Dans les deux premiers articles de la série, nous avons démontré comment les contrats sur différence appliqués au carbone (CCfD) servent à réduire les incertitudes dans les prix des crédits de carbone et les raisons pour lesquelles un système de CCfD fondés sur les achats directs effectués par le gouvernement fédéral représente la meilleure option.
Nous concluons la série par un article traitant d’un défi particulier lié au fonctionnement des CCfD fondés sur les prix des crédits dans la perspective du fédéralisme. Si un CCfD fondé sur les prix des crédits est mal exécuté, il y a un risque que la tarification du carbone fasse monter les tensions entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ou territoriaux.
Le défi : l’aléa moral pour les provinces et les territoires
Les CCfD fédéraux fondés sur les prix des crédits, exécutés par les gouvernements provinciaux ou territoriaux, risquent d’inciter ces provinces à assouplir leur système de tarification du carbone plutôt que de le resserrer. En effet, ces gouvernements pourraient être tentés de procéder de la sorte. Cela réduirait les coûts du carbone pour les sociétés à forte intensité d’émissions (en diminuant l’incitation à se décarboniser). Mais cette situation contribuerait également à délier les cordons de la bourse du fédéral vers les provinces, qui se verraient accorder des CCfD fondés sur les prix des crédits pour financer leurs projets sobres en carbone.
Cet équilibre contribue à entretenir les désaccords entre le gouvernement fédéral et les provinces sur la politique climatique. Oui, si les provinces assouplissent leur système d’une façon qui contrevient aux normes d’équivalences, le gouvernement fédéral peut décréter le remplacement du système provincial par son pendant fédéral. Mais le gouvernement fédéral souhaitera probablement le faire seulement en dernier recours.
Deux autres ajustements dans la conception de la politique peuvent s’avérer utiles. Nous remarquons d’importantes concessions dans les deux cas.
Diminution du prix d’exercice
Il est possible de structurer les contrats fondés sur les ventes de crédit de façon à ce que se constituent des groupes locaux qui appuieront fortement une tarification fondée sur le rendement sur les marchés dynamiques des crédits de carbone. Il peut s’avérer utile, notamment, de fixer un prix d’exercice (le prix du carbone établi dans les contrats, auquel les gouvernements se sont engagés à acheter le crédit) inférieur au prix de référence du carbone (170 $ la tonne en 2030).
Si le prix d’exercice pour un CCfD fondé sur les ventes de crédits se chiffrait, par exemple, à 150 $ la tonne en 2030, les détenteurs de crédits pourraient préférer ne pas donner suite au CCfD, et choisir plutôt de vendre ces crédits à un prix légèrement inférieur à 170 $ la tonne (le prix de référence prévu). Plus l’écart entre le prix de référence et le prix d’exercice est grand, plus forte est l’incitation, pour les participants au marché, à dépasser le prix d’exercice – et à faire de la représentation auprès des gouvernements provinciaux (voire d’un gouvernement fédéral futur) pour continuer de resserrer le système de tarification. Mais dans ce genre de politique, il faudra tenir compte également du fait que des prix bas apportent moins de certitude sur le plan économique et que certains projets n’iront pas de l’avant.
Incitatifs pour des CCfD fédéraux-provinciaux
Appliquer des CCfD fédéraux à des systèmes provinciaux ou territoriaux provoque une rupture fondamentale; le gouvernement fédéral se retrouve dans une situation où il accepte de prendre un risque qui repose en grande partie des décisions stratégiques prises par les provinces ou les territoires. Des prix d’exercice réduits sont une piste de solution, mais le gouvernement fédéral souhaitera peut-être aller plus loin en instaurant des CCfD fédéraux-provinciaux pour régler ce problème. Si les provinces et les territoires acceptaient également de prendre le risque des dépenses fiscales advenant la saturation des marchés des crédits, rien ne les inciterait à affaiblir leur système de tarification du carbone.
De par leur conception, les politiques fédérales pourraient devenir un incitatif à la participation des provinces et territoires. L’admissibilité aux CCfD fédéraux pourrait ainsi être conditionnelle au paiement d’une partie des montants prévus. Par exemple, le gouvernement fédéral pourrait obliger les provinces et les territoires à assumer 10 % des remboursements à débourser.
La concession qui est faite ici réside dans le fait que l’admissibilité conditionnelle pourrait ralentir le déploiement du programme, voire se solder par l’abandon du CCfD dans les grandes provinces, comme l’Alberta, d’où proviennent 55 % des émissions industrielles et où se déroulent beaucoup de projets de décarbonisation de grande envergure.
La clé, c’est la transparence
Les CCfD fondés sur les prix des crédits ont énormément de potentiel. Cependant, ces contrats sont également complexes : ils obligent les participants ainsi que les gouvernements fédéral et provinciaux à faire des choix compliqués tout en tenant compte de toutes sortes de dynamiques (règles sur la sévérité, volume des contrats signés dans une compétence donnée, offre prévue de crédits et crédits carbone, et ainsi de suite). Toute cette complexité exige de faire preuve de transparence. Le gouvernement fédéral, notamment, en sa qualité d’artisan principal du programme, doit insister sur l’importance de publier l’information sur les valeurs des crédits périodiquement pour chaque programme de tarification et de s’assurer que les détails des CCfD sont accessibles au public.
Plus de certitudes et moins de risques (pour les émetteurs et le gouvernement)
La conception des CCfD fondés sur les prix des crédits a son lot de défis et de risques. Mais, dans notre série d’articles, nous avons fait valoir que des politiques bien conçues peuvent atténuer les risques les plus importants. De plus, selon nous, il faut adopter les CCfD, malgré leurs imperfections. Sans eux, les systèmes de tarification du carbone industriels ne seraient pas des incitatifs à réduire les émissions ni à investir dans des projets sobres en carbone destinés à accélérer la transition vers l’énergie propre au Canada.