En mars 2022, le gouvernement fédéral a publié son Plan de réduction des émissions pour 2030. C’est là l’un des premiers grands jalons de la Loi sur la responsabilité en matière de carboneutralité, laquelle établit un cadre de responsabilisation climatique pour le Canada.
Le prochain jalon prévu par la Loi approche à grands pas: le gouvernement fédéral doit produire un rapport d’étape pour le Plan d’ici la fin de l’année. Nous publierons notre propre évaluation indépendante du progrès du pays quant à ses cibles pour 2030, comme nous l’avons fait après la publication du Plan.
Bien que la Loi posedes exigences générales au gouvernement sur ce qu’il doit inclure dans son Plan de réduction des émissions et son rapport d’étape, elle laisse beaucoup de place à l’interprétation. Par exemple, selon l’interprétation de juristes, la Loi veut que le gouvernement donne davantage de précisions sur la mise en œuvre des politiques que ce qui a été fourni dans le premier Plan de réduction des émissions.
Ultimement, le degré dans lequel le rapport d’étape du Plan entre dans le détail sera essentiel à la transparence, à la reddition de comptes au public et au suivi des progrès. Plus le rapport donnera d’indications sur l’application des politiques et sur leurs résultats, mieux le gouvernement sera outillé pour déceler si ses politiques s’écartent des objectifs pour 2030 et pour ajuster le tir au besoin.
Ce degré de précision sera important si le Canada veut réaliser ses ambitions de réduction des émissions. Dans cet article, nous définissons quatre éléments qui font l’efficacité d’un rapport d’étape.
1. Des mises à jour sur l’application de politiques détaillées et exhaustives
Selon la Loi, le gouvernement fédéral doit faire le point sur l’application des politiques mentionnées dans le Plan de réduction des émissions. Pour que l’exercice soit efficace, ce point d’information doit être détaillé et complet.
À notre avis, conforme à celui de juristes, le rapport d’étape doit comprendre un examen exhaustif des politiques et des mesures soulignées dans le Plan de réduction des émissions de mars 2022 ainsi que de toutes politiques instaurées dans les 18 mois suivants. Cet examen devrait résumer l’avancement des mesures tout au long du processus de mise en œuvre des politiques, cibler où cette application s’écarte des objectifs et où elle est sur la bonne voie, et clarifier ce que devra faire le gouvernement pour honorer ses engagements stratégiques.
Cet examen exhaustif devrait se pencher sur l’état actuel des politiques – légiférées ou encore en cours. Il devrait vérifier si la mise en œuvre est retardée et, si oui, établir pourquoi. Il devrait aussi étayer les risques principaux dans l’application de chaque politique – qu’elle soit de nature stratégique, technique, financière ou réglementaire – et les plans du gouvernement pour atténuer ces risques.
Il faudrait surtout que l’examen des politiques se fonde sur les tableaux de mise en œuvre du Plan de réduction des émissions en comprenant les échéances, les coûts et les ministères responsables pour toutes les politiques, pas seulement quelques-unes. En effet, le Plan ne donne pas ou presque pas d’information sur de nombreuses politiques, ce qui rend le suivi des progrès presque impossible. C’est notamment le cas dans l’industrie pétrogazière et le milieu du bâtiment, deux secteurs où les progrès sont particulièrement lents quant à l’instauration des politiques et à la réduction d’émissions.
Finalement, le gouvernement doit aussi faire le point sur les mesures coopératives avec les provinces et autres paliers de gouvernement, en reconnaissance du fait que les divers gouvernements au Canada ont tous un rôle important à jouer dans la réduction des émissions.
2. Des prévisions d’émissions basées sur des politiques concrètes et séparées par année et par secteur
La Loi demande aussi au gouvernement fédéral de publier ses prévisions des émissions pour 2026 et ses cibles pour 2030, pour ainsi faire l’estimation des réductions attendues grâce à ses politiques ainsi qu’aux mesures des autres paliers de gouvernement avant de publier sa révision du Plan de réduction des émissions. La façon dont ces prévisions seront modélisées et présentées sera importante pour la transparence et la responsabilisation.
D’abord et avant tout, les prévisions devraient être basées sur les politiques légiférées ou en cours d’élaboration dont on connaît au moins quelque peu le degré de rigueur, les échéances et la portée. Dans le Plan, le gouvernement a extrapolé l’évolution des émissions entre l’établissement de son train de politiques et l’objectif pour 2030 en « partant à rebours » de 2030 (son modèle cible les moyens les plus rentables et efficaces par secteurs pour combler la différence dans les émissions). Bien que cette approche puisse donner une idée du rôle des différents secteurs à l’horizon 2030, elle ne remplace pas une trajectoire d’émissions crédible fondée sur des politiques concrètes. En suggérant par une extrapolation rétrospective que le Canada est sur la bonne voie vers 2030, on ignore le besoin réel de mise en œuvre de politiques concrètes pour atteindre la cible.
Ensuite, pour faire écho à l’approche du Plan de réduction des émissions, le rapport d’étape devrait séparer les émissions selon les années et les secteurs à partir de 2022. Ces renseignements par secteurs clarifieront la contribution de ces derniers aux cibles de réduction des émissions du Canada, en plus de révéler lesquels font le plus de progrès et lesquels nécessitent davantage d’encadrement.
