Texte publié à l’origine par The Globe and Mail.
Lorsque le secteur privé, les environnementalistes et les gouvernements s’accordent sur une politique climatique, c’est qu’elle mérite notre attention. C’est le cas d’une proposition dans le tout nouveau Plan de réduction des émissions du Canada : les contrats carbone sur la différence.
En gros, ces contrats visent à éliminer l’incertitude entourant la tarification future du carbone. En effet, même si le gouvernement annonce un tarif de 170 $ par tonne de carbone en 2030 – ce qui devrait favoriser les investissements dans les technologies sobres –, les entreprises courent le risque que les politiques changent et que l’augmentation soit moindre que prévu.
Pour tenir le rythme de la transition de l’économie mondiale, le Canada doit investir sans tarder dans les technologies sobres en carbone. Or, l’incertitude peut être fatale à l’ambition. C’est ici qu’interviennent les contrats carbone sur la différence, pour neutraliser le risque associé aux politiques : un gouvernement signataire est tenu de respecter la tarification annoncée, ou de verser la différence au secteur privé s’il en déroge.
D’autres pays du monde l’ont déjà compris. En mai, l’Allemagne a instauré une politique similaire, lançant un appel de projets aux intéressés par de tels contrats, et aux Pays-Bas, ces ententes commencent à être déployées pour stimuler la croissance du secteur de l’hydrogène.
Pourquoi donc cette approche est-elle si aimée du secteur privé, des environnementalistes et des gouvernements, au Canada comme ailleurs?
D’abord, elle offre un avantage des plus précieux au secteur privé : la certitude quant aux politiques. La tarification du carbone pousse les entreprises à trouver des façons novatrices et peu coûteuses de réduire leurs émissions et de fabriquer des produits sobres en carbone. Mais l’immuabilité de cette tarification est essentielle à la réalisation de grands projets pour réduire les émissions à long terme, peu importe que ces projets concernent l’électricité renouvelable, l’hydrogène, ou la captation, l’utilisation et le stockage du carbone (CUSC).
La possibilité que le gouvernement change ses plans augmente le facteur de risque des investissements et complexifie l’obtention de capital. Les entreprises savent gérer le risque du marché, mais quand les gouvernements sont prêts à assumer le risque lié aux politiques – en signant des contrats carbone sur la différence ou en accordant des prêts conditionnels aux politiques futures –, les projets et les investissements favorables à la carboneutralité deviennent plus faciles à financer.
Ensuite, les environnementalistes aiment cette approche parce qu’elle augmente l’efficacité de la tarification du carbone à réduire les émissions. L’incertitude entourant les politiques est l’ennemie du régime de tarification. En effet, bien que les gouvernements affirment qu’il en coûtera 170 $ par tonne de carbone en 2030, les entreprises agissent comme si ce ne sera pas réellement le cas et n’investissent donc pas dans des mesures. Mais si l’État élimine le risque de la fluctuation du prix du carbone, les entreprises gagneront en assurance pour investir dans des projets sobres et rentables qui ont le potentiel de réduire les émissions rapidement et au maximum.
Enfin, les gouvernements – et plus précisément les contribuables qui les élisent – bénéficient aussi de cette approche stratégique, moins coûteuse que les autres options.
De nombreuses subventions sont dispendieuses et inefficaces, comme les crédits d’impôt récemment annoncés pour la CUSC. Elles vont parfois à des projets qui se seraient concrétisés avec ou sans contribution gouvernementale. Il arrive même que des entreprises retardent des projets de sobriété en carbone économiquement viables dans l’espoir que leur lobbyisme porte ses fruits et aboutisse en subvention. Et l’État ne peut créer de crédit d’impôt ou de subvention visant des technologies et projets précis sans se lancer dans des hypothèses quant à ceux qui seraient les meilleurs pour atteindre la carboneutralité.
Mais avec les contrats sur la différence, c’est le secteur privé qui fait le gros du travail; le gouvernement ne fait qu’assumer le risque lié à la tarification future du carbone. Et si les tarifs atteignent réellement 170 $ par tonne, le coût pour les contribuables pourrait bien être nul. En s’engageant simplement à respecter ses promesses, le gouvernement n’assume aucun risque qu’il ne contrôle pas.
Ainsi, il s’agit d’un risque à faible coût pour le gouvernement, mais qui rapporte gros aux entreprises. S’ils sont bien exécutés, ces contrats permettront d’intégrer profondément la tarification du carbone au système financier canadien – libérant ainsi la pleine créativité de ce dernier au service de la carboneutralité.
Les investissements ne doivent pas tarder si le Canada veut prospérer dans un monde en pleine décarbonisation, et l’incertitude quant aux politiques pourrait être le dernier obstacle à l’ouverture des vannes. Cibler directement cette barrière plutôt que d’essayer de stimuler l’investissement à grands coups de subventions émoussées : voilà ce qui engendrerait davantage de réductions d’émissions et d’investissements privés à moindre coût pour les contribuables.
Pas étonnant que tout le monde s’accorde.