Jusqu’à maintenant, les mesures visant à réduire les gaz à effet de serre se sont concentrées sur le secteur de l’énergie, que ce soit par l’augmentation de la production d’énergie propre ou l’électrification des transports. Cette perspective plutôt étroite ne tient pas compte du fait que les émissions dans un secteur de l’économie peuvent être générées ailleurs. Il y a lieu d’explorer de nouveaux modèles, qui prennent en considération l’économie plus globalement, comme le concept d’économie circulaire, une option qui gagne en popularité parce qu’elle permet d’intégrer la circulation des matériaux en boucle dans le discours sur le climat et de réduire les émissions hors du secteur de l’énergie.
Selon la recherche, 70 % des émissions à l’échelle internationale sont attribuables à la demande en matériaux, pour des minéraux non traités, des appareils électroniques complexes et tout ce qui se situe entre les deux. De plus, selon la plupart des évaluations, le Canada tire de l’arrière au chapitre des matériaux durables et sobres en carbone. C’est le pays du G7 qui présente la pire productivité économique par unité de matières consommées et le plus haut taux d’émissions de gaz par habitant produites par les déchets, une piètre performance qui est loin d’être à la hauteur des ambitions du Canada, lui qui souhaite devenir un grand fournisseur de minéraux critiques et autres ressources importantes pour l’économie propre. Pour se rapprocher de son objectif, il devrait considérer la gestion des matériaux comme une stratégie supplémentaire de réduction des émissions et redoubler d’efforts pour faire progresser le concept d’économie circulaire.
Qu’est-ce qu’une économie circulaire?
L’économie circulaire, c’est une économie axée sur la transformation et la gestion des ressources (minéraux, métaux, plastiques, produits transformés) en vue d’en prolonger la durée de vie le plus possible et d’en optimiser la production avant qu’elles deviennent des déchets.
Dans le modèle circulaire, le fameux trio Réduction, Réutilisation, [puis] Recyclage s’applique à toutes les étapes du flux des ressources. À l’étape de l’élimination, la réutilisation et le recyclage renvoient les ressources dans l’économie. Résultat : on a moins besoin d’extraire de nouvelles ressources, extraction dont la valeur économique se trouve découplée, et on réduit les émissions. Grâce à l’efficience et à l’efficacité accrues de la consommation de matériaux, une économie circulaire réduirait les émissions, selon les études, de 45 % à l’échelle mondiale, mais les estimations varient en fonction des secteurs et des hypothèses de modélisation.
Progrès faits par les pays sur le chemin de la circularité
Un nombre croissant de pays indiquent que la circularité occupera une place de plus en plus importante dans leurs stratégies climatiques. De grandes économies, comme l’Union européenne, les États-Unis et la Chine, se sont fixé des objectifs clairs visant à intégrer la circularité dans la réduction des émissions et l’économie propre, la Chine précisant que la circularité vient au sixième rang de ses dix grandes orientations destinées à stabiliser la croissance des émissions.
Certains pays s’emploient à mettre en œuvre une économie circulaire en faisant appel à des connaissances et en renforçant leurs capacités. DuboCalc et l’échelle de performance du CO2, des Pays-Bas, servent à évaluer les émissions générées par les produits et les processus, par exemple. Par ailleurs, l’espace de données européen pour les applications circulaires intelligentes proposé serait une source de données communes pour évaluer la circularité.
Dans l’ensemble, 79 des 193 pays font clairement état de l’économie circulaire dans leurs contributions déterminées au niveau national (CDN) de l’Organisation des Nations Unies, des plans climatiques montrant la façon dont chacun des pays compte réduire ses émissions.
Le Canada n’arrive pas à fermer la boucle
Dans ses CDN, le Canada fait mention de la circularité seulement dans la conjoncture de la Colombie-Britannique. Au Québec – seule parmi les provinces et territoires à avoir fait l’objet d’une étude de cas intitulé Circularity Gap Report –, 3,5 % de l’économie seulement est circulaire, pourcentage qui à l’échelle mondiale est plutôt de l’ordre de 8,6 % en moyenne. De plus, à la différence de l’Union européenne, le Canada ne fait pas un suivi rigoureux du flux de ressources, et ses taux de recyclage sont plus bas. Il ne recycle que 9 % de ses déchets de plastique, comparativement à 33 % en Europe, et ne s’est pas fixé d’objectif de réutilisation ou de recyclage comparable à celui de l’UE, soit 55 % des déchets municipaux en 2025.
Bref, le Canada a du rattrapage à faire. En effet, une économie circulaire ne se met pas en place du jour au lendemain. Certaines politiques en vigueur pourraient être considérées comme circulaires, dont l’approvisionnement en matières recyclées et la responsabilité élargie des producteurs qui assignent la gestion des déchets, mais le Canada n’en tire pas pleinement parti.
Cependant, le Canada a un net avantage au chapitre de ses matières premières, qui sont assorties d’une forte demande à l’échelle mondiale, et de sa base solide d’énergie propre qui lui permet de répondre à cette demande de façon durable. Bien des améliorations en matière de la circularité, comme le recyclage de produits chimiques et industriels, sont énergivores, et grâce à l’énergie propre, le Canada peut déjà produire un acier ayant l’une des plus faibles empreintes carbone de l’industrie. Certaines entreprises au Canada se sont empressées de s’engager dans cette avenue, comme la société de produits chimiques BASF, qui réalise un projet pilote sur les chaînes de blocs visant à assurer un suivi des déchets de plastique recyclés, et la société technologique HP Canada, qui explore des modèles de type combinaison produit-service pour prolonger le cycle de vie des ressources dans l’économie.
À cela s’ajoutent de récentes études de cas sur la rentabilité de la circularité. Ainsi, le Québec fait la promotion de l’optimisation de l’emballage pour réduire le gaspillage alimentaire. Dans la région du Grand Toronto, l’utilisation des meilleurs matériaux de construction disponibles serait un moyen accessible, abordable et conforme au code du bâtiment de réduire de moitié les émissions générées par la construction.
Conclusion sur la circularité
Par le passé, les politiques sur la gestion des ressources ne faisaient pas partie de l’espace climatique, mais les politiques sur le secteur de l’énergie ont leurs limites, surtout dans les secteurs difficiles à décarboniser. Comme nous l’avons démontré dans notre rapport récent, la circularité peut réduire considérablement les émissions, si on met en place des mesures efficaces. Pour les flux de ressources liés à la conception de produits en amont et à la gestion de déchets en aval, il faut améliorer les incitatifs, l’intégration et la normalisation. Grâce à une économie plus circulaire, le Canada pourra en fin de compte offrir de nouveaux débouchés essentiels à l’alignement de son économie sur la carboneutralité d’ici 2050.