L’un des principaux objectifs de la croissance propre est de diminuer les émissions de gaz à effet de serre tout en stimulant la croissance économique pour générer une croissance dite « sobre en carbone ». Ce qui était d’abord un impératif environnemental se double de plus en plus d’un impératif économique. En effet, la transition mondiale vers une économie sobre en carbone s’accélère; le coût des technologies sobres en carbone diminue au fur et à mesure que les gouvernements prennent des engagements plus ambitieux pour réduire les émissions, si bien que les investisseurs restructurent leur portefeuille. Si le Canada ne suit pas le mouvement, il pourrait subir un choc économique et voir sa compétitivité s’éroder, ce qui risquerait de nuire à la relance économique et à la prospérité de sa population.
Jusqu’à maintenant, le Canada s’est efforcé de trouver des moyens de réduire ses émissions à moindre coût. Bien que ce soit important, pour arriver à une croissance sobre en carbone, il ne faut pas négliger l’élément croissance. Pour comprendre comment y arriver, nous pouvons tirer des leçons de l’évolution des recherches menées sur la productivité.
La productivité est un indicateur clé pour les gouvernements. L’amélioration du rendement d’un ensemble donné d’intrants, comme la main-d’œuvre ou la machinerie, est un important vecteur de croissance économique. L’objectif d’amélioration du rendement pour une certaine quantité d’émissions de gaz à effet de serre n’est donc pas tellement différent.
Selon un rapport publié par la Banque mondiale en 2018, une « deuxième vague » de recherches sur la productivité a remis en question les réflexions précédentes. Conclusions? Les politiques publiques doivent être entièrement axées sur trois volets de la croissance de la productivité globale des facteurs :
- Les entreprises en place : augmentation de la productivité des entreprises par l’adoption de technologies, l’innovation et l’amélioration des techniques de gestion;
- La transition : redirection des ressources des activités économiques à faible productivité vers des activités à productivité élevée;
- La sélection : création d’entreprises productives et fermeture de celles qui le sont peu.
Et si nous adoptions la même approche pour la croissance sobre en carbone?
Augmentation de la croissance sobre en carbone des « entreprises en place »
Les discussions sur les changements climatiques portent habituellement sur les virages d’un secteur à un autre, comme la transition graduelle des combustibles fossiles aux énergies renouvelables dans la production d’électricité. Ce faisant, on ignore toutefois le potentiel d’innovation, d’ajustement et d’adaptation des entreprises à une nouvelle politique ou à un nouveau marché. Les entreprises à fortes émissions peuvent adopter de nouvelles technologies ou méthodes pour diminuer l’intensité de leurs émissions, ou diversifier leur chaîne de production pour y intégrer des solutions sobres en carbone. À ce chapitre, le géant pétrolier et gazier BP a récemment annoncé qu’il se détachait du pétrole pour se tourner vers le gaz naturel, l’hydrogène et les énergies renouvelables. Il n’y a pas de raison de croire que les entreprises florissantes dans un secteur d’activité ne seront pas concurrentielles dans un autre. En fait, les distinctions entre les différents secteurs sont amenées à se brouiller de plus en plus (pensons aux stations d’essence qui offrent des stations de recharge pour véhicules électriques ou aux entreprises forestières qui fournissent la matière première des bioproduits).
Cependant, lorsqu’on se penche sur les indicateurs de l’adoption de technologies au Canada, on constate que les progrès sont lents. Parmi les entreprises interrogées dans l’Enquête sur l’innovation et les stratégies d’entreprise menée par Statistique Canada, seules 10 % d’entre elles utilisent des technologies propres. De 2005 à 2018, on a observé une augmentation de 57 % des véhicules lourds à moteur diesel sur les routes. Les émissions des bâtiments commerciaux sont de nouveau à la hausse. Bien que certaines entreprises de ces secteurs se démarquent, le progrès général n’est pas encourageant.
Pour que les entreprises canadiennes demeurent compétitives dans un monde sobre en carbone, les « entreprises en place » doivent se développer et accélérer la cadence.
