée occidentales et eurocentriques. Comme l’explique Charlotte Reading, « la science est devenue l’un des outils les plus efficaces de la domination coloniale, car les disciplines scientifiques ont créé et maintenu des distinctions raciales qui ont servi à isoler et opprimer les peuples autochtones » (Reading, 2020). Ce rejet a des racines profondes dans l’oppression coloniale, fondée sur la vision occidentale du monde selon laquelle les cultures et les connaissances autochtones étaient « non civilisées », « primitives » ou « inférieures ». Ce point de vue s’est traduit dans les politiques relatives aux pensionnats autochtones, car le système partait du principe que la civilisation européenne et les religions chrétiennes étaient supérieures aux cultures autochtones (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2017). L’appel à l’action 57 des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada montre que le travail de lutte contre le racisme est essentiel au changement transformationnel :

« Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de même qu’aux administrations municipales de s’assurer que les fonctionnaires sont formés sur l’histoire des peuples autochtones, y compris en ce qui a trait à l’histoire et aux séquelles des pensionnats, à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, aux traités et aux droits des Autochtones, au droit autochtone ainsi qu’aux enseignements et aux pratiques autochtones. À cet égard, il faudra, plus particulièrement, offrir une formation axée sur les compétences pour ce qui est de l’aptitude interculturelle, du règlement de différends, des droits de la personne et de la lutte contre le racisme » (Commission de vérité et réconciliation, 2017).

Le racisme systémique sépare les récits autochtones du lieu en donnant la priorité à la vision occidentale du monde par rapport aux principes d’apprentissage et d’existence autochtones. Il est donc important de répondre à l’appel à l’action 57 pour que les connaissances autochtones soient reconnues pour leur expertise précieuse et la manière dont elles peuvent guider et offrir des solutions aux nombreux défis auxquels notre société est confrontée, et en particulier les enjeux liés au changement climatique. Les commissaires de la CVR indiquent également qu’ils ont entendu à maintes reprises le message selon lequel la réconciliation au Canada passe par une réconciliation avec la terre (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2017).

Le pouvoir que possède le récit autochtone pour changer notre comportement et éclairer l’action climatique

Le racisme contre les Autochtones a souvent eu pour effet d’exclure les connaissances et l’expertise précieuses des populations autochtones des décisions et/ou des politiques liées au changement climatique qui pourraient en fait les rendre plus fortes et plus efficaces (Reading, 2020). Braiding Sweetgrass nous demande de voir les récits autochtones « non pas comme un artéfact du passé, mais comme des instructions pour l’avenir » (Kimmerer, 2013). Jo-Ann Archibald parle de l’importance de comprendre le « storywork » (« le travail du récit » autochtone – un terme qu’elle a inventé), car il « signifie que nos récits et nos narrations doivent être pris au sérieux » (2008). Par exemple, l’un des problèmes des méthodes occidentales face au changement climatique est qu’elles visent les symptômes plutôt que les causes profondes (Reed et autres, 2021). Les récits autochtones peuvent contribuer à modifier cette approche, car ils sont liés à la pédagogie autochtone et à une vision du monde plus holistique qui reconnaît l’interdépendance du monde naturel.

Souvent, dans la pensée nêhiyawak, le passé sert de guide pour l’avenir – on dit souvent que celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va (Bell, 2006). Contrairement à la vision occidentale du monde, les récits autochtones offrent également des connaissances précieuses qui nous apprennent à vivre de manière durable et équilibrée avec la terre.

Pour démontrer et tirer profit des connaissances et de l’expertise tissées dans les récits autochtones, il faut les comprendre depuis une vision du monde autochtone, et c’est ce que la roue de médecine nêhiyawak nous aide à faire. Les contes nêhiyawak abordent tous les aspects de la roue, car ils véhiculent la sagesse (aspect mental dans la direction nord de la roue), expliquent le monde (aspect physique dans la direction sud), tout en enseignant les relations (aspect affectif dans la direction ouest), ainsi que notre culture et notre identité (aspect spirituel dans la direction est). L’utilisation de la vision holistique enseignée par la roue de médecine nêhiyawak nous aide à comprendre et à suivre les enseignements des récits et, dans le cas du conte que j’ai choisi, à prendre des mesures individuelles et collectives en matière d’adaptation à l’environnement et au changement climatique, et d’atténuation de ses effets.

Ce conte, intitulé Oiseaux de couleur : 2e partie, raconte comment le geai bleu a pris sa couleur. Il s’agit d’une histoire orale racontée par mon père, Micheal Sidney Lamouche, de la Première Nation Kapawe’no, et transcrite au cours d’une série de réunions. Il a recueilli de nombreuses histoires auprès d’amis et de membres de sa famille vivant dans des collectivités cries du nord de l’Alberta et m’a autorisée à utiliser cette histoire dans le cadre de cette étude de cas. Les histoires de Wesakechak, le personnage malicieux nêhiyawak, nous apprennent souvent à réaliser nos actes et leurs conséquences, nos valeurs et la genèse des choses. De nombreux peuples autochtones utilisent la narration orale pour transmettre leur savoir, leur histoire et leur culture. Dans ma culture nêhiyaw, les contes étaient réservés pour l’hiver.

Crédit photo : Ivan Sovic

L’histoire des Oiseaux de couleur : 2e partie démontre le pouvoir des récits autochtones et la manière dont ils peuvent éclairer la prise de mesures visant à améliorer l’approche à double perspective dans la recherche sur le climat et le débat politique, où le récit est le vecteur d’un changement transformationnel. Comme l’explique Albert Marshall : « L’approche à double perspective consiste à reconnaître d’une part les points forts des principes d’apprentissage autochtones, et de l’autre, les avantages des savoirs occidentaux, et de créer une symbiose entre des visions du monde différentes » (Bartlett et autres, 2012).

Oiseaux de couleur: 2e partie

Wesakechak a organisé un concours pour nommer les oiseaux et c’est l’oiseau qui a les plus belles couleurs qui sera le gagnant. Les oiseaux sont allés chercher leurs couleurs dans la nature. L’un d’eux avait du mal à en choisir une. Il a volé un peu partout, mais il n’arrivait pas à se décider parce que toutes les couleurs étaient belles; bientôt, il ne restait plus de couleurs à choisir parce que d’autres les avaient déjà prises. L’oiseau est allé voir Wesakechak et lui a expliqué pourquoi il n’avait pas de couleur :

« C’était par amour. »

Wesakechak lui dit : « Petit frère, souviens-toi que tu n’as parfois qu’une seule chance d’obtenir ou de faire quelque chose; la prochaine fois, souviens-toi que si tu veux quelque chose, va le chercher, car il se pourrait bien ne plus être là plus tard. Parfois, nous avons des pensées ou des sentiments qui nous poussent à bien faire, mais nous ne nous réalisons pas que c’est notre guide spirituel qui nous les a suggérés. »

Une fois que les oiseaux se sont rassemblés, ils arboraient de nombreuses couleurs. Wesakechak a décidé de ne pas choisir de gagnant, car ils étaient tous exceptionnels et avaient tous un rôle différent dans la nature. En voulant aider le petit oiseau à trouver une couleur, il a demandé à un oiseau au plumage d’un blanc étincelant comment il avait trouvé sa couleur. Ce dernier a répondu qu’en essayant de survoler la montagne, il s’était retrouvé pris dans une avalanche. Wesakechak a alors dit :

« Il y a toutes sortes de fleurs riches en couleurs de l’autre côté des montagnes. »

Le petit oiseau était tellement heureux qu’il s’est envolé, sans attendre que Wesakechak ait fini de parler. Alors qu’il volait vers les montagnes, il prit de l’altitude et, une fois au-dessus des nuages, il a regardé aussi loin qu’il pouvait voir, mais il n’a aperçu que d’autres montagnes.

L’oiseau s’est retourné rejoindre les siens, sans se rendre compte qu’il portait maintenant les couleurs du ciel – sa poitrine était blanche et son dos bleu. Wesakechak a alors déclaré qu’il serait connu sous le nom de

« l’oiseau qui porte le ciel sur son dos. Tu seras également connu comme l’oiseau qui n’a pas attendu d’entendre toutes les instructions. Tu devras donc apprendre à être patient et à écouter les instructions jusqu’au bout » (Lamouche, 2021).

L’étincelle intérieure : enflammer l’esprit pour agir contre les changements climatiques

Dans la roue de médecine nêhiyawak, nous commençons par l’est, là où le soleil se lève. Il est également associé à l’élément du feu (soleil), à l’enfance, au début du jour et à l’aspect spirituel, qui englobe la culture et l’identité. Celles-ci sont à la base de notre mode de vie, de notre comportement, de nos actes et de nos valeurs. On les enseigne souvent par le biais d’un récit qui peut devenir une étincelle d’inspiration et de motivation ou un feu intérieur qui enflamme une passion. En d’autres termes, la culture et l’identité sont notre raison d’être : « Ceux d’entre nous qui sont autochtones comprennent que c’est le fait de raconter des histoires, notre souffle même, qui fait naître l’identité et définit notre objectif » (Lucci-Cooper, 2003). Il s’agit d’une partie importante de l’apprentissage, « …nous apprenons mieux lorsque nous ressentons un fort lien spirituel intérieur avec tout ce qui nous entoure » (Anderson, 2017). Pour de nombreux Autochtones, la culture et l’identité sont directement liées à la terre sur laquelle ils vivent : « pour se connaître soi-même, il faut d’abord connaître la terre » (Cajete, 2000).

Le conte des Oiseaux de couleur : 2e partie est également centré sur l’identité, un aspect de l’esprit. Nous voyons les oiseaux avec leur propre « agentivité », ou puissance d’agir – ils choisissent différentes couleurs pour se donner un nom et une identité. Il s’agit là d’un aspect important des enseignements autochtones — favoriser l’autodétermination — qui est une motivation plus forte pour le changement que lorsqu’on se fait dicter quoi faire (Lamouche, 2022). Nous pouvons appliquer les leçons de l’histoire selon lesquelles nous avons notre propre puissance d’agir, pour faire des choix, pour nous motiver à prendre des mesures et à apporter des changements là où c’est le plus nécessaire, et dans le moment présent, c’est ce qui se rapporte aux changements climatiques. Pour lutter contre les effets du changement climatique, nous devons faire le choix conscient de modifier les comportements individuels et collectifs afin d’améliorer le monde de manière réelle et durable. Nous pouvons le faire en nous appuyant sur notre propre agentivité et sur la partie de notre identité (l’aspect spirituel de la roue de médecine) qui est liée à une meilleure « connaissance de la terre » – ce n’est qu’alors que nous pourrons prendre des mesures efficaces pour le climat, en fonction de cette connaissance profonde, de notre lien avec la terre et de notre motivation.

Dans de nombreuses cultures autochtones, le langage et les connotations sont également importants pour l’identité. Les récits autochtones mentionnent souvent des animaux particuliers en tant que membres non humains de la famille, en les appelant simplement par leur nom. Par exemple, nous dirons « Geai bleu volait » plutôt qu’« un geai bleu volait », comme le ferait la tradition occidentale. La façon dont le geai bleu est d’abord appelé « l’oiseau » plutôt qu’« un oiseau » constitue un autre aspect de la narration, car elle le personnifie en lui donnant un autre niveau de signification et d’identification : en examinant la définition de « un », on constate qu’il est utilisé devant un nom commun singulier, ce qui met l’accent sur l’individu. Par comparaison, « le » peut être utilisé pour un nom commun singulier, mais celui-ci doit être compris de manière générique (Miriam-Webster, 2023). Plutôt que de préciser un animal individuel de manière isolée, les conteurs autochtones préfèrent mettre l’accent sur l’ensemble, le groupe ou l’interdépendance. Il s’agit d’une compréhension spirituelle importante liée à l’identité et à la culture nêhiyawak (la partie orientale de la roue). La manière dont les histoires sont racontées, même en français, montre que la compréhension de nos relations et de notre interdépendance fondamentale avec les animaux, les plantes et l’ensemble du monde naturel est importante dans la vision autochtone du monde. L’intégration de cette compréhension plus profonde et fondamentale de l’interdépendance au sein du monde naturel — dont nous faisons partie — dans les conversations sur les cadres de référence et les politiques climatiques pourrait aider à orienter leur conception et leur mise en œuvre de manière à ce que leur approche soit plus holistique.

Lorsque nous voyons l’oiseau hésiter et dire « C’est par amour », Wesakechak répond en expliquant que la « connaissance intérieure » ou « ce que nous ressentons » sont nos guides spirituels. Cela souligne l’écoute plus profonde et les sens que notre corps éprouve en tant que connaissances utilisées par les principes d’apprentissage autochtones et la science autochtone (Cajete, 2000). Dans le sens des politiques de lutte contre les changements climatiques, cela pourrait conduire à une nouvelle compréhension de l’environnement et à la nécessité d’une vision plus holistique et plus équilibrée des changements climatiques et de l’environnement.

Personnification, prise de mesures et transformation du comportement en faveur de l’action climatique

Nous nous déplaçons autour de la roue de médecine nêhiyawak dans le sens des aiguilles d’une montre, ce qui revient souvent à suivre le mouvement du soleil. Cela nous amène à la direction sud qui est associée à ce qui est physique, à la jeunesse et à l’élément de la terre. Elle est liée à notre forme physique, à notre corps et à l’environnement. Le physique, c’est le mouvement, l’acte, la personnification et la transformation de notre vie grâce à un changement de comportement.

Le conte nous montre l’importance de l’acte physique lorsque Wesakechak explique à l’oiseau que nous n’avons parfois qu’une seule chance d’agir, soulignant ainsi qu’il est parfois important d’agir lorsque nous le pouvons. En ce qui concerne les changements climatiques, nous pouvons considérer qu’il s’agit d’un message nous invitant à agir maintenant, parce que nous en avons la possibilité, alors qu’à l’avenir nous ne l’aurons peut-être pas. Cela confirme également l’idée que de nombreux récits autochtones sont des « instructions pour l’avenir ». Si nous comprenons ce conte sous cet angle, nous pouvons clairement entendre le message qu’il est nécessaire d’agir maintenant pour lutter contre les changements climatiques.

Dans cette histoire, différents aspects de l’environnement — qui font également partie de la direction sud de la roue de médecine nêhiyawak — sont mis en évidence : la couleur des oiseaux, le ciel, les plantes et les fleurs, l’image des montagnes et l’avalanche. Nous constatons que chaque élément de la nature joue un rôle important et l’on y souligne la diversité de la nature. On peut y voir une instruction sur la manière d’observer le monde qui nous entoure et, même si nous n’en comprenons pas tous les rôles et toutes les significations, d’apprécier toutes les choses du monde naturel, y compris la biodiversité. Ces enseignements devraient s’étendre à la politique sur le climat afin d’encourager les décideurs à comprendre que nous devons protéger la biodiversité du monde naturel, même si nous ne comprenons pas quel rôle tous les êtres et les non-êtres jouent dans ce monde. L’approche occidentale compartimente souvent de manière peu utile, par exemple en considérant les enjeux de biodiversité et de climat comme des sujets distincts (Atlas climatique du Canada).

Le milieu physique devient également un rappel de la relation de notre corps (qui fait également partie de la direction sud de la roue) avec le monde naturel et de sa dépendance à l’égard de ce dernier. Lorsque nous comprenons cela, la nécessité de protéger le milieu physique devient soudain plus urgente. Nous voyons qu’il s’agit de nous protéger nous-mêmes et, en regardant les choses à travers le prisme de la roue de médecine nêhiyawak, de protéger nos familles, nos collectivités et nos nations. Il s’agit d’une perspective différente de celle de la science occidentale, qui considère souvent le monde physique et les solutions à travers des silos et sous un angle économique (Cajete, 2000). Cette compréhension plus profonde peut nous aider à modifier notre comportement et l’approche que nous adoptons à l’égard des politiques et des solutions visant à protéger ce monde.

Établir des liens avec le cœur pour se soucier du climat

Dans la direction ouest de la roue de médecine nêhiyawak se trouve l’étape de l’âge adulte. Il se caractérise par des responsabilités, des relations et des aspects affectifs. Son symbole est celui de l’eau, qui est considérée comme guérisseuse : ma mère disait que verser des larmes est salutaire, et les enseignements nous le disent aussi. Bâtir des relations est un aspect important du bien-être, de la vision du monde et des connaissances nêhiyawak. Les cercles concentriques de la roue de médecine nêhiyawak représentent cet aspect. Contrairement à la société occidentale, de nombreux peuples autochtones ne considèrent pas que leur vie se déroule de manière linéaire, isolée et individuelle. Bien au contraire, les cultures autochtones voient la vie comme holistique et communautaire, et reposant fondamentalement sur des relations communautaires solides. Ce fondement s’étend également à la formation de relations respectueuses avec le monde naturel (Cajete, 2000; Anderson, 2017; Archibald, 2008), une relation qui se distingue souvent de celle d’une vision occidentale du monde. Cela signifie que les peuples autochtones ont une approche différente à l’égard de la protection de l’environnement et peuvent donc avoir des idées différentes sur les solutions et les mesures efficaces liées aux changements climatiques, un facteur important dans l’élaboration conjointe des politiques.

L’histoire de Geai bleu nous enseigne autre chose. Par exemple, dans le récit, l’oiseau va voir Wesakechak et lui explique qu’il n’a pas choisi de couleur parce qu’elles sont toutes belles. Wesakechak lui-même déclare qu’il ne peut pas choisir un gagnant parce que toutes les couleurs sont belles. Du point de vue du conte, cela mène à la question de ce qui se passerait si chacun et chacune d’entre nous « voyaient les couleurs » en matière de race comme une belle chose qui reflète la diversité de la nature. Nous aurions ainsi une relation plus respectueuse entre les différentes races et cultures, ainsi qu’un respect et une appréciation accrus de différentes connaissances et de points de vue différents. Sur le plan de l’antiracisme, la « cécité » à la couleur est considérée comme une microagression (Reading, 2020). Respecter les différences chez autrui nous aide à avoir des relations saines. Le récit nous enseigne que la diversité est un élément précieux de la nature et qu’il faut la protéger dans les discussions et la mise en œuvre des politiques de lutte contre les changements climatiques.

Il explique comment les caractéristiques physiques des oiseaux et leurs différentes couleurs proviennent de l’environnement naturel, des fleurs, des plantes, de la neige et du ciel. Il nous permet de voir que les oiseaux sont liés à la nature; en voyant la relation qui unit toutes choses, nous avons un rappel important qui nous apprend à établir un lien plus profond avec toute la création et à vouloir en prendre soin. Maintenant que vous connaissez ce conte, lorsque vous voyez Geai bleu, vous penserez au ciel bleu, à l’air, aux montagnes et aux journées ensoleillées, ce qui vous permet de mieux comprendre à quel point le monde naturel est interdépendant. Ce lien affectif plus profond crée et encourage une relation respectueuse avec le monde naturel, plus profonde et plus étendue que celle de la science occidentale.

