Publié dans le cadre de notre série Perspectives Autochtones présentant des initiatives menée par des Autochtones pour lutter contre et répondre aux conséquences des changements climatiques.
Introduction
Le peuple Gitanyow des bassins versants du cours central de la rivière Nass et du cours supérieur de la rivière Skeena – territoires non cédés du nord-ouest de la Colombie-Britannique – se gouverne lui-même et exerce un pouvoir juridique sur le lax’yip (territoire) au moyen de l’Ayookxw (lois gitanyow). Sa capacité à s’acquitter de ces responsabilités est toutefois entravée par le colonialisme persistant et les décisions de l’état colonisateur, principalement le gouvernement de la Colombie-Britannique, qui autorise des activités dans le lax’yip sans le consentement des Gitanyow. Les répercussions cumulatives des secteurs forestier, routier et minier, des projets de pipelines et de la ligne de transmission du Nord-Ouest ont poussé les Gitanyow à actualiser l’interprétation de l’Ayookxw pour faire contrepoids à l’appareil administratif colonialiste. Ils ont donc élaboré un plan global d’utilisation des terres et divers instruments juridiques et de politique pour déterminer eux-mêmes les normes auxquelles devront se soumettre les promoteurs industriels dans le lax’yip.
L’un des fondements de cette approche de durabilité est la reconnaissance de la grande portée des changements climatiques sur le territoire gitanyow. Comme le savent les Gitanyow, l’eau s’écoulant des glaciers fait partie intégrante de l’écologie de certains bassins versants, qui se verront transformés au fil du recul glaciaire. Ainsi, un habitat autrefois propice aux poissons pourrait voir sa faune piscicole habituelle le quitter au profit d’autres cours d’eau jugés plus accueillants. Or, si le plan d’utilisation des terres a été une politique essentielle pour limiter les répercussions cumulatives, sa signature, en 2012, précède les importantes répercussions des changements climatiques qu’on connaît aujourd’hui dans le lax’yip.
Pour s’adapter à ces conditions changeantes, les Gitanyow ont créé le poste de directeur de la durabilité et intégré aux pratiques et politiques des critères pour évaluer les changements climatiques et s’adapter à ces derniers. On peut constater cette nouvelle priorité dans différentes mesures, entre autres, comme l’évaluation du débit environnemental et de la qualité de l’eau à l’échelle du lax’yip, les levés des glaciers et l’élaboration d’une politique en matière de qualité et de quantité d’eau. Ces mesures visent globalement à établir des normes pour régir les activités et limiter les répercussions cumulatives sur le lax’yip, et à exiger des promoteurs qu’ils démontrent que leur projet ou leurs activités les respecteront.
Glossaire des termes gitanyow
lax’yip : Territoires ancestraux des Gitanyow.
wilp : Groupe de maisons – principale entité politique, sociale et décisionnelle du peuple Gitanyow; chaque groupe possède son propre territoire bien défini, qu’il gère selon un système rigoureux et durable de gestion des terres.
huwilp : Regroupement des huit wilp qui, collectivement, forment le peuple Gitanyow.
Ayookxw : Code de lois des Gitanyow qui assure la paix et l’ordre pour le huwilp.
adawaak : Histoire orale de chacun des wilp.
ayuuks : Écussons représentant l’histoire orale de chacun des wilp.
li’ligit : Rassemblement public officiel comprenant un festin durant lequel un wilp mène ses travaux.
Pour en savoir plus, voir le document Legal Principles Underlying the Gitanyow Lax’yip Land Use Plan.
La nation Gitanyow – Gouvernance et territoire
Les Gitanyow sont collectivement connus sous la dénomination de Gitanyow Huwilp. Le lax’yip (territoire), situé principalement dans le secteur des bassins versants du cours central de la rivière Nass et du cours supérieur de la rivière Skeena, couvre au total 6 296 kilomètres carrés. Les Gitanyow Huwilp sont en fait un regroupement de huit wilp (groupes de maisons), comprenant deux pdeek (clans) : le Lax Gibuu (loup) et le Lax Ganeda (grenouille/corbeau). Le lax’yip de chacune des wilp est intégré au git’mgan (totem) et inscrit dans l’adawaak (histoire orale de chacun des wilp), les ayuuks (écussons) et l’Ayookxw (loi des Gitanyow). Chaque wilp a l’autorité et les droits exclusifs sur ses noms, son adawaak, ses ayuuks, son git’mgan et son lax’yip.
