Le Canada a connu sa pire saison pour les feux de forêt en 2023 : c’est 19 millions d’hectares qui ont été ravagés par les flammes, un chiffre exorbitant qui dépasse de six fois la moyenne historique. C’est aussi des millions de personnes au pays qui ont été exposées à la fumée, des milliers qui ont dû abandonner leur logis, et des centaines qui ont carrément perdu leur maison. Cela risque aussi de prendre plusieurs années avant que la faune et les écosystèmes s’en remettent.
Et ce n’est pas tout – l’économie va en avoir sérieusement fait les frais. On est loin d’avoir fini d’évaluer l’ampleur des dommages, mais il est déjà clair que les feux inégalés de cette année font très mal à l’industrie forestière, laquelle représente 1,7 % du PIB canadien et emploie plus de 200 000 personnes, surtout dans les localités rurales et éloignées.
Les changements climatiques ne vont qu’en s’intensifiant, ce qui signifie qu’on aura inévitablement plus d’incendies à l’avenir, du moins si l’on n’agit pas. Pour endiguer cette spirale infernale, les gouvernements et l’industrie doivent voir à déployer immédiatement des solutions à grande échelle afin d’atténuer le risque de vastes feux incontrôlés et ainsi renforcer la résilience de nos forêts et du secteur de la foresterie.
La sévérité des feux, dévastatrice pour les produits forestiers canadiens et ceux qui en vivent
Une mauvaise saison des feux a toutes sortes de conséquences sur le secteur forestier. Le plus évident, c’est la perturbation des activités de foresterie et la diminution des stocks de bois, ce qui se répercute sur les travailleurs et les économies qui en dépendent. Pensons à Produits forestiers Résolu, qui s’est vue forcée de fermer temporairement des scieries cet été en raison des incendies dévastateurs qui ont fait rage sur le territoire québécois. En 2017 lors des grands feux en Colombie-Britannique, c’est près d’une quarantaine de sociétés forestières qui ont dû cesser leurs activités.
La mise en pause des scieries peut ralentir l’économie pendant des mois. Ce fut le cas en juin et juillet 2023, où la production de bois d’œuvre au Canada a été 20 % plus basse que la moyenne sur cinq ans pour ces mêmes mois.
Lorsque le bois se fait plus rare, son prix tend à grimper temporairement, ce qui se répercute sur la construction et l’abordabilité du logement. Les mois de juin et juillet 2023 auront ainsi vu s’opérer une hausse de presque 20 % dans les contrats à terme du bois de construction en raison des feux d’un bout à l’autre du pays, avant que les prix redescendent en août.
Les scieries ne sont qu’un des engrenages de la grande machine forestière canadienne. Lorsqu’elles cessent de tourner, les usines de pâtes et papiers en subissent généralement les contrecoups, étant donné qu’elles ont besoin de leurs résidus de copeaux et d’écorce pour alimenter leur propre activité. Et l’effet est mutuel – les scieries ne peuvent plus tirer un profit de la vente des fibres résiduelles aux papetières.
Qui plus est, lorsque la forêt brûle, cela peut perturber la chaîne d’approvisionnement et créer des retards dans le transport des produits forestiers, ce qui met un frein au commerce. Les entreprises perdent des revenus, et parfois c’est le salaire des travailleurs de la forêt qui écope. La société Canfor, par exemple, a fait état de pertes de 44 millions de dollars au deuxième trimestre de 2023, notamment en raison des feux qui faisaient rage.
Au-delà des problèmes d’approvisionnement immédiats, les feux incontrôlés menacent la provision en bois du Canada à moyen terme. En effet, si l’on peut récupérer une certaine quantité de bois brûlé après coup, les dégâts saison après saison font baisser la qualité et l’abondance de la récolte dans les zones touchées.
Les changements climatiques et la nécessité pour l’industrie forestière de s’adapter à la nouvelle réalité des feux
Si les feux de forêt sont depuis toujours un phénomène naturel qui contribue à la bonne santé et au renouvellement de plusieurs écosystèmes, la chaleur et la sécheresse exacerbées par les changements climatiques rendront les incendies plus fréquents, plus intenses, et plus difficiles à gérer.
