Les économies du monde sont engagées dans une course aux capitaux privés pour financer la décarbonisation et la croissance propre. Les États-Unis ont été les premiers à s’élancer, en août 2022, avec l’Inflation Reduction Act et son enveloppe de 369 milliards de dollars américains; l’Union européenne se prépare à renchérir en injectant plus de 200 milliards de dollars dans les technologies sobres en carbone. Le Canada travaille sur son propre train de mesures pour mobiliser des capitaux privés dans la croissance propre, et il gagnerait à s’inspirer de quatre concepts qui ont fait leurs preuves ailleurs dans le monde.
La « Banque verte » de l’Australie, qui structure ses placements de manière à concilier réductions d’émissions et profitabilité.
La Clean Energy Finance Corporation (CEFC), de son vrai nom, est une institution qui aide les entreprises et projets sobres en carbone dans leur recherche d’investisseurs privés en leur proposant du financement par prêt ou par actions aux modalités généreuses et libérales. Dotée d’un capital de 10 milliards de dollars australiens à sa fondation en 2012, la CEFC affiche aujourd’hui un excellent bilan financier et carbone : ce sont plus de 37,15 milliards qui ont été investis, et plus de 200 mégatonnes d’éq. CO₂ qui ont été supprimées. Cette réussite, la CEFC la doit notamment à la clarté et à la spécificité de son mandat ainsi qu’à son double critère de profitabilité et de réduction des émissions.
Certains des principes de conception de la Banque verte australienne seraient applicables au nouveau Fonds de croissance du Canada, qui se veut un catalyseur de l’investissement sobre en carbone, pour faire en sorte que ses 15 milliards de dollars concourent à des cibles claires de développement durable. Fait intéressant; l’équité et la justice climatiques sont des aspects dont la CEFC ne se soucie pas; le Canada aurait donc ici l’occasion de montrer l’exemple en optant pour des investissements propres et porteurs de réconciliation économique avec les peuples autochtones.
Le programme de contrats sur différence dédiés à la production d’énergie renouvelable, au Royaume-Uni, dont le partage des risques offre un degré de certitude aux investisseurs privés sans tomber dans le subventionnement excessif. Sous ce régime contractuel, les producteurs d’énergie renouvelable se font concurrence pour offrir l’électricité la moins chère possible. Ensuite, si le tarif que finit par payer le marché est inférieur au coût de référence, c’est le gouvernement qui paie la différence aux producteurs, leur assurant ainsi un revenu stable; s’il est supérieur, c’est l’inverse, ce qui évite à l’État de subventionner des bénéfices exceptionnels amassés sans courir le moindre risque. Autre caractéristique du système britannique : les contrats sont conclus entre les producteurs d’électricité et une entité gouvernementale distincte, ce qui les tient à l’abri de l’incertitude et des interférences de nature politique. La ronde de contrats conclus au Royaume-Uni l’année dernière a à elle seule amené une nouvelle capacité de production d’énergie propre à hauteur de 11 GW, ce qui, sans être immense, reste considérable à l’échelle des 69 GW de capacité de transport du pays en 2021. La certitude apportée par les contrats sur différence a contribué à atténuer la crise énergétique dans le pays, où fait rage une flambée des prix de l’énergie principalement sous l’effet de la hausse des tarifs des combustibles fossiles, et les producteurs qui fournissent de l’électricité propre dans le cadre des contrats sur différence paient actuellement leur dû à l’État en compensation de leur hausse de profits.
Le Canada cherche toujours plus de politiques afin de canaliser les capitaux privés dans la croissance propre, et il pourrait ici s’inspirer du Royaume-Uni et de son programme de contrats sur différence pour en arriver à un partage des risques avec les investisseurs privés plutôt que de les payer directement. En employant des instruments d’investissement concurrentiels qui répartissent le risque, on peut atténuer les distorsions du marché et la pression budgétaire, et c’est pourquoi le Fonds de croissance du Canada prévoit justement d’employer des contrats sur différence. Maintenant, il serait important que l’État fasse de même pour les contrats qui concernent le carbone afin de réduire l’incertitude quant au prix de ce dernier.
