Publié initialement dans Canada’s National Observer.
Pour le Canada, l’année 2023 a été un tour de montagnes russes climatiques au prix exorbitant. Les feux incontrôlés qui ont ravagé la Colombie-Britannique ont coûté 1 milliard de dollars au gouvernement provincial en efforts de lutte contre les incendies, et près de 750 millions de dollars en réclamations d’assurance.
Les feux au Québec ont couvert une bonne partie de l’est de l’Amérique du Nord de fumée néfaste pendant des semaines d’affilée; la facture sanitaire engendrée en Ontario est estimée à 1,3 milliard de dollars pour une seule semaine.
En Nouvelle-Écosse, les feux de mai ont coûté 165 millions de dollars en indemnités d’assurance, puis les crues soudaines en juillet ont entraîné des pertes assurées de 170 millions de dollars.
La série de tempêtes qui s’est abattue sur l’Ontario en juillet et en août a causé presque 350 millions de dollars de dommages, mais est passée pratiquement inaperçue au milieu du chaos climatique partout au pays.
Mais les répercussions ne s’arrêtent pas là : des collectivités ont été dévastées, et des gagne-pain et des vies ont été secoués. En Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, dans les Territoires du Nord-Ouest, au Québec et en Nouvelle-Écosse, plus de 200 000 personnes ont été touchées par des ordres d’évacuation à un moment ou un autre cette année.
Or, 2023 n’est pas simplement une autre année où les changements climatiques, principalement causés par les combustibles fossiles, ont entraîné des phénomènes météorologiques extrêmes au Canada : elle représente un glissement radical dans une nouvelle ère d’imprévisibilité et de volatilité.
Des feux ont incinéré quatre fois plus de forêts canadiennes que le record annuel. Les inondations en Nouvelle-Écosse ont contribué à l’été le plus humide jamais enregistré dans les Maritimes. Montréal a établi de nouveaux records de chaleur avec plusieurs journées consécutives à près de 30 °C en octobre, et le sud de l’Alberta vient de battre des records avec plusieurs journées à plus de 10 °C à la mi-décembre.
Alors que nous approchons du plafond de 1,5 °C de réchauffement climatique de l’Accord de Paris – qui représente, selon les scientifiques et les dirigeants mondiaux, notre meilleure chance d’éviter le pire des effets extrêmes et irréversibles des changements climatiques –, chaque nouvelle mégatonne de pollution piégeant la chaleur crée davantage de chaos aux conséquences de plus en plus catastrophiques. Il ne s’agit pas d’hivers plus doux et d’étés plus chauds, mais bien de villes inhabitables, de gouvernements insolvables et de prospérité économique anéantie.
Pourtant, les politiques mises en œuvre au Canada et à l’étranger pour éliminer les combustibles fossiles qui causent les changements climatiques ne sont pas à la hauteur, et nos chances de rester sous 1,5 °C s’amenuisent à vue d’œil. Alors, que faire?
Il faut redoubler d’efforts, autant à l’offensive qu’à la défensive.
La stratégie offensive, c’est l’atténuation. Le Canada doit limiter ses émissions pour se conformer à l’Accord de Paris et donner l’exemple au reste du monde. Si nous arrivons tous à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, il est encore possible de respecter le plafond de réchauffement mondial de 1,5 °C. Après tout ce que nous avons subi en 2023, en faire moins serait tout simplement insensé.
Cela dit, les émissions du passé font en sorte que les changements climatiques resteront d’actualité pour des centaines d’années. La stratégie défensive, c’est l’adaptation, soit l’augmentation de notre résilience à un climat toujours plus volatil qu’on ne reconnaît plus. Il s’agirait par exemple de blinder notre infrastructure contre les tempêtes et de s’assurer que les gens ont les moyens de se rafraîchir lors des vagues de chaleur de plus en plus intenses.
Le Canada a des plans de match pour l’atténuation (le Plan de réduction des émissions pour 2030) et pour l’adaptation (la Stratégie nationale d’adaptation), mais ceux-ci ne sont pas mis en œuvre assez rapidement. Les plans des provinces et des territoires, s’ils existent, sont loin d’être suffisants pour permettre une transition vers l’énergie propre assez rapide pour respecter le plafond de 1,5 °C.
La Stratégie nationale d’adaptation reste décentralisée et considérablement sous-financée. Tous les ordres de gouvernement doivent déterminer rapidement quels seront les effets des changements climatiques sur les inondations, les feux incontrôlés, la chaleur extrême et les autres menaces qui planent un peu partout au pays, et faire des investissements constructifs pour se préparer à ces effets; d’ailleurs, les investissements se paieront d’eux-mêmes plusieurs fois en évitant des dépenses futures.
Selon nos recherches, il s’avère qu’une combinaison de mesures d’atténuation et d’adaptation efficaces pourrait réduire le fardeau économique des changements climatiques futurs de 75 %.
La dernière année nous a montré comme jamais que, en ce qui a trait aux politiques climatiques, se traîner les pieds n’est pas seulement improductif, mais aussi dévastateur. Ce que nous avons vécu devrait être un appel à l’action allant au-delà de la politique, nous incitant à nous parer contre les forces infatigables d’un climat plus violent. Les gouvernements qui auront la présence d’esprit de répondre à l’appel devront mettre de l’avant des investissements et des politiques robustes visant l’atténuation et l’adaptation.
En 2023 plus que jamais, nous avons eu un aperçu indéniable du nouveau climat que nous sommes en train de créer. Saurons-nous relever le défi et lutter concrètement contre cette menace en 2024?
Ryan Ness est directeur, Adaptation à l’Institut climatique du Canada.