Le peuple des Gitanyow Huwilp est une unité sociale, économique et politique autonome au sein d’un groupe culturel plus vaste appelé Gitksan. Chaque wilp a son propre territoire, administré selon un système rigoureux et durable de gestion et de possession des terres. Un wilp exerce un pouvoir juridique sur son territoire et ses membres en ce qui concerne différentes questions, comme l’accès aux terres et à l’eau, le processus de succession pour l’utilisation des terres et de l’eau, la protection des terres et de l’environnement pour les générations futures, et la réaffirmation de l’autorité et de la responsabilité sur le territoire. Les histoires, lois, territoires et institutions des Gitanyow – qui existent depuis toujours et perdureront – sont reconnus par les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les Gitanyow ont en outre signé différentes ententes multilatérales avec le gouvernement de la Colombie-Britannique dans lesquelles ce dernier reconnaissait l’autorité et la compétence de ce peuple à prendre des décisions fondées sur ses lois, politiques, responsabilités et protocoles.
Les lois gitanyow sont regroupées dans l’Ayookxw, qui assure la paix et l’ordre pour le huwilp. Il détermine la propriété des terres et la façon de les utiliser et de protéger l’environnement, le fonctionnement du li’ligit (festin), les liens entre les wilp et les questions d’héritage. Fondé sur les connaissances, expériences et pratiques millénaires – relatées dans les adawaak et les ayuuks –, il est reconfirmé dans les adawaak et les li’ligit. Un wilp ou le huwilp peut adapter l’Ayookxw en fonction des nouveaux défis du monde actuel. Sa reconnaissance est visée par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, mise de l’avant par le peuple et les gouvernements du Canada. Par ailleurs, les Gitanyow ont transposé le code oral qu’est l’Ayookxw dans la Constitution des Gitanyow (2009) pour aider les gouvernements provincial et fédéral à mieux comprendre leurs lois autochtones.
L’une des grandes caractéristiques du lax’yip et de la culture des Gitanyow est le retour annuel de différentes espèces de saumon dans les bassins versants. Les nombreux petits bassins versants qui contribuent à l’écologie et au débit des huit grands bassins versants – ceux des rivières Bell-Irving, Cranberry, Kinskuch, Kispiox, Meziadin, Nass, Skeena et White – rejoignent ultimement la rivière Skeena ou la rivière Nass. Tous ceux qui se trouvent dans le lax’yip suivent habituellement une tendance saisonnière : un faible débit avec la neige et la glace hivernales, une crue printanière amenant le débit à son plus fort de l’année, un débit estival variable d’eau chaude en juillet et en août, selon la quantité de pluie, puis un débit inégal en automne. La nappe phréatique est un facteur variable dont l’interaction avec les plans d’eau en surface est plutôt inconnue, mais elle peut avoir un effet rafraîchissant durant les mois d’été.
Outre le saumon, d’autres espèces animales et végétales sont chères aux Gitanyow, comme la truite, l’orignal, le cèdre, le grizzli, la chèvre de montagne, les animaux à fourrure (martre, castor), le tricholome à grand voile, les baies et les plantes médicinales (bois piquant, hellébore et thé du Labrador), pour ne nommer que celles-là. De plus, il existe une importante culture d’échanges avec les Premières Nations côtières, pour les fruits de mer, les algues, l’eulakane et l’otarie.
Actuellement, les Gitanyow exercent leur autorité par l’intermédiaire du bureau des Chefs héréditaires Gitanyow et de la Gitanyow Fisheries Authority. Recourant à cette dernière pour gérer la pêche au saumon, les gardiens du lax’yip assurent un service de surveillance de l’environnement des activités forestières, des projets d’aménagement d’envergure, de la qualité de l’eau et de la quantité d’eau et des permis de chasse, et mènent d’autres activités de surveillance de la faune à l’échelle du lax’yip. Une équipe composée d’ichtyologistes et de biologistes de la faune, ainsi que de techniciens de terrain Gitanyow formés, assure les services dans le territoire pour le bien des Gitanyow Huwilp, sous la supervision des Chefs héréditaires Gitanyow.
