Initialement publié par The Globe and Mail
De 2021, comme beaucoup de Canadiens, je retiendrai notamment l’image des résidents de Lytton, en Colombie-Britannique, remplissant leurs voitures pour fuir leur village dévoré par les flammes. Pendant les trois terribles jours précédant le feu, cette petite communauté au bord du fleuve Fraser avait enregistré des températures records pour le Canada. Les scientifiques ont confirmé depuis que cette vague de chaleur aurait été « pratiquement impossible » sans les changements climatiques.
Des cyclones en Indonésie aux inondations mortelles en Allemagne, en passant par des ouragans dévastateurs aux États-Unis et des dômes de chaleur et rivières atmosphériques en Colombie-Britannique, la pollution par le carbone et les conditions climatiques extrêmes qu’elle cause multiplient considérablement les épreuves comme celle qu’ont traversée l’été dernier les gens de Lytton.
Bien que désastreux, ces incidents ne datent malheureusement pas d’hier. La pollution et ses ravages jalonnent l’histoire humaine. Dans la région antique de Sumer, l’irrigation excessive a entraîné la pollution du sol par le sel, ce qui serait, selon les archéologues, à l’origine du déclin de cette civilisation. Les eaux usées ont causé des éclosions mortelles de fièvre typhoïde et de choléra. Des produits chimiques comme le D.D.T. ont tué des animaux sauvages et menacé la santé humaine avant d’être interdits. Et la pollution atmosphérique mondiale est encore responsable de millions de décès prématurés chaque année.
Cela fait plus de vingt ans que je fais des recherches et que j’écris sur le lien entre la pollution et la santé humaine. J’ai lancé des campagnes pour évacuer des substances chimiques cancérogènes et hormonoperturbantes des biberons et des jouets. J’ai même mené des expériences sur moi-même pour donner vie à ces histoires et les rapprocher du quotidien. Tout récemment, j’ai étudié l’ampleur de l’absorption des microplastiques – et de tous leurs vilains ingrédients chimiques – dans le corps humain. Je dirige actuellement la plus grande organisation canadienne consacrée aux politiques et à la recherche sur les changements climatiques, pour contribuer à lutter contre ce qui est sans doute le plus grave problème de pollution de la planète.
De tout ce travail, j’ai pu conclure que c’est seulement lorsque les effets de la pollution les touchent de près que les gens éprouvent une réelle inquiétude et réclament des mesures gouvernementales. Quand les parents ont constaté que les biberons qu’ils utilisaient tous les jours pour nourrir leurs poupons vulnérables contenaient du BPA, ils sont passés aux actes et ont obtenu du gouvernement fédéral, pourtant lent à la détente, que ce produit soit classé comme une toxine pour protéger la santé des Canadiens.
À présent que les phénomènes météorologiques extrêmes découlant des changements climatiques frappent régulièrement les communautés, la population exige des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et n’en doutez pas : quand la population se fâche, les choses évoluent; on l’a vu même pour des intérêts solidement ancrés. Pour ne prendre qu’un exemple, une fois le lien entre le talc et le cancer de l’ovaire bien établi, le géant Johnson & Johnson a été forcé de retirer du marché son emblématique poudre pour bébés.
Mais comme toujours, l’expérience directe ou personnelle est souvent la plus révélatrice. Même si je connais bien les conséquences de la pollution et que j’en ai souvent parlé, je suis très gêné d’avouer que je ne les comprenais pas vraiment avant de recevoir mon diagnostic, il y a quelques mois.
Comme près de 200 000 autres Canadiens en 2021, j’ai reçu un appel de mon médecin me disant que j’avais le cancer. Comme c’est un cancer de la thyroïde qui croît lentement et que je n’ai aucun symptôme, la nouvelle m’a chaviré.
Sans surprise, mes premières pensées ont été sombres. Je me suis immédiatement inquiété de mon assurance vie et de la capacité de ma femme à payer le prêt hypothécaire s’il devait m’arriver quelque chose. Et comme il est malaisé de lancer dans une conversation amicale « Ah et en passant, j’ai le cancer », il est difficile d’en parler. Les formulations utilisées pour discuter de la maladie dissimulent souvent la grande détresse des patients et de leurs familles. Pour ma part, je suis relativement chanceux : mon type de cancer thyroïdien se traite assez facilement par des interventions chirurgicales, et si le risque de rechute est élevé, le taux de mortalité est plutôt faible.
