Le Canada est à un moment charnière. Outre ses répercussions directes sur la santé et l’économie, la crise de la COVID-19 a amplifié les iniquités systémiques et révélé la fragilité du filet social canadien. Elle a également mis au grand jour les principaux enjeux économiques à venir, la récession et la dette publique croissante s’ajoutant à un ralentissement économique amorcé avant la pandémie. La gestion de la crise par les gouvernements, tant du point de vue économique que social, est un legs qu’ils nous laisseront pour plusieurs générations.
Dès la rentrée parlementaire, les députés devront entreprendre de redresser l’économie, et de rétablir les emplois et les revenus durement gagnés des Canadiens. Mais les gouvernements ne doivent pas tout miser sur la seule relance; ils doivent également jeter les bases de la croissance.
Certains ont suggéré de reporter la lutte aux changements climatiques pour prioriser la relance économique. Cependant, les données indiquent plutôt que les changements climatiques – par leurs répercussions financières et sociales, ainsi que par leur influence sur les marchés mondiaux – doivent impérativement être pris en compte dans l’équation de la relance économique. La recherche de pointe en matière d’indicateurs de croissance propre indique que le climat, la croissance et les objectifs sociaux sont indissociables : difficile de réaliser des progrès durables dans l’une ou l’autre de ces sphères sans cibler activement les trois.
En d’autres mots, les données démontrent qu’à long terme, négliger l’une de ces dimensions sape la croissance et la compétitivité du Canada.
Prenons les régions où les économies produisent davantage d’émissions; ce sont celles où la croissance économique s’essouffle de plus en plus, car la lutte aux changements climatiques et les coûts technologiques en chute libre modifient la demande et les investissements. Une croissance économique en perte de vitesse est susceptible de mener à des pertes d’emplois dans les domaines où les travailleurs sont particulièrement dépendants des secteurs à fortes émissions. Bien que l’Alberta et la Saskatchewan, les provinces où les émissions sont les plus élevées, soient sur la bonne voie, leur économie demeure étroitement liée aux émissions de gaz à effet de serre. Selon un indicateur de croissance propre, ces provinces génèrent seulement 1 000 $ d’activité économique par tonne d’émission, tandis qu’en Ontario et au Québec, ce sont de 3 000 $ à 4 000 $ par tonne qui sont générés. Cet écart s’explique notamment par des différences dans les ressources fondamentales et dans les structures économiques, mais il reste que les Albertains et les Saskatchewanais sont plus vulnérables aux risques de la transition mondiale.
Le Canada n’est peut-être pas en mesure de contrôler les marchés mondiaux, mais les gouvernements, eux, peuvent assurer la prospérité à long terme en soutenant un éventail d’entreprises canadiennes visionnaires qui investissent dans des technologies et des produits pour améliorer leur compétitivité, et, par le fait même, celle du pays. La récession actuelle rend plusieurs des obstacles qui se dressent devant ces entreprises encore plus difficiles à franchir.
Au Canada, les exportations de technologies et de produits propres et écologiques sont passées de 9 milliards de dollars en 2012 à 12 milliards en 2018. Si cette croissance se poursuit au même rythme jusqu’en 2050, les exportations pourraient atteindre les 37 milliards. La tendance est encourageante, mais leur valeur demeure éloignée de celle des exportations de pétrole brut, qui ont atteint en 2018 près de 90 milliards de dollars. Les plans de relance sont l’occasion d’investir dans des activités économiques vertes afin de contrer les risques imminents que posent les activités gourmandes en carbone.
Tout comme la pandémie, les changements climatiques – et la transition économique qui vient avec – accentuent les disparités socio-économiques. Pour accroître la résilience des Canadiens aux changements climatiques, il est nécessaire de s’attaquer de front aux enjeux sociaux systémiques.
À Montréal, par exemple, la canicule mortelle de 2018 a surtout été fatale pour les personnes à faible revenu et les personnes âgées. De plus, nous savons que plus de 20 % des résidences de réserves autochtones risquent de subir une crue centennale. Les Canadiens à faible revenu n’ont pas les ressources financières nécessaires pour se préparer et s’adapter aux impacts climatiques, ou s’en remettre. En fait, la pauvreté est un indicateur fiable pour prévoir qui sera le plus durement touché par les changements climatiques.
Les politiques climatiques peuvent aussi améliorer la santé. Chaque année, plus de 14 000 personnes meurent prématurément en raison de la pollution de l’air, qui augmente la vulnérabilité aux maladies respiratoires, et qui est liée à une mauvaise santé pulmonaire, cardiaque et cérébrale. Selon les prévisions, les changements climatiques dégraderont la qualité de l’air; or plusieurs mesures de réduction des gaz à effet de serre – comme l’électrification des transports ou l’augmentation de fréquentation des transports en commun – ont pour effet de l’assainir.
Ce ne sont pas toutes les politiques de relance qui doivent avoir un angle « vert ». Mais nous ne pouvons pas faire abstraction des liens entre les priorités économiques, sociales et politiques susceptibles d’accélérer ou de freiner le progrès. La compréhension de ces dimensions interreliées de la prospérité est cruciale pour l’élaboration d’une politique qui, au-delà d’une relance qui viserait simplement le retour au statu quo, dessinerait un avenir florissant pour l’économie et les citoyens canadiens.
Une version de cet article a été publiée dans le Globe and Mail le 16 septembre 2020.