La déferlante des risques d’inondation et le dilemme des assurances

Un régime d’assurance national abordable et bien conçu renforcerait notre résilience aux inondations à long terme

Publié initialement dans Options politiques.

Dans bien des contrées du globe, changements climatiques riment avec précipitations abondantes et inondations accrues.

Au Canada, environ un ménage sur dix est frappé de la double malédiction de vivre en zone à haut risque d’inondation et de voir son logement pratiquement inassurable. Le coût élevé des indemnités à verser en cas d’inondations toujours plus fréquentes et graves en perspective rebute les compagnies d’assurances, qui proposent rarement une assurance inondation dans ces secteurs ou, si elles le font, exigent des primes faramineuses.

Le gouvernement canadien peut-il protéger les propriétaires qui ne peuvent, faute d’accès ou de moyens financiers, se procurer une assurance contre la montée des eaux et la montée des taux?

Le gouvernement fédéral a annoncé dans son budget de l’année passée la création d’un programme d’assurance à faible coût contre les inondations pour offrir aux familles vivant dans des secteurs à haut risque une protection qui leur servirait de filet financier si le malheur frappe.

Sans rien enlever à son importance, l’assurance inondation n’est pas à elle seule une solution miracle. Mal fignolé – sans arrimage à une grande stratégie de résilience –, le régime proposé pourrait favoriser des choix de logement malavisés dans des secteurs à haut risque d’inondation.

Pourquoi discuter d’un régime d’assurance inondation public national au Canada?

Selon Sécurité publique Canada et le Groupe de travail sur l’assurance contre les inondations et la réinstallation créé par le gouvernement fédéral, environ 90 % des 2,9 milliards de dollars de dommages annuels causés par les inondations se concentrent dans les 10 % des propriétés les plus à risque. 

La vaste majorité de ces 1,5 million de propriétés n’est pas assurée contre les inondations, généralement parce que les compagnies d’assurance privées ne sont pas en mesure de les protéger à faible coût sans que les indemnités dépassent les primes.

Les propriétaires n’ont donc d’autre choix que de payer les dommages de leur poche ou de se tourner vers l’aide des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux lors de catastrophes majeures.

Ces deux scénarios sont intenables dans un contexte où les changements climatiques augmentent la fréquence et la gravité des inondations. Les propriétaires risquent de se ruiner en assumant ces coûts. 

L’aide aux sinistrés constitue essentiellement en une assurance sans frais qui est payée par les contribuables. Elle crée ce que les économistes appellent souvent un « aléa moral »; les propriétaires ne sont pas incités à réduire leurs risques.

Elle peut également faire en sorte que les promoteurs et les collectivités locales, motivés par l’appât du gain (et des taxes résidentielles), continuent de bâtir sur des plaines inondables en présumant que les coûts des réparations ou de la reconstruction seront assumés par d’autres.

Autre conséquence pour les propriétaires, les prêteurs hypothécaires pourraient être de plus en plus nombreux à refuser d’hypothéquer ou de réhypothéquer les résidences inassurables en secteur inondable.

Avec une assurance inondation nationale bien conçue et financée par le public, ces problèmes pourraient être chose du passé. Les gouvernements pourraient piger dans les fonds considérables qu’ils allouent actuellement à l’aide aux sinistrés pour subventionner des primes abordables à court terme, ce qui donnerait aux ménages à haut risque et à leurs prêteurs hypothécaires de la certitude concernant leur couverture.

Les risques d’une assurance inondation publique

Un régime d’assurance abordable bâclé, toutefois, pourrait continuer d’entraîner les propriétaires à sous-estimer leur risque d’inondation et à surestimer leur protection.

Les collectivités locales, croyant que l’assurance protégerait les propriétaires, pourraient continuer de permettre la construction résidentielle en zone à haut risque et assouplir leurs exigences de défense contre les inondations. Propriétaires comme municipalités pourraient demeurer réticents à investir dans la protection des 1,5 million de résidences déjà très menacées.

Un régime d’assurance inondation abordable pourrait également représenter un risque financier de taille pour le gouvernement fédéral.

Adhésion en baisse, primes maintenues à un niveau bas par opportunisme politique, recettes insuffisantes pour couvrir la hausse des remboursements causée par des inondations plus fréquentes et plus grave : aux États-Unis, un programme semblable est devenu un éléphant blanc. À la fin de 2022, le programme devait 20,5 milliards de dollars américains au Trésor.