Longship, le projet norvégien de captation et de stockage du carbone (CSC), un bel exemple d’intervention étatique hautement stratégique et ciblée et de soutien technique, opérationnel et financier par voie de politiques. Premier réseau de CSC transfrontalier et ouvert en Europe, Longship a été lancé en 2020 en prévision des besoins en captation du carbone des émetteurs de l’industrie lourde européenne. Le gouvernement norvégien a assumé les deux tiers du coût de la première phase du projet (que l’on évalue à plus de 3,5 milliards de dollars canadiens), encouragé la conclusion d’accords bilatéraux avec les autres États intéressés, et rationalisé ses processus réglementaires pour les projets de CSC. En parallèle, il stimule la demande en CSC par l’augmentation graduelle du prix du carbone. Une fois le marché du CSC bien établi, le projet devrait s’autofinancer dans ses phases suivantes. Cet investissement gouvernemental important et ciblé illustre toute la valeur stratégique que le gouvernement norvégien accorde à la captation et au stockage du carbone. Le projet Longship, c’est l’alliance des ressources, des forces et de l’expertise établie de la Norvège – un pays qui investit dans la recherche et le développement des technologies de CSC depuis le début des années 2000 et dont l’histoire est jalonnée de partenariats public-privé fructueux.
Bien qu’il soit difficile, et potentiellement risqué, de canaliser les ressources gouvernementales dans des projets à haut risque et à haut rendement, le Canada peut voir dans le projet Longship un exemple très parlant. Le grand principe à retenir, c’est la nature holistique du soutien de l’État : l’aide financière seule ne suffit souvent pas à faire décoller les projets sobres en carbone, et les gouvernements doivent trouver comment concilier le travail de réglementation avec le soutien au développement du marché.
Les crédits d’impôt pour l’hydrogène dans la loi américaine sur la réduction de l’inflation, qui appliquent de nouvelles normes pour accorder les investissements publics et les objectifs environnementaux. Les crédits d’impôt à la production et à l’investissement prévus par la loi pour les projets relatifs à l’hydrogène (et d’autres projets sobres en carbone) sont multipliés par cinq si un projet répond à certaines exigences concernant les salaires et l’apprentissage. Comme l’hydrogène est une technologie émergente, le niveau du crédit d’impôt dépend également de l’intensité en carbone du projet, mais il est neutre en ce qui concerne le processus de production. Le Canada peut s’inspirer de cette loi pour concevoir des politiques de croissance propre qui visent des réductions ambitieuses des émissions ainsi que des retombées pour la société. Ce faisant, il est cependant crucial de tenir compte de la tarification du carbone au Canada, tarification qui vient déjà dissuader les investissements dans les projets et secteurs très émetteurs. Bien qu’imparfait et insuffisant, le prix abat déjà une partie du travail qui, aux États-Unis, se fait uniquement via des seuils d’intensité en émissions propres aux diverses technologies. Par exemple, à cause du prix du carbone au Canada, la production d’hydrogène vert a une longueur d’avance sur celle de l’hydrogène gris, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis. Cela signifie donc qu’un éventuel crédit d’impôt visant à encourager encore davantage l’investissement dans l’hydrogène vert peut être plus bas que chez nos voisins du sud.
Ces exemples montrent que notre pays aurait tout avantage à s’inspirer de la communauté internationale dans la conception et l’application de ses propres incitatifs à l’investissement dans la croissance propre. Bien sûr, le Canada, ce n’est pas l’Australie, le Royaume-Uni, la Norvège ou les États-Unis, ce qui rend impossible – et malavisée – la copie conforme de leurs politiques. Compte tenu des défis et débouchés politiques, économiques et sociétaux propres au Canada sur la voie de la carboneutralité d’ici 2050, il ne fait aucun doute qu’il lui faudra se donner une approche originale « faite au pays » pour mobiliser les capitaux nécessaires. Cependant, ces quatre études de cas présentent des caractéristiques qu’il pourrait reprendre et faire sienne dans la conception de ses propres politiques.