Approche de durabilité des wilp
Depuis toujours, les Gitanyow sont en relation directe avec la terre, l’eau et l’ensemble des bassins versants du milieu qui les sustente. Nous dépendons de la santé des bassins versants pour exercer nos droits ancestraux dans le cadre d’activités comme la pêche, la chasse, le trappage, la récolte de nourriture et de plantes médicinales et les pratiques spirituelles. Vu ce lien étroit avec la nature, la protection et la gestion de la terre et de l’eau sont au cœur de la culture gitanyow.
Afin de réagir aux répercussions cumulatives des activités forestières de non-Gitanyow dans le lax’yip, les Chefs héréditaires Gitanyow ont adopté, en 2012, le Plan d’utilisation des terres du lax’yip des Gitanyow (Gitanyow Lax’yip Land Use Plan). Il s’agit d’une manifestation physique de l’Ayookxw qui détermine les responsabilités juridiques par des directives propres à chacun des sites pour quiconque – notamment les gouvernements coloniaux et les utilisateurs non autochtones de ressources naturelles – autorise ou entreprend des activités dans le territoire. Le Plan énonce des directives concernant la gestion des terres pour atteindre des objectifs visant principalement l’habitat, des zones désignées ou protégées devant la menace que posent les activités forestières. En voici quelques exemples : les unités de gestion de l’eau, les réseaux d’écosystèmes et la zone de conservation Hanna-Tintina (une aire protégée des Gitanyow et une loi coloniale qui prévoit une gestion collaborative et l’exercice des droits ancestraux). Les objectifs et les désignations traitent aussi du suivi, de l’établissement et du maintien des valeurs cibles ou de référence en matière de qualité et de quantité d’eau.
Fruit d’une négociation de 10 ans avec le gouvernement provincial, le Plan allie la science occidentale et le savoir autochtone des Gitanyow. Avant son élaboration, la consultation en matière de foresterie était un processus ponctuel, surtout réalisé pour un site donné, bloc de coupe par bloc de coupe. Il n’y avait aucune planification territoriale générale visant à contrer les répercussions cumulatives ou à rassurer l’industrie et les Gitanyow sur le caractère consensuel des plans d’aménagement. Cette incertitude a donné lieu à de nombreuses poursuites en justice des Gitanyow à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Dans un arrêt crucial, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a reconnu la culture et les droits gitanyow et a donné au gouvernement des instructions qui ont orienté son mandat de négociation en vue de l’élaboration du Plan.
Or, si le Plan prévoit des zones de protection de l’eau essentielles, comme des unités de gestion de l’eau et des réseaux d’écosystèmes – maintenant protégés contre l’exploitation forestière et l’activité industrielle –, il ne traite pas directement du débit d’eau requis pour maintenir l’habitat du saumon et la fonction écosystémique en contexte de changements climatiques, ni de normes de qualité de l’eau pour réagir aux activités minières réalisées en amont, dans le territoire de la nation Tahltan. En 2017, les chefs gitanyow ont décidé d’élaborer une politique en matière d’eau pour traiter de ces répercussions.
Au cours des neuf dernières années, nous nous sommes appuyés sur le Plan d’utilisation des terres du lax’yip des Gitanyow afin de nous doter d’instruments juridiques et de politique qui reflètent nos droits, déterminent le déroulement des activités dans notre territoire et établissent des valeurs de référence pour la fonction écosystémique en tenant compte des répercussions des changements climatiques, surtout sur le débit de nos cours d’eau. Alliant le savoir autochtone et la science occidentale, ce travail consiste à établir des valeurs de référence écologiques et des normes, et à élaborer des processus. En ce qui concerne les valeurs de référence écologiques, nous évaluons par exemple le seuil du débit environnemental requis pour de nombreux ruisseaux touchés par les changements climatiques, et établissons des normes et des processus, notamment une politique en matière de qualité et de quantité d’eau ainsi qu’un processus d’évaluation.