Crédit photo : Sandra Lamouche

La sagesse des aînés pour veiller à ce que les récits perdurent pour influer sur les changements climatiques

L’aspect mental de la roue de médecine nêhiyawak est représenté par la direction du nord et l’étape de vie des aînés. L’aspect mental englobe la connaissance, la sagesse, les pensées et l’élément de l’air. Les récits et les enseignements, combinés à l’expérience, confèrent aux aînés des connaissances approfondies et multidimensionnelles; ils transmettent ces connaissances à leurs enfants (direction est), et ils contribuent à ce que le cercle du bien-vivre se poursuive et se perpétue à travers les générations. À la fin du conte de Geai bleu, nous entendons la leçon qui nous enjoint à la patience et à écouter les instructions avant d’agir. Dans un contexte plus large, nous constatons que les récits et les enseignements jouent un rôle essentiel pour guider nos actes et notre comportement. Elle nous rappelle qu’il faut écouter nos aînés et souligne l’importance des récits, de la sagesse et de l’expérience qu’ils possèdent et la manière dont cette sagesse peut guider nos propres actes. Le conte souligne l’importance d’écouter les aînés, qui sont « les premiers enseignants, formateurs et guides dans l’apprentissage de la science autochtone » (Cajete, 2000).

Par exemple, lorsque les aînés utilisent des expressions telles que « castor nageait » au lieu d’« un castor nageait », on pourrait l’interpréter comme une expression manquant d’éducation ou comme n’étant pas du « bon français », plutôt que de réfléchir au sens plus profond de ces expressions découlant d’une vision plus profonde du monde.

En faisant preuve de patience, en écoutant et en respectant le savoir et les enseignements (ou instructions) des aînés, nous veillons à ne pas négliger une source précieuse de sagesse.

Voir et connaître Geai bleu comme l’oiseau qui porte le ciel sur son dos change notre manière de penser. Cela nous fait penser au récit des couleurs des oiseaux et nous apprend la patience, à apprécier tous les oiseaux dans leur diversité, à écouter notre intuition et à passer à l’acte. Il s’agit d’enseignements qui nous rappellent des conseils précieux tout au long de la vie. En partageant cette sagesse, les aînés veillent à ce que les visions du monde, les instructions et les valeurs qui façonnent les comportements en faveur de la durabilité soient transmises. La sagesse et l’expérience des aînés nous donnent les moyens de réfléchir sérieusement au monde et nous incitent à prendre des mesures en matière de changement climatique et de développement durable.

Conclusion

Les peuples autochtones ont été marginalisés et exclus de la politique de lutte contre les changements climatiques, bien que les « terres autochtones représentent environ 20 % du territoire de la planète et abritent 80 % de la biodiversité restante, signe que les peuples autochtones sont les gardiens les plus efficaces de l’environnement » (Institut international du développement durable). Les récits autochtones sont liés à la terre et particulièrement imprégnés des valeurs et des visions du monde qui ont permis à la terre, aux animaux, aux plantes, et aux hommes et femmes de l’île de la Tortue (Amérique du Nord) de survivre. Les exemples ci-dessus, qui illustrent la profondeur et la diversité des enseignements contenus dans ce seul récit nêhiyawak, montrent l’étendue des connaissances et de l’expertise véhiculées par les cultures et les enseignements autochtones, et la manière dont elles peuvent guider notre stratégie en matière de mesures et de politiques climatiques. La colonisation et la supériorité européenne ancrée dans l’idéologie raciste ont exclu et opprimé ces récits. La science et les systèmes occidentaux ont renforcé ce comportement, y compris les conversations sur les changements climatiques, et cette exclusion signifie que des leçons et des points de vue importants ne sont pas pris en compte lors de la mise en œuvre des mesures et des politiques relatives au climat.

Comme le montrent les contes nêhiyawak, les récits autochtones contiennent des connaissances et des enseignements inhérents qui peuvent nous aider à aborder l’action climatique, notamment parce qu’ils nous aident à comprendre l’interdépendance du monde naturel et nos relations avec la terre. Le conte de Geai bleu encourage la responsabilité, l’autodétermination et l’écoute attentive de la sagesse des aînés. Il nous enseigne notre interdépendance et notre relation directe avec la terre. Lorsque nous avons une relation plus étroite, fondée sur le respect et la compréhension, grâce aux enseignements selon lesquels la terre et tout ce qu’elle contient sont apparentés, nous adressons l’action climatique avec une attention et une compréhension plus profondes des meilleures approches pour tous et toutes.

J’offre en conclusion une liste de recommandations de politiques à l’intention des spécialistes du climat au sein des gouvernements fédéral et provinciaux pour améliorer les politiques sur le climat en étant plus holistiques et plus compréhensives de la vision autochtone du monde qui englobe les récits, dans le but de faire progresser la réconciliation :

  • Ce sont les peuples et les nations autochtones qui devraient mener la politique sur le climat (Reed et autres, 2021) tant au niveau provincial que fédéral, car elle comporterait une cocréation équitable des politiques sur le climat.
  • Le discours politique à l’égard du climat devrait englober les conteurs, les artistes, les aînés spirituels et les détenteurs du savoir culturel, ainsi qu’un financement qui leur permettra de partager leur travail.
  • Pour que les décideurs politiques puissent comprendre la vision autochtone du monde et travailler à une élaboration conjointe des politiques et de la recherche avec les peuples autochtones, les fonctionnaires devraient recevoir une formation axée sur la lutte contre le racisme envers les personnes autochtones (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2017).
  • L’accessibilité, la protection et le transfert générationnel des récits eux-mêmes par le biais de financement, de programmes pour les artistes et les conteurs autochtones, ainsi qu’une garantie de l’accessibilité aux plantes, aux animaux, aux points de repère, aux sites culturels et spirituels qui portent ces récits devraient être une priorité politique.
  • Dans le cadre des discussions sur la politique à l’égard du climat, il faut respecter, accepter et inclure les récits traditionnels, le savoir et les enseignements autochtones sans avoir à les faire valider par des études scientifiques occidentales; ou encore, il faudrait établir un financement pour la recherche conjointe entre les chercheurs, les artistes et les conteurs autochtones et non autochtones dans le domaine du climat.
  • Il convient de financer la préservation et l’enseignement des langues autochtones, car elles sont essentielles à la compréhension et à l’interprétation des récits en tant qu’instructions pour l’avenir.
  • Les gouvernements fédéral et provinciaux et les décideurs politiques devraient collaborer avec les nations autochtones afin d’inclure les modèles de gouvernance et les modes de fonctionnement autochtones comme cadre de référence (c’est-à-dire la roue de médecine) pour garantir un point de vue holistique qui tient compte de l’approche à double perspective en matière d’élaboration conjointe de la politique sur le climat.
  • Il faut mettre en œuvre un processus de lutte contre le racisme autochtone dans tous les secteurs de la société canadienne, en particulier à l’égard des décideurs politiques aux niveaux provincial et fédéral dont les décisions ont un impact sur les peuples autochtones, et sur les terres et les eaux auxquelles notre identité est inextricablement liée par notre histoire.

Références

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Solnit, Rebecca. If you win the popular imagination, you change the game : Why we need new stories on climate, The Guardian, 2023. https://www.theguardian.com/news/2023/jan/12/rebecca-solnit-climate-crisis-popular-imagination-why-we-need-new-stories

Wall Kimmerer, Robin. Braiding Sweetgrass : Indigenous Wisdom, Scientific Knowledge, and the Teachings of Plants, Minneapolis (Minnesota), 2013. https://milkweed.org/book/braiding-sweetgrass

La solution est communautaire

Introduction

Comment la vague de chaleur extrême de 2021 a-t-elle frappé dans les communautés autochtones de la Colombie-Britannique? La recherche et les politiques coloniales dominantes au Canada brossent souvent le portrait d’un groupe défavorisé et vulnérable. Par exemple, plusieurs facteurs décrits dans la littérature suggèrent que la chaleur extrême pose un risque accru pour les Autochtones :

  • Les conditions de vie et le surpeuplement dans les logements sont des facteurs critiques en situation de chaleur extrême. Selon le recensement fédéral de 2021, une personne autochtone sur six vit dans un logement ayant besoin de rénovations importantes (soit près de trois fois la proportion dans la population non autochtone), et plus de 17 % des Autochtones habitent un logement surpeuplé (Statistique Canada, 2021).
  • Au Canada, les Autochtones sont touchés de façon disproportionnée par les conséquences des changements, des urgences et des catastrophes climatiques. Notamment, les personnes vivant sur des réserves sont 18 fois plus susceptibles d’être évacuées pour cause de catastrophe (gouvernement du Canada, 2019).
  • Les Autochtones développent des maladies chroniques en nombre considérablement plus important que les non-Autochtones (Hahmann et Kumar, 2022). Certains problèmes de santé, comme les maladies cardiovasculaires, l’hypertension, les maladies pulmonaires et le diabète, inhibent la thermorégulation du corps et augmentent la sensibilité à la chaleur extrême (BCCS, 2022).

Malgré ces facteurs de risque, l’enquête du Bureau des coroners de la Colombie-Britannique sur la vague de chaleur de juin 2021 a révélé une proportion de décès anormalement basse chez les Autochtones. Le rapport explique ce constat par une sous-déclaration due aux processus de collecte des données et recommande que les peuples autochtones soient consultés « afin que leur voix soit entendue et que leurs besoins soient pris en compte dans la préparation aux vagues de chaleur » (BCCS, 2022). C’est ce que cherche à accomplir la présente étude de cas, au moyen d’une collaboration authentique avec les communautés autochtones.

Méthodologie

Dirigé par Preparing Our Home, un réseau autochtone sur la vulnérabilité et la résilience aux catastrophes, ce projet raconte comment cinq Premières Nations de Colombie-Britannique ont vécu la vague de chaleur de 2021 et les effets cumulatifs subséquents de la chaleur extrême. Ont été organisés quatre cercles de partage ainsi que cinq entrevues en profondeur avec des leaders locaux de la résilience. Les participants pouvaient choisir d’être nommés par leur nom ou par leur nation seulement. Les questions ont été rédigées en collaboration avec eux afin de s’assurer qu’elles reflètent leurs priorités, une approche relationnelle qui favorise l’apprentissage nation à nation et la recherche de solutions.

L’étude porte plus particulièrement sur l’expérience de cinq communautés vivant sur des réserves, ainsi que les leçons apprises (en lien avec les changements climatiques) et les politiques de résilience qu’on peut conséquemment recommander :

  1. Région urbaine : La nation Tsleil-Waututh (« le peuple de la baie »), une communauté salish côtière dont le territoire comprend l’inlet Burrard, les cours d’eau qui s’y déversent et North Vancouver, compte plus de 600 membres. 
  1. Nations rurales de la région intérieure :
    • D’abord connue sous le nom de T’eqt”aqtn (« le lieu de passage »), la bande Kanaka Bar est l’une des 15 communautés autochtones de la nation Nlaka’pamux. Elle vit sur son territoire traditionnel depuis plus de 7 000 ans et compte aujourd’hui entre 70 et 140 résidents (Kanaka Bar Indian Band, 2022).  
    • Le territoire de la nation Líl̓wat s’étend sur 791 131 hectares dans une zone transitoire entre la côte tempérée et les terres intérieures plus sèches de la Colombie-Britannique. La plupart des Líľwat7úl habitent près de Mount Currie, où se concentre la population de quelque 2 200 membres (Líl̓wat Nation, 2022). 
    • La bande d’Adams Lake appartient à la nation Secwépemc et est membre du conseil tribal de la nation Shuswap. Ancien lieu de rassemblement où les gens venaient échanger, socialiser et cueillir racines et baies, Adams Lake compte actuellement plus de 830 résidents (Adams Lake Indian Band, 2022).
  1. Région éloignée : Les Haíɫzaqv (nation Heiltsuk) sont les principaux descendants des locuteurs de l’haíɫzaqvḷa et s’identifient à l’un ou plusieurs de ces cinq groupes tribaux : W̓úyalitx̌v, Q̓vúqvay̓áitx̌v, W̓u̓íƛ̓itx̌v, Y̓ísdáitx̌v et X̌íx̌ís. Pour cette nation de 2 414 membres en pleine croissance, la communauté, l’environnement et l’économie sont intimement liés (Heiltsuk Nation, 2022). 

Contexte

Les terres et les eaux portant le nom colonial de la Colombie-Britannique accueillent 290 210 Autochtones de 200 Premières Nations distinctes, ce qui équivaut à 16 % de la population autochtone du Canada (Premières Nations, Inuits et Métis) et environ 6 % de la population totale de la province (Statistique Canada, 2021). Pour comprendre les effets des phénomènes climatiques extrêmes comme la canicule de 2021 sur les Premières Nations de la Colombie-Britannique, il faut d’abord comprendre le contexte colonial dans lequel ils s’inscrivent.

Perdre sa maison, ses terres, ses eaux et son mode de vie

À l’origine, l’aménagement des maisons et des communautés était pensé en fonction des terres, des eaux et des relations avec les systèmes qui nourrissent la terre. Les maisons étaient adaptées au climat local, aux matériaux disponibles et aux besoins des habitants (pêche, chasse, trappage, commerce, lainerie, menuiserie) (Olsen, 2016).

Maisons traditionnelles des Líľwat7úl, des Secwépemc et des Nlaka’pamux

Regroupés en familles élargies, les Líľwat7úl passaient l’hiver dans des agglomérations de maisons semi-souterraines appelées c7ístkens. Dans les mois plus doux, ils vivaient à l’extérieur, pratiquant la pêche, la chasse et la cueillette au fil de leurs déplacements, sur un territoire traditionnel de près de 800 000 hectares s’étendant des baies côtières aux profondeurs de la forêt pluviale (Gabriel et coll., 2017).

Regroupés en familles élargies, les Líľwat7úl passaient l’hiver dans des agglomérations de maisons semi-souterraines appelées c7ístkens. Dans les mois plus doux, ils vivaient à l’extérieur, pratiquant la pêche, la chasse et la cueillette au fil de leurs déplacements, sur un territoire traditionnel de près de 800 000 hectares s’étendant des baies côtières aux profondeurs de la forêt pluviale (Gabriel et coll., 2017).

Les Secwépemc habitaient eux aussi des c7ístkten (maisons hivernales) pouvant accueillir de 15 à 30 personnes, ou de 4 à 5 familles (Favrholdt, 2022). Ils regroupaient ces c7ístkten en communautés à proximité de sources de nourriture et de sols meubles. Nomades durant l’été pour la chasse, la cueillette et la pêche, les Secwépemc occupaient généralement ces habitations de décembre à mars, selon la rudesse de l’hiver. Réutilisées et rebâties au gré des besoins, ces constructions ont été habitées par les Secwépemc et d’autres peuples de la région intérieure jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Chez les Nlaka’pamux, les maisons semi-souterraines étaient habitées à l’année; conservant leur fraîcheur, elles servaient de refuge en été. On les bâtissait à l’écart des points d’eau pour les garder au sec.

A winter home in the Nicola Valley, believed to have been occupied as late as 1882. The photo was taken in 1908 by archaeologist Harlan I. Smith after the dwelling had been abandoned. Photo credit: Courtesy Secwépemc Museum, Neg. 43101
Une maison hivernale dans la vallée Nicola, qui aurait été occupée jusqu’en 1882. Cette photo a été prise en 1908 par l’archéologue Harlan I. Smith, après que l’habitation a été désertée. Courtoisie du Secwépemc Museum, négatif no 43101.

Avec la Loi sur les Indiens de 1876, le gouvernement fédéral a relégué les Autochtones dans de petites parcelles de terre de mauvaise qualité et s’est octroyé le contrôle sur les logements dans les réserves. Les réserves de la région intérieure étaient petites, certaines bandes n’ont pas eu de réserve, et une communauté s’est même vu attribuer un champ de roches (Harris, 2002). Aucun effort n’a été fait pour protéger les pêcheries autochtones ni les sources d’eau pour l’irrigation. À de nombreux endroits, les colonisateurs ont pris toute l’eau disponible, laissant les réserves dépourvues de cette ressource (Harris, 2002). Les Autochtones ont ainsi perdu les terres, les eaux et le mode de vie qui portaient leurs valeurs communautaires.

Dans les années 1940, l’immixtion gouvernementale dans l’aide au logement s’est répandue : les agents des Indiens se chargeaient de la commande, de la livraison et du paiement des matériaux de construction. C’est à cette époque qu’on a retiré aux résidents des réserves et aux chefs de bande le contrôle des décisions financières et résidentielles (emplacement, types d’habitations, budget). Cette situation a fait disparaître dans les réserves des connaissances sur le logement qui allaient de soi dans le reste de la société (Olsen, 2016).

Or, les infrastructures résidentielles jouent un rôle critique dans la vulnérabilité à la chaleur et les résultats de santé (Samuelson et coll., 2020). Si une habitation de piètre qualité est souvent vue comme un indicateur de pauvreté dans la société, dans le cas des réserves, ce sont les pratiques de la Loi sur les Indiens qui ont créé cette pauvreté (Olsen, 2016). Ces atteintes racistes au droit fondamental à l’hébergement sécuritaire persistent encore aujourd’hui, se manifestant notamment par le surpeuplement dû à l’absence d’habitations adaptées à la cohabitation intergénérationnelle. Avec ce contexte en tête, examinons maintenant la vague de chaleur de 2021.

Chaud, mais à quel point? 

La chaleur extrême de 2021 était inédite. Certaines régions de la Colombie-Britannique ont enregistré des températures record dépassant de 20 °C la normale (tableau 1).

Tableau 1 : Températures enregistrées par les stations météorologiques à proximité des communautés à l’étude, 2021.
LieuMoyenne (juin, juillet)RecordDate (du record)
Lytton24.1° C, 28.1° C49.6° C29 juin 2021
Adams Lake (Kamloops)25.1° C, 28.9° C47.3° C29 juin 2021
Haíɫzaqv (Bella Bella)13.5° C, 16.4° C35.8° C28 juin 2021
Nation Tsleil-Waututh (North Vancouver)14.4° C, 17.0° C40.6° C28 juin 2021
Mount Currie (Pemberton)13.6° C, 16.4° C43.2° C28 juin 2021

Data sourced from Environment and Climate Change Canada

Cet épisode nous a aussi donné un record de température au Canada, soit 49,6 °C le 29 juin 2021, à Lytton, sur le territoire de la nation Nlaka’pamux et les terres arides, escarpées et rocailleuses du canyon du Fraser. Le 30 juin, la communauté s’est envolée en fumée en 21 minutes. Les données de la station météorologique de la bande Kanaka Bar illustrent la situation (figure 2). À noter que certains résidents de Lytton ont pris des photos de thermomètres indiquant des températures supérieures à 50 °C dans leurs véhicules et maisons avant le déclenchement de l’incendie.

