Doublons la mise sur les valeurs sûres

Pour être à la hauteur de ses ambitions climatiques, le Canada devra accélérer le développement de l’efficacité énergétique et de l’électricité propre.

Au Sommet des dirigeants sur le climat tenu en avril 2021, le gouvernement canadien a annoncé une nouvelle cible, plus ambitieuse, pour 2030 : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 à 45 % par rapport à celles de 2005. Comme on estime à 36 % la réduction qu’occasionneront les mesures en place et à venir d’ici 2030, il est difficile de dire comment le Canada comblera l’écart.

Notre rapport Vers un Canada carboneutre présente les valeurs sûres dont les gouvernements peuvent et devraient encourager l’adoption dès maintenant. À présent que le pays vise une réduction encore plus grande, il sera essentiel de doubler la mise sur les valeurs sûres dans notre course vers 2030.

Commençons par les mesures simples

Notre rapport sur la carboneutralité décrit deux types de solutions à mettre en œuvre pour atteindre la cible : les valeurs sûres et les paris risqués. Les paris risqués sont des solutions qui reposent sur des technologies dont le développement n’est encore qu’à ses débuts, qui seront difficiles à mettre en pratique à grande échelle, ou qui pourraient ne pas être concurrentielles face aux solutions à moindre coût, même si elles s’avèrent viables sur le plan technique. Prometteuses pour l’avenir carboneutre au Canada, leur potentiel demeure toutefois encore incertain.

À l’opposé, les valeurs sûres sont des solutions déjà sur le marché qui ne devraient pas être difficiles à mettre en pratique à grande échelle et dont le coût devrait baisser. Citons notamment l’amélioration de l’efficacité énergétique, la production d’électricité propre et le remplacement des combustibles fossiles par cette électricité dans la vie de tous les jours (par exemple, passer des voitures à essence aux voitures électriques). Ces solutions joueront un rôle crucial dans toutes les trajectoires vers la carboneutralité au Canada, surtout durant la prochaine décennie. Plus précisément, notre analyse (qui présente une modélisation de l’atteinte de l’ancienne cible de 30 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030) révèle que les valeurs sûres seront responsables d’une proportion allant de 66 % à 90 % des réductions d’émissions en 2030.

Le grand rôle que joueront les valeurs sûres dans les 10 années à venir est en partie attribuable à la disponibilité limitée des paris risqués, qui sont encore soit trop peu développés sur le plan technologique, soit trop coûteux pour un déploiement massif. Comme les valeurs sûres sont actuellement les meilleures options qui s’offrent à nous, il faudra en tirer le maximum pour atteindre les objectifs climatiques à court terme du Canada. Il sera nécessaire de les déployer encore plus vite et plus largement pour parvenir à la nouvelle cible ambitieuse de 40 à 45 %.

Pour réduire substantiellement les émissions d’ici le milieu du siècle, quelle que soit la trajectoire, il faut adopter des technologies et des pratiques nettement plus efficaces.

D’autres études, même constat

L’étude sur la concrétisation d’un Canada carboneutre de l’Institut n’est pas la seule à parvenir à cette conclusion. Différentes études conviennent que quelle que soit la trajectoire suivie pour atteindre une cible à long terme de réduction des émissions, certaines mesures seront décisives et devront être mises en œuvre avec assurance.

En mai 2021, l’Agence internationale de l’énergie a publié un rapport charnière qui trace une trajectoire vers la carboneutralité pour le système énergétique planétaire. Le rapport fait écho à nos conclusions sur le caractère central des valeurs sûres et la nécessité des paris risqués à long terme. Il indique notamment que la plupart des réductions d’émission à court terme devront provenir de technologies disponibles, et montre que l’efficacité énergétique, l’électricité propre et l’électrification réduiront significativement les émissions d’ici 2030. En ce qui concerne 2050, il précise que près de la moitié des réductions viendront de technologies aux premiers stades de développement, ce qui n’est pas sans rappeler nos paris risqués.

Du côté du Canada, le Projet Trottier pour l’avenir énergétique (2016), par exemple, qui consistait à analyser un éventail de scénarios de réduction substantielle des émissions d’ici 2050, a révélé que certaines solutions – dont l’amélioration de l’efficacité énergétique et l’électrification à grande échelle – contribuaient systématiquement aux réductions à court et à moyen terme. Dans le cadre de l’initiative Trajectoires de décarbonation profonde (2015), les chercheurs ont modélisé un scénario de réduction substantielle des émissions d’ici 2050 et dit de certaines trajectoires qu’elles « s’appuient sur un portefeuille robuste et diversifié de technologies actuellement applicables sur les plans technique et économique » (nos valeurs sûres). Ces trajectoires comprennent la diminution de la pollution liée à l’offre d’électricité, l’électrification des usages finaux et l’amélioration de la productivité énergétique (liée à l’efficacité énergétique). Vaillancourt et coll. (2016) montrent que ces trajectoires sont les trois « principales transformations fondamentales » requises pour diminuer substantiellement les émissions d’ici 2050.

