Comment la circularité peut contribuer à la réduction des émissions au Canada

Partout dans le monde, on s’intéresse de plus en plus à l’économie circulaire, selon laquelle « les produits sont fabriqués pour durer plus longtemps, les communautés partagent les ressources et économisent de l’argent, et les entreprises entretiennent, réutilisent, remettent en état et recyclent les matériaux pour créer plus de valeur pour vous et les générations futures ». Dans leur dernière soumission à l’Organisation des Nations Unies concernant la contribution déterminée au niveau national, 79 pays ont mentionné adopter des mesures de circularité, comme des plans d’action pour réduire les émissions et s’adapter aux répercussions climatiques.

Au Canada, l’adoption et l’application de principes d’économie circulaire en sont encore à leurs débuts. Toutefois, comme de plus en plus de pays tendent vers ce modèle, nous avons jugé bon d’examiner les façons dont la circularité pourrait aider le Canada à atteindre ses objectifs climatiques.

Le lien entre la circularité et la réduction des émissions

De nombreuses études révèlent que les initiatives climatiques actuelles ne suffisent pas à maintenir le réchauffement climatique en dessous de deux degrés Celsius ni à atteindre les cibles de carboneutralité. Selon le Circularity Gap Report de 2021, le travail et l’utilisation de la matière sont à l’origine de 70 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. La transition vers des sources d’énergie carboneutres ou le captage du carbone permettrait d’éliminer une partie de ces émissions, mais pas toutes.

En parallèle, le Circularity Gap Report de 2023 souligne que, dans les 50 dernières années, l’extraction de matière a plus que triplé. Donc, le problème de réduction des émissions liées à l’extraction de ressources, au traitement et aux cycles de vie des produits s’aggrave plutôt que se résorbe.

La Fondation Ellen MacArthur estime que l’adoption de mesures de circularité dans quatre grands secteurs (ciment, acier, plastique et aluminium) pourrait réduire les émissions de 40 % d’ici 2050. Pour le secteur agroalimentaire, elle soulève aussi la possibilité de réduire ces émissions de près de 50 % dans le même délai en optant pour des pratiques circulaires et régénératrices.

Maximiser la valeur des ressources

Comme le Canada est un pays riche en ressources, il commence tout juste à adopter et à appliquer des pratiques circulaires dans son économie. Or, on craint de plus en plus les effets sur l’air, l’eau, le territoire et le climat d’une économie « extraction-fabrication-déchet ».

Autre défi : pour favoriser la transition du Canada vers des systèmes d’énergie renouvelable, on a besoin de ressources comme les métaux et le ciment. Mais si on répond à cette demande en accentuant l’extraction de ressources, on risque d’engendrer plus d’émissions et de répercussions environnementales, sans nécessairement réussir à combler les lacunes majeures. En intégrant des principes de circularité aux plans de réponse à la demande, le Canada peut mieux se préparer à réduire les répercussions sur le climat tout en veillant à avoir les matériaux nécessaires.

Sans surprise, des pays comme le Japon, qui ne sont pas très riches en ressources naturelles, ont depuis longtemps adopté les principes de circularité. Celui-ci a d’ailleurs pris un engagement culturel à maximiser la valeur extraite des ressources, engagement qui peut servir d’exemple.

Comme l’ont démontré le Japon et d’autres pays, la circularité va bien au-delà de l’amélioration du recyclage ou du captage et de la réutilisation des déchets; elle requiert un changement bien plus radical des mentalités et des systèmes industriels, commerciaux et de consommation. Une approche de circularité véritable comporte plusieurs étapes : éliminer l’utilisation superflue de ciment ou d’acier dans les bâtiments, prolonger la vie des produits, passer à des modèles de servicisation, revoir la conception et réduire la contamination pour créer des matériaux et des produits plus faciles à recycler, et réduire la taille des maisons et des véhicules. C’est le genre de processus qu’il faudra mettre en place.

Mesurer les répercussions de la circularité

La mesure des répercussions climatiques de la circularité n’est pas encore à point. Cependant, plusieurs études d’universités et d’organisations non gouvernementales portent sur le potentiel de l’économie circulaire dans la réduction des émissions. Le Circularity Gap Report de 2022, par exemple, laisse croire qu’en adoptant ses propositions de stratégies de circularité, la demande en ressources pourrait baisser de 28 %, et les émissions de gaz à effet de serre, de 39 %.

Toutefois, une bonne partie du potentiel de réduction d’émissions reste hypothétique. En effet, même les pays avec de forts engagements envers la circularité, comme les Pays-Bas, la Finlande et l’Écosse, commencent tout juste à mettre en œuvre leur feuille de route. La Chine et le Japon ont certes fait de grandes avancées, mais leurs efforts ont débuté avant l’adoption de leurs stratégies actuelles.

