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Et si la croissance propre était le secret d’une transition juste au Canada?

La nécessité d’adopter une approche plus large de la transition juste et les mesures pour bien s’y prendre.

Pour une transition juste, il est essentiel de protéger et d’aider les travailleurs dont les emplois seront en jeu dans une économie sobre en carbone.

Or jusqu’à présent, la stratégie du Canada – notamment les politiques de transition juste concernant les aux travailleurs touchés par la fermeture des centrales au charbon – est beaucoup trop ciblée pour les défis qui se profilent à l’horizon. L’État doit élargir considérablement sa définition de la transition juste pour reconnaître toute l’envergure et la portée des changements à venir et adopter des stratégies de croissance propre et de résilience de la main-d’œuvre qui soutiennent les travailleurs touchés. Une telle vision nous permet de faire le constat suivant : la clé d’une transition juste et réussie au Canada réside dans les politiques de croissance propre.

Commençons par examiner les raisons pour lesquelles cette vision élargie s’impose, puis regardons les gestes à poser pour mener à bien une transition juste.

Au-delà du charbon

Un récent rapport de l’Institut climatique du Canada, Ça passe ou ça casse, fait état de la très grande vulnérabilité de certains segments de l’économie canadienne à la transition mondiale vers la sobriété en carbone, et de l’importance de mesures stratégiques concertées pour garantir la prospérité du pays au cours des prochaines décennies, dans un monde appelé à délaisser les combustibles fossiles. Les risques de la transition pèsent sur environ 70 % des exportations de biens du Canada, et les secteurs concernés emploient plus de 800 000 Canadiens, soit plus de 4 % de la main-d’œuvre au pays.

À l’inverse, les répercussions de l’élimination progressive du charbon sur l’emploi au Canada étaient sans commune mesure : elles concernaient environ 3 000 travailleurs du charbon. Ajoutons que l’élimination progressive des centrales au charbon est principalement le fruit d’une politique nationale, tandis que des secteurs comme le pétrole et le gaz, la sidérurgie et la fabrication automobile dépendent davantage des politiques, des prix ou de la demande à l’échelle mondiale. Résultat : dans ces secteurs, les gouvernements ont bien moins de leviers pour influencer le moment où les répercussions se feront sentir localement.

C’est sans compter que l’ampleur du défi ne prête pas à une reproduction des politiques adoptées pour le charbon. Par exemple, un financement fédéral par travailleur équivalent au fonds d’infrastructures de 150 millions de dollars visant à favoriser la diversification économique des régions touchées par l’élimination du charbon s’élèverait à quelque 40 milliards de dollars, soit près de 300 fois plus. Des efforts comparables visant le recyclage professionnel risquent aussi de manquer leur cible dans les régions où l’emploi est globalement en baisse, car les possibilités de réorientation de carrière s’y feront rares.

Une stratégie de transition non seulement pour les travailleurs, mais aussi pour des régions, des villes et des secteurs entiers

Le rapport Ça passe ou ça casse révèle que la transition mondiale vers la sobriété en carbone touchera les secteurs de façon très différente, certains étant appelés à connaître une croissance spectaculaire, d’autres à voir leur existence menacée et d’autres encore à subir une réorganisation complexe. Les industries polluantes comme l’acier et l’aluminium, par exemple, peuvent en sortir gagnantes en devenant des championnes de la sobriété en carbone. D’autres, comme le pétrole et le gaz et la fabrication automobile traditionnelle, qui sont plus vulnérables à la baisse de demande planétaire, devront se tourner vers l’hydrogène ou les véhicules électriques, entre autres, si elles veulent demeurer viables.Les petites communautés rurales sont particulièrement vulnérables aux effets collatéraux sur l’emploi. L’analyse fait état de dizaines de villes et de villages partout au pays qui dépendent fortement de secteurs vulnérables à la transition. Généralement moins diversifiées économiquement, elles ont souvent plus de difficulté à attirer de nouveaux employeurs. La perte d’un employeur dans une petite communauté peut avoir un effet domino, entraînant des mises à pied dans des secteurs de services comme la construction, l’hôtellerie et la restauration. La santé économique des collectivités locales peut ensuite s’en ressentir, ce qui à son tour risque d’entraîner des coupures dans les services publics et des suppressions de postes de fonctionnaires.

Plus de 50 communautés dépendent de secteurs vulnérables à la transition.
Source: Analyse par l’Institut climatique du Canada basée sur les données de Statistiques Canada (2016d). Notes: Ce graphique montre les régions métropolitaines de recensement (RMR) et les agglomérations de recensement (AR) qui comptent plus de trois pour cent d’emplois dans des secteurs vulnérables à la transition. Les communautés de chaque province et territoire sont représentées en fonction de la part totale de leur main d’œuvre dans un seul secteur vulnérable à la transition. Quelques communautés apparaissent deux fois, illustrant que leur main d’œuvre est concentrée dans de multiples secteurs vulnérables face à la transition. Par exemple, à Wood Buffalo en Alberta, 25 pour cent de la main d’œuvre est employée dans l’extraction gazière et pétrolière et quatre pour cent de la main d’œuvre dans les activités support reliées à l’extraction minière, gazière et pétrolière.