Pour finir, si les prévisions d’émissions indiquent que les politiques actuelles ne permettront pas d’atteindre les cibles de réduction pour 2026 et pour 2030, le gouvernement doit préciser comment il compte se réajuster, notamment toute mesure supplémentaire qu’il pourra prendre pour y arriver. Le rapport devrait recenser les possibilités pour combler les lacunes pour 2026 et 2030, soit en proposant de nouvelles politiques soit en ciblant les politiques actuelles pouvant être renforcées ou ajustées pour en améliorer l’efficacité et la rentabilité.
3. Un rapport d’étape offrant des hypothèses de modélisation claires et transparentes
Selon la Loi, le rapport d’étape du Plan de réduction des émissions peut comprendre « tout autre renseignement que le ministre juge approprié ». Pour que les hypothèses qui sous-tendent les prévisions de réduction des émissions soient claires et transparentes, le gouvernement doit inclure dans le rapport des informations sur sa modélisation et ses analyses.
Autrement dit, les prévisions modélisées sont plus utiles lorsque les hypothèses qui se cachent derrière sont évidentes.
Le rapport d’étape pourrait comprendre une section sur la modélisation présentant les niveaux d’activité présumés des différents secteurs, la rigueur et la portée des politiques en cours de modélisation (y compris les mesures provinciales et territoriales), et des hypothèses sur les coûts et le déploiement des technologies risquées. Le rapport pourrait aussi montrer comment la trajectoire d’émissions est soumise à des « tests de robustesse » par rapport aux autres trajectoires possibles vers 2030. Ainsi, on verrait se diversifier les grands facteurs d’incertitude (ex. : risque de la mise en œuvre des politiques, prix de l’énergie, avancement de lutte contre les changements climatiques à l’échelle mondiale, coûts et faisabilité des technologies), ce qui montrerait bien qu’il n’existe pas une seule façon d’atteindre la cible canadienne.
La section sur la modélisation pourrait aussi rapporter les conclusions d’analyses indépendantes pour confirmer les résultats et souligner leurs similitudes et leurs différences. On pourrait ainsi mieux cerner les risques et les priorités pour les interventions politiques et la correction de la trajectoire. Un tel exercice servirait aussi à démontrer la crédibilité et la robustesse de la modélisation que fait Environnement et Changement climatique Canada des politiques et de leurs résultats sur le plan de la réduction des émissions.
4. Un gouvernement toujours à l’affût d’occasions d’améliorer son suivi des progrès du pays
La Loi et les processus de gouvernance qu’elle a instaurés existent depuis seulement deux ans. Naturellement, cela signifie que le gouvernement est encore en train d’apprendre par la pratique et qu’il adaptera ses processus au fil du temps pour mieux suivre et rapporter l’avancement des choses.
Le rapport d’étape à venir est l’occasion pour le gouvernement d’indiquer les processus qu’il prévoit améliorer pour faire le suivi et le signalement des progrès. Il pourrait s’y prendre de diverses façons, mais quoi qu’il fasse, c’est l’occasion parfaite de jeter les bases d’un ensemble d’indicateurs plus complets que les données annuelles sur les émissions.
L’élaboration et le suivi d’un ensemble complet d’indicateurs précurseurs de progrès – y compris le déploiement de technologies et l’investissement dans celles-ci – viendraient accélérer les bilans, la prise de décision et la correction de la trajectoire. Plusieurs groupes revendiquent une telle mesure, qui sera bientôt exigée par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques à compter du premier rapport biennal sur la transparence de l’année prochaine, que le Canada doit soumettre avant le 31 décembre 2024.
Ces indicateurs pourraient être inclus dans les annexes des prochains rapports d’étape, mais devraient également être surveillés plus souvent – que ce soit au sein du gouvernement ou ailleurs. C’est ce que font d’autres États, notamment le Royaume-Uni et la France; le Canada pourrait apprendre de leur expérience et de leurs pratiques exemplaires.
Il n’y a pas de temps à perdre
La publication du Plan de réduction des émissions de 2030 était un moment charnière pour les mesures climatiques canadiennes. Il constitue le premier plan complet servant à atteindre les cibles de réduction des émissions du Canada et permet d’entamer un nouveau processus pour l’évaluation et l’amélioration continues des politiques.
Cependant, tout plan dépend de son exécution. Une mise en œuvre rapide et efficace des politiques énoncées dans le Plan, parallèlement aux mesures des autres paliers de gouvernement, est nécessaire pour maintenir le Canada sur la voie de ses cibles pour 2030. Comme il ne reste plus que sept ans avant 2030, les gouvernements devraient saisir toute occasion de faire un bilan et de réajuster le tir.
Le rapport d’étape du Plan de réduction des émissions sera une occasion d’évaluer de manière claire le progrès du pays à l’horizon 2030 et de s’ajuster si les émissions s’éloignent de la cible. Pour ce faire, le Canada doit se plier aux exigences de la Loi en produisant notamment des renseignements exhaustifs sur la mise en œuvre des politiques, la réduction des émissions et les analyses de modélisation, tout en recensant les occasions d’amélioration continue pour suivre l’avancement des politiques climatiques.