Faire face à la complexité des changements climatiques
On élabore de nouveaux outils juridiques et de nouvelles politiques orientées vers l’externe ainsi que des valeurs de référence écologiques pour l’eau parce que les répercussions cumulatives des changements climatiques sur le territoire – dont la hausse de la température et la baisse du débit des rivières où fraie le saumon – font de la gestion proactive de l’eau une priorité. Trois projets en particulier allient le savoir gitanyow et la science occidentale dans des cadres stratégiques afin d’assurer l’adaptation aux changements climatiques et la réduction des risques associés. Le premier, une collaboration de trois ans entre le directeur de la durabilité des Gitanyow et un certain nombre d’employés et de consultants, vise à déterminer le débit environnemental de certains ruisseaux, tant ceux où il a déjà diminué en raison des changements climatiques que ceux où il est toujours viable pour le poisson. Le second projet consiste à faire le levé et la cartographie des glaciers pour mieux comprendre la quantité d’eau pouvant s’en écouler et l’ampleur des changements climatiques en fonction de la variation du débit d’eau dans le territoire qui leur est attribuable. Enfin, le directeur de la durabilité collabore avec le centre de droit environnemental (Environmental Law Centre) de l’Université de Victoria et divers consultants pour rédiger une loi et une politique relatives à l’eau dans le lax’yip, afin de présenter les objectifs des Gitanyow en matière de gestion de l’eau et de déterminer les normes de qualité et les débits environnementaux nécessaires au maintien et à l’amélioration de la santé écologique. À l’instar du Plan d’utilisation des terres du lax’yip des Gitanyow, la politique en matière d’eau précisera les responsabilités des gouvernements coloniaux et des promoteurs qui mènent leurs activités dans le territoire gitanyow, notamment l’obligation de protéger et de restaurer la fonction des bassins versants.
Débits environnementaux et qualité de l’eau
Les poissons sont au centre même de la culture gitanyow, et les répercussions cumulatives des changements climatiques, des activités forestières et des activités minières, en particulier, ont modifié les débits et la qualité de l’eau, frappant cette culture de plein fouet. Les stocks de saumon rouge n’ont cessé de décliner dans les 10 dernières années, et les Gitanyow craignaient que la baisse de la qualité de l’eau et de sa quantité nuise à la santé et à la reproduction du saumon. En outre, des études scientifiques commandées par les Gitanyow soulèvent l’importance d’une eau douce saine pour le maintien de la fonction écosystémique globale dans des zones fragiles comme les forêts anciennes. Or, dans les cinq dernières années, l’été est devenu synonyme de sécheresses et de feux de forêt sans précédent.
Si les feux de forêt peuvent jouer un grand rôle dans la santé des écosystèmes, les sécheresses qui sévissent dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique – particulièrement en juillet et en août alors que le saumon remonte la rivière jusqu’à sa frayère – peuvent avoir des conséquences dévastatrices à long terme pour les populations. Dans sa récente évaluation stratégique préliminaire des risques climatiques en Colombie-Britannique (Preliminary Strategic Climate Risk Assessment for British Columbia), le gouvernement prédit, d’ici 2050, des risques élevés de perte massique des glaciers et de pénurie d’eau saisonnière et à long terme dans l’ensemble de la province.
Vu le nombre famélique de données scientifiques occidentales concernant la qualité de l’eau et la quantité d’eau dans le lax’yip, la Gitanyow Fisheries Authority et les gardiens du lax’yip ont lancé un programme de suivi des valeurs de référence de l’eau. S’inspirant des trois stations hydrométriques exploitées par la Division des relevés hydrologiques du Canada, les Gitanyow en ont ajouté sept qu’ils exploitent eux-mêmes, et utilisent les données pour établir les valeurs préliminaires du débit environnemental requis pour trois importants cours d’eau du lax’yip : les ruisseaux Hanna et Tintina, et la rivière Cranberry. Il est prévu de déterminer le débit environnemental requis pour d’autres systèmes hautement prioritaires, soit parce que les risques pour l’eau sont considérables, soit parce que les projets proposés sont susceptibles d’avoir des répercussions sur le cours d’eau.
De 2018 à 2020, le personnel a colligé toute l’année les données sur la qualité de l’eau de cinq bassins versants, ce qui a permis d’établir des paramètres précis à ces endroits. De plus, pendant de nombreuses années, de mai à octobre, la Gitanyow Fisheries Authority a fait des levés limnologiques dans de nombreux lacs afin de recueillir des échantillons de nutriments et d’établir des paramètres physicochimiques en vue d’élaborer des normes de qualité de l’eau pour ces lacs.
