Les gouvernements du Canada comptent sur une croissance économique forte pour réduire le fardeau de la dette, qui s’est alourdi pendant la pandémie. Cette croissance dépend cependant de l’adaptation des entreprises du pays aux réalités du marché en évolution rapide.
À court terme, la relance économique du Canada paraît prometteuse vu la reprise des activités commerciales.
À plus long terme, toutefois, l’économie canadienne devra affronter des turbulences qui ne sont pas prises en compte dans les prévisions gouvernementales. Les problèmes en vue dépassent le ralentissement de la croissance de la population active et un faible gain en productivité. Parmi les oubliés des prévisions du redressement fiscal, impossible de passer outre la possibilité de catastrophes naturelles plus fréquentes et coûteuses, et les effets de l’énorme transformation économique mondiale découlant des mesures visant à parer aux pires répercussions des changements climatiques.
L’accélération de l’action climatique internationale, la sensibilisation des investisseurs aux risques du climat et le rythme soutenu du progrès technologique se combinent d’une manière qui modifiera les échanges commerciaux et perturbera les marchés. Le Canada a le choix : mener, suivre ou rester à la traîne.
Il est à présent certain que la demande mondiale de charbon, de pétrole et de voitures à essence sera beaucoup plus faible à l’avenir, peu importe la volatilité actuelle des prix. Plus de 60 pays (et ce nombre croît encore) ont annoncé qu’ils visaient la carboneutralité d’ici le milieu du siècle. Ces pays représentent plus de 70 % du PIB mondial, plus de 70 % de la demande de pétrole mondiale et plus de 55 % de la demande de gaz naturel.
Même s’ils ne parviennent pas à atteindre leur cible, les mesures qu’ils prendront auront de profondes répercussions sur les marchés mondiaux. En outre, des répercussions encore plus importantes que celles dues aux politiques gouvernementales pourraient survenir lorsque le coût des technologies propres passera sous celui de leurs pendants polluants. C’est déjà le cas pour les énergies solaire et éolienne, et presque le cas pour les véhicules électriques. En effet, le coût en capital des projets à fortes émissions s’accroît en raison des décisions prises par les investisseurs et les assureurs pour réduire leurs risques climatiques.
Si le Canada peut profiter des nouveaux débouchés mondiaux offerts par ces transformations des marchés, il est cependant plus vulnérable à celles-ci que d’autres pays aux économies à intensité carbonique comparable. Près de 70 % des marchandises qu’il exporte proviennent de secteurs susceptibles d’être perturbés, secteurs qui emploient plus de 800 000 personnes au pays.
Il est impératif que les entreprises et les gouvernements du Canada prennent les choses en main et préparent l’économie et la main-d’œuvre nationales pour l’avenir. Toutes les entreprises, dans tous les secteurs, et tous les gouvernements doivent prendre part à ce travail sans précédent pour transformer l’économie canadienne et assurer la prospérité future. Il faut reconnaître que d’importants progrès ont récemment été faits en ce sens, mais ils sont loin d’être suffisants.
Lisa Raitt et Anne McLellan, anciennes ministres de cabinets conservateur et libéral, respectivement, et coprésidentes de la Coalition pour un avenir meilleur, nouveau collectif dirigé par des entreprises, ont réclamé « un plan ciblé pour renforcer la croissance économique, favoriser l’innovation, encourager l’investissement et accélérer la transition vers un avenir vert ». Leur demande est justifiée, et la préparation du Canada à la transition mondiale vers la sobriété en carbone devrait être au sommet des priorités.
Selon les conclusions d’un récent rapport de l’Institut climatique du Canada, les entreprises et gouvernements du Canada doivent agir sur quatre grands fronts.
Premièrement, la préparation de l’économie canadienne implique plus que la réduction des émissions. Il est bien sûr essentiel que les secteurs de l’industrie lourde (fer, acier, produits chimiques, ciment, etc.) réduisent leurs émissions, mais les secteurs qui connaîtront une baisse de la demande mondiale devront carrément changer de branche d’activité. À mesure que le marché mondial du charbon, du pétrole et du gaz rétrécira, seuls les fournisseurs aux coûts et aux émissions les plus faibles seront concurrentiels. De nombreuses sociétés pétrolières et gazières constateront que leur survie à long terme dépend de leur entrée sur des marchés en croissance, comme ceux de l’hydrogène propre, des biocarburants d’aviation et de l’énergie renouvelable.
Deuxièmement, le Canada a besoin de nouveaux secteurs et de nouvelles entreprises pour profiter davantage des aspects positifs de la transition. Par chance, il compte des centaines d’entreprises dans des marchés qui connaîtront une croissance importante à l’échelle mondiale. Le problème, c’est que beaucoup d’entre elles ont de la difficulté à attirer les investissements nécessaires pour étendre leurs activités, ou se font rafler par des acheteurs étrangers avant de se tailler une place au Canada.
Troisièmement, la réussite passera par une modification des flux de financement traditionnels. En dépit des risques imminents et des formidables possibilités, le financement de la transition s’avère jusqu’à présent limité. Les investisseurs sont découragés par l’incertitude entourant les politiques, les marchés et les technologies ainsi que par les coûts initiaux élevés et les longs délais de récupération. Il y a aussi trop peu d’information sur les marchés, ce qui rend difficile de distinguer les gagnants des perdants de la transition.
Enfin, les gouvernements devraient favoriser les investissements privés à grande échelle par des interventions politiques réfléchies, ciblées et efficaces. Les politiques climatiques telles que la tarification et la réglementation peuvent encourager la préparation à la transition et créer de la demande pour de nouveaux produits et de nouvelles technologies compatibles à la transformation des marchés. Les investissements publics peuvent réduire les risques pour les investisseurs et inciter ces derniers, l’industrie et les entrepreneurs à collaborer. Des règles plus claires quant aux rapports et aux produits financiers liés au climat peuvent contribuer à diriger les fonds aux bons endroits. Ces approches stratégiques doivent être communiquées en détail dès que possible pour réduire les incertitudes quant au milieu des affaires de l’avenir.
Le monde est en pleine métamorphose : à l’heure actuelle, une transition trop lente comporte plus de risques pour la compétitivité qu’une transition trop rapide. La prochaine génération compte sur nous pour bien faire les choses.
Don Drummond est économiste à l’Université Queen’s, chercheur en résidence à l’Institut C.D. Howe et membre du comité d’experts de l’Institut climatique du Canada. Rachel Samson est la directrice, Croissance propre de l’Institut climatique du Canada.
Initialement publié par The Globe And Mail.