Transmettre l’énergie de façon respectueuse : la participation et le leadership autochtones dans le transport d’électricité sont essentiels pour l’avenir énergétique du Canada

Les communautés autochtones dirigent des projets de transport d’électricité, raccordent de nouvelles régions au réseau et créent de nouvelles possibilités économiques durables.

Pour répondre à la demande croissante en électricité, le secteur de l’énergie propre canadien devra croître considérablement dans les prochaines années. Or, le Canada a une longue histoire de développement d’infrastructures énergétiques en territoires autochtones sans le consentement ni l’inclusion des communautés qui y résident. Malgré cet historique colonial d’exclusion, les communautés et les entreprises autochtones représentent collectivement, après la Couronne et les entreprises privées, les plus importantes propriétaires d’actifs en énergie propre au pays.

C’est dans ce contexte de leadership que, plus tôt ce mois-ci, l’Institut climatique du Canada et Indigenous Power Coalition ont tenu ensemble un webinaire mettant en lumière les projets autochtones de transport d’électricité au Canada. Les discussions mettaient l’accent sur les changements de politiques nécessaires pour renforcer la participation et le leadership autochtones. Le webinaire était animé par Frank Busch, accompagné des panélistes Margaret Kenequanash, Kahsennenhawe Sky-Deer, et Blaise Fontaine.

Cette conversation arrive à un moment critique pour l’avenir de l’énergie au Canada. Alors que les différents gouvernements au pays sont à la recherche de nouvelles possibilités économiques dans un climat commercial en pleine transformation, l’énergie propre s’avère plus que jamais nécessaire. Cependant, bien que cette transformation puisse représenter une superbe occasion pour les propriétaires autochtones, ceux-ci risquent de ne pas en profiter. Les panélistes ont expliqué pourquoi le leadership autochtone dans les projets de transport est essentiel à la transition énergétique.

Bien que le webinaire reflétât les points de vue des Premières Nations, les constats qui y ont été faits et le besoin de leadership autochtone s’appliquent aussi aux communautés inuites et métis.

Voici justement quelques constats qui ont émané de notre conversation :

Constat no 1 : Les peuples autochtones mènent des changements majeurs dans les projets de transport

De nombreuses communautés autochtones ne sont pas simplement consultées après le lancement de projets de transport, mais mènent plutôt ceux-ci, en établissant les conditions d’engagement et en sélectionnant elles-mêmes les partenaires de développement. Le projet Wataynikaneyap et le projet de ligne d’interconnexion Hertel-New York sont d’excellents exemples de cette transformation. Quand les communautés autochtones mènent des projets, ils sont plus robustes.

Les panélistes ont souligné que l’inclusion de visions du monde autochtones dans le développement des projets contribue à leur succès et que, quand des lignes de transport d’électricité traversent des territoires autochtones, il faut envisager des possibilités de copropriété et de leadership.

« Il y a un intérêt réel à ce que les communautés autochtones ne soient pas uniquement propriétaires de projets de transport, mais qu’elles mènent aussi ces projets », affirme Blaise Fontaine, cofondatrice de ProACTIVE Planning et de Indigenous Power Coalition.

Les promoteurs voient de plus en plus les communautés autochtones comme de véritables partenaires, et non comme un obstacle.

Constat no 2 : Les projets dirigés par des Autochtones qui impliquent plusieurs communautés nécessitent une collaboration intercommunautaire sincère et un mandat commun clair

Les projets de transport traversent souvent plusieurs territoires et communautés, ce qui en fait des défis complexes. Historiquement, comme l’a mentionné Blaise Fontaine, le colonialisme a divisé les peuples autochtones, mais les projets rencontrent le succès quand les communautés prennent le temps de nouer des liens, d’établir des principes directeurs et de s’entendre sur une vision et un mandat communs.

Le projet Wataynikaneyap illustre bien ce constat : 24 Premières Nations y sont impliquées comme partenaires égaux afin de raccorder 17 communautés éloignées ontariennes au réseau. Pendant cinq ans, les dirigeants communautaires se sont rencontrés afin de choisir des principes directeurs et de parler d’une seule voix. Margaret Kenequanash souligne que les communautés se doivent de comprendre dans quoi elles s’embarquent, puisque ce sont leurs territoires qui seront affectés.

Constat no 3 : Les systèmes et politiques réglementaires s’adaptent lentement, mais présentent toujours des obstacles

Les cadres réglementaires n’ont pas suivi l’émergence du leadership autochtone dans le transport d’énergie. Dans le cadre du projet Hertel-New York, l’Assemblée nationale du Québec a dû adopter le projet de loi no 13 pour permettre à Hydro-Québec et au Conseil mohawk de Kahnawà:ke d’être copropriétaires du projet. Kahsennenhawe Sky-Deer estime que, bien que cette loi représente une avancée, elle démontre aussi que le partenariat et la copropriété sont plutôt des exceptions que la norme. Hydro-Québec s’affaire présentement à l’élaboration d’un plan détaillé pour les partenariats avec les Autochtones, une initiative importante qui devrait devenir la norme. Les panélistes ont souligné que les gouvernements doivent sortir des sentiers battus afin d’éviter de devenir prisonniers du statu quo.