Figure 2. Températures du 25 juin au 31 juillet, selon les enregistrements des différentes stations météorologiques de Kanaka Bar (courtoisie de la bande Kanaka Bar).

Ce que cette expérience nous a appris : la solution est communautaire 

En cas de chaleur extrême, quelles solutions s’offrent à nous? Pour les peuples autochtones, c’est la communauté; nous devons d’abord prendre soin les uns des autres. – Patrick Michell, ancien chef de la bande Kanaka Bar et résident de Lytton

Nous décrivons ci-dessous les expériences des communautés pendant la période de chaleur extrême et présentons certains des grands thèmes évoqués dans les cercles de partage, dont les effets de la chaleur sur les terres, les eaux et la nourriture, l’accès aux espaces de rafraîchissement et la lutte pour le climat.

Chaleur extrême de 2021 : le vécu de la nation Tsleil-Waututh

Dans cette nation urbaine côtière, la vague de chaleur extrême a eu des répercussions considérables sur la capacité communautaire. Elle a aussi forcé la relocalisation des Aînés et entraîné de graves conséquences pour les terres et les eaux ainsi que pour la sécurité et la souveraineté alimentaires. L’expérience urbaine, vécue et relatée par Andrea Aleck, directrice de la santé de la nation, est un récit empreint de sagesse technique, culturelle et communautaire.

Effets sur les terres et les eaux : le vécu de la nation Tsleil-Waututh

La vague de chaleur extrême de 2021 s’est aussi lourdement répercutée sur les systèmes terrestres et hydrographiques au cœur du mode de vie autochtone. Les conditions résultantes, inhospitalières pour la faune et la flore, ont eu un effet domino sur la sécurité alimentaire et l’accès aux remèdes traditionnels.

La hausse des températures se fait grandement sentir sur nos eaux. Les marées rouges se font plus courantes, l’érosion côtière s’aggrave avec l’assèchement de la zone intertidale, et on perd la flore marine essentielle à la vie aquatique et au rafraîchissement des estuaires. Le projet de plantation de zostère marine de la nation Tsleil-Waututh vise à atténuer certains de ces effets, ce qui favorise la survie des espèces indigènes tout en créant des occasions d’implication et d’apprentissage culturels dans la communauté. La connexion avec nos terres et nos eaux étant une composante de la santé, cette initiative fait la promotion d’une communauté saine en même temps de combattre la détérioration de l’environnement. – Andrea Aleck, directrice de la santé, Tsleil-Waututh

Effets sur la sécurité et la souveraineté alimentaires : le vécu de la nation Tsleil-Waututh

Andrea a expliqué en détail l’incidence de la chaleur extrême sur les systèmes et la souveraineté alimentaires autochtones, mais elle a aussi mis en avant des façons dont la nation puise dans ses forces pour trouver des solutions novatrices et adaptatives.

La sécurité et la souveraineté alimentaires sont au cœur des préoccupations des services de santé; il est important que la planification tienne compte des répercussions des phénomènes météorologiques extrêmes comme la vague de chaleur de 2021 sur ces éléments. Nous avons mis au point un plan stratégique quinquennal misant sur la souveraineté alimentaire et les jardins communautaires qui prévoit la construction d’une installation hydroponique permettant de faire pousser des légumes prêts à consommer en un rien de temps. – Andrea Aleck, directrice de la santé, Tsleil-Waututh

Chaleur et accès au rafraîchissement : vécu de la nation Tsleil-Waututh

Communauté côtière installée au pied des montagnes du North Shore, la nation Tsleil-Waututh a toujours pu s’abriter de la chaleur grâce au couvert forestier et aux points d’eau. Néanmoins, la crise de 2021 a demandé un effort supplémentaire pour protéger les Aînés et les membres vulnérables de la population.

La santé communautaire a joué un rôle central dans la gestion de la vague de chaleur extrême. Rapidement, un état des lieux de la situation des Aînés a été dressé : les affections préexistantes, le milieu de vie et les stratégies possibles pour atténuer les effets de la chaleur dans les maisons. Dans une optique de continuité des soins, les prestataires de soins communautaires et à domicile ont procédé à des vérifications du bien-être plus poussées, ce qui les a menés au constat suivant :

Les Aînés ont reçu des ventilateurs, et parfois des climatiseurs, mais ils ne les utilisaient pas parce qu’ils ne pouvaient pas assumer les coûts de l’électricité. Nous avons donc dû prendre des mesures supplémentaires, comme l’évacuation des Aînés de la communauté dans des hôtels de communautés allochtones voisines. Mais les Aînés sont réticents à quitter leur maison et leur communauté. En tant qu’équipe de santé et membres de la communauté, nous savons qu’il est important, autant que possible, de garder les gens chez eux, là où ils se sentent en sécurité et où leur famille est à proximité. Toutefois, dans cette situation, il était évident que nous devions déplacer temporairement les Aînés dans des endroits plus frais. Pour assurer leur sécurité, nous leur avons permis d’emmener avec eux un compagnon ou un aidant, ce qui a convaincu environ 80 % des Aînés d’accepter l’offre. – Andrea Aleck, directrice de la santé, Tsleil-Waututh

Vécu en région rurale : bande Kanaka Bar, bande d’Adams Lake et nation Lil’wat 

Les phénomènes dangereux se sont accumulés dans la région intérieure de la Colombie-Britannique; du feu incontrôlé d’Elephant Hill, qui a dévasté la bande d’Ashcroft en 2017, à l’incendie ravageur de Lytton, en 2021, ces phénomènes augmentent en fréquence et en gravité depuis cinq ans. La chaleur extrême de 2021 a d’ailleurs engendré des conditions sans précédent.

On pouvait presque entendre l’air crépiter. C’était tellement étrange; on pouvait sentir les arbres. L’énergie des arbres était forte, comme si on avait mis une branche de pin sur un rond de poêle. Une odeur qui était partout dans l’air et à laquelle on ne pouvait échapper, peu importe où l’on se trouvait. – Sheri Lysons, ancienne infirmière auxiliaire autorisée et chef du service d’incendie au moment de l’incident, bande d’Adams Lake

La durée de la vague de chaleur extrême de 2021 a apporté son lot d’inquiétudes, comme l’explique Patrick Michell, ancien chef de la bande Kanaka Bar et résident de Lytton : « Parmi les changements, on note une hausse dans la fréquence, la durée et l’intensité des vagues de chaleur extrême. J’insiste sur la durée : le record précédent à Lytton était une seule journée à 44,4 °C, mais en 2021, ce qu’on a vu, ce sont des températures frôlant les 50 °C pendant plusieurs jours. Qu’advient-il lorsque de telles températures persistent? Ce ne sont pas que les résidents qui sont touchés, mais aussi les terres et les eaux. »

Effets sur les terres, les eaux et la nourriture : le vécu en région rurale

Comment pouvons-nous, en tant qu’Autochtones, vivre avec le fait que notre terre natale se meurt? Je m’étais préparé aux effets physiologiques – je m’étais même préparé mentalement –, mais je n’étais pas nécessairement préparé aux répercussions sur les écosystèmes. Ça, c’est une tout autre chose : notre terre côtière se change en désert. – Patrick Michell

Selon les participants aux cercles de partage, ces phénomènes extrêmes sont le présage d’un profond déséquilibre écosystémique, un avertissement transmis par les animaux, les insectes, les arbres et la terre. Par exemple, la chaleur a accéléré le cycle de reproduction des mouches domestiques, causant des essaims d’insectes. Elle a aussi fait exploser le nombre de moustiques et rendu les guêpes plus agressives. Il est impératif de prendre ces avertissements au sérieux.

Je crois qu’il est grand temps de commencer à écouter la terre plutôt que d’écouter la science à tout prix; notre terre a des milliers d’années d’expérience, elle connaît bien ces cycles, et nous devons lui faire confiance. Portez attention à ce que nous disent les animaux, les bourgeons, les eaux. Ils ont les réponses. Il suffit d’écouter. – Sheri Lysons, bande d’Adams Lake

La chaleur extrême s’est accompagnée d’une sécheresse. Ensemble, ces deux phénomènes ont bouleversé les cycles de vie des graines et des plantes, ce qui a entraîné le déplacement des animaux et même celui, dans une moindre mesure, des arbres. Dans un objectif d’adaptation, la bande Kanaka Bar s’est créé des réserves d’eau pour pouvoir alimenter les écosystèmes, s’hydrater, éteindre les incendies et irriguer les cultures même en période de canicule et de sécheresse.

La chaleur, les insectes et la sécheresse ont lourdement perturbé la récolte et les initiatives de préservation de la nourriture. Les baies et les fruits se sont desséchés sur les buissons et les arbres, les ours ont manqué de nourriture, et la préservation des aliments a été compromise, la mise en conserve produisant humidité et chaleur. « L’été, même sans vague de chaleur et même dans un logement écoénergétique, quand il y a 17 personnes dans la maison et qu’on fait cuire une dinde ou du poisson, ou qu’on passe quatre heures à faire des conserves, la chaleur monte et reste à l’intérieur. Comment donc cuisiner en période de chaleur extrême? » se demande Patrick. Certaines familles ont utilisé une structure annexe à la maison pour cuisiner à l’extérieur, une stratégie cruciale pour l’autosuffisance alimentaire.

Chaleur et accès au rafraîchissement : le vécu en région rurale 

En raison d’expériences passées, les communautés de la région intérieure se sont avérées mieux adaptées à la chaleur extrême sur les plans du cadre bâti et de la climatisation. Voici les stratégies utilisées dans les maisons et à l’échelle communautaire.

Accès aux espaces frais dans les communautés 

Nous avions déjà affronté 42 ou 43 °C sans laisser la température nous arrêter, mais nous ne savions pas comment survivre à 50 °C. Finalement, il s’agissait de rester à l’intérieur et d’attendre que ça passe – comme tout le reste. – Patrick Michell

Auparavant, les communautés trouvaient refuge près de l’eau pendant les chaleurs d’été. Lacs, ruisseaux et rivières devenaient les protecteurs naturels, offrant un répit salutaire et rassemblant familles et communautés. « Dans ma communauté, tout le monde allait au ruisseau. À 11 h, quand il commençait à faire chaud, on s’assoyait dans l’eau », raconte Patrick.

Or, les changements climatiques compliquent ces traditions : « Le problème, c’est qu’en juin, le ruisseau Lytton ne coule plus, si bien que nous ne pouvons pas profiter de l’eau de surface. Il y a bien le fleuve Fraser et la rivière Thompson, mais la température de l’eau y atteint 20 à 23 °C. C’est la température d’un bain! En quoi est-ce rafraîchissant? »

Nous habitons juste à côté du lac. Nous avons toujours eu l’eau et la rivière pour nous rafraîchir, mais l’eau était aussi chaude que celle d’un bain [pendant la vague de chaleur], même au milieu du lac. Normalement, le courant refroidit l’eau, mais là, c’était pénible. – Sheri Lysons, bande d’Adams Lake

Heureusement, il y avait les espaces communautaires de rafraîchissement. Dans les communautés d’Adams Lake et de la nation Lil’wat, le bureau de bande, le centre de santé et d’autres bâtiments désignés étaient ouverts pendant les heures de bureau, et parfois jusqu’à 20 h, voire 21 h. Ces centres de rafraîchissement étaient des espaces communautaires respectés où les Aînés pouvaient se rencontrer. Cependant, leurs heures d’ouverture limitées ont posé problème, surtout avec la chaleur des nuits. La bande Kanaka Bar a donc donné le code d’entrée du centre communautaire aux résidents, pour qu’ils puissent s’y réfugier à toute heure. Du personnel veillait aussi au grain de nuit pendant la crise.

Accès au rafraîchissement dans les maisons

La chaleur de 2021 était particulièrement insupportable dans la région intérieure, où les nuits ne se refroidissaient pas, et encore moins à Lytton. Patrick se rappelle : « D’habitude, quand il fait 42 °C, la température descend à 20 quelques degrés la nuit. Mais pendant la vague de chaleur, le mercure demeurait dans la haute trentaine même la nuit. Impossible d’y échapper. » Les températures élevées de nuit sont un facteur de risque majeur pour les décès liés à la chaleur (He et coll., 2022).

À mesure que la chaleur s’est répandue dans la région intérieure, des systèmes d’entraide se sont organisés. Les ménages qui possédaient un climatiseur logeaient des membres de la famille qui n’en avaient pas. « Ma fille, mes petits-enfants et mon fils sont venus rester chez moi parce que c’était climatisé », explique Sheri.

Récemment, les communautés ont lancé des initiatives pour construire des logements écoénergétiques mieux isolés. Sans système de circulation d’air, les maisons emmagasinaient la chaleur, surtout la nuit. « Les chambres sont à l’étage, où il faisait le plus chaud. C’était humide dans la maison; on transpirait comme si on avait fait du sport », précise Casey Gabriel, chef du service d’incendie de la nation Lil’wat. Les résidents dont la maison avait un sous-sol où se réfugier la nuit s’en tiraient beaucoup mieux. Certains affirmaient même qu’il faisait « 50 % plus frais » au sous-sol.

Vécu en région éloignée : Haíɫzaqv (nation Heiltsuk)

Le saumon est notre principale source de nourriture, et il est au bord de l’extinction. Ça se voit sur toute la côte. Les ours sont maigres. Tout le monde souffre du réchauffement climatique. ~ Membre des Haíɫzaqv 

Effets sur les terres, les eaux et la nourriture 

Sur l’île Campbell, au large de la côte centrale de la Colombie-Britannique, se trouvent les Haíɫzaqv de Bella Bella. Cette communauté côtière vit depuis 9 000 ans des cadeaux de la terre et des eaux, mais voilà que les changements climatiques et la chaleur extrême bouleversent profondément son mode d’alimentation :

Il y a quelques années, nous avons eu deux ou trois étés consécutifs avec des vagues de chaleur. Beaucoup de saumons sont morts avant d’atteindre les rivières; il n’y avait pas d’eau où pondre des œufs. Depuis, avec les changements climatiques, nos populations de saumons sont presque disparues. – Randy Carpenter, coordonnateur des situations d’urgence de la nation Heiltsuk

Thousands of salmon dying in the Neekas River. Photo credit: Sarah Mund, taken on Heiltsuk Territory.
Des milliers de saumons morts dans la rivière Neekas (photo de Sarah Mund, prise sur le territoire heiltsuk).

La chaleur s’est également répercutée sur l’eau potable et les ouvrages publics de gestion des eaux :

Le niveau du barrage était très bas. Je pense qu’ils ont déversé le contenu de 100 ou 150 camions. Maintenant, on a beaucoup d’eau, probablement assez pour durer quatre à six mois sans pluie. – Randy Carpenter

La continuité culturelle en a aussi pris un coup : des cérémonies officielles ont été annulées, et les activités de préservation des aliments (mise en conserve et fumage) ont été suspendues tant à l’intérieur qu’à l’extérieur en raison de la chaleur et des interdictions de feu :

Avec la vague de chaleur, on ne pouvait pas allumer de feu; il était donc impossible de faire griller le poisson par nos méthodes traditionnelles. On s’est retrouvés dans l’incapacité de transformer, de préserver ou d’emmagasiner le poisson. – Membre des Haíɫzaqv

Chaleur et accès au rafraîchissement dans la communauté

Pour les Haíɫzaqv, la chaleur a eu des répercussions majeures sur les infrastructures et les services. En effet, cette communauté éloignée dépend de l’aéroport local pour son approvisionnement essentiel; or, les températures élevées réduisent la densité de l’air, ce qui complique le décollage et l’atterrissage, surtout sur une piste unique courte :

[La portance réduite par la chaleur] nous obligeait à diminuer les quantités de combustible, de passagers, de tout. La température influait aussi sur la masse à l’atterrissage, une conséquence grave pour nous qui dépendons du transport aérien en dans les situations d’urgence… Dans des communautés voisines, des gens avaient besoin de médicaments vitaux… Ils ont eu du mal à se les procurer pendant la vague de chaleur.  ~ Kathy Sereda, Haíɫzaqv participants

Vivant en région éloignée, la nation s’appuie sur une approche entièrement relationnelle pour gérer les situations d’urgence : un comité de préparation composé de 21 membres.

Toute la communauté y est représentée : le service d’incendie, l’hôpital, le centre de transferts en santé, l’école, la GRC, la Garde côtière auxiliaire canadienne, un conseiller, un agent de santé et sécurité du conseil tribal, et des représentants du logement, de la réconciliation, des finances et des communications. Ce qui fait notre force, c’est que nous nous rencontrons souvent six à huit fois par mois. ~ Randy Carpenter, membre de la Première Nation Heiltsuk

Pendant la vague de chaleur extrême de 2021, aucun des bâtiments communautaires n’avait l’air conditionné, car ces températures étaient sans précédent sur le territoire. Au moment du cercle de partage à l’hiver 2023, la nation travaillait à rectifier la situation. « Nous serons préparés pour l’été. Nous aurons un espace dédié et des climatiseurs. Nous serons prêts à l’éventualité d’une autre vague de chaleur extrême [cet] été », affirme Randy.

Accès au rafraîchissement à la maison : Haíɫzaqv Climate Action

“Être un Haíɫzaqv, c’est agir et parler de façon digne d’un être humain en harmonie avec le monde naturel et surnaturel. C’est vivre dans le respect de nos ǧvi̓ḷás (lois traditionnelles). Il est de notre devoir de poser des gestes immédiats et concrets pour combattre les changements climatiques.” (Haíɫzaqv Climate Action, 2023)     

Le plan H̓íkila qṇts n̓ála’áx̌v (« protéger notre monde ») d’Haíɫzaqv Climate Action a été salué partout en Colombie-Britannique et au Canada. Né d’un déversement de carburant qui a détruit 60 % des bancs de palourdes et de poissons de la communauté, il vise à éliminer la dépendance au diesel, notamment assurant le chauffage et la climatisation des habitations par un projet de thermopompes. « Il y a une nouvelle initiative pour changer les sources d’énergie dans la communauté. Il me semble que ce sont entre 150 et 200 maisons qui ont entièrement remplacé le carburant et le bois par l’électricité ces dernières années », relate un membre de la nation. Le remplacement des combustibles permet non seulement de préparer la communauté à la chaleur extrême, mais aussi de rendre l’énergie plus abordable et moins polluante. En effet, les coûts annuels moyens du chauffage et de l’électricité, s’élevant précédemment à 3 600 $ par ménage, ont chuté de plus de 1 500 $. De même, pour chaque maison qui adopte les thermopompes, la production d’émissions de gaz à effet de serre diminue de cinq tonnes par an, et la consommation de diesel, de 2 000 litres par an (Haíɫzaqv Climate Action, 2023).