De plus, les risques sont répartis inégalement dans la main-d’œuvre. Les travailleurs moins scolarisés auront plus de difficulté à se trouver un nouvel emploi. Les peuples autochtones et les minorités visibles – surreprésentés dans nombre de secteurs vulnérables à la transition –, qui rencontrent de plus grands obstacles à l’emploi, seront moins outillés pour affronter les perturbations du marché.

La transition juste devrait être intégrée aux stratégies de croissance propre

Le succès du Canada repose sur sa capacité de travailler simultanément sur deux fronts : la croissance économique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le président et chef de la direction de Teck Resource et président du Conseil canadien des affaires du Canada a fait valoir avec justesse que « le plan climatique du Canada doit être son plan économique, et que son plan économique doit être son plan climatique », mais évidemment, le diable est dans les détails. Le rapport Ça passe ou ça casse présente quelques-unes des meilleures stratégies pour l’intégration des plans économique et climatique : miser sur le développement des entreprises sobres en carbone pour être compétitifs sur les marchés mondiaux en croissance; décarboniser les industries polluantes; et réorienter les producteurs de combustibles fossiles et les fabricants automobiles vers d’autres activités. L’augmentation des investissements dans la fabrication de véhicules électriques, les chaînes d’approvisionnement de batteries de véhicules électriques, les produits chimiques carboneutres et la décarbonisation de l’acier sont de bons exemples d’une croissance propre au service d’une transition juste.

Toutefois, l’endroit où ces gestes sont posés – les régions et les secteurs – a aussi son importance. Des entreprises florissantes et des travailleurs comblés dans une région ne compenseront pas les faillites et les mises à pied ailleurs au pays. Les gouvernements de tous les ordres devraient se soucier de ceux qui risquent d’être laissés pour compte dans la transition : il en va de la cohésion sociale et du bien-être de la population.

Pour certaines personnes et communautés qui ne sont pas directement touchées par la transition, les nouveaux débouchés économiques pourraient également avoir d’importantes retombées sociales. Pensons aux communautés autochtones du Canada, et aux communautés historiquement aux prises avec des taux de chômage élevés, comme le Cap-Breton ou de nombreuses régions de Terre-Neuve-et-Labrador.

L’intégration de la transition juste aux stratégies de croissance propre implique autant de cibler localement le développement économique et la création d’emplois que de réfléchir aux grands objectifs nationaux.

Une planification locale, un soutien national

L’ampleur et la diversité des défis liés à l’économie et à la main-d’œuvre, conjuguées au peu de ressources gouvernementales, exigent que les plans de transition locaux et axés sur la population se doublent d’un soutien et d’une capacité financière à l’échelle nationale, provinciale et territoriale.

Si les gouvernements à eux seuls n’ont pas les ressources financières suffisantes pour relever le défi de la transition juste, ils ont un rôle crucial à jouer pour mobiliser les investissements privés. L’UE, par exemple, a créé un Fonds pour une transition juste de 19 milliards de dollars et une facilité de prêt pour mobiliser des investissements publics et privés pour la transition. 

Les plans de transition peuvent inclure des efforts visant à comprendre et à surmonter les difficultés que vivent les communautés qui tentent d’attirer des investissements et de transformer leur main-d’œuvre. Dans certains cas, c’est le manque d’infrastructures habilitantes (ex., routes, accès Internet, électricité) qui pose problème. Dans d’autres, c’est la difficulté d’accéder aux capitaux nécessaires pour l’achat d’une participation en capital dans un projet, ou un manque de compétences spécialisées. La Nouvelle-Zélande, par exemple, a mis sur pied un forum de transition juste qui réunit des leaders autochtones, des employeurs, des syndicats, des gouvernements, des établissements d’enseignement et des groupes communautaires.

Enfin, un effort renouvelé s’impose pour accélérer le renforcement de la résilience de la main-d’œuvre locale et nationale. Des programmes mieux financés favorisant la réussite scolaire des jeunes vulnérables, des programmes de gardiens autochtones permettant de développer les compétences nécessaires pour veiller sur les terres et les eaux, et un soutien accru à des modes d’apprentissage différents contribuent à réduire le risque de voir la situation de l’emploi et de la pauvreté péricliter durant la transition. Les universités et les collèges doivent mieux arrimer les programmes d’études postsecondaires aux compétences dont les entreprises canadiennes auront besoin pour réussir la transition vers la sobriété en carbone. 

Le Canada ne parviendra pas à une transition juste avec un plan directif : son plan doit partir de la base et bénéficier d’un appui considérable des hautes sphères du gouvernement. 

La vue d’ensemble

La façon d’interpréter – plus ou moins largement – la notion de transition juste importe. Un plan strictement axé sur les risques pour les travailleurs actuels pourrait se révéler hors de prix et nous faire manquer des occasions de générer de nouvelles sources de croissance de l’emploi.

En misant davantage sur des stratégies de croissance propre qui mènent à une création d’emplois ciblés compatible avec la transition et préparent les travailleurs à l’économie du futur, nous pourrions éviter des pertes d’emploi.

L’économie canadienne a le potentiel de sortir plus forte et plus inclusive de la transition carboneutre mondiale, à condition seulement que les gouvernements prennent un pas de recul et ne se perdent pas dans les détails. La transition juste sera beaucoup plus facile si les emplois abondent aux endroits qui en ont besoin. La croissance propre pourrait être le Graal tant recherché par les gouvernements. 

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