Initiallement publié dans le Toronto Star
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’Organisation des Nations Unies ne publie pas très souvent de nouveau rapport, mais lorsqu’il le fait, ses méthodes rigoureuses et sa science d’avant-garde – fruit du travail de milliers de spécialistes du monde entier – font invariablement avancer la réflexion autour des changements climatiques. Le rapport que le GIEC a publié ne fait pas exception. Son message est clair : réduire les émissions de gaz à effet de serre ne suffira pas à empêcher les changements climatiques de toucher nos vies et nos moyens de subsistance. Autour du globe comme chez nous, il nous faut d’urgence adapter d’importants éléments de nos vies, notamment la construction et l’emplacement de nos villes, et notre agriculture.
Les nouveaux chiffres mis en évidence dans le rapport confirment qu’il y a déjà une solide inertie climatique, laquelle demeurera même si nous réduisons les émissions rapidement. Il n’est pas encore trop tard pour prendre un virage et limiter le réchauffement à 2 °C, mais cela n’empêchera pas les émissions déjà présentes dans l’atmosphère de faire augmenter les températures au moins jusqu’au milieu du siècle. Pendant encore au moins une centaine d’années, le niveau des mers va s’élever et le pergélisol continuer son dégel.
Le rapport présente une synthèse des meilleures données probantes sur le réchauffement à long terme des températures continentales, sur les changements dans les régimes des précipitations, et sur la fréquence et l’intensité des canicules extrêmes. Conclusion : les changements climatiques touchent déjà chaque être humain sur la planète – des peuples autochtones des régions arctiques aux citadins d’Australie – et ce n’est qu’un début. Pour donner un exemple plus près de nous, une nouvelle étude indique que la probabilité que la Colombie-Britannique soit touchée par une inondation catastrophique comme celle qui y a sévi l’an dernier est désormais plus que doublée par les changements climatiques.
Ce n’est pas la sombre menace d’un avenir lointain. C’est maintenant que ça se passe, et c’est particulièrement vrai au Canada, qui se réchauffe plus vite qu’une bonne partie du monde : sa température moyenne a augmenté de 1,7 degré depuis 1948. Inondations, feux de forêt, vagues de chaleur… Trop de gens au Canada subissent déjà, aux premières loges, la destruction qu’engendrent des catastrophes aggravées par les changements climatiques.
Il nous faut nous adapter, et nous préparer.
S’adapter aux changements climatiques ne laisse pas de place aux politiques de l’autruche : tout le monde doit réduire ses émissions. Les études indiquent clairement que des mesures décisives pour la carboneutralité d’ici 2050 allégeront les dommages futurs. Il est essentiel que le Canada réitère ses engagements de réduction des émissions en présentant, le mois prochain, un plan de réduction des émissions d’ici 2030 qui soit crédible et faisable.
Cela dit, nous ne pouvons plus construire comme avant. Sans adaptation des bâtiments, les inondations coûteront des milliards de dollars en pertes annuelles au Canada d’ici 2050, même avec une diminution importante des émissions de gaz à effet de serre. Les villes devront se doter de mécanismes d’assurance facilitant le remplacement des biens perdus, sous peine de voir compromis leurs services publics. En choisissant avec discernement les méthodes de construction et l’emplacement des nouvelles infrastructures, on protégera la population et ses moyens de subsistance.
Au Canada, il est urgent d’intensifier cette réflexion. Les stratégies nationales, provinciales et territoriales d’adaptation au climat sont actuellement dépourvues de plans d’action détaillés, et ne prévoient ni soutien ni financement suffisants pour que les collectivités puissent s’adapter au risque climatique. La Stratégie nationale d’adaptation, qui expose une vision de la résilience climatique du Canada, doit être finalisée à l’automne 2022; elle est censée venir combler cette lacune.
S’adapter est particulièrement important pour protéger les populations les plus vulnérables, car les changements climatiques ne touchent pas uniformément l’ensemble du Canada et du monde : c’est un amplificateur des inégalités sociales. En premier lieu, il y a les répercussions économiques directes et bien connues de catastrophes comme les inondations; les moins nantis sont les plus durement touchés. En second lieu viennent les conséquences indirectes des changements climatiques, comme l’augmentation du prix des aliments, qui imposent un plus lourd tribut aux gens à faible revenu. Exemple récent : les aînés étaient surreprésentés parmi les décès attribuables à la vague de chaleur sans précédent qui a frappé la Colombie-Britannique l’été dernier.
Dans son rapport, le GIEC souligne que populations et organisations agissent selon leur perception des risques plutôt que selon l’évaluation qu’en font les experts. La population canadienne et tous les ordres de gouvernement doivent à présent faire l’un et l’autre : écouter les experts du GIEC et porter attention à ce qui se passe autour d’eux, notamment aux incendies et aux inondations de cette année, pour planifier dès maintenant les choses en conséquence.