Cependant, la croissance récente de la communauté, combinée au remplacement des combustibles, met les lignes électriques à rude épreuve. La nation subit des pannes de courant prolongées très anxiogènes pour les résidents, qui dépendent de l’électricité pour se chauffer l’hiver et se rafraîchir l’été.

“Nous avons beaucoup de thermopompes, et il faut une grande quantité d’énergie pour les alimenter. Le projet est en expansion, et plus de thermopompes sont à venir ce printemps. Mais il ne faut pas oublier nos lignes électriques. Sont-elles capables de transporter autant d’énergie, et quels sont les risques qui nous guettent?” ~ Ralph Humchitt, membre des Haíɫzaqv

Discussion et recommandations : le travail est loin d’être terminé

Si on veut que les gens s’adaptent, on doit leur donner les faits.” Patrick Michell

Dans toutes les communautés, l’environnement connaît des changements importants aux répercussions catastrophiques sur les terres, les eaux et la vie humaine et non humaine. La vague de chaleur extrême essuyée par la Colombie-Britannique en 2021 a créé un précédent terrifiant et inédit, dont les effets « se feront sentir sur plusieurs générations », selon Sheri.

Les trois types de milieux étudiés – urbains, ruraux et éloignés – présentent des similitudes et des différences. Par exemple, les communautés urbaines ont pu placer les Aînés dans des hôtels pendant la canicule. Les agglomérations rurales de la région intérieure comptaient davantage de logements équipés de climatiseurs, en raison de vagues de chaleur précédentes. Et la communauté éloignée des Haíɫzaqv, ayant toujours vécu dans un climat modéré, ne disposait en 2021 d’aucun bâtiment communautaire climatisé.

Parmi les limites de l’étude de cas, notons que toutes les communautés consultées vivaient sur des réserves. Le portrait demeure donc incomplet quant au vécu des populations hors réserve, particulièrement celui des personnes en situation de logement précaire ou d’itinérance et aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

La résilience des Autochtones, le produit d’une culture de protection  

La culture est pour les Autochtones la base même de la vie et une source de force innée. Elle est indissociable de leurs valeurs, soit la famille, la communauté, la langue et la terre. Pour chacun des cas étudiés, le rôle protecteur de la culture se fait sentir dans le récit de la vague de chaleur : l’attention portée aux Aînés, la relation avec la terre, l’alimentation traditionnelle et l’action collective.

Notre étude de cas présente l’autre côté de la médaille des canicules en Colombie-Britannique. Si l’on considère généralement que les résultats sont influencés par le statut socio-économique et l’état de santé (des facteurs de vulnérabilité individuels), notre étude démontre que les valeurs de la société pèsent aussi dans la balance. Par exemple, lorsque les Aînés sont valorisés, ils sont protégés. Ainsi, bien que certains Aînés vivent dans des logements de qualité inférieure, aient des problèmes de santé ou n’aient pas l’air conditionné à la maison, la solidarité et l’attention de la communauté permettent le déploiement efficace de ressources informelles et officielles pour les protéger.

Recommandations:

  1. Axer la planification de la résilience autochtone sur les droits autochtones, sur l’importance du savoir et de la langue autochtones, sur la présence de structures de gouvernance autochtones et sur la force intergénérationnelle de la culture.  Investir dans la culture, c’est investir dans la résilience. Nous devons déployer des investissements concrets pour promouvoir une culture (à l’échelle aussi bien locale que sociétale) dans laquelle les Aînés sont reconnus, valorisés et protégés pour assurer leur sécurité.
  2. Favoriser des approches tenant compte des traumatismes dans la planification des interventions. Bien que toutes les communautés aient placé les Aînés au cœur de leurs préoccupations, ce ne fut pas chose facile, notamment en raison de l’absence d’espaces de rafraîchissement de nuit et des enjeux de mobilité limitant l’accès aux sources de rafraîchissement naturelles (ex. : lacs et rivières). De plus, les communautés ont rapporté des difficultés majeures en lien avec le désir d’indépendance des Aînés. Le stoïcisme autochtone (« d’autres ont plus besoin d’aide que moi ») ainsi que la honte et la stigmatisation entourant les services coloniaux ont aussi été cités parmi les obstacles. La planification des interventions doit donc tenir compte des traumatismes, dans la communauté et à l’échelle du système.

Accumulation des catastrophes et des traumatismes : une peur qui hante les communautés

On note dans les communautés une distinction claire entre les conséquences de la vague de chaleur de 2021 et les répercussions cumulatives des catastrophes subséquentes. Par exemple, la nation Nlaka’pamux ressent encore les effets du feu incontrôlé qui a ravagé Lytton, la Première Nation de Lytton et certaines habitations de la bande Kanaka Bar; les résidents ont été relocalisés et ne peuvent pas réintégrer leur communauté. Cet événement, qui n’est pas sans rappeler le feu incontrôlé vécu par la bande d’Ashcroft en 2017, a laissé dans son sillage une peur profonde, alimentée par la fréquence et l’intensité croissantes des vagues de chaleur extrême, des vents forts et des sécheresses.

La gestion des situations d’urgence et les politiques publiques s’axent généralement sur les événements récents, et la planification des interventions se fait souvent en vase clos, en ne visant qu’un danger à la fois. Si le communautaire offre son lot de forces et de solutions, il ne suffira pas à combattre les effets cumulatifs à long terme de la chaleur et de tout ce qui en découle : sécheresses, feux incontrôlés, fumée dense, déplacement de la faune et mortalité des arbres et des animaux. La cause fondamentale de ces catastrophes – et de la terreur existentielle qu’elles engendrent – s’étend bien au-delà des territoires autochtones, qui subissent le gros des conséquences.

Recommandation: 

  1. Reconnaître et prendre en compte les forces, les vulnérabilités et les besoins propres aux Premières Nations urbaines, rurales et éloignées. Il s’agit de mettre fin à la planification en cloisonnement, d’assurer la préparation aux effets cumulatifs des vagues de chaleur à l’échelle des bassins versants, de la province et du pays, et d’investir dans l’étude des relations complexes entre la chaleur extrême et ces effets cumulatifs.

Recueillir des données par site, construire des maisons durables pour les prochaines générations et réduire la dépendance au réseau     

Comme le montre notre étude de cas, les plans d’intervention doivent s’appuyer sur des données propres à chaque communauté, car les territoires de la Colombie-Britannique – des steppes semi-désertiques de la région intérieure aux forêts pluviales des côtes – ont des géographies et des climats fort variés. Même à Lytton, les températures enregistrées par la station météorologique ne correspondent pas à celles observées dans les véhicules et les maisons. Ainsi, les stations dans des endroits plus frais ne rendent pas toujours compte des variations localisées attribuables à la chaleur rayonnante dans les bâtiments et aux éléments topographiques comme les canyons. Nous ignorons si les stations météorologiques ont été optimisées pour mesurer les extrêmes. Outre la température, d’autres facteurs comme l’humidité, la circulation d’air et la chaleur rayonnante doivent entrer en ligne de compte. Il est aussi important que les communautés disposent de données climatiques provinciales (ex. : les données de BC Station) pouvant être utilisées aux fins de planification sans connaissances techniques approfondies. Les gouvernements provincial et fédéral pourraient notamment offrir du financement pour la surveillance du climat à l’échelle des communautés, ce qui jetterait des fondations solides pour l’adaptation.

Enfin, bien que cette étude de cas porte sur la vague de chaleur extrême de 2021, les participants ont aussi nommé plusieurs autres événements récents et souligné l’importance de se préparer au froid extrême, surtout en situation de panne de courant. Les pannes, les réparations en situation météorologique extrême et le potentiel d’une défaillance générale prolongée sont autant de facteurs à considérer à l’échelle régionale et provinciale. Au sein des communautés, il est essentiel de se pencher sur la pauvreté énergétique et le coût prohibitif du rafraîchissement, surtout chez les personnes en situation de handicap ou vivant de l’aide sociale. Les politiques coloniales ont créé des logements « [soi-disant] universels », qui finissent surpeuplés (non prévus pour la cohabitation intergénérationnelle), sont mal bâtis et mal isolés (faits de matériaux de piètre qualité) et ne sont pas adaptés au climat local.

Recommandations: 

  1. Utiliser des données localisées et des approches adaptées au milieu pour bâtir des maisons résilientes au climat et moins dépendantes de l’énergie pour les besoins de rafraîchissement. Les éléments de conception passifs (qui n’ont pas besoin d’énergie pour offrir de la fraîcheur) contribuent à la sûreté des habitations en cas de panne pendant une vague de chaleur extrême.
  2. Définir de meilleurs indicateurs de la préparation aux vagues de chaleur extrême. Quel est l’objectif? Installer 100 climatiseurs dans 100 maisons, obligeant toutefois les résidents vulnérables à assumer la responsabilité et les coûts en énergie de ces dispositifs pour leur propre sécurité? Insister sur la responsabilité morale de prendre soin les uns des autres? Faire respecter l’obligation juridique des propriétaires de fournir des logements sécuritaires? Combattre l’individualisme, la solitude, l’isolement et la négligence sociale? 

Conclusion

Les expériences en lien avec la vague de chaleur de 2021 relatées dans cette étude de cas nous donnent un aperçu des vulnérabilités et des forces au sein des communautés. Elles révèlent aussi que les répercussions de l’événement sur les terres, les eaux et les résidents sont encore bien présentes chez les Autochtones. Maintenant que les vagues de chaleur extrême sont un danger auquel toutes les communautés doivent se préparer, la sagesse autochtone doit être placée au cœur des efforts collectifs pour accroître la résilience. Les récits rapportés ici présentent des solutions appliquées et posent les bases de recommandations de politiques en faveur d’une résilience accrue dans les communautés autochtones et allochtones.

Déclaration de l’artiste Sheri Lysons:

“Lorsqu’on m’a demandé de peindre mon interprétation du changement climatique, j’avais une image bien différente en tête. J’ai commencé environ huit peintures différentes, mais aucune ne correspondait à ce que j’avais imaginé. Je me suis battue pour la réaliser, mais elle ne venait tout simplement pas. À un moment donné, j’ai eu l’impression que c’était au-delà de mes capacités. C’est alors que m’est venue l’idée de la roue de la médecine : lorsque l’humanité est déséquilibrée, tout souffre. À l’heure actuelle, notre planète est en crise. Nous connaissons des chaleurs extrêmes, des incendies, des inondations et des destructions à un niveau monumental. Pour guérir notre planète, nous devons guérir l’eau. Ces peintures sont destinées à montrer l’espoir et la guérison.” – Sheri Lysons

Références

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Favrholdt, K. 2022. « The Secwépemc c7ístkten or winter home ». https://www.kamloopsthisweek.com/community/history-the-secwepemc-c7istkten-or-winter-home-5627603.

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Harris, C. 2002. Making native space: Colonialism, resistance, and reserves in British Columbia, UBC Press.

He, C., H. Kim, M. Hashizume, W. Lee, Y. Honda, S. E. Kim, […] et H. Kan. 2022. « The effects of night-time warming on mortality burden under future climate change scenarios: a modelling study », The Lancet Planetary Health, 6 (8), e648-e657.

Lil’wat Nation. 2023.

Olsen, S. 2016. Making poverty: A history of on-reserve housing programs, 1930-1996 (thèse de doctorat).

Samuelson, H., A. Baniassadi, A. Lin, P. I. González, T. Brawley et T. Narula. 2020. « Housing as a critical determinant of heat vulnerability and health », Science of the Total Environment, 720, 137296.Statistique Canada. 2021. « Les conditions de logement des Premières Nations, des Métis et des Inuit au Canada selon les données du Recensement de 2021 ». https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/as-sa/98-200-X/2021007/98-200-x2021007-fra.cfm.

L’action suscite l’espoir: Assurer une reconstruction sur des fondations résilientes dans la région du canyon du Fraser en C.-B.

Fondations

La région du canyon du Fraser est le centre d’une nation autochtone, les Nlaka’pamux. La ville de Lytton est au centre géographique de cette nation. En 2021, une sécheresse survenue au printemps et au début de l’été a été un précurseur d’un dôme de chaleur dans la région du Nord-Ouest du Pacifique. Une température record de 49,6 °C a été enregistrée le 29 juin. Le lendemain, la totalité de la ville de Lytton a brûlé en 21 minutes (BBC News, 2021). Cinq mois plus tard, une rivière atmosphérique régionale a emporté toutes les routes d’accès, sauf une. En décembre, le froid extrême et la neige profonde ont paralysé la région. Même si ces événements de 2021 étaient sans précédent, ils n’étaient pas inattendus. Les avertissements mondiaux au sujet des impacts climatiques se multiplient depuis les années 1980. Il est maintenant évident que l’humanité ne compose plus avec des « conditions idéales pour la vie », faisant face à des pics temporaires de conditions météorologiques extrêmes qui pourraient devenir permanents, ce qui aurait des conséquences substantielles pour la santé et le bien-être humains (McMichael et coll., 2017).

L’incendie de Lytton a déjà montré que les fondations au Canada sont fragiles. Les gouvernements colonisateurs passés (Karl, 2005) ont pris des décisions en adoptant une approche misant sur le fait de s’atteler à tout prix à la tâche. Ainsi, les bâtiments, les systèmes et les économies établis n’étaient pas durables ni résilients. Le Canada a également été bâti sans tenir compte des vies, des styles de vie et des objections des populations autochtones, faisant fi des impacts négatifs sur l’environnement et les générations futures. Certains gouvernements colonisateurs antérieurs ont justifié leurs décisions en citant l’efficacité et la recherche du profit. Les gouvernements actuels doivent réparer les fautes commises dans le passé et adopter une approche différente quand vient le temps de prendre des décisions pour notre avenir collectif. Cette approche ne doit pas chercher à tout prix à s’atteler à la tâche. Elle doit protéger les gens et les communautés, en sachant que les changements climatiques sont réels et que leurs impacts augmentent en termes de fréquence, de durée et d’intensité.

Les gouvernements doivent également tenir compte des enjeux historiques attribuables aux décideurs passés qui ont ignoré les enjeux, les ont évités ou les ont laissés aux générations futures. Ce risque demeure, puisque les gouvernements actuels peuvent conserver un état d’esprit axé sur le statu quo, ne reconnaissant pas que les impacts climatiques sont réels et prennent de l’ampleur, ou ne prenant pas suffisamment rapidement des mesures pour protéger les gens et les communautés. Si nous ne surmontons pas notre paralysie collective quand vient le temps de lutter contre les impacts climatiques (Rand, 2014), nous allons retarder la planification de l’adaptation jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Nous devrons donc passer en mode d’intervention débilitant. En bref, nous devons éviter de ne rien faire maintenant, de tenter notre chance et de laisser les générations futures faire les frais de ces impacts. Personne n’est à l’abri des impacts croissants des changements climatiques. Lorsque nous prenons, en toute conscience, la décision de faire de l’environnement la priorité, nous gagnons tous au change et, surtout, nos enfants et nos petits-enfants gagnent au change.

Première visite de Tina et Patrick Michell de retour à leur maison à Lytton, C.-B. le 25 juillet 2021. Crédit photo : Patrick Michell

Le rétablissement de la région du canyon du Fraser après les événements dévastateurs de 2021 est lent et fait l’objet de controverses (Partlow, 2022). Des tensions existent entre le camp voulant reconstruire rapidement et celui voulant reconstruire en mieux. Le rétablissement est également limité par un processus en temps réel visant à rectifier les décisions gouvernementales passées, décisions qui ont laissé à la prochaine génération la responsabilité de créer des communautés durables (Olsen, 2023).

Une compréhension renouvelée du rôle et des fonctions des fondations physiologiques requises pour assurer la qualité de vie est essentielle pour le rétablissement. Ces fondations prennent la forme de l’air pur, de l’eau, de la nourriture et du logement. Il s’agit de besoins à satisfaire avant de combler d’autres besoins (McLeod, 2018) et, surtout, d’assurer un rétablissement approprié, ce qui n’a pas été fait la première fois.

Le processus de rétablissement compte d’autres volets qui sont, parfois, ignorés. Ayant accumulé des traumatismes, les résidents de la région devront surmonter leur peur, leur colère et leur tristesse individuelles qui, malgré le passage du temps, continuent d’accabler le rétablissement et d’y nuire. Ensuite, ils doivent collaborer pour atteindre l’objectif commun, qui est de conceptualiser, de concevoir, de financer et de bâtir une communauté résiliente face aux conditions météorologiques d’aujourd’hui et de demain, permettant de satisfaire les besoins de base des résidents dans un avenir qui sera déstabilisé par d’autres événements climatiques.

Même si le présent document met l’accent sur l’expérience vécue à Lytton, le problème ne touche pas uniquement Lytton. Partout au Canada, on compte 62 000 communautés ayant le même niveau de risque que celui de Lytton en 2021 (Cohen et Westhaver, 2022). L’histoire du rétablissement de Lytton est donc importante pour l’ensemble des Canadiens.

Cependant, puisqu’ils ont dû composer avec de multiples phénomènes météorologiques extrêmes pendant une très courte période (Michell, 2021), les habitants se trouvent dans une position unique pour devenir l’une des premières régions résilientes au Canada. Si les Premières Nations du Canada participent à toutes les conversations sur l’utilisation des terres et des ressources (Assemblée générale des Nations Unies, 2007), cela aidera à surmonter les comportements acquis et renforcés, en plus d’éviter de répéter les erreurs du passé. Les Premières Nations peuvent fournir des données utiles dans le cadre des approches décisionnelles axées sur la prise de décisions pour investir dans nos fondations collectives et veiller à ce que tous les Canadiens puissent composer avec les tempêtes à venir (River Voices, 2020).

