Nous vivons actuellement une crise énergétique mondiale qui pousse des pays comme le Canada à augmenter leur production de pétrole et de gaz pour compenser la chute de l’offre, notamment en Europe, causée par l’invasion russe de l’Ukraine. Comment les gouvernements canadiens peuvent-ils gérer cette crise à court terme sans perdre de vue les objectifs climatiques mondiaux essentiels?
Heureusement, la récente publication du World Energy Outlook (WEO) 2022 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) apporte des éclaircissements. En effet, selon le rapport, aucun scénario énergétique viable ne prévoit une croissance soutenue à long terme des combustibles fossiles, pas même du gaz naturel. Les meilleures solutions durables pour concilier ces deux crises ne résident donc pas dans l’expansion à long terme de l’infrastructure des combustibles fossiles, mais dans l’efficacité énergétique et l’énergie propre.
L’avenir des combustibles fossiles déjà scellé
Même dans les scénarios les plus conservateurs du WEO, la consommation totale de combustibles fossiles culmine dans à peine quelques années, et la demande de gaz naturel stagne d’ici la fin de la décennie. Dans les scénarios où les pays atteignent leurs objectifs climatiques et la transition se fait plus rapidement, la demande de combustibles fossiles décline encore plus fortement : dans certains cas, la demande de gaz naturel diminue de 38 % par rapport à aujourd’hui d’ici 2050; dans un scénario de carboneutralité mondiale d’ici le milieu du siècle (ce qui correspond aux objectifs de nombreux pays, dont le Canada), elle baisse de 78 %.
Cependant, pour un type précis de gaz naturel, les cartes se brouillent. Dans un scénario où l’avenir énergétique serait entièrement dicté par les politiques déjà annoncées, la demande de gaz naturel liquéfié (GNL) – exportable outre-mer – augmente légèrement d’ici 2050. Elle diminue néanmoins explicitement dans les scénarios de transition rapide. Si les pays atteignent leurs cibles de carboneutralité, tout nouvel ajout au réseau de GNL devient superflu.
La transition mondiale avance, et il est évident que la demande de combustibles fossiles faiblira. Reste à savoir à quelle vitesse.
Le développement d’infrastructures durables de combustibles fossiles (y compris pour le GNL), une proposition risquée
Dans un monde où la demande de combustibles fossiles s’essouffle manifestement et où la demande à long terme de GNL est au plus incertaine, il est périlleux de parier sur la viabilité des infrastructures durables de combustibles fossiles. De plus, comme l’explique Rachel Samson de l’Institut de recherche en politiques publiques, même si le GNL connaissait une croissance, le Canada pourrait être supplanté par d’autres fournisseurs. D’ailleurs, dans le scénario du WEO fondé sur les politiques annoncées, 85 % de la croissance du GNL d’ici 2030 est portée par d’autres pays – les États-Unis et le Qatar –, où les coûts de production sont moindres, sans compter la proximité du Qatar avec les marchés. Le secteur privé pourrait choisir de prendre ce pari risqué, mais les nouveaux projets de GNL (soit le pari que la transition énergétique ne s’accélérera pas) ne constituent pas un investissement judicieux des fonds publics.
Qu’en est-il pour le Canada? Dans un monde où la crise énergétique à court terme s’inscrit dans une crise climatique plus grande, il vaut mieux miser sur une solution plus prometteuse et certaine : l’énergie propre. L’AIE est on ne peut plus claire : « Nous avons plus que jamais besoin d’une vague d’investissements dans l’énergie propre. Comme nous l’avons tant répété, la clé de la crise énergétique actuelle et de la carboneutralité réside dans le développement intensif de l’efficacité énergétique et de l’énergie propre. »
Les marchés ont tout de même le choix; si les investisseurs veulent continuer dans l’espoir d’exploiter le pétrole jusqu’à la dernière goutte, libre à eux, mais pour les gouvernements, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Les valeurs sûres sont les politiques et les investissements qui favorisent l’avenir visiblement en plein essor de l’énergie propre et délaissent la croissance continue des combustibles fossiles, dont l’AIE nous montre que le temps est de toute évidence compté.