Crédit d'image: jorgenjacobsen

Transition juste dans les régions productrices de pétrole et de gaz au Canada

Cinq grandes leçons à tirer de l’expérience de la Nouvelle-Zélande, du Danemark et de l’Écosse.

La transition mondiale vers la sobriété en carbone aura des répercussions majeures pour le secteur pétrolier et gazier du Canada. Comment peut-on orchestrer cette transition de sorte à maintenir et à accroître la prospérité et le bien-être des travailleurs, des collectivités, des parties prenantes et des détenteurs de droits en dépit des importantes transformations du marché mondial? C’est bien là l’objectif d’une transition juste vers un avenir sobre en carbone – et l’administration fédérale mène des consultations sur la manière d’y arriver concrètement dans les régions canadiennes productrices de pétrole et de gaz.

Le Canada n’est pas le seul État à faire face à ces défis. Le Danemark, l’Écosse et la Nouvelle-Zélande ont tous la ferme intention de mettre en œuvre une transition progressive de leur secteur pétrolier et gazier. À certains égards, leur contexte diffère de celui du Canada. Par exemple, le pétrole et le gaz représentent 1,1 % de la totalité des emplois au Canada, comparativement à 0,5 % au Danemark, 0,3 % en Nouvelle-Zélande et 0,1 % au Royaume-Uni. Toutefois, dans chacun d’eux, y compris le Canada, la filière revêt une importance particulière pour certaines régions, en ce qui concerne non seulement les emplois directs et indirects, mais aussi les contributions économiques. C’est pourquoi le Canada peut tirer des leçons éloquentes de l’expérience de ces nations.

Voici les cinq principaux enseignements tirés de trois études de cas visant à examiner les approches de la transition des régions productrices de pétrole et de gaz en Nouvelle-Zélande, au Danemark et en Écosse.