Dès 2010, la Bande indienne de Kanaka Bar, l’une des 15 communautés qui constituent la Nation Nlaka’pamux, a mis de côté la colère et le ressentiment intergénérationnels qu’elle avait accumulés depuis la colonisation, et a fait en sorte de permettre à la communauté d’assurer un nouvel avenir plus résilient (Michell, 2020). En 2015, la communauté autochtone a codifié un énoncé de vision qui se lit comme suit : « Kanaka Bar est résolue à utiliser ses terres et ses ressources pour maintenir une communauté autonome, durable et prospère » (Bande indienne de Kanaka, 2015). Peu de temps après, elle a élaboré le plan d’évaluation des impacts climatiques et de transition de la communauté. Voici des données sur les décisions et mesures que Kanaka Bar a prises pour accroître la résilience communautaire pour les quatre fondations physiologiques, soit l’air pur, l’eau, la nourriture et le logement, afin qu’elle soit prête à affronter les conditions météorologiques de demain. Il s’agit de mesures qui peuvent être reproduites et appliquées à plus grande échelle dans les communautés partout au pays.

Connaître la météo

Les Nlaka’pamux vivent au même endroit depuis plus de 8 000 ans, ce qui leur a permis d’acquérir une connaissance explicite collective ou de connaître la météo locale et régionale, les tendances saisonnières et les cycles écosystémiques. Au cours des années 1980, des résidents du canyon du Fraser ont observé des changements sur le terrain qui étaient contraires à ces connaissances. En 1992, les scientifiques climatiques leur ont donné un nom, celui de changements climatiques anthropiques. L’air, les terres et l’eau partout dans le monde retiennent la chaleur à un taux jamais vu, produisant des événements météorologiques survoltés ou extrêmes qui ont des répercussions sur le savoir autochtone acquis depuis des milliers d’années et les infrastructures et systèmes postcoloniaux qui ont été conçus en tenant compte des conditions météorologiques d’hier. Des modifications et effondrements écosystémiques se produisent sur le terrain (Chambers et coll., 2021), ce qui insuffle un degré élevé d’incertitude à la vie d’aujourd’hui et aux préparatifs pour l’avenir. Lorsque les gens n’ont pas les renseignements nécessaires, ils s’inquiètent. Partout dans le monde, les représentants de la santé conviennent que la peur à l’égard des changements climatiques et de leurs impacts suscite un stress et une anxiété. Les diagnostics en matière de santé mentale pour l’anxiété climatique, l’écoanxiété et la solastalgie1 sont désormais en hausse.

Pour réduire le stress découlant de l’incertitude associée aux impacts futurs des changements climatiques, la Bande indienne de Kanaka Bar, qui est située à 18 kilomètres au sud de Lytton, a réalisé, en 2015, un plan d’occupation du sol pour le bassin versant de la communauté (Bande indienne de Kanaka Bar, 2015) et, en 2018, un plan d’évaluation des changements climatiques et de transition (Kanaka Bar Climate Change Assessment and Transition Plan, 2018). Depuis, elle a investi dans trois stations météorologiques, sept stations d’évaluation du niveau d’eau et une station de surveillance de la qualité de l’air. Ces outils créent, chaque jour, des données communautaires propres au site sur la qualité de l’air, la vitesse et la direction du vent, la température, les précipitations et l’hydrométrie. Ils s’ajoutent aux connaissances autochtones, au lieu de les remplacer. En outre, ils aident à établir les prévisions communautaires, s’ajoutent aux systèmes de prévision météorologique avancée, et facilitent la préparation aux situations d’urgence et la planification de l’intervention.

La surveillance météorologique propre à un site aide à améliorer les plans d’avertissement et d’intervention, offrant aux communautés un préavis aussi long que possible pour se préparer aux phénomènes météorologiques extrêmes, afin qu’elles puissent se préparer à des pics de chaleur, de vent, de pluie et de froid extrêmes et se rétablir plus rapidement. Cela permet aux communautés de connaître avec plus de précision et d’avertissement le moment où les besoins physiologiques ne seront pas comblés, c’est-à-dire lorsqu’il existe un risque pour la santé et la sécurité en raison de l’air, de l’eau ou de la chaleur non sécuritaires ou un risque pour le logement. Les données propres à un site servent également lors de la conception et de la construction de nouvelles infrastructures ou de la réparation des infrastructures existantes, afin qu’elles puissent résister aux conditions météorologiques dans une région particulière. Plus les communautés ont un nombre élevé de renseignements météorologiques et climatiques, plus leurs plans d’avertissement et d’intervention seront judicieux et plus leurs résidents seront protégés.

     Recommandation: 

  • Tous les ordres du gouvernement (y compris autochtones, fédéral, provinciaux, territoriaux, municipaux) devraient adopter des politiques qui soutiennent la mise en commun des ressources et le partage de renseignements, et la coordination parmi différents ordres du gouvernement devrait être établie et mise en œuvre de manière à permettre aux communautés de comprendre les risques régionaux et propres aux sites et d’obtenir et d’installer collectivement un nombre supérieur de stations de surveillance de l’air, des vents, de la température et des précipitations propres à un site, afin de produire des données météorologiques régionales.

Sécurité de l’eau

Dans la région du canyon du Fraser, les cours d’eau de surface s’assèchent. Les périodes sèches régionales durent plus longtemps, alors que la demande ne change pas. Les habitants qui ont des permis d’utilisation des eaux de surface doivent désormais composer avec des scénarios qui se répètent dans lesquels le niveau d’eau est faible ou nul. En 2021, les puits d’eau souterraine commençaient à manquer également d’eau. Même s’ils n’ont jamais manqué d’eau, cette situation pourrait se produire bientôt.

Lors de sa construction, Lytton tirait son eau de surface du ruisseau Lytton. Pendant des années, la ville a dû accroître l’approvisionnement en eau avec des pompes à eau (de puits et de la rivière Thompson). Lorsque l’incendie de Lytton a interrompu l’approvisionnement en électricité dans la région, la ville et la région étaient sans eau, puisque la capacité visant à dévier, à stocker et à produire de l’eau potable n’existait plus.

La région du canyon du Fraser envisage un plan régional pour partager les renseignements et l’infrastructure hydraulique, afin d’éviter que la crise de l’eau de 2021 se reproduise.

Dans cette région, l’hydrométrie n’est pas le problème, en raison de la sécheresse de 2021 et les phénomènes de rivière atmosphérique qui ont suivi (ayant déversé de trop grandes quantités de précipitations en même temps). La question est plutôt à savoir comment planifier et établir une nouvelle capacité de stockage de l’eau fiable et durable, malgré les événements météorologiques extrêmes.

Les communautés Nlaka’pamux ont existé là où, selon les observations, le soleil, les vents, l’eau et les saisons stables et prévisibles ont permis de produire des écosystèmes sains, et elles continueront d’y exister. C’est en raison de la proximité des sources d’eau douce accessibles en tout temps pour assurer la santé écosystémique, s’abreuver, cuisinier, élever des animaux, veiller à l’irrigation et se protéger contre les incendies que les Autochtones ont choisi d’y vivre, de là l’expression « l’eau comme source de vie ». La vie des Nlaka’pamux a changé lors des contacts avec les explorateurs européens. Lorsque la période initiale caractérisée par des relations mutuelles entre les Autochtones et les explorateurs a pris fin (Manuel et Posluns, 1974), la loi et les politiques coloniales se fondant sur le déni et l’oppression ont été imposées. Cette situation a existé pendant des générations.

évaluation de la vulnérabilité face aux changements climatiques de Kanaka, qui prévoit une hausse de l'intensité, de la durée et de la fréquence des tempêtes extrêmes.

Une fois établis, les états coloniaux et provinciaux ont supervisé l’affectation de parcelles de terrain en fief simple (propriété privée) aux nouveaux arrivants, ce qui comprenait des permis d’utilisation des eaux se fondant sur le principe « premier arrivé, premier ayant droit » à certaines fins, comme l’eau pour s’abreuver, l’irrigation et les retombées économiques, sans vraiment, voire aucunement, tenir compte des habitants initiaux ou des écosystèmes qui comptent sur l’eau depuis des millénaires. Les titres et droits inhérents aux terres de la nation et à l’eau ont été ignorés. Puisque les affectations des réserves fédérales ont été définies après la Confédération, les permis d’utilisation des terres et des eaux dans les réserves prévues par la Loi sur les Indiens (s’il y a lieu) étaient réservés à de petites superficies, se trouvant dans des endroits inappropriés et ne convenant pas au logement et à l’agriculture. Ainsi, la majorité des communautés de Nlaka’pamux ont été déplacées et ont dû vivre dans de très mauvaises conditions. Elles ont été forcées à adopter un mode réactif face au colonialisme et à composer avec les impacts de ces conditions pendant des générations.

Le système hydrique de Kanaka Bar est alimenté par gravité, afin que l’eau puisse circuler pendant des pannes de courant. Kanaka a également investi dans la production d’énergie solaire, d’énergie éolienne et, dans une certaine mesure, l’hydroélectricité renouvelable à petite échelle. Elle peut donc, s’il y a lieu, changer la source d’énergie pour l’usine de traitement de l’eau potable existante pour qu’elle continue de fonctionner pendant une panne de courant.

Crédit photo : Kanaka Bar Indian Band

Kanaka a également doublé son stockage d’eau de surface en fonction des prévisions relatives aux besoins actuels et à court terme. Elle a créé des plans pour quadrupler le stockage si la demande devait augmenter. Enfin, Kanaka dispose de systèmes de stockage et de distribution d’eau potable distincts des eaux brutes (bornes-fontaines mauves et robinets). Elle a donc accès à un approvisionnement important en eaux non traitées pour l’irrigation et la protection contre les incendies. Tous les éléments ci-dessus ont pris en compte les besoins à court, à moyen et à long termes de la communauté en matière d’eau et, ce qui est encore peut-être plus important, ont diminué l’écoanxiété actuelle, en fournissant aux générations actuelles et futures les connaissances nécessaires pour veiller à ce qu’elles aient, sans égard aux conditions météorologiques, un approvisionnement en eau, l’une des fondations physiologiques les plus importantes.

Pour établir un plan de transition et d’adaptation significatif, réaliste et réalisable en ce qui concerne les changements climatiques, il faut avoir de l’eau. Alors qu’il est impossible de contrôler les conditions météorologiques, il est possible d’atténuer leurs impacts. Pour tirer des leçons de l’exemple de Kanaka Bar, les communautés devraient envisager ce qui suit lorsqu’elles créent un plan de sécurité de l’eau durable :

  • Hypothèses: Ne pas tenir pour acquise la sécurité de l’eau individuelle, communautaire ou régionale. Les communautés devraient comprendre où se trouve leur source d’eau et assurer une planification tenant compte de la rareté.
  • Pertinence: Comprendre les permis d’utilisation des eaux. Où ont-ils été délivrés? S’appliquent-ils encore aujourd’hui? Est-il encore possible de s’approvisionner en eau? Quelles sont les solutions de rechange raisonnables pour accéder à de l’eau si l’approvisionnement est épuisé?
  • Quantité: Installer des stations d’évaluation de la quantité pour l’eau de surface et l’eau souterraine, et obtenir des données empiriques pour faciliter les prévisions relatives à la rareté de l’eau et la possibilité qu’il n’y ait pas d’eau certaines journées.
  • Collaboration: Rencontrer les commissions de l’eau régionales pour discuter du niveau certain de l’eau, y compris le stockage, la conservation, le relâchement temporisé et la distribution d’eau potable en cas de panne du système, et assurer une planification. Partager les connaissances, les ressources et les plans pour atténuer les pénuries et accélérer le rétablissement.
  • Résilience: Concevoir, construire ou réparer les infrastructures matérielles pour qu’elles résistent aux conditions météorologiques d’aujourd’hui et de demain. Ainsi, une rivière atmosphérique ou un feu incontrôlé ne couperaient pas l’approvisionnement en eau.
  • Systèmes hybrides: Examiner les options de traitement de l’eau potable qui ne dépendent pas du réseau pour fonctionner et séparer les eaux brutes des systèmes d’eau potable.

Ces approches peuvent également servir à concevoir des politiques. Elles ont de vastes répercussions pour tous les Canadiens et les ordres du gouvernement.

Sécurité alimentaire

L’incendie de Lytton est un exemple des préoccupations relatives à la fragilité et à la sécurité alimentaires. Des magasins ont été détruits pendant l’incendie. Des routes ont été fermées. Une panne de courant prolongée a fait en sorte que les familles dont les résidences avaient été épargnées par l’incendie ont perdu le contenu de leur réfrigérateur et de leur congélateur. Les familles qui avaient déshydraté ou mis en conserve leurs aliments et dont les stocks dans la cave et le sous-sol avaient survécu à l’incendie se trouvaient dans une meilleure situation, car leurs stocks de nourriture n’ont pas été touchés par la panne de courant prolongée. Des centres de dons de nourriture ont été organisés. Cependant, l’approvisionnement adéquat, la diversité et la qualité variaient en fonction des dons. Dans le cas de ceux qui peuvent se déplacer, les déplacements nécessaires pour se rendre aux magasins dans les villes sont devenus une nouvelle norme coûteuse.

Pendant plus de 8 000 ans, le climat et les écosystèmes en découlant dans le canyon du Fraser ont fourni aux habitants d’origine un accès à des viandes fraîches, à des fruits, à des légumes, à du poisson, à des médicaments, à des outils et à des vêtements. Une langue, une culture, des lois et une forme d’art ont été établies. Les protocoles pour la collecte de nourriture, la préparation, l’entreposage et la cérémonie étaient bien connus. Les surplus étaient vendus.

La politique coloniale a codifié des interdictions visant les Autochtones quand vient le temps d’accéder à leur territoire traditionnel et de mettre en pratique leurs anciennes coutumes, y compris la vente de nourriture aux autres ou l’échange de nourriture avec les autres (Karl, 2005). Ces interdictions ont imposé de la souffrance à de nombreuses générations, en plus de susciter une dépendance envers l’État. Pour empirer les choses, alors que la loi coloniale a interdit l’esclavage, les nombreuses générations forcées de quitter leurs familles pour fréquenter des pensionnats ont souvent dû travailler dans les champs. Parallèlement, les politiques fédérales, comme la politique des exploitations paysannes dans les Prairies, ont réglementé la production agricole dans les réserves (Carter, 1990; Ladner, 2009). Des conversations avec la communauté montrent que certains termes, comme l’exploitation agricole et l’agriculture, sont associés à des stigmates pour certains Autochtones, en raison des fautes historiques. Maintenant que les restrictions archaïques et draconiennes ont été levées, les Autochtones retournent dans leurs territoires, où ils observent que la contamination de l’air, du sol et de l’eau touche les aliments traditionnels, tout comme la chaleur, la sécheresse et la surexploitation. Des changements écosystémiques se produisent actuellement dans la région du canyon du Fraser, y compris une baisse des stocks de saumon sauvage du fleuve Fraser (Chambers et Hocking, 2021). Les grandes cultures classiques sont en difficulté en raison des sécheresses et de la chaleur trop élevée. Malheureusement, il n’y a pas eu d’adoption des jardins communautaires ou résidentiels qui assureraient une sécurité alimentaire accrue à l’échelle requise. On continue donc de dépendre des autres pour se procurer des aliments. Cette situation empirera alors que les phénomènes météorologiques extrêmes et leurs impacts augmenteront en termes de fréquence, de durée et d’intensité.

En 2016, Kanaka Bar a réalisé une évaluation de l’alimentation dans la communauté. Parmi les principales constatations, il y avait le fait que les gens ne comptent plus sur les systèmes alimentaires communautaires, mais plutôt sur l’approvisionnement et les fournisseurs tiers (Berezan, 2016). En sachant que les magasins disposent actuellement de stocks de produits essentiels (lorsque c’est possible) pour un maximum de trois jours et que les tablettes se vident lorsque les routes ferment, Kanaka a investi dans un éventail d’initiatives en matière de sécurité alimentaire, y compris l’agriculture dans un environnement contrôlé, ce qui permet à la communauté de cultiver des fruits et des légumes toute l’année, sans égard aux conditions météorologiques.

Vue aérienne du jardin communautaire de la communauté Kanaka Bar. Crédit photo : Kanaka Bar Indian Band

Kanaka dispose également de terrains vacants défrichés et aménagés en vue d’activités d’aquaculture, ou d’élevage de protéines de poisson dans la communauté, au lieu d’épuiser les stocks de saumon sauvage. Kanaka a aussi acheté des terres hors réserves auprès d’agriculteurs et de propriétaires qui n’exploitent plus leurs propriétés pour obtenir des protéines qui ne sont pas exigeantes en eau et qui ne nécessitent pas une grande quantité de nourriture, comme le lapin, le porc, la volaille (tous les types), la chèvre et, à l’avenir, le daim. En prenant ces mesures, Kanaka a fait des progrès considérables pour mettre un terme à la dépendance à l’égard de l’épicerie. Les surplus de viande, de fruits et de légumes de Kanaka sont également offerts à la région, dans le nouveau centre communautaire, qui est branché au réseau, mais qui est également alimenté par énergie solaire au moyen d’un stockage considérable dans des batteries.

La société canadienne se fonde sur l’importation des biens nécessaires, plutôt que sur la production ou la fabrication de ceux-ci par nous-mêmes. Cela fait en sorte que la nourriture, l’une des fondations physiologiques, est vulnérable. Il s’agit également d’un comportement acquis qui peut être rapidement renversé, comme le montre l’approche adoptée par Kanaka Bar. Les gouvernements peuvent changer leur priorité. Au lieu de favoriser la croissance de l’économie et du PIB, ils peuvent les stabiliser au moyen d’investissements stratégiques ruraux et régionaux dans des systèmes de culture, de transformation, de stockage et de distribution d’aliments résilients, efficaces et efficients pour assurer la sécurité alimentaire. On cherche ainsi à s’assurer que les communautés veillent à ce qu’elles aient accès à une source sûre d’alimentation, même si la météo se déchaîne.2 

Parmi certaines étapes initiales de planification de la sécurité alimentaire que tous les ordres du gouvernement devraient suivre ensemble, il y a les suivantes :

  • Fuite économique: réaliser une étude sur la fuite économique en alimentation, afin de déterminer d’où vient notre nourriture, de prendre en considération les désirs par rapport aux besoins, et d’évaluer les impacts des phénomènes météorologiques extrêmes sur l’approvisionnement et les coûts. Il faut comprendre ce dont nous avons besoin pour vivre, et le produire ici!
  • Souveraineté alimentaire: soutenir la production, la transformation et l’entreposage régionaux des aliments au moyen d’incitatifs et d’un soutien financier direct. Assurer une sécurité alimentaire régionale, afin qu’il y ait toujours une source adéquate d’aliments de qualité à proximité, pour veiller à ce que les gens ne manquent jamais de rien.
  • Banque de crédit agricole: obtenir des terres arables non exploitées auprès de propriétaires incapables d’exploiter leurs terres ou réticents à le faire, avant de les louer à des taux très faibles aux agriculteurs ou d’embaucher des travailleurs (locaux ou étrangers) pour cultiver les aliments dont nous avons besoin.
  • Souveraineté, sécurité et résilience alimentaire: il faut faire de l’exploitation agricole et de l’agriculture un enjeu national et provincial de sécurité alimentaire, et promouvoir un plan alimentaire résilient. Nous avons les terres et les ressources nécessaires pour produire plus que ce que nous pouvons consommer. Nous pourrions donc exporter nos surplus. Cependant, nous devons nous assurer d’avoir la nourriture dont nous avons besoin avant de placer à l’avant-plan l’économie. 
  • Centres alimentaires: faire des investissements stratégiques dans les magasins ayant pignon sur rue et les entrepôts régionaux d’aliments frais et transformés, afin que les résidents qui doivent composer avec un phénomène météorologique extrême ou se rétablir après un tel événement puissent avoir facilement accès à un approvisionnement en aliments et en eau.

