Le Canada a besoin d’une approche pangouvernementale en matière de changements climatiques. Mais comment y arriver?

Le Canada a besoin d’une approche pangouvernementale mobilisant tous les secteurs de la société.

Les répercussions climatiques et l’accélération de la lutte mondiale contre les changements climatiques sont une menace pour la prospérité d’aujourd’hui et de demain au Canada. Pensons aux feux incontrôlés dévastateurs et aux inondations catastrophiques en Colombie-Britannique cette année et à la transformation en profondeur des marchés financiers mondiaux entraînée par l’objectif de carboneutralité d’ici 2050 que se sont fixés des pays représentant plus de 90 % du PIB mondial. Pour atteindre ses cibles de réduction des émissions et accélérer la transition vers un avenir carboneutre florissant, le Canada a besoin d’une approche pangouvernementale capable de mobiliser tous les secteurs de la société.

Une telle approche demande un travail transversal entre les ministères et organismes afin de mettre en œuvre une intervention coordonnée pour faire face aux enjeux ou aux défis complexes. Bien entendu, faire bouger rapidement l’entièreté de l’appareil étatique pour contrer une menace est plus facile à dire qu’à faire. Voici donc quelques points importants et recommandations visant à orienter l’instauration de mesures de lutte pangouvernementale contre les changements climatiques au fédéral.

Pourquoi une approche pangouvernementale?

Les politiques climatiques, qui relevaient depuis longtemps d’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), sont maintenant de plus en plus, et de manière nécessaire, du ressort de différents ministères – l’agriculture, les transports, les ressources naturelles, en passant par l’innovation, les relations Couronne-Autochtone et les infrastructures.

Or si le programme climatique du gouvernement intègre de plus en plus de ministères, ces derniers continuent pour la plupart de travailler en vase clos. Résultat : des politiques inefficaces et parfois contradictoires entre les ministères, voire dans un même ministère. Les ministères et les organismes ont besoin d’une orientation mieux définie et d’un soutien accru pour concourir à l’atteinte d’objectifs climatiques communs.

En d’autres mots, ils ont besoin d’une approche pangouvernementale en matière de changements climatiques.

Un combat qui ne date pas d’hier

L’approche pangouvernementale n’est pas une nouveauté. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Canada a formé des comités et des cabinets de guerre responsables des interventions d’urgence continues et coordonnées au gouvernement, qui ont réussi à rallier l’entièreté de la société et de l’économie à un nouvel objectif. Et plus récemment, les gouvernements d’ici et d’ailleurs ont appliqué une telle approche à la crise climatique.

Pendant le mandat de Gordon Campbell comme premier ministre de la Colombie-Britannique (2001 à 2011), le Secrétariat de l’action climatique, une structure pangouvernementale, a permis à la province d’adopter des cibles et des politiques plus ambitieuses, même si son influence s’est amenuisée avec les gouvernements subséquents. Depuis 2019, le Royaume-Uni fait de plus en plus de place aux structures et processus pangouvernementaux, comme ses deux nouveaux comités du Cabinet sur le climat – l’un sur la stratégie en matière d’action climatique et l’autre sur la mise en œuvre de l’action climatique. Aux États-Unis, l’administration Biden entend utiliser de telles approches pour favoriser une action intergouvernementale. Le président a appliqué des décrets instaurant des changements aux procédures comme celui sur la crise climatique au pays et à l’étranger, et a créé des structures, notamment le nouveau groupe de travail national sur le climat.

Au Canada, le gouvernement fédéral a déjà mis en place quelques structures pangouvernementales pour promouvoir les politiques climatiques, dont un comité du Cabinet chargé de l’économie et de l’environnement et un secrétariat sur les changements climatiques au sein du Bureau du Conseil privé. Il a aussi mis en place des organismes consultatifs indépendants et externes qui apportent une expertise sur les politiques climatiques à toutes les branches du gouvernement, comme notre Institut, l’Institut canadien climatique du Canada, et plus récemment, le Groupe consultatif pour la carboneutralité.

Le gouvernement fédéral a également mis en œuvre des changements de processus, y compris l’utilisation de lettres de mandat pour indiquer les priorités et les attentes en matière de climat dans l’ensemble des ministères, ainsi que l’annonce de ses intentions d’appliquer un objectif climatique à la prise de décision du gouvernement. Plus récemment, la décision de Justin Trudeau de mettre l’ancien ministre de l’Environnement Jonathan Wilkinson à la tête de Ressources naturelles Canada (RNCan) envoie le signal clair que l’expérience en matière de climat n’est pas pertinente qu’au ministère de l’Environnement.

