Même avec le cœur brisé, prenons soin de nous

L’écoanxiété peut faire naître en nous un profond sentiment de solitude, mais ce sentiment pourrait être beaucoup plus répandu que nous le pensons.

Publié initialement dans The National Observer.

Vous vivez mal la crise climatique? Vous prétendez activement que tout va bien, malgré les récents phénomènes climatiques et météorologiques extrêmes? Vous vous sentez seule ou isolé dans vos inquiétudes face aux changements climatiques et à l’avenir? Vous êtes triste, et essayez de vous frayer un chemin dans le contexte des changements climatiques au travail? Ce texte s’adresse à vous.

Chère lectrice, cher lecteur,

Vous avez fort probablement déjà subi malgré vous les symptômes de la crise climatique. Incendies, sécheresses, inondations et autres phénomènes climatiques extrêmes sont tous des signes de changements radicaux et dévastateurs. Avec raison, on en parle partout. Les articles et les journalistes appellent cela l’enjeu de notre génération : mettre son énergie vers un avenir meilleur et plus durable que celui qui se profile à l’horizon.

Mais que se passe-t-il lorsque nous ne pouvons trouver en nous cette énergie?

Des termes comme écoanxiété, deuil écologique et solastalgie – le stress causé par la destruction de l’environnement des lieux auxquels nous sommes fermement attachés – deviennent de plus en plus populaires. Trois Canadiens sur quatre sentent que les changements climatiques ont une incidence sur leur santé mentale, éprouvant de l’anxiété à propos de notre climat qui se réchauffe rapidement, alors qu’un tiers de la population canadienne se sent impuissante face à notre capacité à arrêter ce réchauffement.

Ces conséquences se ressentent particulièrement sur notre lieu de travail. Dans tous les domaines, le nombre de cas d’épuisement professionnel signalés atteint des sommets. Il est extrêmement difficile de continuer à travailler normalement lorsque l’on sait que la planète brûle.

Pire, l’écoanxiété et la tristesse nous suivent jusqu’à la maison. Dans les dernières années, la crise climatique s’est déroulée sur fond de pandémie mondiale, de perturbation de l’économie et de guerre. Pas surprenant que plusieurs d’entre nous, qui subissent la catastrophe climatique, soient maintenant aux prises avec des sentiments de tristesse et d’anxiété.

Les feux incontrôlés de cet été ont eu des effets particulièrement délétères pour la santé mentale. Des recherches ont montré que les odeurs renforcent les souvenirs autobiographiques et déclenchent des retours en arrière liés à des traumatismes, et que le syndrome de stress post-traumatique, la dépression et l’anxiété généralisée augmentent après ces incendies et restent élevés pendant des années.

En tant que professionnelles travaillant dans le domaine de la recherche climatique, nous connaissons trop bien les conséquences mentales, physiques et émotionnelles de cette crise. L’une d’entre nous a reçu un diagnostic de mélanome, une ironie qui ne passe pas inaperçue pour une chercheuse en environnement. Pour l’autre, le diagnostic d’une maladie chronique liée au stress à un très jeune âge montre toute l’importance de prendre soin de son bien-être. Les conséquences de l’aggravation de la crise climatique, qui vont de l’augmentation des coûts liés à la santé mentale à l’apparition de nouveaux virus, en passant par la propagation de la maladie de Lyme et l’augmentation de l’asthme et du cancer, ne feront qu’alourdir le fardeau d’un système de soins de santé déjà très sollicité.

Le rapport sur les coûts des changements climatiques pour la santé de l’Institut climatique du Canada démontre que les changements climatiques coûteront plusieurs milliards de dollars au système de santé canadien et retrancheront à l’activité économique des dizaines de milliards de dollars au cours des prochaines décennies. Nous savons que la maladie mentale est déjà un problème de taille aux conséquences sociales et économiques importantes pour le Canada. Les coûts associés aux pertes de productivité liées à la dépression sont actuellement de 34 milliards de dollars par année, et ceux de l’anxiété avoisinent les 17 milliards de dollars par année. La multiplication des cas de maladie mentale causés par les changements climatiques pourrait donc entraîner des coûts importants.