La mesure des répercussions est encore en chantier. Plusieurs organismes internationaux travaillent à normaliser les approches de mesure et à créer un cadre statistique solide pour évaluer convenablement la réduction des émissions attribuable à la circularité. Un meilleur suivi de l’acheminement des matières, une entente de gestion des émissions basée sur la consommation plutôt que sur la production, et l’aptitude à compiler les comptes à l’échelle régionale et nationale sont toutes des tâches auxquelles les pays et les organismes internationaux continuent de s’évertuer.

Pour élaborer un ensemble de politiques et de mesures financières encourageant la circularité, il faudra aussi porter attention aux effets inverses et aux rebonds potentiels. L’adoption d’approches circulaires efficaces et économiques accentue la demande de produits et l’utilisation d’énergie, ce qui a pour effet fortuit d’augmenter les émissions.

Passer à des approches d’économie circulaire

On ne conteste guère le fait que l’économie mondiale doit devenir plus circulaire. On extrait dans le monde plus de 100 milliards de tonnes de ressources annuellement. Ce degré d’exploitation n’est pas viable. Pour atteindre ses cibles climatiques et les objectifs de développement durable, le Canada doit adopter des approches d’économie circulaire qui rendront notre monde plus sain et plus prospère.

Comment la circularité peut contribuer à la réduction des émissions au Canada dresse l’état des lieux de notre compréhension de la circularité et de son potentiel de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il ne fait aucun doute que le développement futur sera probablement rapide à mesure que les pays réaliseront le pouvoir de cette nouvelle vague d’action climatique.

Saint-Laurent Ottawa Nord refusé

Le 3 mai 2022, la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) a posé un geste qualifié par les observateurs de tout à fait inhabituel en 62 ans d’histoire : elle a rejeté une requête en autorisation de construire pour les dernières étapes d’un projet de remplacement de pipeline proposé par Enbridge Gas, une entreprise de gaz fossiles de Scarborough.

La décision et l’ordonnance rendues sur le projet Saint-Laurent Ottawa Nord de 123,7 millions de dollars s’appuyaient notamment sur le plan d’électrification communautaire de la Ville d’Ottawa (Évolution énergétique) et la possibilité de réduire la taille du pipeline pour aller dans le sens de la baisse de demande de gaz naturel à prévoir. Parmi les raisons de cette baisse de demande, la Ville invoque le plan Évolution énergétique lui-même ainsi que les efforts entrepris par le gouvernement fédéral pour convertir la centrale de chauffage et de refroidissement de la rue Cliff vers des technologies à faible empreinte carbone, des changements ignorés par Enbridge dans ses prévisions de la demande en gaz.

La décision a provoqué une petite onde de choc dans le paysage de la réglementation énergétique de la province et dans le milieu de l’énergie à l’échelle municipale. « Personne ne s’attendait à les voir perdre. Rien ne laissait présager une telle issue », s’est exclamé à l’époque Jay Shepherd, avocat spécialisé dans la réglementation environnementale de Shepherd Rubinstein.

Mais il a précisé que les « preuves apportées par la Ville d’un recul du carbone à Ottawa mettaient la CEO dans une position délicate; lorsque la Ville déclare ouvertement qu’elle consommera moins de gaz à l’avenir, on ne peut l’ignorer ».

La question que se posent toutes les parties prenantes – qu’il s’agisse d’Enbridge, de la Ville d’Ottawa ou des divers intervenants qui ont participé à l’audience – est de savoir si la décision de la CEO créera un précédent. Cette décision est-elle représentative de la suite des choses pour la transition énergétique du Canada?

La présente étude de cas se fonde sur une analyse de la décision de la CEO, de la documentation connexe et d’entrevues menées auprès des principaux concernés. Elle comporte des citations de ces acteurs du milieu pour mettre l’analyse en contexte.

La planification des services publics à l’ère de la transition

La requête d’Enbridge et la décision rendue par la COE surviennent à un moment où les municipalités, les services publics, les autorités de réglementation et tous les ordres de gouvernements s’efforcent de comprendre les tenants et aboutissants de la course à la carboneutralité, puis d’intégrer ce nouvel impératif de planification urgent à leurs politiques, pratiques et investissements.

Ces changements profonds et relativement rapides coïncident avec l’inquiétude grandissante suscitée par les répercussions climatiques de l’extraction, du transport, de la distribution et de la consommation des gaz fossiles. Les propositions visant la construction ou le renouvellement d’une infrastructure gazière doivent composer avec l’essor de la thermopompe comme solution d’électrification par excellence du chauffage résidentiel. Elles doivent également soupeser le rôle que les gaz propres comme l’hydrogène ou le biogaz pourraient être appelés à jouer.

