Cette publication a d’abord paru dans le Globe and Mail.
Alors que s’accélère l’abandon des combustibles fossiles à l’échelle mondiale, le Canada peut compter sur le Règlement sur l’électricité propre et le cadre Propulser le Canada dans l’avenir nouvellement annoncés pour réaliser cette transition tout en protégeant l’accessibilité et la fiabilité de son réseau électrique.
Déjà, les investissements cumulés des États-Unis et de l’Union européenne dans les industries propres pour s’assurer une place sur le nouvel échiquier commercial se chiffrent en billions. Heureusement, le Canada possède une carte maîtresse face à plusieurs de ses concurrents dans le domaine : une électricité propre. La situation actuelle laisse toutefois croire qu’il risque de la dilapider, ce que souhaite freiner le gouvernement fédéral.
Le nouveau Règlement sur l’électricité propre jouera un rôle essentiel dans la construction au Canada d’un réseau carboneutre d’ici 2035, un objectif commun à l’ensemble du Groupe des Sept. La question ne se limite pas à la production d’électricité : pour la première fois en juin dernier, la Régie de l’énergie du Canada a publié des scénarios carboneutres détaillés pour l’économie nationale. Elle arrive à la conclusion qu’un réseau électrique plus grand, plus propre et plus intelligent sera l’« épine dorsale » de tout avenir carboneutre. L’analyse a également démontré qu’il est possible, contrairement à l’opinion de certains, d’atteindre (voire de surpasser) l’objectif du gouvernement de décarboniser la production d’électricité d’ici 2035.
La bonne nouvelle, c’est que le Canada se lance dans la course avec une importante longueur d’avance. Son réseau est sans émission à 84 %, comparativement à seulement 40 % aux États-Unis. Cet écart signifie que l’empreinte carbone des produits fabriqués ici, de l’acier aux batteries en passant par l’aluminium, est déjà plus faible. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles des entreprises, dont la General Motors, choisissent d’y fabriquer les composantes des batteries de leurs véhicules électriques. C’est aussi ce qui explique le soutien sans équivoque de l’industrie canadienne de l’acier aux mesures fédérales visant à accroître l’offre d’électricité propre.
En outre, selon bon nombre d’études, les ménages paieront moins pour l’énergie en passant à l’électricité propre grâce à des technologies efficaces et économes comme les véhicules et les thermopompes électriques. Alimenter sa maison et son véhicule à l’électricité propre, c’est également se libérer de la volatilité des prix des combustibles fossiles découlant des actions de la Russie ou de l’Arabie saoudite.
Le nouveau cadre réglementaire sur l’électricité entre toutefois en vigueur à un moment où le Canada risque de perdre son avantage industriel propre. En effet, les besoins du réseau électrique du pays augmenteront considérablement (environ du double, en fait), à mesure que la population y branchera voitures, maisons et usines. Le Canada est donc à la croisée des chemins : sans directive claire, son réseau risque de devenir plus polluant, aux antipodes de la direction prise par ses partenaires commerciaux.
En effet, malgré les progrès accomplis dans le cadre de son nouveau plan énergétique, l’Ontario a tout de même récemment offert six nouveaux contrats d’approvisionnement en électricité au gaz naturel pour faire face à ses besoins croissants, surtout en raison de la fermeture de grandes centrales nucléaires. Quelques provinces ont aussi choisi de s’opposer aux ambitions de décarbonisation de l’électricité du gouvernement fédéral, l’Alberta en tête. La première ministre Danielle Smith est même allée jusqu’à mentionner son opposition au cadre réglementaire dans les derniers mots de son discours de victoire électorale.
Or il s’agit d’une chance pour le pays entier, et les provinces réfractaires sont souvent celles qui auraient le plus à gagner de ce nouvel investissement. L’Alberta a déjà empoché près de quatre milliards d’investissements en énergies renouvelables du secteur privé. Pendant ce temps, le Canada atlantique attire des propositions d’hydrogène propre venant de tous bords, tous côtés, voguant principalement sur des perspectives d’énergie éolienne en mer abondante.
L’électricité propre est peu coûteuse. L’Alberta et l’Ontario produisent maintenant de l’électricité éolienne à des coûts inférieurs à la production au gaz naturel. Toujours en Alberta, le solaire est déjà moins coûteux que le gaz, et l’écart devrait atteindre 16 % d’ici la fin de la décennie. Qui plus est, contrairement à la croyance populaire, de nombreux moyens permettent de compenser la variabilité des énergies renouvelables.
Bien que l’électricité propre en soit souvent la forme la moins coûteuse, des investissements seront nécessaires pour sevrer le réseau des combustibles fossiles. En guise de complément au nouveau cadre réglementaire, le gouvernement fédéral propose des mesures d’aide aux provinces et aux services publics, y compris un nouveau crédit d’impôt à l’investissement qui couvre entre 15 et 30 % des coûts d’investissements des projets d’électricité propre. Il met également à leur disposition de nouvelles sources de financement comme la Banque de l’infrastructure du Canada et de l’aide pour les nouveaux projets de production, de transport et de stockage d’électricité propre, notamment celui de la boucle de l’Atlantique.
C’est maintenant au tour des provinces de prendre l’initiative. Elles doivent décider si elles travaillent de concert pour rendre le Canada plus compétitif en effectuant les investissements et les modernisations nécessaires ou si elles s’opposent au courant mondial et dilapident la carte maîtresse du pays.
Construire une infrastructure d’électricité propre pour alimenter la prospérité du 21e siècle exigera beaucoup d’efforts. La question n’est pas de savoir si le Canada a le luxe de le faire, mais plutôt s’il a celui de rester les bras croisés.