Les vastes effets directs et indirects des feux sur le milieu forestier ne vont probablement qu’empirer. Les modélisations de l’Institut climatique du Canada montrent que si rien n’est fait, les répercussions des changements climatiques pour la foresterie – comme les effets des feux incontrôlés sur les espèces nuisibles et d’autres problèmes – risquent d’entraîner la perte de 4 milliards de dollars en revenus d’exportation et de 32 000 emplois d’ici la fin du siècle.
Ce sont là des chiffres considérables qui menacent d’amener leur lot de difficultés économiques pour les milieux qui dépendent de la foresterie, du moins si l’on ne prend pas d’autres mesures.
Que peut-on faire?
La pression se fait de plus en plus grande sur les gouvernements, l’industrie forestière, les détenteurs de savoir autochtone et les praticiens pour adopter des solutions plus diversifiées et à plus grande échelle pour la prévention du gros des ravages et l’adaptation au problème grandissant des feux incontrôlés. Mais il n’y aura pas de panacée. Il faut que le milieu forestier canadien endosse davantage de responsabilités pour atténuer le risque d’incendies catastrophiques, ce qui nécessite l’action coordonnée de la société tout entière.
Cela commence certes par la réduction des émissions de CO2, une mesure cruciale pour freiner le réchauffement et ainsi atténuer les phénomènes météorologiques extrêmes, mais l’adaptation demeure aussi nécessaire dans un contexte où l’avenir sera de plus en plus marqué par le feu.
Du côté de l’État, des municipalités et des entreprises forestières, il faut impérativement évaluer le danger actuel et futur qui plane sur la main-d’œuvre et les infrastructures, et poursuivre les investissements dans la préparation et l’intervention.
Les gouvernements devraient mieux intégrer l’adaptation climatique dans la gestion du territoire forestier. Par exemple, revoir leurs critères de reforestation ainsi que leurs lignes directrices sur la plantation afin d’introduire davantage de diversité dans les essences d’arbres – et notamment des espèces résistantes au feu – et de déplacer certaines populations d’arbres vers des zones qui leur sont plus climatiquement convenables, deux mesures contribuant à atténuer les risques d’incendie. Ils devraient aussi favoriser les formes de gestion active, comme l’éclaircissement des arbres, le retrait du bois mort et la réintroduction de la pratique culturelle du brûlage contrôlé menée par les Autochtones, car cela réduit la quantité de combustible qui vient alimenter et propager les feux de forêt.
L’industrie forestière peut également en faire plus pour favoriser l’application de ces pratiques d’aménagement axées sur l’adaptation climatique. Non seulement cela contribuerait à amortir les effets des feux sur son activité, mais cela viendrait protéger les populations dans les secteurs à risque et renforcerait la résilience des forêts du Canada.
Le potentiel est aussi là de développer davantage la bioénergie au Canada. Le milieu forestier peut continuer d’innover et d’utiliser les technologies émergentes pour convertir les résidus de son industrie en énergie utilisable, le plus souvent sous forme de granules de biocombustible ou de copeaux de bois servant au chauffage ou à la génération d’électricité industrielle. Les résidus de la récolte en forêt (p. ex. la cime et les branches des arbres) peuvent aussi être transformés en bioénergie, ce qui a le double avantage d’éviter qu’elles ne deviennent des sources de carburant pouvant alimenter le feu dans les écosystèmes à risque.
La saison des feux 2023 a mis en lumière le besoin urgent d’accroître la résilience du secteur de la foresterie, qui est l’un des plus grands employeurs au Canada. Les répercussions des changements climatiques vont en s’intensifiant. Il faut que l’État et l’industrie fassent preuve de proactivité pour veiller à ce que nos forêts et les gens qui en dépendent puissent continuer de s’épanouir dans un futur toujours plus en proie aux flammes.