Texte originalement publié dans le National Observer.
Le réseau électrique de votre entreprise est-il propre?
Voilà une question à laquelle les directeurs financiers des fabricants canadiens n’ont pas l’habitude de répondre. Mais ils devront s’y faire sous peu.
De plus en plus, transparence et divulgation deviennent les mots d’ordre dans la culture mondiale. Les investisseurs suivent attentivement le risque que représentent les émissions de gaz à effet de serre. Ils attendent des entreprises qu’elles aient des plans crédibles pour les réduire. Cette situation vaut pour les émissions de l’ensemble de la chaîne de valeur des entreprises, notamment en ce qui concerne l’électricité.
La principale norme destinée aux entreprises du Protocole des gaz à effet de serre classe les émissions des entreprises en trois groupes.
Les émissions de portée 1 émanent directement des combustibles fossiles brûlés par les entreprises.
Les émissions de portée 2 sont celles générées indirectement par la production d’énergie achetée (électricité, vapeur, chauffage et climatisation).
Les émissions de portée 3 (également appelées « émissions d’échappement ») regroupent toutes les autres émissions indirectes qui se produisent en amont et en aval dans la chaîne de valeur des entreprises.
Les entreprises canadiennes sont dotées de pratiques bien établies pour surveiller les émissions de portée 1. Elles font de plus en plus le suivi de celles de portée 3 auprès de leurs clients, fournisseurs et autres partenaires à mesure que les politiques en ce sens gagnent du terrain dans le monde.
Restent les émissions de portée 2, qui méritent davantage d’attention. Un nombre grandissant d’entreprises au pays cherchent à atteindre la barre du zéro émission nette. Elles doivent avoir accès à une électricité propre, fiable et abordable. Autrement dit, le fait de disposer d’un réseau électrique moderne et propre devient soudainement un avantage concurrentiel majeur.
Mais voilà : les usagers sont souvent impuissants à influer sur les émissions produites par la production de l’électricité qu’ils consomment. Les entreprises peuvent parfois réduire directement leurs émissions de portée 2, par exemple en produisant ou en se procurant de l’électricité propre. Mais cela peut s’avérer difficile ou coûteux, voire irréalisable dans leur province ou territoire. C’est donc beaucoup mieux si le réseau lui-même est déjà en mesure de satisfaire à la demande en électricité propre, fiable et abordable pour les entreprises.
Cela signifie qu’avec la préoccupation grandissante envers les émissions de portée 2, les provinces et territoires qui disposeront d’un réseau électrique propre auront un avantage concurrentiel pour attirer des projets et investissements. Beaucoup d’entre eux seront appelés à devenir d’importants pôles de croissance.
Nous voyons déjà certaines entreprises choisir leurs sites d’installation en fonction du réseau. On rapporte dans les médias que la société LG Chem s’est récemment ravisée sur l’idée de construire une usine de production de batteries en Ontario. Cela est dû en partie en raison d’un problème d’approvisionnement en électricité.
Amazon, qui s’est engagée à s’alimenter entièrement en énergies renouvelables d’ici 2030, a annoncé l’année dernière qu’elle établirait en Alberta un centre de distribution majeur qui serait alimenté par une centrale solaire située à proximité.
Il est en train de se développer des marchés mondiaux distincts pour l’acier vert et l’aluminium zéro émission (qui nécessitent tous deux un grand volume d’électricité propre). Le rôle du Canada en Amérique du Nord dans les marchés des batteries et des véhicules zéro émission fait consensus.
Le Canada a déjà une longueur d’avance. Plus de 80 % de la production d’électricité du pays se fait sans émissions grâce à la richesse de ses ressources hydroélectriques. Il faut aussi compter le nucléaire et la filière – menue, mais grandissante – d’énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire.
À titre de comparaison, respectivement 40 % et 20 % de la production du réseau électrique des États-Unis et de l’Australie est propre. Comme le fait remarquer le chef de la direction de Rio Tinto Aluminium, Ivan Vella, la propreté de son électricité « place le Canada dans une position idéale tant pour alimenter son marché interne que pour exporter de l’énergie et tenter d’autres options de croissance qui contribuent concrètement au développement de l’économie. »
Cela dit, il y a encore du travail à faire dans tout le Canada. Même les provinces comme la Colombie-Britannique, le Manitoba et le Québec, presque entièrement alimentées en hydroélectricité non émettrice, devront à tout le moins doubler leur capacité au cours des prochaines décennies pour répondre à la demande croissante et accueillir des industries émergentes comme celles de l’hydrogène ou de l’acier à basse teneur en carbone. Et surtout, il faut y arriver sans nuire à la fiabilité du réseau ni au caractère concurrentiel de sa tarification. Ces deux qualités font, depuis des décennies, l’attrait du Canada pour l’investissement industriel.
Pourtant, il semble à la fois faisable et économique de se doter d’un réseau moderne et propre. L’Alberta, par exemple, connaît l’une des croissances les plus vigoureuses au pays dans l’éolien, le solaire et le stockage d’énergie. Cela est dû en grande partie parce que ces sources d’énergie sont désormais concurrentielles sur le plan des coûts. Et du côté du Canada atlantique, les sociétés d’électricité sont en train de créer des technologies de microréseaux révolutionnaires.
Compte tenu de l’ampleur du défi qui s’annonce, l’édification d’un réseau d’électricité permettant au Canada de rivaliser avec la concurrence nécessitera des politiques gouvernementales ainsi qu’une quantité sans précédent de nouveaux capitaux. Le fédéral s’est engagé à établir une norme sur l’électricité propre pour neutraliser les émissions du secteur de l’électricité d’ici 2035. Le budget fédéral de cette année prévoit d’ailleurs une enveloppe pour la création du Conseil pancanadien du réseau électrique. Cette entité se chargera de fournir des conseils à l’appui de la planification nationale et régionale de l’électricité.
Les provinces devront également se retrousser les manches pour répondre aux exigences de l’industrie en matière de propreté de l’énergie. Comme c’est elles qui encadrent les réseaux électriques, elles devront donner aux services publics, aux autorités de réglementation et aux planificateurs des systèmes des directives claires ainsi que les outils et ressources nécessaires à leur travail.
Pour y parvenir, il faudra que les deux ordres de gouvernement travaillent ensemble. Il est de plus en plus évident qu’à l’avenir, la croissance au Canada devra être écologique. C’est une électricité propre et abordable qui en sera le moteur. L’attention des directeurs financiers est rivée sur la réduction des émissions de portée 2, car c’est ce qu’exigent les investisseurs. La question est maintenant de savoir si le Canada saura prendre le virage assez rapidement pour les entreprises pour mériter sa réputation de poids lourd dans la production d’énergie propre.