Ça passe ou ça casse : se réinventer

C’est l’innovation qui assurera la prospérité économique future du Canada, et non la gestion des risques.

Pour rester compétitif au 21e siècle, qui sera caractérisé par la décarbonisation rapide et l’émergence des technologies propres, le Canada doit trouver de nouvelles sources de croissance économique – sans plus attendre. Sa prospérité économique future dépend à présent de son exploitation des nouvelles occasions. 

Mais LA question est de savoir comment accélérer le développement de ces innovations tandis que la planète se décarbonise rapidement. 

Plus d’œufs et plus de paniers

La transition mondiale vers la sobriété en carbone transformera complètement les marchés mondiaux, ce qui mettra en péril les sources traditionnelles de prospérité économique du Canada. Dans son rapport récent intitulé Ça passe ou ça casse : transformer l’économie canadienne pour un monde sobre en carbone, l’Institut indique que près de 70 % des exportations de biens du pays pourraient être considérablement perturbées dans le contexte où la demande mondiale et les tendances commerciales se transforment en réaction à la multiplication des politiques climatiques, aux avancées technologiques et aux marchés financiers tenant compte du climat. Notre rapport révèle que la transition mondiale vers la sobriété en carbone s’accélère déjà : c’est une période qui sera décisive pour l’économie canadienne.

Sensibilité des exportations de biens du Canada aux perturbations de marché liées à la transition

La bonne nouvelle, toutefois, c’est que le Canada est bien positionné dans ce contexte de transition des marchés mondiaux pour mener le développement de nouvelles sources de très forte croissance. Dans certains cas, il s’agira d’injecter des investissements et de propulser des entreprises dans de nouveaux marchés (p. ex. protéines de remplacement, hydrogène propre, recyclage des batteries de véhicules électriques et stockage d’énergie à l’échelle de réseaux). Dans d’autres, il s’agira d’utiliser de nouvelles technologies pour appuyer la transition et la transformation d’industries de longue date (p. ex. électrification des bâtiments et du transport, utilisation de technologies et de logiciels de pointe pour améliorer l’efficacité et la précision des industries minière et agricole, et réduire leurs émissions). Dans tous les cas, ces nouvelles avenues sont essentielles pour assurer la prospérité du Canada.

Miser sur la transition

Le rapport Ça passe ou ça casse analyse en profondeur le portrait mondial de ces occasions futures, puis les atouts concurrentiels du Canada. Nous nous sommes appuyés sur des données d’entreprises de PitchBook Data Inc. pour mieux comprendre les tendances d’investissement, et nous avons comparé ces données à des analyses de marchés et de trajectoires s’intéressant au potentiel de croissance dans un avenir sobre en carbone. Le marché mondial des protéines végétales, par exemple, pourrait valoir 140 milliards de dollars d’ici 2029, ce qui est 10 fois plus qu’aujourd’hui, et l’hydrogène propre pourrait générer de 2,5 à 12 billions de dollars en occasions commerciales d’ici 2050 (alors qu’il représente un tout petit marché aujourd’hui).

Au total, nous relevons neuf secteurs porteurs de la transition où des entreprises canadiennes sont déjà implantées; chacun compte au moins 10 entreprises actives qui attirent des investissements. 

La figure ci-dessous présente les tendances d’investissement au cours de la dernière décennie dans ces secteurs : protéines de remplacement et technologies agricoles; batteries et stockage d’énergie; bioproduits et bioénergie; technologies du bâtiment; captation, utilisation et stockage du carbone (CUSC); hydrogène propre; électricité sobre en carbone; transport sobre en carbone; et technologies minières. Les investissements dans les entreprises de ces neuf secteurs ont plus que quadruplé entre 2010 et 2020, et le nombre total d’ententes (transactions d’investissement) a plus que triplé. Le profil détaillé de chacun de ces marchés porteurs de la transition est disponible sur notre site Web.

Les investissements dans les secteurs prometteurs du Canada ont quintuplé dans la dernière décennie, mais des entreprises et des secteurs ont encore du mal à attirer des investissements

Favoriser la croissance

La croissance des nouveaux capitaux dans ces secteurs porteurs de la transition est prometteuse, mais ne représente qu’une très petite part de l’économie dans son ensemble. À titre d’exemple, le total des investissements dans ces neuf marchés entre 2010 et 2020 s’élevait à 11 milliards de dollars, alors que les investissements dans le secteur pétrolier et gazier canadien atteignaient plus de 425 milliards de dollars pour la même période. Pour que ces nouvelles occasions de croissance puissent contribuer significativement aux économies locales et nationale, il faudra beaucoup plus d’investissements.