Transition vers une activité économique sobre en carbone et cohérente
Avec la transition des marchés mondiaux vers des produits sobres en carbone, la demande en produits à fortes émissions diminuera. Mais les produits sobres en carbone mobilisent tout de même des ressources naturelles. Plutôt que de viser exclusivement la sobriété en carbone, nous devrions donc également nous assurer que la trajectoire est cohérente, ce qui implique de veiller à ce que l’activité économique et les échanges commerciaux soient concentrés dans les secteurs où la demande est en hausse, et écartés de ceux où elle est en baisse.
Rien n’indique que le Canada opère des changements assez rapidement pour réduire les risques économiques régionaux associés à une transition mondiale vers la sobriété en carbone. Pensons à l’Alberta et la Saskatchewan, où l’activité économique et les emplois demeurent étroitement liés aux émissions de gaz à effet de serre. Dans ces provinces, le PIB est seulement de 1 000 $ par tonne de gaz à effet de serre (éq. CO2), tandis qu’au Québec, ce chiffre approche 4 000 $ par tonne. En cas de fluctuations des marchés, les communautés où les emplois sont largement concentrés dans les secteurs à fortes émissions seront particulièrement vulnérables aux pertes d’emploi.
Pour amoindrir les risques causés par les fluctuations des marchés mondiaux, la « transition » d’une activité économique à forte émission vers une sobriété en carbone cohérente doit s’accélérer.
Soutien des nouvelles entreprises sobres en carbone
Les nouvelles entreprises sobres en carbone qui font leur entrée sur le marché sont un moteur important de croissance économique verte. Les entrepreneurs et les entreprises émergentes, qui créent des technologies, des produits et des services, sont une grande source d’innovation, susceptible d’aider d’autres entreprises à réduire leurs émissions et de fournir des solutions de rechange ou de meilleures options aux consommateurs. Même si leur réussite n’est pas assurée, le potentiel économique et créateur d’emplois de la production de la prochaine « Tesla » en vaut le coup. La concurrence est internationale, et bien que plusieurs entreprises semblent prometteuses, une croissance significative requiert davantage de joueurs canadiens.
Pourtant, lorsque vient le temps d’innover, les entreprises émergentes de technologies propres se heurtent à des obstacles au Canada. Beaucoup ont du mal à trouver du financement aux stades intermédiaires de leur développement technologique, cette période entre les essais en laboratoire et les démonstrations commerciales qui requiert généralement des investissements et comporte des risques accrus. La pandémie a aggravé les problèmes de financement. Si la survie des entreprises émergentes de technologies propres est compromise, le Canada perd une source potentielle de croissance, d’échanges commerciaux, d’emplois et de revenus.
L’activité économique du secteur de l’environnement et des technologies propres est en croissance au Canada. La valeur du PIB de ce secteur est passée de 50 milliards de dollars en 2012 à 60 milliards de dollars en 2018. Cependant, plus de 80 % de cette activité est concentrée en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique, et rien n’indique que le Canada atteint son plein potentiel.
Pour atteindre une croissance propre partout au Canada, il est nécessaire de faire une meilleure « sélection » des entreprises faibles en carbone sur le marché.
Des politiques gouvernementales susceptibles d’accélérer le processus
La croissance sobre en carbone, tout comme celle de la productivité, requiert un ensemble de politiques. Nous en voyons déjà de bons exemples : le soutien fédéral à la réduction des émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier, la stratégie de relance albertaine qui mise sur l’innovation, et l’entente entre les gouvernements du Nouveau-Brunswick, de l’Ontario, de la Saskatchewan et de l’Alberta qui s’engagent à développer et déployer de petits réacteurs modulaires (PMR) qui utilisent une énergie nucléaire à faibles émissions pour atteindre des objectifs climatiques et économiques.Mais avant d’arriver au point où la croissance de l’économie coïncide avec la diminution des émissions, les gouvernements ont encore beaucoup de chemin à faire. La vague de plans de relance économique à venir offre une occasion de stimuler la croissance faible en carbone de manière à générer également la croissance économique nécessaire pour rembourser la dette publique après la pandémie.