Le projet Wataynikaneyap a rencontré des obstacles semblables. Il aura fallu cinq ans de rencontres avec les gouvernements et la Commission de l’énergie de l’Ontario pour que le projet dirigé par des Autochtones soit enfin reconnu comme une priorité provinciale. Margaret Kenequanash a souligné que des politiques habilitantes sont nécessaires pour que les communautés puissent faire de leur vision de la propriété une réalité, grâce à des accords et partenariats s’inscrivant dans cette vision.

Constat no 4 : La préparation financière et les partenariats coopératifs ouvrent de nouvelles portes pour les capitaux autochtones

Les panélistes ont mis en avant l’accès croissant aux capitaux dans les projets de transport d’électricité, alors que les gouvernements et les institutions financières font tomber les obstacles aux capitaux autochtones. Les communautés autochtones utilisent le soutien des gouvernements provinciaux et fédéral, incluant d’importantes promesses de capitaux et des prêts, pour diminuer leurs risques et appuyer la propriété à long terme.

Les investisseurs institutionnels passent aussi à l’action, comme dans le cas du partenariat entre le Conseil mohawk de Kahnawà:ke et la Caisse de dépôt et placement du Québec, offrant des conseils financiers et stratégiques adaptés aux communautés autochtones qui envisagent des infrastructures d’énergies renouvelables au Québec.

Malgré la croissance de l’intérêt autochtone pour la propriété des projets de transport, l’ampleur des investissements dépendra de la tolérance au risque de chaque conseil et de chaque communauté. Cela reflète bien la vision du monde autochtone privilégiant la création d’un avenir durable sans handicaper la prochaine génération. 

Constat no 5 : Les partenariats présentent des avantages tangibles, pas seulement transactionnels

Les communautés autochtones doivent voir les retombées positives découlant de la propriété pour que les projets s’avèrent des succès. Les panélistes s’entendaient toutes pour dire que les avantages devaient être définis par la vision des communautés autochtones et guider les discussions avec les promoteurs, et que cette vision doit émaner d’un engagement réel à comprendre comment les communautés seront affectées sur leurs territoires. Il faut entre autres se demander à quoi devraient ressembler la formation et l’embauche afin de soutenir la croissance et la capacité de la communauté, et quels sont ses besoins et priorités spécifiques à long terme. Dans le cas du projet Hertel-New York, Hydro-Québec a bien compris les besoins des communautés, et a traduit leur vision en soutien réel : une contribution de 10 M$ au Centre d’art et de culture de Kahnawà:ke.

Constat no 6 : La vraie équité, c’est un pouvoir et un contrôle réels sur la prise de décisions, pas une simple question de pourcentages

La vraie équité est depuis longtemps un point de désaccord pour les communautés autochtones collaborant dans le cadre de projets d’infrastructures d’énergie renouvelable. Ces communautés ont pris part à plusieurs rondes de négociations avec les promoteurs pour s’attaquer aux injustices historiques. Bien qu’une part de la propriété soit offerte d’emblée plus souvent qu’autrefois, une vraie équité va plus loin que cela, et doit comprendre une influence sur la gouvernance du projet. Comme l’a souligné Blaise Fontaine, les communautés autochtones récupèrent leur pouvoir non seulement par la propriété, mais aussi en établissant leurs conditions en ce qui concerne les trajectoires des projets, la mobilisation et la mitigation des impacts environnementaux, de manière à s’accorder avec leur vision du monde basée sur l’équilibre et la protection du territoire.

Le leadership autochtone doit être au cœur de la transition énergétique du Canada

Le secteur des énergies propres canadien devra croître considérablement dans les prochaines années pour répondre à la demande énergétique toujours grandissante d’une économie en processus d’électrification. Le leadership autochtone doit être au cœur de cette transition énergétique.

Les politiques de transport d’énergie doivent évoluer pour répondre aux objectifs climatiques canadiens et bâtir des systèmes énergétiques équitables, en autorisant et en développant les projets de transport autochtones, encourageant ainsi une participation significative des communautés autochtones comme détentrices de droits, décideuses et copropriétaires.

Tout cela arrive à un moment clé pour le leadership autochtone, alors que le Canada cherche à tisser des liens entre l’est et l’ouest du pays en favorisant les échanges énergétiques interprovinciaux, au lieu de se concentrer uniquement sur l’axe nord-sud l’unissant aux États-Unis. Blaise Fontaine souligne d’ailleurs que ce changement de cap présente encore davantage d’opportunités pour les projets de transport autochtones.

Nous sommes reconnaissants envers le leadership autochtone d’autrefois et d’aujourd’hui, qui permet encore et toujours de faire avancer les projets énergétiques et de transport. Alors que la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation arrive à grands pas, nous vous invitons à réfléchir aux obstacles qui se dressent toujours devant nous, mais aussi aux belles possibilités que nous amènent la réconciliation et le processus d’électrification du Canada, si ceux-ci sont bien réalisés.

Vous pouvez visionner le webinaire dans son entièreté ici:

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