Tenir compte de la justice sociale: pour des politiques climatiques réfléchies

Les communautés autochtones et noires et les autres populations marginalisées seront les premières et les plus durement touchées par les répercussions des changements climatiques

Pour en savoir plus sur les déterminants structurels de la santé et les liens entre la justice environnementale et les changements climatiques, consultez l’étude de cas de Mme Waldron intitulée « Racisme environnemental et changements climatiques : déterminants de la santé dans les communautés mi’kmaqs et afro-néo-écossaises », publiée en même temps que le présent billet.

Au cours des dernières décennies, un élément crucial manquait à l’appel dans le discours du Canada sur les changements climatiques : leurs répercussions, passées et futures, sur certaines des communautés les plus vulnérables du pays. Face à cette situation, un mouvement en faveur de la justice climatique a émergé depuis quelques années. Son objectif : faire des changements climatiques un enjeu de droits de la personne étant donné leurs conséquences sur les droits des communautés autochtones et noires et des autres populations racisées et marginalisées.

Justice climatique : promouvoir l’angle socioécologique

La justice climatique est à la fois un concept et un mouvement qui reconnaît l’incidence inégale et différente des changements climatiques sur les communautés selon leur origine ethnique, leur statut socioéconomique, leur sexe, leur âge, leur handicap, leur orientation sexuelle ou d’autres identités sociales. L’élévation du niveau de la mer, l’érosion des berges, les pluies fortes et fréquentes, les inondations, les vagues de chaleur, les feux incontrôlés et la mauvaise qualité de l’air sont susceptibles d’affecter plus rapidement et plus sévèrement les communautés autochtones et noires et les autres populations marginalisées.

Dans une optique de justice climatique, il est essentiel que les politiques en matière de changements climatiques tiennent compte des répercussions autant humaines qu’écologiques sur les communautés autochtones et noires et les autres populations marginalisées. L’intégration explicite de ce type d’analyse socioécologique aux recherches pourra mener à des politiques climatiques plus solides et plus justes.

La justice climatique repose sur plusieurs principes :

  • L’exposition des communautés autochtones et noires et des autres populations racisées et marginalisées aux changements climatiques ainsi que l’incidence de ces changements sur elles sont disproportionnées.
  • En raison de politiques inéquitables et injustes, dont le racisme et le colonialisme passés et présents, les PANDC1 sont davantage exposées aux changements climatiques.
  • Les déterminants structurels de la santé font en sorte que les PANDC et les autres communautés marginalisées sont moins aptes à échapper aux catastrophes climatiques, à y survivre et à se rétablir, et sont moins susceptibles d’avoir accès aux ressources sociales, économiques et politiques et aux réseaux nécessaires à cette fin.
  • Les répercussions des changements climatiques peuvent exacerber les inégalités économiques et sociales, minant davantage la santé des populations.

Au cours des dix dernières années, conjointement avec des communautés afro-néo-écossaises, j’ai mené des recherches sur la manière dont les déterminants structurels influencent la santé. Les récits et les statistiques de certaines de ces communautés nous aident à comprendre les relations entre les changements climatiques, l’origine ethnique et le statut socioéconomique.

Politique climatique : implications pour la justice sociale et les droits de la personne

Il est important de tenir compte du contexte sociologique dans l’élaboration de politiques climatiques. Par exemple, les peuples autochtones au Canada ont survécu à des siècles de colonisation, comprenant la brutalité physique, l’aliénation et le génocide culturels et la perte de leurs langues. Les problèmes sociaux et sanitaires de ces communautés prennent racine dans un profond traumatisme historique (et actuel). Au Canada, les populations noires ont connu les mêmes brutalités coloniales, dont la suppression de l’histoire de l’esclavage au pays. En Nouvelle-Écosse, par exemple, l’expérience des écoles ségréguées a laissé des traces et contribué aux taux élevés de chômage et d’incarcération, au faible taux de scolarité et au mauvais état de santé. Le vécu colonial des communautés autochtones et noires fait en sorte que l’effet sur elles des politiques et des répercussions climatiques est bien différent.

Malgré cela, la prise en compte de l’origine ethnique et de ses liens avec d’autres identités est trop souvent absente du discours dominant sur les changements climatiques.

Il est primordial, pour parvenir à des politiques climatiques justes – et efficaces –, de porter une plus grande attention à l’histoire et son héritage. Pour réduire considérablement les répercussions climatiques, les décideurs devront s’efforcer de tenir compte de la distribution inégale des pouvoirs qui rend certaines communautés plus vulnérables aux changements climatiques. Ils devront également commencer à donner une plus grande importance aux déterminants structurels de la santé qui ont déjà entraîné des vulnérabilités au sein des communautés autochtones, noires et marginalisées. L’équilibre fragile entre la santé de la planète face aux ravages des changements climatiques et l’urgence de protéger la santé et le bien-être des communautés les plus vulnérables à ces mêmes changements est un des éléments centraux du problème des politiques – et pour cette raison, il doit faire partie intégrante des solutions envisagées.

Je tiens à préciser que je ne suggère en aucune façon que les politiques climatiques s’éloignent de leurs objectifs de réduction des gaz à effet de serre et des questions techniques qui ont retenu l’attention au cours de la dernière décennie. Ce que je propose, c’est plutôt que les politiques climatiques aillent au-delà de la simple détermination des « risques » et qu’elles commencent à se pencher sur les conséquences des politiques et des systèmes actuels sur la vulnérabilité aux changements climatiques.

Au Canada, le cadre des travaux sur les changements climatiques devrait refléter les impératifs liés à l’origine ethnique, au sexe et à l’équité économique. Pour être efficaces, les politiques climatiques doivent corriger les inégalités structurelles qui ont mené au déséquilibre des pouvoirs dans la société et, par conséquent, à l’exposition différentielle aux ravages des changements climatiques.

  1. Le sigle PANDC signifie « personnes autochtones, noires et de couleur ». Il vise à mettre en évidence l’oppression historique subie par ces groupes.

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