Sécurité du logement

Lors de l’incendie de la municipalité, Lytton a perdu tous ses bâtiments en un peu plus de 20 minutes. Elle doit donc reconstruire une communauté entière. Choisira-t-elle de reconstruire d’une manière résiliente, afin de tenir compte des conditions météorologiques d’aujourd’hui et de demain?

L’architecture et les services techniques des Nlaka’pamux pour les routes, les ponts, les fossés, les bateaux, l’énergie et le logement existent depuis des décennies, bien avant les contacts, comme l’ont observé les premiers explorateurs européens dans la région (Lamb, 1960). Avec la colonisation et la confédération, les Nlaka’pamux ont dû quitter le lieu qu’ils occupaient initialement pour vivre en tout temps dans des réserves, dans des maisons en charpente construites sur le sol. Aucune norme ne s’appliquait à la construction de telles maisons qui devaient être construites de la manière la plus élémentaire possible. Elles ne sont pas convenables quand vient le temps de résister aux phénomènes météorologiques extrêmes d’aujourd’hui. Maintenant, les Nlaka’pamux, comme tout le monde, doivent trouver une façon de concevoir et de construire des logements abordables, résilients (à la chaleur, aux vents, à la pluie et au froid), écoénergétiques et constructibles. Kanaka Bar reconnaît les défis associés à la politique après contact pour le logement. Pendant des années, elle a cherché à rénover et à réparer des structures existantes déficientes. Aujourd’hui, toutes les constructions neuves de Kanaka Bar se fondent sur une conception passive et doivent répondre à des exigences en matière d’efficacité énergétique de niveau élevé. Selon le code du bâtiment de Kanaka Bar, la conception et la construction doivent respecter les normes les plus élevées en matière d’efficacité. Des représentants des propriétaires doivent être sur les lieux, pendant la construction, afin de veiller à ce que les travaux respectent les exigences de la communauté. Kanaka Bar construit des actifs durables pour ses enfants et petits-enfants. Il s’agit d’actifs résilients face aux changements climatiques. La communauté ne souhaite pas construire des actifs qui feront l’objet plus tard d’un flip immobilier pour obtenir un gain en capital.

En outre, un nouveau lotissement résidentiel présentement en construction, portant le nom de Crossing Place, est branché au réseau. Cependant, il disposera de sa propre capacité de production d’électricité et de stockage dans des batteries. Ainsi, les résidents futurs pourront s’éclairer, se chauffer, se climatiser et disposeront de systèmes de circulation d’air fonctionnels si le réseau tombe en panne. En mai 2022, Kanaka Bar a rencontré de nouveaux fournisseurs qui ont partagé de l’information sur les matériaux de construction correspondant aux critères des communautés quand vient le temps de veiller à la résilience des nouvelles infrastructures face aux phénomènes météorologiques extrêmes (River Voices, 2022).

Le passage du temps n’a pas été facile pour les résidents déplacés de Lytton. Cependant, ils comprennent qu’ils disposent d’une deuxième chance et, qu’avec le soutien approprié du gouvernement, ils peuvent reconstruire en mieux. Tout d’abord, la ville a été construite sur le village autochtone de Tl’kemstin. L’incendie de Lytton a donné l’occasion aux résidents de réaliser une initiative jamais faite, c’est-à-dire réaliser des travaux d’archéologie pour trouver des artéfacts et créer des plans d’atténuation pour la reconstruction qui minimiseront les impacts futurs sur les sites non perturbés. Ensuite, à la suite de la publication d’un premier rapport du genre (GHD, 2021), chaque propriété a été nettoyée. Les propriétaires ont reçu un certificat d’autorisation confirmant que les sols ont été inspectés et que les terres avaient été nettoyées, qu’elles n’étaient plus contaminées et qu’elles n’affichaient plus de toxines dégagées par l’incendie du 30 juin 2022. Une charrette de constructeurs a eu lieu en avril 2023, tout comme une conférence sur la construction en mai 2023, afin de discuter des meilleures étapes à suivre pour la reconstruction. La première construction n’a pas encore été déterminée. La communauté dispose maintenant d’options et doit faire un choix. Elle doit décider de ne pas reproduire les mêmes structures et systèmes perdus ou suivre l’exemple de Kanaka, en reconstruisant de manière à ce que les nouvelles infrastructures résistent aux impacts des changements climatiques.

Crédit photo: Kanaka Bar Indian Band
Crédit photo: Kanaka Bar Indian Band

Parmi les étapes que tous les ordres du gouvernement devraient prendre en considération pour veiller à ce que le logement soit résilient face aux impacts climatiques :

  • Examen des règlements et des codes de construction : les codes du bâtiment, les règlements et les politiques en matière d’infrastructures doivent tenir compte des prévisions météorologiques propres au site de demain pour assurer la résilience face au climat. En outre, les assureurs devraient envisager de tenir compte de ces rajustements, afin que la reconstruction après une catastrophe soit résiliente ou résistante aux incendies, à la chaleur, aux vents, à la pluie et au froid.
  • Logement gouvernemental: les gouvernements devraient envisager de reprendre des terres de propriétaires, de sociétés et de spéculateurs qui les utilisent à des fins d’investissement, afin de construire des logements sociaux sûrs et résilients pour les populations vulnérables dont le risque face aux impacts climatiques est plus élevé en raison d’un accès inexistant au logement approprié.
  • Construction pilote: la région du canyon du Fraser dispose de terres abandonnées et sous-utilisées réservées à l’usage du gouvernement. Lytton a aussi de multiples parcelles aménagées prêtes pour la construction qui peuvent servir à la construction montrant différentes options de construction, enveloppes et systèmes plus résilients face aux impacts climatiques. 
  • Retourner les terres: si les analyses de rentabilisation ne permettent pas de justifier la construction privée ou si les gouvernements fédéral ou provinciaux sont incapables d’acquérir ou de construire les résidences nécessaires ou sont réticents à le faire, il faut remettre aux Autochtones des terres en fief simple, afin de bâtir des logements pour location inclusifs, durables et résilients.

Il reste du temps et de l’espoir

Pendant des milliers d’années, les communautés autochtones ont prospéré en fonction d’une relation symbiotique avec la terre3. Lorsqu’une communauté autochtone prospère, une région prospère aussi.

Ce sont les agissements de quelques-uns qui ont créé les conditions avec lesquelles nous devons composer aujourd’hui. Ce sont les agissements de nous tous aujourd’hui qui détermineront notre avenir collectif.

Cela exigera du leadership. Il reste de l’espoir. Les peuples autochtones ont survécu aux contacts et à la colonisation connue. Aujourd’hui, en raison de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et de certains mouvements, comme Idle no More, exerçant des pressions publiques, les gouvernements au Canada n’adoptent plus une approche axée sur l’évitement. Ils ont adopté une approche axée sur la réconciliation se fondant sur de nouvelles relations et une collaboration significative (Union of British Columbia Indian Chiefs et Centre canadien de politiques alternatives, 2018). 

Il est impossible d’échapper à la logique selon laquelle les tendances actuelles en ce qui concerne les pics temporaires de conditions météorologiques extrêmes, comme la chaleur, les vents, la pluie ou le froid extrêmes, continueront, et leur fréquence, leur durée et leur intensité augmenteront. Même si nos gouvernements comprennent les risques météorologiques extrêmes, le coût financier associé au fait de reporter les mesures et la nécessité urgente de s’adapter aux impacts des changements climatiques et de les atténuer, ils ne prennent parfois pas les décisions suffisamment rapidement (Sawyer, Dave, Ness, Ryan, Lee, Caroline, et Miller, Sarah 2022). Les Canadiens peuvent surmonter les comportements acquis et renforcés grâce à la sensibilisation et à l’action. On n’a plus le temps de faire preuve de déni, d’hypocrisie, d’apathie et de complaisance. L’histoire du canyon du Fraser et le rétablissement et la reconstruction régionaux sont des exemples qui illustrent le risque associé au fait d’attendre trop longtemps avant de se préparer aux pires scénarios.

Sur le terrain à Lytton, lorsque les risques de contamination maintenant définis sont atténués et que les sites archéologiques sont remis en état et protégés, la reconstruction de la ville britanno-colombienne perdue en une journée ira de l’avant, avec les politiques gouvernementales, les ressources, le financement et la persévérance adéquats, en fonction d’une appréciation renouvelée de la nécessité de protéger les quatre fondations physiologiques de la vie : air pu, eau, nourriture et logement. Si elle est faite de manière appropriée, la reconstruction devrait fournir aux résidents du canyon du Fraser un degré de sécurité, d’abordabilité et de résilience qui leur permettra de prospérer et de maintenir une qualité de vie élevée, sans égard aux conditions météorologiques d’aujourd’hui ou de demain.

Nos décideurs doivent mettre de côté les principes et approches coloniaux maintenant dépassés qui font passer l’économie devant tout, et comprendre qu’ils doivent accorder la priorité aux fondations physiologiques lorsqu’ils prennent des décisions. Il s’agit d’une occasion, non seulement pour Lytton, mais pour le reste du pays. La communauté de Kanaka Bar montre que c’est possible. La transition climatique et l’adaptation aux changements climatiques ne sont pas un coût. Il s’agit d’investissements dans nos fondations collectives pour veiller à ce que tous les Canadiens puissent composer avec les tempêtes à venir.

L’action suscite l’espoir : Nos enfants et nos petits-enfants en valent la peine.

Références

Albrecht, G., Sartore, G.M., Connor, L., Higginbotham, N., Freeman, S., Kelly, B., Stain, H., Tonna, A., et Pollard, G. 2007. « Solastalgia: the distress caused by environmental change ». Australia’s Psychiatry. 2007; 15 Suppl 1 : S95-8. DOI : 10.1080/10398560701701288. PMID : 18027145.

BBC News. 2021. « The Canadian Town that Burnt Down in a Day ». [Vidéo], YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=8mgpcVwGsNA (18 décembre).

Berezan, Ron. 2016. « Fostering Food Security and Food Sovereignty for Kanaka Bar ». https://www.kanakabarband.ca/files/fostering-food-security-published-may-2016.pdf (mai.).

British Columbia Government News. 2023. « Historic Investment in Food Security Supports British Columbians ». https://news.gov.bc.ca/ministries/agriculture-and-food (7 mai).

Chambers, K., D. Stanyer, et M. Hocking. 2021. « State of the Fraser River at Kanaka Bar ». Ecofish Research Ltd. https://www.kanakabarband.ca/files/ecofish-2021-07-12-2.pdf (12 juillet).

GHD. 2021. « Summary of Results and Safe Work Considerations: Bulk Material Sampling and Air Monitoring, Lytton Wildfire Response Lytton, British Columbia — Emergency Management British Columbia ». https://lytton.ca/wp-content/uploads/2021/09/Summary-of-Results-and-Safe-Work-Consideration.pdf (septembre 2021).

Bande indienne de Kanaka Bar. 2015. « Kanaka Bar Indian Band: Land Use Plan ». https://www.kanakabarband.ca/files/land-use-plan-march-31-2015-pdf-2.pdf (31 mars).

Bande indienne de Kanaka Bar. 2018. « Kanaka Bar Indian Band: Climate Change Vulnerability Assessment ». https://www.kanakabarband.ca/downloads/climate-change-vulnerability-assessment-pdf-2.pdf

Karl, Preuss. 2005. [Revue de Making Native Space : Colonialism, Resistance, and Reserves in British Columbia, par C. Harris]. American Indian Quarterly, 29(3/4), 709-713. http://www.jstor.org/stable/4138999

Lamb, William Kaye. 1960. The Letters and Journals of Simon Fraser 1806-1808. Toronto : Pioneer Books, The MacMillan Company of Canada Limited.

Manuel, George, et Posluns, Michael. 1974. « The Fourth World: An Indian Reality ». Minneapolis : University of Minnesota Press, 17.

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Michell, Patrick. 2021. « Climate Change and Extreme Weather Events: Opportunities and Challenges for Sustainability — Kanaka Bar Indian Band and Resiliency ». [Présentation]. https://www.kanakabarband.ca/files/climate-change-and-extreme-weather-events.pdf (27 avril).

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Sawyer, Dave, Ness, Ryan, Lee, Caroline, et Miller, Sarah. 2022. « Limiter les dégâts : Réduire les coûts des impacts climatiques pour le Canada ». L’Institut climatique du Canada. https://institutclimatique.ca/reports/limiter-les-degats/ (septembre).

Tattrie, Jon. 2020. « La Colombie-Britannique et la Confédération ». L’Encyclopédie canadienne. Historica Canada. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/british-columbia-and-confederation (16 janvier.).

Union of British Columbia Indian Chiefs et Centre canadien de politiques alternatives. 2018. « True, Lasting Reconciliation: Implementing the United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples in British Columbia Law, Policy and Practices ». https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/ubcic/pages/3894/attachments/original/1543299014/UBCIC_CCPA-BC_TrueLastingReconciliation_full.pdf?1543299014 (novembre).

Assemblée générale des Nations Unies. 2007. « Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ». https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/wp-content/uploads/sites/19/2018/11/UNDRIP_F_web.pdf (13 septembre).


1 La solastalgie est « la détresse que produisent les impacts des changements environnementaux chez les gens qui affectent leur environnement immédiat ».

2 Annonces de mars 2023 par les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada montrant qu’ils comprennent que les investissements dans la souveraineté et la sécurité alimentaires sont prioritaires, afin que les gens puissent se nourrir, malgré les conditions météorologiques.

3 Les Nlaka’pamux ont un dicton, « ce que vous faites à la terre, vous le faites à vous-même. Il faut donc prendre soin de la terre qui vous le rendra ».

Mobiliser des capitaux privés pour les infrastructures d’adaptation au climat

Contribution de la circularité à la réduction des émissions au Canada

Saint-Laurent Ottawa Nord refusé

Le 3 mai 2022, la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) a posé un geste qualifié par les observateurs de tout à fait inhabituel en 62 ans d’histoire : elle a rejeté une requête en autorisation de construire pour les dernières étapes d’un projet de remplacement de pipeline proposé par Enbridge Gas, une entreprise de gaz fossiles de Scarborough.

La décision et l’ordonnance rendues sur le projet Saint-Laurent Ottawa Nord de 123,7 millions de dollars s’appuyaient notamment sur le plan d’électrification communautaire de la Ville d’Ottawa (Évolution énergétique) et la possibilité de réduire la taille du pipeline pour aller dans le sens de la baisse de demande de gaz naturel à prévoir. Parmi les raisons de cette baisse de demande, la Ville invoque le plan Évolution énergétique lui-même ainsi que les efforts entrepris par le gouvernement fédéral pour convertir la centrale de chauffage et de refroidissement de la rue Cliff vers des technologies à faible empreinte carbone, des changements ignorés par Enbridge dans ses prévisions de la demande en gaz.

La décision a provoqué une petite onde de choc dans le paysage de la réglementation énergétique de la province et dans le milieu de l’énergie à l’échelle municipale. « Personne ne s’attendait à les voir perdre. Rien ne laissait présager une telle issue », s’est exclamé à l’époque Jay Shepherd, avocat spécialisé dans la réglementation environnementale de Shepherd Rubinstein.

Mais il a précisé que les « preuves apportées par la Ville d’un recul du carbone à Ottawa mettaient la CEO dans une position délicate; lorsque la Ville déclare ouvertement qu’elle consommera moins de gaz à l’avenir, on ne peut l’ignorer ».

La question que se posent toutes les parties prenantes – qu’il s’agisse d’Enbridge, de la Ville d’Ottawa ou des divers intervenants qui ont participé à l’audience – est de savoir si la décision de la CEO créera un précédent. Cette décision est-elle représentative de la suite des choses pour la transition énergétique du Canada?

La présente étude de cas se fonde sur une analyse de la décision de la CEO, de la documentation connexe et d’entrevues menées auprès des principaux concernés. Elle comporte des citations de ces acteurs du milieu pour mettre l’analyse en contexte.

La planification des services publics à l’ère de la transition

La requête d’Enbridge et la décision rendue par la COE surviennent à un moment où les municipalités, les services publics, les autorités de réglementation et tous les ordres de gouvernements s’efforcent de comprendre les tenants et aboutissants de la course à la carboneutralité, puis d’intégrer ce nouvel impératif de planification urgent à leurs politiques, pratiques et investissements.

Ces changements profonds et relativement rapides coïncident avec l’inquiétude grandissante suscitée par les répercussions climatiques de l’extraction, du transport, de la distribution et de la consommation des gaz fossiles. Les propositions visant la construction ou le renouvellement d’une infrastructure gazière doivent composer avec l’essor de la thermopompe comme solution d’électrification par excellence du chauffage résidentiel. Elles doivent également soupeser le rôle que les gaz propres comme l’hydrogène ou le biogaz pourraient être appelés à jouer.

Malgré ce contexte, la requête et la décision Saint-Laurent Ottawa Nord entrent en scène à un moment où encore bien des fournisseurs et services publics de gaz planifient et pensent leurs activités comme dans le bon vieux temps, un phénomène fort probablement alimenté par un modèle opérationnel où, selon la loi, le rendement de l’investissement des actionnaires des entreprises gazières est dicté principalement par le nombre de kilomètres de pipelines possédés et exploités plutôt que par le volume de gaz fourni.

Des voix s’élèvent pour dire que cette structure crée un impératif opérationnel de développement du réseau gazier sans égard à la demande des consommateurs, à un rythme au moins suffisant pour compenser la dépréciation des actifs installés. Certains craignent que ce modèle expose les usagers à des coûts de délaissement d’actifs causés par la mise hors service prématurée d’infrastructures nouvelles ou agrandies dans la foulée des efforts de réduction des émissions. Reste à savoir qui des usagers, des actionnaires ou des contribuables paiera pour ces actifs délaissés.