Nos vies, nos souvenirs, nos cultures et nos espoirs sont inextricablement liés à la terre et aux lieux que nous aimons. Pour certains d’entre nous, ce lien est récent, tandis que pour d’autres, il est fondamental et existe depuis des générations. Mais, quel que soit notre lien avec le territoire, bon nombre d’entre nous ont de la difficulté à le voir se transformer si rapidement et ont besoin d’aide.

De la blessure à la guérison climatique : un pas vers l’avant

De nombreuses ressources en ligne que nous avons trouvées pour surmonter cette vague d’émotion suscitée par l’état du monde misent sur des exercices conçus pour se changer les idées, plutôt que de se concentrer sur la crise et se replier sur soi. Ces stratégies peuvent s’avérer extrêmement utiles pour aller bien et être en mesure de relever les défis actuels. Toutefois, lorsque l’alarme d’incendie retentit, les stratégies de distraction ont leurs limites.

Autrement dit, il est facile d’ignorer ce que le corps nous dit et de ne pas prendre les mesures nécessaires pour se protéger. Nous devons au contraire prendre le temps de reconnaître nos sentiments et de ralentir – pour assimiler la situation, en faire le deuil et se connecter au monde dans lequel nous vivons – afin de pouvoir réagir adéquatement.

L’écoanxiété peut donner un profond sentiment d’isolement, mais elle touche beaucoup plus de personnes que nous ne le pensons. Il est particulièrement important de valider ces sentiments et d’en parler ouvertement pour les personnes d’entre nous qui travaillent dans des domaines liés au climat, notamment dans le secteur privé, les soins de santé et même l’enseignement. Travailler dans des domaines liés au climat peut créer un sentiment d’urgence qui aggrave souvent le stress. Nous pouvons avoir l’impression que si nous ne travaillons pas sur le problème à toute heure de la journée, nous perdons un temps et une énergie précieux qui devraient être consacrés à éteindre le feu, au sens propre comme au sens figuré.

En réalité, l’ampleur des répercussions climatiques sur le bien-être et la santé ne peut plus être ignorée ou endurée en travaillant plus fort. La priorité accordée au bien-être est, et doit être, mieux reconnue comme faisant partie du travail en environnement, des politiques en milieu de travail et des mesures climatiques.

Une fois que nous pourrons gérer, accepter et traverser nos émotions liées au climat, nous arriverons à un stade où nous serons capables d’agir et d’exercer une influence. En d’autres mots, nous déciderons quand nous engager et utiliser nos énergies et quand nous reposer et récupérer. Le fait de choisir de se placer dans ces espaces – dans la mesure où nous sommes capables de le faire – crée à la fois des milieux de travail plus sains et des personnes plus saines, ce qui est bénéfique pour l’épuisement et le stress.

En discutant des émotions suscitées par le climat et en donnant la priorité au bien-être, on peut créer un espace permettant à un plus grand nombre de personnes d’accéder aux ressources et au soutien nécessaires, tout en favorisant un espace plus sûr permettant à tous de nouer des liens. L’union fait la force.

Prenez le temps d’apprivoiser vos émotions.

Prenez le temps de sentir les roses – ou, comme le dit le meme sur TikTok et Reddit : « Prends une banane et assieds-toi dehors un moment. » Le travail sera toujours là lorsque vous aurez terminé, et vous vous apercevrez peut-être que vous avez un peu plus d’entrain pour le faire.

En espérant le meilleur pour le climat,

Janna et Maria


Janna Wale est membre de la Première Nation Gitanmaax et est également Crie-Métis. En tant que chercheuse autochtone sur le climat, elle est très consciente des conséquences de la crise climatique sur son chez-soi, sa famille et sa culture. Elle donne la priorité à son bien-être et s’efforce de s’exprimer davantage sur les conséquences sociales de la crise climatique, qui touchent en particulier les jeunes. Elle est conseillère politique à l’Institut climatique du Canada.

Maria Shallard est d’origine métisse et a des liens ancestraux avec la Première Nation Penelakut par son grand-père. Elle est passionnée par le bien-être de la terre et des eaux, ayant été témoin des conséquences sur les endroits qu’elle considère comme chez elle, et se soucie d’assurer un avenir fondé sur la santé holistique aux sept prochaines générations. Elle est conseillère principale, Partenariats et recherche autochtones, à l’Institut climatique du Canada.

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