Le monde se tourne vers un avenir sobre en carbone, peu importe le parti au pouvoir à Edmonton ou à Ottawa. Les tendances sur les marchés internationaux – de plus en plus attentifs à la carboneutralité et au climat – sont indéniables; les ignorer ou souhaiter qu’elles disparaissent n’y changera rien.
Le moment est plutôt venu pour l’Alberta de prendre le taureau par les cornes, sans quoi elle continuera d’appliquer un modèle économique dépassé tandis que le reste du monde ira de l’avant.
Oui, les entreprises albertaines ont déjà commencé à poser des actions compatibles avec leurs propres objectifs de carboneutralité, car elles anticipent (à juste titre) le resserrement des politiques climatiques canadiennes. Elles reconnaissent que les consommateurs, les investisseurs et les assureurs accordent de plus en plus de valeur à la performance climatique. Le secteur gazier et pétrolier de l’Alberta était d’ailleurs parmi les premiers à produire des rapports sur les émissions et d’autres critères de durabilité.
Si cet effort est louable, il ne suffira pas pour assurer la prospérité de l’Alberta.
À quoi ressemble un monde sur la voie de la décarbonisation? Au cours des prochaines décennies, la consommation mondiale de combustibles fossiles diminuera, au fur et à mesure que les sources d’énergie propre deviendront plus économiques. Sur ce marché mondial du pétrole en décroissance, il sera plus difficile pour les produits relativement coûteux de l’Alberta de rivaliser avec le pétrole à faible coût d’autres pays.
Qu’importe à quel point la production de combustibles fossiles se rapprochera de la carboneutralité, leur consommation demeurera une source d’émissions. Compte tenu des règles comptables mondiales, il est peu probable que les entreprises albertaines soient tenues responsables des émissions en aval, mais leur clientèle, elle, le sera en raison des nouvelles politiques. Au fil de la diminution du prix des technologies, elle privilégiera les véhicules électriques plutôt que ceux à combustion interne, l’hydrogène plutôt que le diesel, et les fours électriques à arc plutôt que le charbon métallurgique.
Cela signifie que dans l’avenir, on observera probablement une baisse de la demande de pétrole et de gaz albertains.
Oui, il reste de l’incertitude quant à la rapidité et au rythme de la transition. Eh oui, l’Alberta doit continuer de répondre à la demande mondiale tant qu’elle subsiste. Mais le fait d’ignorer les changements soudains et marqués possibles sur les marchés mondiaux pourrait forcer le Canada à délaisser de coûteux actifs à long terme, puisque ces derniers ne cadreront plus avec l’économie de l’avenir.
Cependant, les risques engendrent aussi des possibilités. Le bouleversement des marchés mondiaux est un terreau fertile pour la création d’innovations albertaines susceptibles d’être exportées. Les entreprises et innovateurs de la province sont en bonne position pour tirer parti de leurs avantages concurrentiels et saisir de belles occasions, notamment dans les secteurs de l’hydrogène, de la fibre de carbone et des protéines végétales.
Dans ce cas, comment l’Alberta peut-elle se préparer pour l’économie mondiale de l’avenir? Comment peut-elle créer de nouvelles sources de croissance diversifiées pour contrer les risques? Voici trois suggestions pour les décideurs et les acteurs d’influence.
Premièrement, l’Alberta doit chercher à asseoir les politiques climatiques locales en se dotant de son propre plan exhaustif. La volonté d’adopter de strictes politiques climatiques provinciales à long terme – voire même une tarification du carbone dans l’ensemble de l’économie – peut aider les entreprises à se préparer à la transition tout en créant de la demande pour les moteurs de croissance de demain. La hausse du prix du carbone est un puissant incitatif au développement de toutes les facettes de la carboneutralité.
Deuxièmement, l’Alberta doit aider les marchés à mettre leurs forces à profit en participant activement au débat grandissant sur la divulgation des risques. Une meilleure mesure des risques liés à la transition pour les entreprises albertaines fera en sorte que des capitaux seront injectés dans les sociétés, les projets et les investissements les plus susceptibles d’être concurrentiels dans un monde sobre en carbone. Avec des indicateurs permettant une comparaison juste de la performance des entreprises, les marchés des capitaux mondiaux n’appliqueront pas systématiquement une approche générale pour définir les risques en fonction du secteur des entreprises ou de leurs produits; ils tiendront plutôt compte de leur véritable potentiel de prospérité.
Troisièmement, les gouvernements provincial et fédéral doivent accorder autant, voire plus d’importance à la protection de la capacité concurrentielle future qu’à celle de la compétitivité actuelle. Les technologies de captation, d’utilisation et de stockage du carbone (CUSC) font partie du portefeuille carboneutre du Canada, mais un financement général visant à réduire les émissions des secteurs touchés par une baisse de la demande mondiale n’entraînera pas nécessairement un rendement à long terme par des redevances, des impôts et des emplois. Les gouvernements doivent plutôt trouver des façons d’aider les entreprises à se repositionner pour assurer leur réussite, et d’appuyer de nouvelles entreprises dans des secteurs qui connaîtront une augmentation de la demande mondiale.
Cela ne veut pas dire qu’il faut abandonner les entreprises à forte intensité de carbone; il faut plutôt les aider à s’adapter en prévision d’un avenir propre et prospère. Par exemple, les gouvernements pourraient accorder du financement visant précisément la captation du carbone pour encourager la production d’hydrogène bleu ou éliminer le carbone dans le but de stimuler les investissements privés et de trouver de nouvelles sources de croissance sobres en carbone.
Devant cette profonde transformation des marchés mondiaux, les entreprises albertaines ainsi que les administrations d’Edmonton et d’Ottawa doivent voir autant les risques que les débouchés. Et personne ne doit faire l’autruche.
Le monde change; il nous faut maintenant suivre le mouvement.
Initialement publié par Macleans.