L’Institut climatique du Canada a récemment témoigné devant le Comité permanent des ressources naturelles de la Chambre des communes. Celui-ci travaille actuellement à évaluer la compétitivité du pays dans le contexte de la transition mondiale vers l’énergie propre, sujet des travaux de l’Institut climatique, qui s’intéresse aux risques et aux possibilités dans l’accélération de cette transition.
La présentation au Comité a couvert quatre constats stratégiques de la recherche de l’Institut climatique du Canada qui, ensemble, dessinent une feuille de route pour assurer la compétitivité économique et la résilience du pays dans un monde carboneutre.
1. Une transition trop lente vers la carboneutralité constitue un plus grand risque qu’une transition trop rapide.
Plus de 70 pays se sont déjà engagés à atteindre la carboneutralité d’ici le milieu du siècle, pays qui représentent plus de 90 % de l’activité économique mondiale, 80 % de la demande mondiale de pétrole et 75 % de la demande mondiale de gaz fossiles.
Sur les marchés financiers, les engagements carboneutres des investissements internationaux couvrent plus de 61 billions de dollars de capital. Parallèlement, la demande de technologies porteuses de la transition – particulièrement les panneaux solaires, les thermopompes, les éoliennes et les batteries – est en croissance rapide, et les prix, en chute libre.
Ces tendances changent la donne pour la compétitivité à long terme du Canada : l’accélération de la transition sera un tournant décisif au pays, et une transition trop lente comporte plus de risque pour la compétitivité qu’une transition trop rapide.
2. L’Inflation Reduction Act des États-Unis est un accélérateur majeur pour la transition, le Canada n’a pas besoin de copier son voisin pour se démarquer dans une économie mondiale sobre en carbone.
L’Inflation Reduction Act et les investissements qu’elle prévoit propulsent la transition énergétique mondiale à grande vitesse, donnant le ton aux investissements et à la compétitivité sur la scène internationale. Cependant, le Canada n’a pas la capacité de s’inspirer directement d’une loi d’une telle magnitude.
Il dispose néanmoins d’un grand éventail d’outils stratégiques, dont les crédits d’impôt à l’investissement ciblés annoncés cette année et des mesures pour maintenir et resserrer ses politiques réglementaires et tarifaires.
Notamment, le cadre de tarification du carbone du Canada améliore les perspectives économiques des projets sobres en carbone et agit comme puissant incitatif à l’investissement. Il offre aussi une solution rentable à un coût fiscal moindre.
Cela dit, pour que les entreprises et investisseurs accélèrent la cadence des projets porteurs de la transition, ils ont besoin d’une certitude que la tarification du carbone continuera d’augmenter et que les crédits de carbone conserveront leur valeur. Les contrats sur différence appliqués au carbone, qui peuvent offrir cette certitude, doivent devenir une priorité pour le gouvernement fédéral.
Toujours dans la même optique, les gouvernements pourraient aussi appuyer la création d’une taxonomie des investissements climatiques, qui établirait un vocabulaire commun pour les investissements dans la transition énergétique mondiale. Seuls quelques pays du G20 n’ont pas encore de taxonomie, dont le Canada. Or, le cadre proposé par le Conseil d’action en matière de finance durable et l’Institut climatique du Canada lui permettrait de rattraper son retard, voire de se hisser en tête.
3. L’électricité propre est un énorme atout pour la compétitivité mondiale du Canada.
La disponibilité d’électricité propre abordable influence désormais les décisions des entreprises au moment de choisir les sites de nouveaux projets. Le Canada a évidemment une longueur d’avance, 80 % de sa production électrique étant carboneutre.
Mais les réseaux électriques du pays devront suivre la demande, qui pourrait doubler ou tripler d’ici 2050.
L’ampleur du travail requis implique une mobilisation sans précédent. L’adoption du Règlement sur l’électricité propre du gouvernement fédéral est essentielle pour créer des réseaux plus gros, plus propres et plus intelligents, et l’investissement proposé de 25 milliards de dollars dans les crédits d’impôt à l’investissement fédéraux encouragerait le secteur privé à miser sur cet objectif.
Les provinces et territoires devront aussi jouer un rôle plus actif dans l’accélération des projets d’électricité propre pour que le Canada conserve cet avantage déterminant dans une économie carboneutre. Et le gouvernement fédéral a le pouvoir de susciter leur mobilisation.
Cela permettrait de réduire les coûts totaux de l’énergie pour les Canadiens dans la transition, en encourageant l’abandon des combustibles fossiles polluants, dont les cours sont imprévisibles, au profit de technologies plus rentables comme les thermopompes et les véhicules électriques.
4. Le secteur pétrogazier du Canada rencontre des difficultés uniques dans la transition énergétique mondiale, mais les politiques publiques ont le pouvoir de réduire les risques qui le guettent.
La diminution à long terme de la demande de combustibles fossiles présente un défi double au Canada.
D’abord, le secteur devra réduire ses émissions pour rester concurrentiel dans un marché qui favorisera les barils sobres en carbone. Les producteurs pétrogaziers du pays enregistrent une des plus fortes intensités en carbone au monde et leurs émissions continuent de croître, éloignant le Canada de ses cibles de réduction. Afin de rectifier le tir, les entreprises pétrogazières devront faire des investissements à grande échelle pour respecter leurs propres engagements climatiques.
Ensuite, à l’inverse, la demande mondiale décroissante de combustibles fossiles nuit à la viabilité économique à long terme du secteur – et donc à sa capacité de faire les investissements nécessaires pour réduire les émissions en amont. Ces tendances mondiales augmenteront ainsi les risques pour la main-d’œuvre, la population et les gouvernements du Canada.
Cela dit, avec les bonnes politiques, le gouvernement fédéral pourrait encourager la compétitivité du secteur pétrogazier à long terme comme à moyen terme :
- L’imposition d’un plafond sur les émissions du secteur contribuerait à prôner une réduction progressive.
- Le resserrement des règlements sur le méthane permettrait d’éliminer à moindre coût environ le tiers des émissions sous un système de plafonnement fédéral.
- Les crédits d’impôt à l’investissement proposés pour les technologies comme le captage et stockage du CO2 et les contrats sur différence appliqués au carbone réduiraient les risques pour les projets sobres en carbone.
- Enfin, une taxonomie des investissements climatiques appuyée par le gouvernement favoriserait les investissements privés dans la réduction des émissions de secteurs difficiles à décarboner.
Assurer la prospérité du Canada dans une économie de l’énergie propre
Le Canada a fait d’immenses progrès sur plusieurs plans dans la lutte contre les changements climatiques, travaillant à concrétiser des politiques capitales. Le défi maintenant (et potentiellement le plus difficile) sera de mettre les touches finales à ces politiques essentielles, et de le faire sans tarder.
Les investisseurs et les entreprises attendent des politiques bancables pour miser sur l’économie sobre en carbone à grande échelle. Le Règlement sur l’électricité propre, les crédits d’impôt à l’investissement, le plafond sur les émissions pétrogazières et la taxonomie des investissements climatiques sont tout autant de politiques qui devront être mises en place rapidement pour que l’économie du Canada demeure compétitive malgré les changements structuraux profonds qui s’opèrent sur les marchés mondiaux. Des politiques climatiques solides et ambitieuses : voilà ce qu’il faut pour un Canada compétitif et prospère.