Après un tel diagnostic, on se demande vite « Pourquoi moi? ». Le cancer de la thyroïde fait partie de ceux liés aux polluants hormonoperturbants de l’environnement. C’est d’ailleurs ce que révèle une publication récente : en plus des facteurs génétiques et du mode de vie, les deux tiers des cancers sont d’une quelconque façon liés à l’environnement. Un des chercheurs estime que la prévalence du cancer de la thyroïde pourrait être associée aux produits ignifuges, fréquemment ajoutés aux appareils électroniques et aux meubles recouverts – des produits que j’ai trouvés dans mon propre corps durant mes recherches.
En voilà une situation perverse, dont nous sommes responsables! Des millions de personnes partout dans le monde souffrent de maladies causées ou aggravées, à tout le moins, par des polluants créés à l’origine pour tenter d’améliorer la qualité de vie. Rita Banach, ancienne présidente de Cancer de la thyroïde Canada avec qui j’ai collaboré au fil des ans pour éradiquer les ingrédients cancérogènes des produits cosmétiques, résume les frustrations d’une grande partie de la population :
« Il y a tellement de substances chimiques intégrées aux produits de consommation ou rejetées dans l’environnement; et les questions de sécurité ne viennent qu’ensuite, après que nous y ayons tous été exposés. Cela doit cesser. Nous devons renverser la vapeur. »
Le réel enjeu de ce combat perpétuel contre la pollution n’est pas la survie de la race humaine. Contrairement au film allégorique sur les changements climatiques Déni cosmique, qui se termine sur un déluge de feu, la réalité sera moins apocalyptique. Mais combien de morts faudra-t-il avant que nous n’apprenions de nos erreurs?
Pour certains polluants, comme les produits hormonoperturbants liés à des cancers particuliers, les facteurs biologiques personnels contribuent à la susceptibilité. Par exemple, il est à présent établi que certains gènes héréditaires augmentent le risque de cancer du sein. Tom Zoeller, spécialiste du système endocrinien et de la thyroïde et professeur émérite de l’Université du Massachusetts, m’a dit : « Je ne crois pas du tout que le cancer se développe de façon aléatoire. Prenons par exemple les fumeurs. Seuls 11 % d’entre eux contractent un cancer du poumon. Est-ce par hasard? Absolument pas. C’est à cause d’une prédisposition génétique. » Bien que les facteurs génétiques intervenant dans le cancer de la thyroïde soient mal compris, je suppose qu’il faut conclure que ma glande est plus fragile que celle de la majorité des gens.
Il est un peu plus facile de prédire qui seront les victimes de la pollution qui engendre les changements climatiques. Les personnes vulnérables de la société – personnes âgées, à faible revenu, racisées ou autochtones – sont beaucoup plus susceptibles de pâtir des conditions climatiques extrêmes. Une bonne partie des 595 personnes décédées en raison de la vague de chaleur de l’été dernier en Colombie-Britannique étaient d’ailleurs âgées.
Je dois subir une autre opération à la fin janvier; j’ai bon espoir que tout se passe bien. Mais ce qui est vraiment nécessaire pour améliorer la sécurité à long terme – la mienne, celle de ma famille et celle de tous les Canadiens –, c’est un leadership politique fort en 2022. Le Parti libéral fédéral s’est récemment fait réélire en proposant une plateforme qui est probablement la plus complète en matière de lutte contre la pollution de toute l’histoire du pays. On y trouve la promesse d’interdire certains types de plastiques à usage unique, de moderniser la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, de limiter les polluants toxiques, de couper comme jamais auparavant la pollution par le carbone et d’investir dans l’adaptation aux changements climatiques.
Seul, aucun de nous ne pourra échapper aux effets mortels de la pollution. C’est uniquement en travaillant tous ensemble que nous parviendrons à nous protéger, ainsi que nos descendants, contre une aggravation de cette souffrance inutile.