Les ruisseaux Hanna et Tintina sont deux cours d’eau importants pour le frai, mais l’exploitation forestière a beaucoup contribué à leur détérioration. En raison des conséquences historiques de l’exploitation forestière et des changements climatiques, il y a des années où le débit est pratiquement nul dans certains segments des ruisseaux. C’est pourquoi ils font maintenant partie d’une aire protégée nommée la Hanna-Tintina Conservancy, qui englobe la presque totalité des deux bassins versants et dont l’objectif est de protéger les précieux habitats de frai d’où émerge 80 % de la population de saumon rouge de la rivière Nass.
Le personnel évalue la pertinence de reconnaître d’autres plans d’eau – dont le ruisseau Strohn – comme étant d’importantes frayères actuelles et futures, vu les répercussions des changements climatiques et la relative stabilité du débit de certains d’entre eux.
En 2016, les Gitanyow ont pris des mesures pour élargir l’aire protégée Hanna-Tintina afin d’y inclure les ruisseaux Strohn et Surprise, de même que les plus petits cours d’eau qui se jettent dans le lac Meziadin. Or, malgré cinq années de travail soutenu par les Gitanyow à la table de réconciliation du forum conjoint sur la gouvernance des ressources, le gouvernement provincial n’a pris aucune mesure concrète pour protéger les zones entourant ces ruisseaux. Un processus conjoint en vue d’explorer les différentes désignations juridiques provinciales a commencé en 2017, mais le gouvernement provincial n’a toujours rien décidé. Les Gitanyow visent maintenant à désigner l’ensemble du secteur du lac Meziadin comme aire protégée autochtone et à fournir des directives concernant la gestion aux promoteurs industriels, particulièrement aux entreprises d’exploration minière.
Levés et cartographie des glaciers
Pour appuyer l’élaboration de la politique en matière d’eau des Gitanyow, on a demandé, en 2019, un inventaire des glaciers du lax’yip. En effet, pour lutter contre les changements climatiques et en limiter les répercussions, il est essentiel de connaître l’ampleur et la vitesse du recul glaciaire dans le lax’yip. Comme les changements climatiques font diminuer le manteau neigeux d’une année à l’autre, les glaciers deviennent essentiels pour alimenter le débit et rafraîchir les cours d’eau durant l’été. Produit en partenariat avec le Coast Mountain College de Terrace, l’inventaire glaciaire (Gitanyow Lax’yip Glacier Inventory, 2020) dresse l’état des lieux des glaciers du lax’yip et indique la vitesse du recul glaciaire et l’apport de l’eau de fonte aux différents bassins versants. Les prochains travaux consisteront notamment à réaliser une modélisation du recul glaciaire prévu et des conséquences possibles sur les écosystèmes du saumon.
Politique en matière d’eau
Récemment, le personnel du bureau des Chefs héréditaires Gitanyow a réuni le contenu de l’Ayookxw des Gitanyow et les données sur la qualité de l’eau et la quantité d’eau pour élaborer une première politique en matière d’eau pour le lax’yip. L’objectif est d’établir des normes propres à chaque bassin versant que devront respecter toute personne ou entité qui entreprend des activités dans le lax’yip. La politique établit une classification des eaux de surface, des procédures d’évaluation de la qualité de l’eau selon les normes et l’évaluation de la communauté biologique, des procédures d’évaluation du débit environnemental requis et un processus technique de gestion de l’eau. La politique est le résultat d’une prise de conscience grandissante chez les Gitanyow, depuis environ 2017 : l’eau devient de plus en plus rare dans différentes parties de la Colombie-Britannique et du monde, et la diminution de l’accès à l’eau en raison des changements climatiques ainsi que les contaminants issus des activités minières réalisées en amont pourraient avoir des répercussions considérables sur le saumon et ses écosystèmes.