Les détails de la décision

L’un des enjeux sous-tendus dans la décision de la COE concernait la planification intégrée des ressources entreprise par Enbridge. Elle suggérait que l’entreprise « collabore avec la Ville d’Ottawa et d’autres parties prenantes pour élaborer de manière proactive un plan d’action dans l’éventualité où le remplacement du pipeline serait nécessaire, y compris la poursuite de solutions de planification intégrée des ressources ». Elle suggérait également au service public l’adoption d’une approche similaire pour d’autres projets ailleurs dans la province dans la mesure du possible.

La COE a fait ces observations au moment où certains réclament une coordination plus étroite et réfléchie des services publics de gaz avec les distributeurs d’électricité de leur territoire. Elle a d’ailleurs fixé des exigences de planification intégrée des ressources locales dans une décision et une ordonnance rendues le 22 juillet 2021, dont l’un des cinq critères de sélection autorise une exception pour les besoins des réseaux gaziers à résoudre dans les trois ans. Dans l’audience du projet Saint-Laurent Ottawa Nord, Enbridge n’est pas parvenue à convaincre les commissaires de l’urgence du remplacement.

L’entreprise a également refusé d’envisager une réduction de la taille du pipeline, invoquant la conclusion d’un expert-conseil selon laquelle la Ville ne pourrait réduire suffisamment la demande pour justifier cette éventualité. Mais les autorités de la région n’étaient pas du même avis, et si la COE n’a pas abordé la question de cette baisse de demande, la décision a été largement interprétée comme un appui à la position de la Ville.

Dans les délibérations, le personnel de la Ville « a indiqué que sa préférence irait à une approche de planification intégrée de l’énergie qui exige la concertation des principaux fournisseurs d’énergie (gaz, électricité et énergie de quartier) pour bâtir un système énergétique qui répond aux objectifs climatiques du plan Évolution énergétique sans négliger l’abordabilité et la sécurité énergétique », selon les commissaires Anthony Zlahtic et Emad Elsayed.

Vue aérienne de la rivière Rideau et Porter Island à Ottawa, Ontario, Canada.

À l’époque, une porte-parole d’Enbridge faisait valoir que les phases 3 et 4 rejetées du remplacement du pipeline « constituaient les solutions les plus prudentes pour résoudre les problèmes d’intégrité connus découlant d’une dégradation en cours du réseau de pipelines Saint-Laurent, surtout si l’on tient compte de l’ampleur des conséquences d’une défaillance pour les clients et le public », un point de toute évidence important, mais qu’Enbridge ne serait pas parvenue à prouver, selon les commissaires de la COE.

Le plan quinquennal d’Enbridge

Depuis, les audiences de la COE sur le plan tarifaire quinquennal d’Enbridge ont pris le pas sur le projet Saint-Laurent Ottawa Nord. Le plan et la décision rendue par la COE à son sujet auront d’importantes répercussions sur les autres municipalités de l’Ontario et leur transition des combustibles fossiles vers des sources d’énergie propre.

Les audiences devraient être l’occasion de stimuler et d’encourager la planification intégrée des ressources et, plus largement, de mettre l’orientation du réseau gazier de la province au diapason des grandes cibles et politiques climatiques. Mais le risque du statu quo est encore bien présent. Des acteurs du secteur affirment d’ailleurs que les interventions d’Enbridge jusqu’à présent se bornent aux exigences des programmes de gestion de la demande et de conservation d’énergie déjà en place, et que l’entreprise gazière prévoit toujours le projet Saint-Laurent Ottawa Nord à l’horizon 2024-2025, dans le cadre d’un plan d’immobilisations décennal de 15,3 milliards de dollars.

La requête d’Enbridge insiste sur une trajectoire diversifiée qui mise sur la maximisation de l’efficacité énergétique, l’optimisation et l’intégration de la planification des systèmes énergétiques, l’investissement dans le « gaz à faible teneur en carbone » et l’emploi de la captation, de l’utilisation et du stockage (CUSC) pour produire de l’hydrogène à faible émission de carbone.

Le plan, quant à lui, est basé sur une étude de Guidehouse qui, sans nier le vent favorable à un virage global vers l’électrification, préconise toutefois un scénario « diversifié » accueillant « un réseau réservé aux hydrogénoducs et quelques infrastructures gazières dans la province » et où « le chauffage au gaz, complémenté par la thermopompe, continue d’occuper une place essentielle dans le chauffage résidentiel », alimenté par du « gaz à faible teneur en carbone ou carboneutre ».

Selon Guidehouse, ce scénario diversifié représenterait pour les usagers des économies de 181 milliards de dollars d’ici 2050, attribuables en grande partie à la réduction des besoins en infrastructures électriques pour répondre à la demande de pointe. Il demeure controversé chez les acteurs concernés interrogés dans le cadre de la présente étude.

L’absence de consensus entourant le scénario recommandé par Guidehouse illustre la nécessité de mener une analyse plus exhaustive de la meilleure trajectoire sur le plan de la sobriété en carbone et des économies pour les consommateurs d’électricité et de gaz en Ontario, une analyse qui pourrait s’ancrer en grande partie dans la planification intégrée des ressources à l’échelle locale exigée aujourd’hui par la CEO.

Pour ce qui est de la probabilité de changements de cap majeurs, il sera important d’évaluer non seulement les trajectoires les plus économiques pour le développement et l’entretien des infrastructures, mais aussi le risque que les usagers se voient refiler la facture d’infrastructures vouées à être délaissées. « Le principal point d’achoppement de ce plan, c’est la transition énergétique », indique un des acteurs concernés.

Les réseaux gaziers dans un avenir incertain

L’avenir qui se dessine pour le système énergétique est encore inconnu; les transitions reposant sur une baisse de la consommation de gaz mettront du temps à se concrétiser et beaucoup d’analyses prévoient une certaine demande de gaz au milieu du siècle, ne serait-ce que pour répondre aux utilisations finales les plus difficiles à convertir. Il demeure donc légitime de maintenir un réseau gazier viable, surtout si ce dernier est appelé à laisser une plus grande place au biogaz et à l’hydrogène.

Si Enbridge a demandé cette étude de Guidehouse, c’est « en grande partie dû au fait que les baisses d’émissions sont désormais réduites à l’électrification », explique Malini Giridhar, vice-présidente du développement commercial et de la réglementation d’Enbridge. « De multiples trajectoires peuvent nous permettre de réduire nos émissions. Nous voulions tout particulièrement comprendre le rôle et les retombées des combustibles gazeux dans l’objectif de carboneutralité », ajoute-t-elle.

Toutefois, la construction d’actifs gaziers superflus qui finissent par être délaissés pourrait engendre un risque pour les usagers plutôt que pour les actionnaires. Selon un acteur concerné, les arguments d’Enbridge à l’audience de la COE sur le tarif quinquennal laissent croire que les usagers continueront de payer pour l’infrastructure pipelinière, nouvelles installations comprises, au moins jusqu’au milieu du siècle.

« Enbrige a répété que si elle construisait ces actifs pour les usagers, les usagers devraient en assumer les coûts, affirme-t-il. Les actifs ne seront pas délaissés. » L’audience tarifaire pourrait être le théâtre d’arguments voulant que, si Enbridge veut construire de nouvelles infrastructures, le risque doive être assumé par l’entreprise et non par les clients qui n’ont pas vraiment leur mot à dire sur la manière dont le service public dépense ses capitaux.

L’une des forces du modèle d’affaires d’Enbridge réside dans sa capacité d’offrir aux investisseurs le rendement stable et prévisible d’un service public réglementé. L’un des acteurs du milieu fait toutefois valoir que les retombées pourraient être de courte durée si l’on assiste à un véritable différend au sein de la COE sur la répartition des avantages et des coûts des investissements des services publics sur les usagers, comme on l’a vu ailleurs.

« La Commission de l’énergie va approuver les dépenses sur les gazoducs, renchérit une autre personne concernée. Elle n’imposera pas leur utilisation. Le problème lié à l’approbation de dépenses trop importantes pour les gazoducs se posera plus tard. Et donc à bien des égards, il s’agit d’un enjeu climatique, mais d’une portée financière non négligeable. »

Questions de transition

La saga du projet de remplacement du pipeline Saint-Laurent Ottawa Nord est certainement ouverte à plus d’une conclusion, étant donné le besoin d’une certaine quantité de gaz même dans les scénarios d’électrification les plus ambitieux et malgré la possibilité à long terme de voir arriver des gaz propres. Mais elle soulève une série de grandes questions chez les collectivités, les services publics et les autorités de réglementation qui tentent de négocier la transition vers un système énergétique carboneutre en Ontario et dans tout le pays.

  • Quelles options s’offrent aux municipalités qui prennent leurs engagements climatiques au sérieux et sont désireuses de se lancer dans une planification intégrée des ressources? « L’arène réglementaire n’est pas pour les âmes sensibles », nous prévient un des acteurs concernés. S’il est déjà difficile pour les villes qui disposent des ressources et du personnel technique compétent de défendre la planification intégrée des ressources, le défi est d’autant plus grand pour les collectivités, comme les petites municipalités, qui n’ont pas ou ont peu de moyens de mener des analyses indépendantes et de s’engager résolument dans la trajectoire de décarbonisation qui correspond le mieux à leurs besoins et priorités. Un des acteurs a souligné que Kingston, en Ontario, était mieux à même d’encadrer la distribution du gaz, car la municipalité était propriétaire d’un service public de gaz.
  • Quel est l’avenir des entreprises gazières dont le modèle d’affaires est menacé par l’impératif de décarbonisation, la baisse des coûts des solutions sobres en carbone et le potentiel souvent méconnu des solutions en aval du compteur? Les acteurs concernés ont suggéré qu’une entreprise comme Enbridge pourrait mieux se préparer à un avenir carboneutre en diversifiant ses activités vers l’électricité et les thermopompes, ou en s’inspirant du modèle qui se dessine au Québec, où les sociétés d’électricité et les entreprises gazières tentent d’intégrer leurs programmes d’approvisionnement et d’efficacité énergétique. Le principal obstacle concerne les affaires et les finances, et non les choix technologiques.
  • Quels sont les recours des parties prenantes qui considèrent qu’un service public ne s’est pas conformé à un mandat réglementaire? La COE a établi des attentes précises pour la planification intégrée des ressources en 2021, renforcées par la décision Saint-Laurent Ottawa Nord rendue en 2022. Certains ont fait valoir que ce type de mandat imposera un rôle de surveillance et d’application plus proactif qui pourrait être moins naturel pour une institution comme la COE. Leurs observations soulèvent d’importantes questions concernant le rôle de l’autorité de réglementation et son pouvoir – ou, à l’heure actuelle, sa capacité – de s’attaquer à une question essentielle et émergente dans la démarche vers un avenir carboneutre. Le Comité de la transition relative à l’électrification et à l’énergie de l’Ontario s’est penché là-dessus et sur bien d’autres questions connexes, et son rapport attendu cette année devrait jeter un éclairage utile sur la discussion.
  • Quels autres gestes devraient poser les gouvernements pour montrer le sérieux de leur démarche de décarbonisation et dissiper la méfiance suscitée par les engagements environnementaux passés? Et quels sont les recours des acteurs concernés entretemps? La planification des infrastructures à long terme est nécessairement un exercice d’anticipation et d’évaluation des impondérables, et tant que les émissions ne commenceront pas à baisser, les entreprises gazières pourront logiquement supposer qu’elles ne le feront pas – mais leurs plans d’expansion pourraient contribuer à ce que cette supposition devienne une dangereuse prophétie autoréalisatrice. Dans un système fédéral-provincial, le pouvoir des engagements carboneutres nationaux doit s’accompagner de gestes concrets et ambitieux des gouvernements provinciaux, souvent par des lois ou des règlements. Mais si l’on attend que les élus de tous les horizons et les bords politiques soient prêts à faire front commun et présenter une réponse intégrée à l’urgence climatique, il pourrait être trop tard pour la réduction des émissions. Si l’ensemble des acteurs sont en droit de s’attendre à une certitude politique, les entreprises gazières ont encore toujours plus de place pour composer avec l’incertitude de façon à saisir les possibilités qui s’offriront à elles dans un avenir carboneutre.
  • Quels sont les recours pour les usagers ainsi que tous les autres qui pourraient se retrouver devant d’importants coûts de délaissement des actifs si les entreprises gazières misent sur le mauvais scénario de décarbonisation? À défaut d’être anticipé et évité, ce problème risque de devenir un compromis entre deux enjeux de société : l’impératif de décarbonisation de l’ensemble de l’économie d’ici 2050 et le coût futur élevé, pour les ménages et les entreprises, d’infrastructures qui, avec le temps, pourraient s’avérer incompatibles avec leurs besoins.

Les thermopompes, en vogue dans les Maritimes

Introduction

La modeste thermopompe est un sujet chaud d’actualité.

Alors que la transition énergétique progresse à grands pas sur la scène mondiale, l’importance de l’électrification des systèmes de chauffage et de refroidissement est devenue une priorité pour les gouvernements poursuivant des objectifs plus ambitieux en matière d’émissions de gaz à effet de serre et de carboneutralité. En conséquence, la thermopompe a évolué à un rythme soutenu, passant des bas-fonds de l’efficacité énergétique au sommet de la planification des systèmes énergétiques dans le monde entier.

« Les thermopompes, alimentées par de l’électricité à faibles émissions, sont le catalyseur de la transition mondiale vers un chauffage sûr et durable », révélait l’Agence internationale de l’énergie (IEA, en anglais) dans son rapport technologique de novembre 2022 intitulé The Future of Heat Pumps (L’avenir des thermopompes). Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies et l’éminent cabinet de conseil mondial McKinsey se sont fait l’écho de ce soutien. L’invasion de l’Ukraine par la Russie ayant mis en évidence la dépendance de l’Europe à l’égard du gaz naturel russe, les ventes de thermopompes ont grimpé en flèche sur tout le continent, les ventes atteignant même le double dans certains pays européens au cours du premier semestre 2022 par rapport à la même période en 2021.     

Alors pourquoi les thermopompes ont-elles suscité un tel engouement ? Avant tout, parce que le chauffage intérieur représente une proportion importante de la contribution de la planète à la crise climatique — l’IEA estime que 10 pour cent des émissions mondiales de dioxyde de carbone proviennent du chauffage des bâtiments — et que les thermopompes sont généralement carboneutres et nettement plus efficaces sur le plan énergétique que les systèmes de chauffage par combustibles fossiles ou plinthes électriques. Comme l’a souligné l’Institut climatique du Canada dans un rapport de 2022, « les thermopompes sont cruciales à la transition énergétique du Canada pour plusieurs raisons. Comme les thermopompes consomment de l’électricité plutôt que des combustibles fossiles, elles constituent un important levier pour la transition du Canada vers une électricité propre. En outre, leurs bilans énergétiques sont jusqu’à 70 pour cent inférieurs à ceux des technologies conventionnelles de chauffage domestique, ce qui se traduit par des économies pour les propriétaires et les locataires. »

Notons également qu’un sixième du gaz naturel brûlé chaque année à travers le monde est destiné au chauffage, une proportion qui atteint même le tiers en Europe, où l’Union européenne fait figure de précurseur mondial de la croissance du marché des thermopompes. Toutefois, la demande de thermopompes a aussi fortement augmenté en Amérique du Nord, au Japon, en Corée et en Chine. À l’heure actuelle, les thermopompes assurent 10 pour cent du chauffage des bâtiments dans le monde, les plus fortes proportions étant observées en Norvège (où 60 pour cent des bâtiments sont équipés de thermopompes), en Suède et en Finlande (où cette proportion dépasse les 40 pour cent). Quant au Canada, il ne figure pas encore parmi les pionniers mondiaux de l’adoption des thermopompes, en dépit de ses hivers glacials et de son abondance d’électricité propre (plus de 80 pour cent de l’électricité produite dans le pays est carboneutre). À l’heure actuelle, seuls 6 pour cent du chauffage résidentiel du pays sont assurés par des thermopompes.

Néanmoins, une exception notable se dégage — une anomalie qui fait l’objet de la présente étude. Dans les trois provinces maritimes, plus de 20 pour cent des ménages ont déjà recours à la thermopompe comme principale source de chauffage. Le Nouveau-Brunswick arrive en tête avec 32 pour cent, suivi de l’Île-du-Prince-Édouard avec 27 pour cent et de la Nouvelle-Écosse avec 21 pour cent. Et ces proportions augmentent beaucoup plus rapidement que toute autre source de chauffage principal dans la région. En Nouvelle-Écosse, par exemple, la proportion de ménages alimentés par thermopompes est passée de 6 pour cent à 21 pour cent depuis 2013.

Alors que le reste du Canada s’efforce d’accélérer l’électrification de ses systèmes de chauffage, cette anomalie dans les provinces maritimes justifie un examen plus approfondi. Comment les provinces maritimes sont-elles devenues le fer de lance des thermopompes au Canada ? Quelles conditions, politiques et forces du marché ont favorisé cette adoption accrue, et quelles leçons sont à tirer pour inciter à l’adoption des thermopompes dans l’ensemble du pays ? Malgré le manque de données et d’analyses, la présente étude s’est appuyée sur la modeste documentation disponible, ainsi que sur des entretiens avec des fonctionnaires provinciaux et de services publics qui ont mis sur pied ces programmes d’avant-garde, pour brosser un tableau de référence du succès des thermopompes dans les Maritimes et dégager quelques leçons pertinentes à l’intention des décideurs politiques.

Après un survol de la technologie comme telle et une synthèse des tendances mondiales en matière de politique et de marché, la présente étude se penche sur les outils politiques, les forces du marché et les conditions sociales ayant favorisé l’émergence de l’adoption des thermopompes dans les Maritimes.

Concepts de base des thermopompes

Le marché des thermopompes est saturé de types et de marques différents qui fonctionnent tous, à peu de chose près, selon les mêmes principes. Les thermopompes sont essentiellement des systèmes d’échange de chaleur qui absorbent la chaleur d’un endroit et la transfèrent à un autre. Les climatiseurs fonctionnent selon ce même concept de base, mais les thermopompes ont l’avantage de fonctionner également en sens inverse — en plus de refroidir l’intérieur, elles peuvent absorber la chaleur de l’air extérieur, même froid, et la transférer à des espaces intérieurs.

Thermopompe installée sur une façade en bois.