Le budget fédéral de l’année dernière indiquait qu’Ottawa garantirait des paiements importants en cas d’inondation extrême. Ainsi, une assurance judicieusement conçue, une stratégie nationale globale visant à réduire le risque d’inondation et une volonté politique de mettre en œuvre ces deux éléments sont essentielles pour faire en sorte que ces paiements demeurent rares et ne nous ruinent pas collectivement.

Concevoir une assurance inondation intelligemment

Un régime d’assurance abordable devrait aussi entraîner des décisions plus réfléchies sur l’habitation en secteur inondable. Voici trois mesures à considérer :

  1. Préciser les exclusions : Le régime d’assurance doit protéger seulement les résidences construites avant son entrée en vigueur. Cette mesure limiterait le bassin de propriétés assurées et enverrait clairement le message que les nouvelles résidences en zones à haut risque d’inondation ne seraient pas couvertes, ce qui découragerait la construction dans ces secteurs.
  2. Intégrer des primes basées sur le risque : Les primes devraient se moduler dans le temps en fonction du risque d’inondation d’une propriété. Ce faisant, on conscientiserait les propriétaires actuels et potentiels à ce risque et les encouragerait à l’atténuer. Initialement, les primes seraient subventionnées pour favoriser leur abordabilité, mais il serait essentiel de prévoir une transition vers des primes entièrement basées sur le risque. Il faudra toutefois apporter un soutien à long terme aux ménages à faible revenu pour faire en sorte que cette tarification au risque ne soit pas un fardeau disproportionné pour les plus vulnérables.
  3. Encourager les mesures de résilience aux inondations : Le régime devrait proposer des rabais aux propriétaires et aux collectivités qui prennent des mesures de réduction des risques d’inondation. Ces mesures pourraient consister en des changements structurels qui protègent physiquement les propriétés ou en des pratiques d’utilisation du territoire qui améliorent l’absorption naturelle de l’eau et contiennent le ruissellement. Les rabais consentis pour ces efforts d’atténuation diminueraient les primes d’assurance immédiates et contribueraient à améliorer la résilience aux inondations dans le pays.

Ce train de mesures pourrait aller loin pour empêcher qu’une assurance inondation abordable n’ait pour effet collatéral d’augmenter les risques et les coûts.

De l’assurance à la résilience aux inondations

Comme le groupe de travail fédéral le souligne, un régime national à lui seul ne rendra pas le Canada résilient à l’augmentation des risques. Sans mesures complémentaires, ce régime risque davantage de constituer un vecteur d’inaction et de mauvaises décisions qui pourrait accroître les risques d’inondation globalement au pays.

Le comité fait également remarquer que le Canada a aussi besoin de stratégies exhaustives pour atténuer les risques d’inondation au pays, notamment :

  1. Des mesures de tous les ordres de gouvernement pour limiter le développement en zone inondable, améliorer les systèmes de drainage urbains, contenir les inondations (comme la construction de barrages et de digues), et aider les gens à se reloger.
  2. Des politiques obligeant les vendeurs et les prêteurs à divulguer les risques d’inondation lors des transactions immobilières. La transparence permet aux acheteurs de prendre des décisions éclairées et envoie un signal de prix dans les marchés immobiliers qui reflète mieux le risque d’inondation.
  3. Des modifications à l’aide financière du gouvernement en cas de catastrophe qui complètent un régime d’assurance inondation plutôt que de s’y suppléer. Le fait de s’attendre à ce que le gouvernement continue de payer la note en cas d’inondation dissuade les gens de souscrire une assurance et met en sourdine les signaux indiquant aux ménages et aux collectivités de réduire de manière proactive leurs risques d’inondation.

Les détails comptent

Il faut offrir une assurance en zone à haut risque d’inondation pour éviter que les Canadiens aient à éponger sans aide les pertes causes par les inondations de plus en plus dévastatrices. Le succès anticipé du régime d’assurance et sa viabilité à long terme reposent sur la conception de mesures judicieuses s’inscrivant dans une stratégie d’atténuation des risques d’inondation globale.

Mal ficelée, une assurance inondation publique pourrait faire des ravages. Bien exécutée, elle pourrait protéger les Canadiens vulnérables en zone à risque en leur apportant une aide financière dans l’immédiat tout en incitant le renforcement de la résilience à long terme contre les inondations dans un climat surchauffé.

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