Par ailleurs, les flux de capitaux sont inégaux dans ces neuf secteurs. Les investissements d’envergure visent principalement des technologies matures, considérées comme des valeurs sûres, par exemple l’électricité sobre en carbone (éolien, solaire), le transport sobre en carbone (véhicules électriques, micromobilité) ainsi que les bioproduits et la bioénergie (biocarburants de première génération). Au contraire, les investissements accusent un retard dans les technologies moins bien établies, considérées comme des paris risqués, soit celles pour lesquelles la commercialisation est encore limitée ou la demande future, incertaine. Ces marchés sont notamment l’hydrogène propre, la captation du carbone, les technologies du bâtiment, les batteries et le stockage d’énergie, les protéines de remplacement et les technologies agricoles, de même que les technologies minières.

Une chose est sûre : les avantages associés à la croissance de ces marchés surpassent la profitabilité de chaque entreprise. Explications.  

L’adoption hâtive des technologies et les projets novateurs peuvent avoir d’énormes avantages pour les sociétés. L’emploi de nouvelles technologies peut engendrer une spirale de retombées positives, où les leçons apprises permettent d’améliorer la technologie et de réduire les coûts. Une technologie améliorée et plus abordable entraîne une hausse de la demande, ce qui pousse encore les coûts à la baisse, favorisant les nouveaux apprentissages et faisant davantage augmenter la demande. Par exemple, les coûts de l’énergie solaire ont chuté d’environ 90 % depuis 10 ans, alors que la technologie s’est implantée aux quatre coins de la planète. Les courbes d’apprentissage historiques d’autres technologies émergentes nous laissent croire que les coûts continueront probablement à baisser au fil du déploiement. 

Mettre fin à l’incertitude

Étant donné ces avantages, pourquoi les investisseurs hésitent-ils à faire le saut? En un mot : l’incertitude. 

Dans beaucoup de ces marchés, les investisseurs et les entreprises sont devant une boucle problématique : les produits et services émergents sont soit peu accessibles aux consommateurs, soit trop chers, ce qui affaiblit la demande. Cette faible demande décourage les investisseurs d’intégrer le marché; les prix demeurent donc élevés pour les consommateurs. Ainsi, le ratio risque/rémunération étant trop élevé pour les investisseurs, on manque de fonds pour commercialiser les technologies, favoriser la demande et réduire les coûts. 

Ces incertitudes quant aux marchés sont exacerbées par les incertitudes entourant les politiques. Sur les marchés financiers, on doit avoir confiance que les gouvernements canadiens établiront et maintiendront les politiques nécessaires pour que le pays respecte ses engagements et atteigne ses cibles à long terme. Ce sont ces politiques qui stimulent la demande intérieure pour des produits et services compatibles avec la transition mondiale. Si les politiques climatiques ambitieuses ont longtemps été vues comme un frein à la concurrence et à la croissance du Canada, on a aujourd’hui la certitude que le plus grand risque est d’être à la traîne et de rater des occasions. 

L’ultime défi est d’accélérer rapidement les investissements et l’adoption technologique au pays. De cette façon, les entreprises pourront s’étendre au Canada et exporter leurs technologies et leurs connaissances sur des marchés en expansion. Trop souvent, des entreprises canadiennes prospères sont raflées par des concurrents étrangers lorsque vient le temps de donner un élan de croissance. Un indicateur du chemin à parcourir : à l’heure actuelle, il n’y a qu’environ 9 % des entreprises canadiennes qui utilisent des technologies propres. 

Se réinventer

Le Canada est bien positionné pour profiter de la transition mondiale vers la sobriété en carbone, qui est à nos portes. Les neuf secteurs porteurs de la transition que nous avons explorés ont un fort potentiel de croissance et de création d’emplois, et pourraient ainsi protéger la compétitivité du pays à long terme. 

Pour saisir pleinement ces occasions – et les avantages sociétaux qui en découlent –, il faudra des politiques gouvernementales d’envergure et ciblées s’attaquant aux grandes incertitudes. Et pour réussir, les investisseurs et les entreprises du pays auront besoin de trajectoires stratégiques claires et d’environnements favorables. Le Canada doit apprendre à tracer sa voie sur cette route cahoteuse. 

Dans les faits, les politiques canadiennes devront être adaptées au contexte local. Les régions et les provinces possédant chacune leurs atouts concurrentiels, elles auront besoin d’approches adaptées. Restez à l’affût, car l’Institut climatique du Canada se penche maintenant sur les solutions stratégiques propres aux régions et aux provinces qui permettraient de tirer le maximum de nouvelles occasions de croissance durant la transition mondiale vers la sobriété en carbone.

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