Sur le marché canadien actuel, les principaux systèmes de thermopompes sont les thermopompes centrales à air,les thermopompes miniblocs sans conduit (« mini-split ») et les thermopompes géothermiques. Les thermopompes à air fonctionnent selon des concepts similaires à ceux des autres systèmes centraux de chauffage et de refroidissement : la thermopompe aspire la chaleur de l’extérieur vers une unité centrale, qui la diffuse ensuite dans le reste de l’intérieur par l’intermédiaire de conduits de chauffage. Le processus fonctionne également en sens inverse, aspirant la chaleur de l’intérieur d’un bâtiment et la diffusant à l’extérieur pour refroidir l’espace. Les miniblocs sont un autre type de thermopompe à air, mais ils conviennent mieux aux bâtiments qui ne disposent pas encore de systèmes de conduits. Dans ce cas, la chaleur est diffusée par un système de refroidissement vers et depuis des « éléments intérieurs » muraux. Les thermopompes géothermiques ont une technologie très similaire à celle des thermopompes à air, sauf qu’elles puisent la chaleur dans le sol-même au lieu de la puiser dans l’air.

Bien que tous les types de thermopompes puissent être configurés pour répondre aux besoins de chauffage de tout bâtiment ou presque, il est encore pratique courante au Canada de jumeler les thermopompes à un système d’appoint préexistant — soit une chaudière, soit un système de plinthes électriques (à ce jour, cette approche est la plus commune dans les provinces maritimes). Une nouvelle génération de thermopompes pour climat froid, introduites sur le marché depuis 5 à 10 ans, fonctionne à des températures aussi basses que -25 °C sans système d’appoint, et convient donc mieux aux hivers canadiens.

Contexte

Tendances mondiales

L’essor des thermopompes est d’envergure mondiale : les ventes ont grimpé de 15 pour cent dans le monde en 2021 et continuent leur ascension. L’Europe est le fer de lance, les pays de l’Union européenne ayant installé à eux seuls deux millions d’unités en 2021 — une augmentation annuelle de 34 pour cent — puis plus de trois millions en 2022, soit une augmentation annuelle supplémentaire de 40 pour cent. Si cet essor européen précède l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la tâche revêt aujourd’hui un caractère d’urgence beaucoup plus marqué.

Aux États-Unis, des incitatifs importants étaient aussi prévus pour les thermopompes dans l’Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation), qui offre des remises aux ménages à faibles et moyens revenus, ainsi que d’importants crédits d’impôt.

Tendances canadiennes

Au Canada, l’adoption des thermopompes a été plus sporadique et régionale, mais les plans fédéraux et provinciaux de réduction des émissions et d’électrification confèrent un rôle beaucoup plus important aux thermopompes à l’avenir.

Comme le rapportait l’Institut climatique du Canada en 2022, « Au cours des 15 dernières années, le nombre de thermopompes installées dans les foyers canadiens a augmenté de façon soutenue, à savoir de 400 000 à 850 000. Toutefois, au cours de la même période, la proportion de chauffage domestique assurée par les thermopompes a seulement augmenté de quatre à six pour cent. Pour atteindre les prévisions du plan de réduction des émissions, leur proportion dans la charge totale de chauffage devra doubler au cours des huit prochaines années, et assurer plus de 10 pour cent du chauffage domestique. » Pour y parvenir, il est indispensable d’adopter des politiques ciblées afin d’envoyer des messages clairs aux marchés et aux consommateurs canadiens.

Certains de ces messages sont d’ores et déjà en place. La ville de Vancouver et la province de Québec ont toutes deux introduit des interdictions partielles sur les systèmes de chauffage à combustible fossile. À Vancouver, ces interdictions visent toutes les installations, qu’elles soient nouvelles ou de remplacement, dès 2025; au Québec, elles visent toutes les nouvelles constructions dès la fin de 2023. Les plus récentes données sur les installations ont quant à elles révélé qu’en 2018, près de 80 pour cent des thermopompes en exploitation au Canada se trouvaient dans les deux provinces les plus peuplées, le Québec et l’Ontario, même si, proportionnellement, les thermopompes représentaient moins de 10 pour cent des systèmes de chauffage en général. (En 2021, les thermopompes étaient le principal système de chauffage de 11 pour cent des ménages québécois et de 2 pour cent des ménages ontariens). Au cours de la même période, une nouvelle tendance a émergé : l’anomalie des Maritimes. Les taux d’installation précurseurs au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard illustrent le mieux la façon d’intensifier l’adoption des thermopompes au Canada. Examinons ce tableau de plus près.

Anomalie des Maritimes

Origines et contexte

Le phénomène de l’adoption des thermopompes dans les Maritimes est une anomalie à la fois récente et rapide. Au Nouveau-Brunswick, les thermopompes étaient la principale source de chauffage de 17 pour cent des foyers en 2017, et de 32 pour cent en 2021. En Nouvelle-Écosse, la proportion est passée de 14 pour cent en 2017 à 21 pour cent en 2021. Enfin, à l’Île-du-Prince-Édouard, la progression la plus notable, la proportion est passée de seulement 9 pour cent en 2017 à 27 pour cent en 2021.

Ce graphique représente la part des ménages des Maritimes ayant une thermopompe comme système de chauffage principal (%). Cette part a triplé dans certaines provinces.

Bien que l’émergence des Maritimes comme précurseur du marché des thermopompes fût une réalité incontournable, cette région présentait des conditions de marché, de politique et de société qui jouaient en faveur de cette technologie. Selon le gouvernement fédéral, la pauvreté énergétique (la prévalence des ménages et des communautés confrontés à des défis financiers majeurs pour répondre à leurs besoins énergétiques domestiques) était très élevée dans cette région — soit au moins le double de la moyenne canadienne. De plus, le climat des provinces maritimes est des plus propices aux thermopompes, y compris les anciens modèles non spécialement conçus pour les climats froids; en effet, le climat modéré de l’océan Atlantique signifie que la région est rarement confrontée à des conditions de froid extrême. Enfin, les principales sources de chauffage domestique — chaudières au mazout et plinthes électriques — comportent des qualités qui rendent leur remplacement par des thermopompes avantageux ou relativement simple. Dans le cas du mazout, qui prédomine en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard, les prix sont volatils. Dans le cas des plinthes électriques, qui prédominent au Nouveau-Brunswick, de grands panneaux électriques existent déjà dans les maisons traditionnelles et peuvent être adaptés aux thermopompes sans qu’il soit nécessaire d’installer de nouveaux câbles ou de procéder à des mises à niveau dispendieuses.

Le récent essor des thermopompes s’explique également par un engagement institutionnel en faveur de l’efficacité énergétique en général, lequel précédait l’intérêt porté aux thermopompes. En effet, le Nouveau-Brunswick exploite des programmes d’efficacité énergétique en continu depuis 2008, aujourd’hui regroupés sous l’ombrelle de son Secrétariat des changements climatiques. De même, l’Île-du-Prince-Édouard a créé son Bureau de l’efficacité énergétique (aujourd’hui intitulé Efficacité Î.-P.-É. ) en 2008. Quant à la Nouvelle-Écosse, le gouvernement provincial a créé son agence indépendante d’écoefficacité, Efficiency Nova Scotia (aujourd’hui appelée EfficiencyOne), en 2010.

Ces bureaux et programmes de promotion de l’efficacité énergétique ont joué un rôle majeur dans la récente campagne en faveur de l’installation de thermopompes. Ils ont en outre assuré cohérence et continuité lors des changements successifs de gouvernement. Et puisqu’ils offraient déjà une variété d’audits, de programmes et d’incitatifs pour promouvoir l’efficacité énergétique des ménages, ils avaient établi des relations solides et durables avec les habitants, les entrepreneurs locaux de systèmes de chauffage, les régulateurs et les entreprises de services publics. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick, par exemple, disposait déjà d’une liste d’installateurs agréés avant d’intensifier ses programmes de thermopompes, et Efficacité Î.-P.-É. domine le pays au chapitre des audits énergétiques des ménages par habitant. En somme, les gouvernements des trois provinces avaient déjà l’expérience de la mise en œuvre de programmes d’efficacité énergétique avant l’essor des thermopompes, et les services publics, les organismes de réglementation, les entrepreneurs et les ménages s’étaient déjà engagés avec cohérence et continuité à améliorer, tant soit peu, l’efficacité énergétique de leurs foyers. Pour reprendre les propos d’un fonctionnaire provincial, la région s’était dotée d’une « forte culture » en matière d’efficacité énergétique avant l’adoption de politiques ciblées sur les thermopompes.

Essor des thermopompes : les incitatifs importent

Dans les trois provinces maritimes, de puissants incitatifs financiers sous forme de subventions et de remises ont été les principaux catalyseurs de la montée spectaculaire du nombre de thermopompes installées. Bien que les incitatifs à l’efficacité énergétique en général remontent aux premiers programmes d’amélioration de l’efficacité énergétique des maisons, lancés en 2007 par Ressources naturelles Canada, les incitatifs directs en faveur des thermopompes n’ont été mis en place que tout récemment.

Les premiers incitatifs ciblés importants ont rapidement démontré la forte demande pour les thermopompes dans la région. En 2015, Énergie NB, le principal service public d’électricité au Nouveau-Brunswick, a introduit une remise de 500 $ sur les thermopompes miniblocs. Quelque 13 000 ménages se sont inscrits au cours de la première année, après quoi l’incitatif a été considéré comme un succès dépassant son ambition initiale et a été revu à la baisse. En 2017, Énergie NB a lancé son Programme écoénergétique pour les maisons, qui offrait des subventions allant jusqu’à 4 000 $ pour une gamme d’améliorations de l’efficacité énergétique, y compris les thermopompes. La même année, EfficiencyOne, en Nouvelle-Écosse, a introduit des subventions d’efficacité similaires. Depuis, l’adoption des thermopompes a été rapide et soutenue dans ces deux provinces. L’Île-du-Prince-Édouard a pour sa part introduit ses premiers incitatifs directs pour les thermopompes en 2021, offrant des systèmes gratuits aux ménages dont le seuil de revenu annuel est inférieur à 35 000 $. Cette initiative a depuis revu ce seuil à la hausse, l’élevant d’abord à 55 000 $, puis à 75 000 $. En conséquence, l’adoption des thermopompes dans les trois provinces a connu une expansion rapide.

Dans les Maritimes, les incitatifs provinciaux ont depuis été « juxtaposés » à des programmes fédéraux pour stimuler davantage les taux d’adoption, en particulier après l’introduction de l’Initiative canadienne pour des maisons plus vertes en 2020, qui offrait des subventions allant jusqu’à 5 000 $ pour l’installation de thermopompes, et du Programme pour la conversion abordable du mazout à la thermopompe (OHPA) en 2022, qui offrait des remises de 5 000 $ sur les thermopompes aux ménages qui chauffent leur foyer au mazout (soit le système de chauffage le plus commun en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard). Les nouvelles subventions de l’OHPA s’ajoutent aux remises de 5 000 $ accordées par la Nouvelle-Écosse dans le cadre du programme EfficiencyOne, tandis que le Nouveau-Brunswick, où très peu de ménages utilisent des chaudières à mazout, offre désormais, dans le cadre de son Programme écoénergétique amélioré, des systèmes miniblocs gratuits aux ménages dont le revenu annuel est inférieur à 70 000 $. (Ce programme est un effort conjoint du gouvernement provincial et Énergie NB.)

Leçons tirées de l’anomalie observée dans les Maritimes

La leçon la plus simple à tirer de l’anomalie des Maritimes est que rien n’importe plus que des incitatifs puissants, surtout s’ils sont destinés aux ménages à faible revenu pour qui l’obstacle du coût initial des systèmes de thermopompes est particulièrement intimidant. Par contre, l’argent seul n’est pas un gage de réussite. Dans les trois provinces, les incitatifs pour les thermopompes ont été intégrés à d’autres mesures d’efficacité énergétique ou introduits parallèlement à celles-ci. La réalisation d’audits énergétiques approfondis a certes permis de recenser les ménages qui bénéficieraient le plus de l’installation d’une thermopompe, mais aussi de nouer des relations entre les organismes publics et les habitants. Le fait d’offrir des remises sur l’isolation et d’autres initiatives d’économie d’énergie parallèlement aux remises sur les thermopompes a permis de s’assurer que les systèmes fonctionnent efficacement une fois installés — engendrant par là même des économies pour les habitants et une grande satisfaction chez les clients à l’égard des nouveaux systèmes de chauffage.

Vue aérienne de Bedford, une banlieue d’Halifax, Nouvelle-Écosse.

Les fonctionnaires des trois provinces ont également souligné l’importance d’une communication claire. Dans certaines régions, les économies réalisées grâce aux thermopompes sautent aux yeux. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, où Énergie NB répond aux besoins énergétiques de la plupart des ménages, les économies réalisées étaient bien en vue sur les factures d’électricité. Cependant, pour les clients qui passent d’une facture semestrielle de livraison de mazout à une facture mensuelle d’électricité plus élevée, une explication plus claire des économies réalisées s’avère utile.

Dans un contexte plus large, rappelons que le passage d’une source de chauffage éprouvée à une source nouvelle et peu familière est une décision majeure pour un ménage canadien. La psychologie comportementale de ce type de changement est sans équivoque : la plupart des gens ont tendance à surévaluer les systèmes dont ils disposent par rapport à une nouvelle approche (un phénomène connu sous le nom d’« effet de dotation ») et à résister à l’idée de devenir des adeptes précoces (en raison de la tendance au statu quo et de nombreuses autres aversions communes à la prise de risques). Tout obstacle ou problème imprévu en cours de route est susceptible de ralentir l’adoption de la technologie à plus grande échelle.

L’anomalie des Maritimes présente aussi bien des exemples de communications efficaces que d’omissions en matière de communication, tous riches d’enseignements.

Côté efficacité, les trois provinces semblent avoir bien réussi à recenser les fournisseurs et les installateurs fiables, et à communiquer les avantages évidents des thermopompes gratuites ou assorties d’une généreuse remise. Bien que ces mesures n’aient pas entièrement éliminé le problème des entrepreneurs peu scrupuleux qui installent des systèmes insuffisants (comme nous le verrons plus loin), elles ont sensiblement réduit le nombre de clients insatisfaits.

Dans le cas du Nouveau-Brunswick, le déploiement des thermopompes a été si efficace que les installateurs assument eux-mêmes une partie de la tâche — par exemple, en offrant leurs propres formules de financement et remises saisonnières, en plus de rabais et de subventions. En Nouvelle-Écosse, le déploiement des thermopompes dans un contexte de flambée des prix du pétrole a incité les propriétaires potentiels à promouvoir les thermopompes comme une caractéristique avantageuse de leurs immeubles locatifs. Le réchauffement climatique a également pesé dans la balance : dans une région où très peu de ménages ressentaient auparavant le besoin d’utiliser un climatiseur, la fonction supplémentaire de refroidissement intérieur des thermopompes est aujourd’hui très attrayante. (Dans les régions plus chaudes du pays, cet aspect de l’argumentaire de vente sera probablement encore plus attrayant).

Il y a cependant eu des erreurs et des omissions flagrantes, qui varient d’une province à l’autre. Un problème commun a été l’émergence d’installateurs « à la sauvette », peu fiables et empressés de profiter des généreux incitatifs. Les fonctionnaires de chaque province ont souligné l’importance de recenser les installateurs fiables et d’assurer une meilleure surveillance — l’ajout de normes de performance et d’installation aux codes de la construction est une recommandation répétée. Tous reconnaissent également qu’ils auraient pu consacrer davantage d’efforts à la consolidation et à la rationalisation des processus de demande et d’installation — à l’Île-du-Prince-Édouard, par exemple, les dernières modifications apportées au seuil de revenus minimums pour les systèmes de thermopompes gratuits ont généré une demande instantanée qui a rapidement dépassé la capacité de réponse de leur bureau, une omission qu’ils ont été contraints de corriger à la hâte. Aujourd’hui, la liste des demandeurs approuvés en attente d’une installation se chiffre en milliers. Enfin, les fonctionnaires du Nouveau-Brunswick ont noté que davantage d’efforts auraient pu être consacrés à l’explication des coûts et des exigences de l’entretien de routine.

Conclusion

Compte tenu de l’ensemble des mesures fédérales et provinciales mises en place au Canada pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments et électrifier le chauffage des locaux, l’anomalie des Maritimes sera sans doute bientôt considérée comme une avance plutôt que comme une aberration. Si les provinces du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard ont été les premières à intensifier l’adoption de cette technologie, on s’attend à ce qu’elle devienne un système de chauffage commun d’un bout à l’autre du pays, soit comme option indépendante, soit comme complément aux systèmes de chauffage classiques. La nouvelle génération de thermopompes pour climat froid, dont les performances peuvent être assurées sans appoint, sauf dans le cas des plus violentes vagues de froid canadiennes, devrait contribuer à faire valoir la viabilité de cette technologie dans tout le pays. D’ici là, leurs progrès constituent un modèle solide.

Dans l’ensemble, les thermopompes trouvent facilement preneur dans les provinces maritimes grâce aux limites des technologies existantes, aux avantages évidents qu’elles offrent, à l’efficacité de programmes incitatifs bien conçus et faciles d’accès, aux effets amplificateurs positifs du bouche-à-oreille et à l’attrait bien établi des remises importantes accordées par les gouvernements sous forme d’incitatifs. Le reste du Canada gagnerait à tirer des leçons de leurs succès et de leurs erreurs, et à suivre leur exemple.

Remerciements

L’auteur tient à remercier les personnes interrogées et les autres experts ci-après pour le temps et l’expertise qu’ils ont consacrés à l’élaboration de la présente étude : Peter T. Craig d’EfficiencyOne (Nouvelle-Écosse) ; Jeff Hoyt et Susan Atkinson du gouvernement du Nouveau-Brunswick ; Beth Pollack d’Énergie NB ; Angela Banks, Brittany Ziegler et Erin Kielly du gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard; Leslie Malone de Dunsky Energy; et Sachi Gibson, Jonathan Arnold, Jason Dion et Kate Harland de l’Institut climatique du Canada.

La présente étude s’appuie également sur des informations, des analyses et des données de base contenues dans les publications suivantes :

Agence internationale de l’énergie (IEA), The Future of Heat Pumps, novembre 2022.

Agence internationale de l’énergie (IEA), Heating and Cooling Strategies in the Clean Energy Transition, mai 2019.

Anna Kanduth, Heat pumps can power major emissions reductions from buildings, Institut climatique du Canada, 17 novembre 2022.

Régie de l’énergie du Canada, Aperçu du marché : Thermopompes de plus en plus présentes, 21 février 2018.

 Régie de l’énergie du Canada, Aperçu du marché : La thermopompe, de plus en plus répandue — Comment fonctionne-t-elle ?, 17 avril 2019.