Initialement publié par Options politiques.
Le gouvernement fédéral a proposé un cadre réglementaire sur l’électricité propre qui pourrait ne pas concorder avec l’engagement d’atteindre la carboneutralité dans la production d’électricité d’ici 2035. L’électricité propre propulsera la transition du Canada vers la carboneutralité. L’électricité propre sera le moteur de notre « volte-face », qui passe par l’abandon des combustibles fossiles, cette source de gaz qui causent les changements climatiques en emprisonnant la chaleur. L’électricité propre provient de sources comme le vent, le soleil et l’eau.
Mais pour en faire le réseau dont le Canada a besoin, la politique proposée doit s’accompagner d’un ensemble de choix bien précis.
La cible de 2035 est forcément ambitieuse. En effet, on reconnaît que la production d’électricité propre doit augmenter considérablement pour que soient respectés les engagements de réduction des émissions de 2030 et 2050.
Mais comme le Canada est loin d’avoir atteint ses cibles climatiques précédentes, nous devons absolument apprendre de nos échecs et mettre en œuvre les mesures nécessaires pour atteindre cette nouvelle cible ambitieuse. L’humanité ne peut se permettre d’autres promesses brisées de la part de pays comme le Canada.
Une brève histoire de l’électricité propre
En 2021, le gouvernement fédéral a pris l’engagement que la production d’électricité du Canada deviendrait carboneutre d’ici 2035. Autrement dit, toute émission de gaz à effet de serre restante serait compensée par la captation et le stockage permanent du carbone dans l’atmosphère. Cet engagement découle d’analyses et de recommandations de chercheurs canadiens (dont Mark Jaccard, coauteur de l’article) et suit la même orientation que les politiques du gouvernement des États-Unis, qui a adopté une cible semblable après en avoir confirmé la faisabilité.
Dans son Plan de réduction des émissions pour 2030, publié cette année, le gouvernement a promis d’encadrer la production d’électricité propre en appliquant des règles qui feraient diminuer les émissions. Des consultations publiques basées sur un document de travail ont débuté en mars.
Après ces consultations, le gouvernement a établi le cadre de la réglementation proposée. Les règles exactes sont encore à venir et passeront elles-mêmes par un processus de consultation. Mais le cadre fraîchement publié propose une orientation qui soulève certaines inquiétudes.
Atteindre une vraie carboneutralité
Le premier problème, c’est qu’après 2035, les émissions permises devront soit être compensées par des émissions négatives (pour que les émissions nettes soient de zéro), soit être « payées » en fonction du cours du carbone.
La deuxième option risque d’affaiblir l’ensemble du cadre, car elle donne le feu vert à la poursuite des émissions – ce qui empêcherait le Canada d’atteindre son objectif de carboneutralité de l’électricité.
Un article publié cette année par Options politiques indique que la compensation par des émissions négatives serait l’unique façon d’assurer la carboneutralité de la production d’électricité sans menacer la fiabilité du système.
La nouvelle réglementation s’inscrira dans le cadre de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, qui impute une responsabilité criminelle aux transgresseurs. Les exploitants de réseau ne seront pas forcément en mesure de produire des émissions négatives. De ce fait, la possibilité d’une option de conformité financière peut avoir du sens. Mais il ne faut pas pour autant abandonner la cible de carboneutralité.
Le gouvernement fédéral pourrait s’engager à réinvestir les fonds des paiements de conformité dans l’achat d’émissions négatives pour le secteur. Ce serait une façon de rendre la production d’électricité réellement carboneutre tout en évitant de mettre les services publics et les exploitants de réseau dans une position épineuse sur le plan légal.
Viser juste pour la tarification du carbone
Dans son rapport intitulé Électro-fédéralisme, l’Institut climatique du Canada parle de la valeur potentielle de l’élimination de la tarification du carbone fondée sur le rendement dans le secteur de l’électricité de certaines provinces (il peut y avoir de bonnes raisons de baser les tarifs sur le rendement, mais la plupart d’entre elles ne s’appliquent pas à l’électricité.)
En facturant plutôt selon le prix réel du carbone toutes les émissions découlant de la production d’électricité et en redistribuant les profits aux utilisateurs (pour éviter l’augmentation du coût du service), il serait possible de conjuguer efficacement la tarification du carbone à la réglementation sur l’électricité propre. Cela éviterait d’importantes répercussions sur les utilisateurs d’électricité.
Malheureusement, le cadre proposé par le gouvernement fédéral ne semble pas traiter de ces changements possibles à la tarification du carbone. Il y a donc lieu de se demander quel signal de prix le secteur recevra entre aujourd’hui et 2035, moment où la norme de rendement fédérale entrera en vigueur.
Le maintien de l’approche actuelle de tarification fondée sur le rendement ne produira qu’un faible incitatif à la réduction des émissions au cours de la prochaine décennie. Cela risque de mal positionner le secteur pour l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2035.
Le gouvernement pourrait donc plutôt éliminer dès maintenant cette forme de tarification du carbone pour le secteur de l’électricité. Autrement, comme proposé dans la réponse officielle de l’Institut climatique du Canada, il serait envisageable d’exclure intégralement le secteur de l’électricité de la tarification du carbone fédérale, pour appliquer plutôt une tarification conforme à la réglementation. Avantage de cette solution : nous verrions une réduction des émissions dès les prochaines années, au lieu d’attendre que soit bien entamée la prochaine décennie.
Aborder de front les questions d’abordabilité et d’équité, au fédéral et au provincial
Le cadre proposé semble fortement axé sur les conséquences potentielles de la politique sur le coût de l’électricité pour un faible pourcentage des consommateurs de quelques provinces en 2035. Ces préoccupations relatives à l’abordabilité et à l’équité sont certes justifiées, mais ne devraient pas servir d’excuse à des politiques climatiques moins ambitieuses.
Ces questions devraient plutôt être abordées de front, par l’instauration de nouvelles mesures d’aide ou par la bonification de celles qui existent déjà. En effet, les provinces (au moyen de politiques adoptées par leurs gouvernements, leurs fournisseurs de services publics et les autorités de réglementation en la matière) offrent en général des programmes d’aide aux consommateurs à faible revenu. De même, le gouvernement du Canada fournit une aide aux ménages qui améliorent l’efficacité énergétique de leur demeure ou installent une thermopompe. Ce soutien peut être spécialement destiné aux ménages à faible revenu ou aux propriétaires de logements sociaux.
Le gouvernement fédéral s’est engagé à ce que la production d’électricité soit carboneutre d’ici 2035. On peut présumer qu’il l’a fait en connaissant les coûts et les conséquences potentiels. Il est possible et souhaitable de régler les problèmes d’abordabilité directement, au moyen d’autres politiques et mesures, plutôt qu’en érodant la rigueur et l’efficacité de cet axe essentiel de notre objectif de carboneutralité à l’échelle nationale.
Garder le cap vers la carboneutralité
Il y a encore moyen de faire concorder cette politique avec l’objectif de carboneutralité de la production d’électricité canadienne d’ici 2035. Pour ce faire, le gouvernement devra s’engager à fournir des émissions négatives pour compenser toutes les émissions positives du secteur après 2035, revoir la tarification du carbone actuelle du secteur et aborder de front les questions d’abordabilité et d’équité.
Dans son Plan de réduction des émissions pour 2030, le Canada a enfin tracé la voie vers un cadre de politiques qui nous permettra d’atteindre les cibles de réduction des émissions établies dans la loi (voir l’évaluation indépendante de l’Institut climatique du Canada à ce sujet ici). Pour garder le cap, il est primordial de viser juste dans cette nouvelle politique.