Ce qu’il nous faut maintenant

Si le gouvernement fédéral ne part pas de zéro, il va sans dire qu’il faut en faire davantage pour intégrer les questions climatiques aux décisions gouvernementales. Plusieurs discussions avant la cérémonie d’assermentation du nouveau cabinet fédéral portaient justement sur ce sujet, y compris la possible fusion d’ECCC et de RNCan en un super ministère du climat, ou la réattribution des dossiers liés au climat à ECCC. Mais aucune de ces idées ne s’est concrétisée.

De plus, comme nous l’avons mentionné, les politiques climatiques concernent de nombreux ministères. Ainsi, la fusion de deux ministères ou le transfert de l’ensemble des responsabilités à un seul ne s’inscrirait pas dans une approche pangouvernementale. Alors, que pourrait faire le gouvernement fédéral pour créer des responsabilités véritablement communes à tous les mandats au sein de l’État?

Le gouvernement fédéral – plus précisément, le Cabinet du Premier ministre – pourrait former un comité du Cabinet entièrement consacré aux enjeux climatiques. Il pourrait créer de petits groupes de travail et comités de réflexion au sein des divers ministères sur des enjeux ou secteurs spécifiques, comme la croissance propre. Il pourrait donner plus de ressources et de latitude au secrétariat sur les changements climatiques du Bureau du Conseil privé pour lui donner davantage de pouvoir et de capacité, afin d’intégrer les décisions sur les changements climatiques avec une approche descendante. Et il pourrait œuvrer à l’application d’une optique climatique – qui intégrerait des questions d’adaptation climatique et d’atténuation des changements climatiques à l’ensemble des décisions gouvernementales – et l’étendre aux objectifs de croissance propre.

Or l’expérience ici et à l’étranger nous montre qu’en pratique, la mise en œuvre d’une approche pangouvernementale ne se fait pas en criant ciseau. Les détails comptent – et pas qu’un peu. Voici des mesures qui favoriseraient notre réussite :

  1. Le succès repose d’abord et avant tout sur un leadership exécutif continu, qui fixe des priorités ministérielles et encourage la coordination entre les ministères. Il revient au premier ministre de créer des structures et processus pangouvernementaux et de donner l’exemple.
  2. Deuxièmement, si le leadership exécutif a son importance, les approches pangouvernementales nécessitent également l’adhésion des personnes de tous les niveaux (du côté politique comme de la fonction publique) pour une mise en œuvre dans l’ensemble des ministères. Donner des postes clés à des personnes très impliquées en matière de climat est une façon de s’assurer que les priorités cruciales se frayent un chemin jusqu’aux décisions gouvernementales.
  3. Troisièmement, les structures et processus pangouvernementaux doivent se voir confier les ressources et responsabilités suffisantes. Sans financement ou mandats adéquats, ces approches ne parviendront pas à provoquer de changement.
  4. Quatrièmement, la transparence et la responsabilisation ont la même importance, car elles permettent au public de savoir si le gouvernement remplit son engagement de prioriser le climat dans l’ensemble des ministères. Si l’entière transparence des activités gouvernementales est peu probable (et peu réaliste), les organismes consultatifs externes peuvent favoriser la responsabilisation en produisant régulièrement des rapports sur les progrès et en fournissant des recommandations interministérielles accessibles au public.

Pour arriver à une approche pangouvernementale, le seul fait d’ajouter le climat à la liste des tâches de chaque ministère ne suffit pas. Il existe un risque véritable que sans un leadership suffisant, des mandats clairs, une coordination accrue, des ressources adéquates et une meilleure responsabilisation, une approche pangouvernementale engendre plutôt des politiques climatiques inefficaces.

Et comme la conférence climatique de Glasgow (COP26) l’a montré, les gouvernements doivent passer rapidement de la parole aux actes. Ce qu’il faut retenir : la mise en œuvre de politiques à l’échelle et à la vitesse nécessaires pour que le Canada remplisse ses engagements nécessite une meilleure collaboration et coordination de l’ensemble de ses ministères, avec une vision claire du gouvernement. Sans les bases solides d’une réelle approche pangouvernementale, les ambitions climatiques du Canada risquent d’être déçues.

Pour en apprendre davantage sur les possibilités qui s’offrent au Canada pour mettre en place une approche pangouvernementale en matière de changements climatiques, lisez notre nouvelle étude de cas : Le tout est plus grand que la somme de ses parties.