De nombreuses études sur la carboneutralité des États-Unis publiées cette année parviennent à des conclusions similaires. Ainsi, l’étude Accelerating Decarbonization in the United States (2021) nomme l’efficacité, l’électrification et l’électricité propre comme trois des cinq éléments essentiels quel que soit l’état du système énergétique en 2050, et indique qu’ils « résisteront aux incertitudes causées par une éventuelle percée technologique ». L’article Carbon-Neutral Pathways for the United States (2021) énumère « avec un degré de confiance élevé » certaines mesures nécessaires à diverses trajectoires dans les 10 prochaines années, notamment l’augmentation de l’offre d’électricité propre et l’électrification des véhicules de promenade et des bâtiments grâce aux voitures et aux thermopompes électriques.

Même s’il y a invariablement des différences dans leurs hypothèses, leurs définitions et leurs cibles de réduction, les études s’entendent sur le caractère central des valeurs sûres. Voyons à présent comment notre étude se compare à d’autres en ce qui a trait à certaines de ces solutions.

L’efficacité énergétique comme moteur

L’efficacité énergétique joue un rôle important et grandissant dans tous les scénarios de notre étude, surtout à court terme. Elle s’améliorerait dans tous les secteurs, des bâtiments aux voitures et aux procédés industriels, et pourrait réduire l’intensité énergétique du Canada (un indicateur de l’efficacité imparfait, mais convenable). Les données indiquent que pour réduire substantiellement les émissions d’ici le milieu du siècle, quelle que soit la trajectoire, il faut adopter des technologies et des pratiques nettement plus efficaces.

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N.B. : Les valeurs maximale et minimale indiquées pour l’étude de l’Institut correspondent aux valeurs maximale et minimale de la plage découlant des plus de 60 scénarios de carboneutralité examinés. Les valeurs pour 2050 proviennent des scénarios suivants : Perspectives énergétiques canadiennes (80P : 80 % de réduction par rapport à 1990 d’ici 2050); Trajectoires de décarbonation profonde (pour l’intensité énergétique, la plage entre LODPP [prix du pétrole faible] et HIDPP [prix du pétrole élevé]; pour les autres données, MIDPP [prix du pétrole moyen]); Vaillancourt et coll. (R60%A : 60 % de réduction par rapport à 1990 en utilisant seulement des technologies sur le marché); Williams et coll. (central : carboneutralité d’ici 2050 en suivant la trajectoire la moins coûteuse).

L’électricité comme facteur déterminant

Notre étude s’accorde avec d’autres quant à l’importance de l’électricité dans la réduction des émissions – il s’agit de faire augmenter à la fois l’offre d’électricité propre et la demande en électricité par rapport aux autres sources d’énergie. Un exemple : l’offre électrique au Canada est déjà propre par rapport à la moyenne mondiale, mais les études examinées en prévoient la décarbonisation presque complète (voire totale) d’ici 2050.

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L’augmentation de la production d’électricité propre passe par une élimination progressive des sources polluantes (comme les combustibles fossiles en l’absence de technologie de captation et de stockage du carbone) conjuguée à une expansion des sources non polluantes.

Les études montrent aussi systématiquement une hausse de la consommation d’électricité, en données absolues et en comparaison avec les autres sources d’énergie, à mesure que sont électrifiées des technologies comme les véhicules et les systèmes de chauffage domestique. En effet, elles estiment que le pourcentage d’électricité consommée par rapport à la consommation d’énergie totale, toutes sources confondues, devrait plus que doubler d’ici 2050.

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À fond sur les valeurs sûres

Le Canada a pris l’initiative louable de revoir à la hausse son ambition en matière de climat pour 2030, mais les mesures actuelles et la nouvelle cible se trouvent maintenant séparées par un large fossé. Heureusement, la recherche nous donne des pistes de solution. Les études s’entendent sur le fait que les investissements dans les valeurs sûres – comme l’amélioration de l’efficacité énergétique et l’augmentation de l’offre et de l’utilisation d’électricité propre – sont cruciaux pour l’atteinte de la carboneutralité, particulièrement à court terme. Vu son nouvel objectif ambitieux pour 2030, le Canada peut – et doit – mettre les bouchées doubles et déployer rapidement les valeurs sûres.

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