La classification des plans d’eau du lax’yip consiste à leur accorder un statut : type I, II ou III (voir la figure 2). Le type I regroupe les plans d’eau les plus fragiles ou les plus à risque en raison de leur importance écologique, hydrologique ou culturelle, ou de leur usage particulier. Ils ont entre autres comme caractéristiques communes qu’ils servent à la consommation humaine, ont une valeur élevée sur le plan de la culture ou de la pêche, se trouvent dans une aire protégée ou sont très vulnérables aux changements climatiques et à leurs répercussions cumulatives. Pour ce type de plan d’eau, le régime d’écoulement naturel doit demeurer intact, et la qualité de l’eau, rester la même ou s’améliorer. Pour leur part, les plans d’eau de type II sont aussi fortement à risque ou fragiles, offrent des connexions essentielles en amont et en aval et des processus qui favorisent la santé humaine et soutiennent la fonction écosystémique et les communautés aquatiques et terrestres, mais sans présenter exactement les mêmes critères et caractéristiques de ceux du type I. En revanche, ils fournissent une connectivité importante avec ces derniers et soutiennent d’autres plans d’eau ou zones d’importance écologique ou culturelle, et sont aussi vulnérables aux changements climatiques et à leurs répercussions cumulatives. Leur débit ne peut être modifié de plus de 10 % et ne doit jamais descendre en deçà du débit environnemental requis. Un plus grand nombre d’activités humaines sont autorisées dans les plans d’eau de type II pourvu qu’elles n’altèrent ou ne détériorent pas leurs conditions et que le régime d’écoulement naturel soit maintenu. Enfin, les plans d’eau de type III sont moins à risque ou moins fragiles que ceux des autres types. Leur débit peut être modifié d’au plus 10 %, mais sans jamais descendre en deçà du débit environnemental requis, à moins qu’il n’y ait une évaluation rigoureuse sur le terrain pour proposer un plan solide relatif au débit environnemental requis et à la gestion du débit. La qualité de l’eau dans ces plans d’eau doit respecter ou excéder les normes en vigueur afin de protéger la santé aquatique, terrestre et humaine.
Outre la valeur relative à la culture, à la pêcherie et à l’approvisionnement en eau, on tient aussi compte de critères liés au climat : refuges thermiques, risques climatiques et conservation des glaciers. Ce type de critère souligne le lien entre la diminution du manteau neigeux, la masse glaciaire et les sécheresses estivales, ainsi que les risques accrus que tout cela pose pour les plans d’eau déjà fragilisés. Dans bien des cas, les changements climatiques provoquent à eux seuls toutes les répercussions qu’un plan d’eau fragile est en mesure d’encaisser; il est donc possible que l’extraction d’eau et les utilisations industrielles y soient interdites.
La politique reconnaît aussi l’importance des mesures de restauration – d’ailleurs, un des critères de classification des plans d’eau est la nécessité de concevoir et de mettre en œuvre un plan de rétablissement – et définit les débits environnementaux requis pour le lax’yip :
[Traduction] Dans le lax’yip, le « débit environnemental requis » s’entend des conditions idéales que doivent présenter ses cours d’eau pour maintenir leur régime d’écoulement naturel et soutenir les écosystèmes, notamment les processus des bassins versants (ex. : conservation des plaines inondables).
La politique établit les normes de qualité de l’eau pour des sites précis en fonction des données recueillies par la Gitanyow Fisheries Authority et les gardiens du lax’yip. Ces normes établissent les seuils annuels au-delà desquels il faut élaborer des normes propres aux sites et aux saisons pour chaque projet proposé.
Enfin, les Gitanyow savent que les changements climatiques rendront certains plans d’eau moins propices aux poissons, et d’autres, plus propices. C’est pourquoi ils travaillent à offrir la meilleure protection pour ces deux types de plans d’eau.
Conclusion
L’approche intégrée adoptée par les Chefs héréditaires Gitanyow vise à proposer un modèle de gouvernance des bassins versants fondé sur l’ordre juridique des Gitanyow, mais ramené au goût du jour afin de relever les défis du 21e siècle, dont les changements climatiques. Avec le soutien des Chefs héréditaires Gitanyow, le huwilp acquiert une compréhension approfondie de la santé écologique de son territoire – tant à partir du savoir et des lois autochtones (Ayookxw) que de la science occidentale – et la traduit en politiques proposant des mesures de lutte contre les répercussions des changements climatiques.
La présente étude de cas souligne l’interdépendance entre les changements climatiques et la gestion de l’eau, et les risques considérables qui guettent les espèces d’importance culturelle chères aux Autochtones. Les plans d’utilisation des terres sont essentiels dans la lutte contre les répercussions cumulatives du développement industriel puisqu’ils désignent des zones ayant une valeur environnementale tant pour les gouvernements de la Couronne que pour les Autochtones. Cependant, les changements climatiques exigent une approche particulière en matière de conservation et de gestion de l’eau, afin de coordonner la planification des terres et des eaux de façon globale et intégrée.