  1. Mobiliser les collectivités et les parties prenantes dans l’élaboration d’une définition de la transition juste peut favoriser l’adhésion de la population. Définir la transition juste d’un secteur pétrolier et gazier implique une certaine négociation. Si les syndicats et les entreprises doivent faire partie intégrante du processus, celui-ci a aussi des incidences sur les collectivités, les entreprises et les détenteurs de droits autochtones. Le Danemark, la Nouvelle-Zélande et l’Écosse ont tous trois organisé des mobilisations publiques afin de déterminer ce que serait une transition juste pour eux. En Écosse, une commission indépendante a engagé un vaste dialogue social pour poser les principes de la transition juste. En Nouvelle-Zélande, une importante démarche de mobilisation publique dans les régions touchées a abouti à la création de la Taranaki Roadmap 2050, une feuille de route fournissant une définition de la transition juste et les plans pour la réaliser. Enfin, au Danemark, le gouvernement a établi 14 partenariats dans le milieu des affaires et lancé un forum sur l’économie verte dans le but de renforcer le dialogue sur la transition du secteur. Ces formes de mobilisation contribuent à définir les priorités et les objectifs et à dégager un consensus sur la marche à suivre.
  2. Aborder la transition comme un défi régional, plutôt que seulement sectoriel, permet de mettre en évidence les possibilités et les atouts qui auraient pu passer inaperçus autrement, mais qui peuvent stimuler la croissance et ouvrir des avenues dans les régions concernées. Cette approche permet de voir que la transition juste ne touche pas uniquement les travailleurs du milieu, mais aussi l’ensemble de la collectivité. Par exemple, au Danemark, il y a un consensus politique et social selon lequel la mer du Nord demeurera le pôle de la production d’électricité, mais au lieu du pétrole, on misera plutôt sur l’énergie éolienne et d’autres énergies renouvelables. Ainsi, la transition danoise se fait sur place, en introduisant de nouvelles activités économiques mobilisant de nombreuses compétences similaires à celles du secteur pétrolier et gazier. La vigueur des énergies renouvelables réduit les risques pour les travailleurs et les entreprises, ainsi que pour la collectivité en général.
  3. Pour être efficaces, les politiques de transition juste doivent faire l’objet d’une coordination entre les ministères et même les ordres de gouvernement. On aurait tort de réduire la transition énergétique à une simple entreprise technique. Les stratégies de développement régional et les politiques sectorielles doivent s’arrimer efficacement pour soutenir une transition juste. Pour les gouvernements, il s’agit d’un défi d’organisation horizontale et verticale. Pour le relever, la Nouvelle-Zélande a mis sur pied une unité de transition juste au sein de son ministère de l’Entreprise, de l’Innovation et de l’Emploi – celle-ci constitue un centre d’expertise gouvernemental pour la gestion des transitions, la création de partenariats et l’organisation d’investissements visant à combler d’éventuelles lacunes. En Écosse, on s’est doté d’un nouveau poste de ministre subalterne – ministre de la Transition juste, de l’Emploi et du Travail équitable – qui est responsable d’administrer le Cadre de planification de transition juste. Voilà deux exemples de moyens de coordonner les efforts et les investissements mobilisés dans la transition juste à l’échelle gouvernementale.
  4. Intégrer les critères de la transition juste dans le financement public des contrats peut aider à dissiper les inquiétudes des travailleurs de l’énergie, notamment quant au fait que l’emploi qui les attendrait dans un contexte de transition soit de moindre qualité et de moindre rémunération. Garantir un travail équitable et des salaires décents est une manière de répondre à ce problème. Par exemple, le gouvernement de l’Écosse exige des entrepreneurs qu’ils offrent des conditions de travail équitables pour se voir accorder des contrats d’efficacité énergétique et de rendement thermique. De manière similaire, les projets de ports francs verts de l’Écosse (de grandes zones reliées aux réseaux de transports où les entreprises peuvent tirer parti d’incitatifs fiscaux et d’autres avantages) comprennent une disposition selon laquelle il faut adhérer à « une transition juste vers la carboneutralité d’ici 2045 et à la création d’emplois de qualité offrant un bon salaire et de bonnes conditions » pour être admissible au financement public. Ce sont des façons d’intégrer les objectifs de transition juste aux critères des programmes de financement.
  5. Établir des paramètres de réussite clairs et en rendre compte stimule la mobilisation et l’adhésion. Étant donné la grande part de risque qu’elle comporte, la transition des entreprises est source de problèmes et d’appréhension pour les parties prenantes et les détenteurs de droits. Une évaluation rigoureuse et indépendante des répercussions de la transition sur les gens touchés est primordiale. En Nouvelle-Zélande, la feuille de route pour la région de Taranaki comprend des indicateurs et un processus d’évaluation, une approche inédite en ce qu’elle définit des indicateurs au préalable et fait appel à des perspectives variées. Par exemple, on y a fait une place aux visions maories du bien-être et du succès. Les résultats sont évalués annuellement dans une mise à jour publique, révisés tous les deux ans et réexaminés en détail tous les cinq ans. Quant à elle, l’Écosse a adopté une approche nationale. Sa Commission de transition juste fera le suivi des grands objectifs de la transition – notamment en surveillant les incidences positives ou négatives sur différents groupes – dans une optique de responsabilisation du gouvernement.

Les secteurs industriel et énergétique canadiens ont déjà connu des transitions – parfois réussies, parfois moins – dans des filières depuis longtemps soumises à des cycles d’expansion et de ralentissement. Et évidemment, les fluctuations dans le secteur pétrolier et gazier n’ont rien de nouveau. Toutefois, comme on s’attend à ce que la demande en pétrole chute considérablement sur le chemin de la carboneutralité, la transition pourrait entraîner de sérieuses perturbations et des pertes d’emploi considérables si le Canada n’est pas bien préparé. De plus, le secteur pèse lourd dans la balance de l’économie et de l’environnement.Bien que le Canada ait pris certaines mesures pour transformer son secteur pétrolier et gazier, par exemple en organisant des tables de concertation régionales sur l’énergie et les ressources, il reste beaucoup à faire. Le pays gagnerait à s’inspirer de ce qui se fait ailleurs tout en concevant une approche qui lui est propre et qui prend en compte les particularités de ses économies régionales et de son système fédéraliste. Une transition juste canadienne pourrait demander la création de nouveaux outils d’intervention et de nouvelles structures de gestion publique et de responsabilisation. Comme le démontrent les cas de la Nouvelle-Zélande, du Danemark et de l’Écosse, le Canada dispose de leviers pour mener une transition équitable pour ses travailleurs du pétrole et du gaz.

Publications liées