Recommandations
Pour les organismes de gouvernance autochtones :
- Élaborer ou adapter, en fonction des ordres juridiques autochtones, des plans d’utilisation des terres ou des bassins versants traitant précisément des risques et des répercussions des changements climatiques, notamment sur les débits environnementaux.
- Envisager comment les instruments de gouvernance, comme les politiques et processus, peuvent traiter des contraintes et des possibilités associées aux changements climatiques.
- Déclarer publiquement les débits environnementaux requis à titre d’énoncé des lois autochtones.
- Exiger des gouvernements provinciaux et des promoteurs qu’ils précisent en quoi chaque projet pourrait exacerber les répercussions des changements climatiques, et les mesures qu’ils prendront pour les limiter.
Pour les gestionnaires de bassins versants autochtones ou coloniaux :
- Acquérir le savoir autochtone concernant les valeurs de référence écologiques dans le territoire, particulièrement sur la qualité et le débit de l’eau.
- Continuer de relever officiellement les répercussions que subissent actuellement les collectivités en raison des changements climatiques et envisager d’en rendre compte aux autorités dans un rapport annuel ou un état des lieux du territoire.
- Mettre sur pied des programmes de surveillance écologique proposant des méthodes inspirées tant du savoir autochtone que de la science occidentale.
- Surveiller les répercussions des activités en cours dans le territoire et évaluer les activités proposées sous l’optique des changements climatiques.
- Prévoir les répercussions qu’auront les changements climatiques attendus sur l’eau et les ressources écologiques, et élaborer des stratégies de gestion en conséquence.
Pour les gouvernements de la Couronne :
- Inclure l’optique des changements climatiques et des critères d’évaluation aux plans de gestion des terres et de l’eau et aux processus d’approbation.
- Revoir les paramètres relatifs à la gestion des terres et de l’eau, comme les ordonnances rendues en application des lois forestières, afin de tenir compte des répercussions des changements climatiques susceptibles de toucher le territoire.
- Signer des ententes consensuelles avec l’ensemble des Premières Nations ou organismes de gouvernance autochtones concernant les processus de planification et d’approbation qui permettent de mettre en place des processus d’évaluation et de surveillance adaptatifs des répercussions cumulatives, notamment des changements climatiques, sur tout le territoire.
- Financer les activités communautaires de collecte, de suivi et d’évaluation des données qui sont fondées sur le savoir autochtone et la science occidentale.
- Créer une plateforme publique interactive de gestion des données où consigner des données non confidentielles auxquelles pourront se fier toutes les parties.
À propos des auteures
Tara Marsden, aussi nommée Naxginkw, est membre des Gitanyow Huwilp et a occupé le poste de directrice de wilp de la durabilité pour les Chefs héréditaires Gitanyow pendant neuf ans. Deborah Curran est avocate au centre de droit environnemental (Environmental Law Centre) de l’Université de Victoria, où elle est professeure; elle coécrit à titre d’alliée, ce pour quoi l’article est rédigé à la première personne.
Références
Chefs héréditaires Gitanyow (2009). Gitanyow Constitution.
Chefs héréditaires Gitanyow (2021). Gitanyow Lax’yip Water Policy (version provisoire).
Chefs héréditaires Gitanyow. Legal Principles Underlying the Gitanyow Lax’yip Land Use Plan.
Gitanyow Fisheries Authority (Kevin Koch et Jeffrey Anderson) (2018). Hanna, Tintina and Strohn Creeks Habitat Assessment and Restoration Initiative Year 4.
Gitanyow Huwilp Society (2018). Gitanyow Lax’yip Water Quantity and Quality Plan: Scoping Document and Proposed Framework Phase 1 Scoping Document.
Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.
Matthew J. Beedle (Ph. D) et Monica Jeffrey (2020). Meziadin Lake Watershed and Gitanyow Lax’yip Inventory.
Ministry of Environment and Climate Change Strategy (2019). Preliminary Strategic Climate Risk Assessment for British Columbia.
Nation Gitanyow et gouvernement de la Colombie-Britannique (2016). Gitanyow Huwilp Recognition and Reconciliation Agreement.