Malgré ce contexte, la requête et la décision Saint-Laurent Ottawa Nord entrent en scène à un moment où encore bien des fournisseurs et services publics de gaz planifient et pensent leurs activités comme dans le bon vieux temps, un phénomène fort probablement alimenté par un modèle opérationnel où, selon la loi, le rendement de l’investissement des actionnaires des entreprises gazières est dicté principalement par le nombre de kilomètres de pipelines possédés et exploités plutôt que par le volume de gaz fourni.

Des voix s’élèvent pour dire que cette structure crée un impératif opérationnel de développement du réseau gazier sans égard à la demande des consommateurs, à un rythme au moins suffisant pour compenser la dépréciation des actifs installés. Certains craignent que ce modèle expose les usagers à des coûts de délaissement d’actifs causés par la mise hors service prématurée d’infrastructures nouvelles ou agrandies dans la foulée des efforts de réduction des émissions. Reste à savoir qui des usagers, des actionnaires ou des contribuables paiera pour ces actifs délaissés.

Les détails de la décision

L’un des enjeux sous-tendus dans la décision de la COE concernait la planification intégrée des ressources entreprise par Enbridge. Elle suggérait que l’entreprise « collabore avec la Ville d’Ottawa et d’autres parties prenantes pour élaborer de manière proactive un plan d’action dans l’éventualité où le remplacement du pipeline serait nécessaire, y compris la poursuite de solutions de planification intégrée des ressources ». Elle suggérait également au service public l’adoption d’une approche similaire pour d’autres projets ailleurs dans la province dans la mesure du possible.

La COE a fait ces observations au moment où certains réclament une coordination plus étroite et réfléchie des services publics de gaz avec les distributeurs d’électricité de leur territoire. Elle a d’ailleurs fixé des exigences de planification intégrée des ressources locales dans une décision et une ordonnance rendues le 22 juillet 2021, dont l’un des cinq critères de sélection autorise une exception pour les besoins des réseaux gaziers à résoudre dans les trois ans. Dans l’audience du projet Saint-Laurent Ottawa Nord, Enbridge n’est pas parvenue à convaincre les commissaires de l’urgence du remplacement.

L’entreprise a également refusé d’envisager une réduction de la taille du pipeline, invoquant la conclusion d’un expert-conseil selon laquelle la Ville ne pourrait réduire suffisamment la demande pour justifier cette éventualité. Mais les autorités de la région n’étaient pas du même avis, et si la COE n’a pas abordé la question de cette baisse de demande, la décision a été largement interprétée comme un appui à la position de la Ville.

Dans les délibérations, le personnel de la Ville « a indiqué que sa préférence irait à une approche de planification intégrée de l’énergie qui exige la concertation des principaux fournisseurs d’énergie (gaz, électricité et énergie de quartier) pour bâtir un système énergétique qui répond aux objectifs climatiques du plan Évolution énergétique sans négliger l’abordabilité et la sécurité énergétique », selon les commissaires Anthony Zlahtic et Emad Elsayed.

Vue aérienne de la rivière Rideau et Porter Island à Ottawa, Ontario, Canada.

À l’époque, une porte-parole d’Enbridge faisait valoir que les phases 3 et 4 rejetées du remplacement du pipeline « constituaient les solutions les plus prudentes pour résoudre les problèmes d’intégrité connus découlant d’une dégradation en cours du réseau de pipelines Saint-Laurent, surtout si l’on tient compte de l’ampleur des conséquences d’une défaillance pour les clients et le public », un point de toute évidence important, mais qu’Enbridge ne serait pas parvenue à prouver, selon les commissaires de la COE.

Le plan quinquennal d’Enbridge

Depuis, les audiences de la COE sur le plan tarifaire quinquennal d’Enbridge ont pris le pas sur le projet Saint-Laurent Ottawa Nord. Le plan et la décision rendue par la COE à son sujet auront d’importantes répercussions sur les autres municipalités de l’Ontario et leur transition des combustibles fossiles vers des sources d’énergie propre.

Les audiences devraient être l’occasion de stimuler et d’encourager la planification intégrée des ressources et, plus largement, de mettre l’orientation du réseau gazier de la province au diapason des grandes cibles et politiques climatiques. Mais le risque du statu quo est encore bien présent. Des acteurs du secteur affirment d’ailleurs que les interventions d’Enbridge jusqu’à présent se bornent aux exigences des programmes de gestion de la demande et de conservation d’énergie déjà en place, et que l’entreprise gazière prévoit toujours le projet Saint-Laurent Ottawa Nord à l’horizon 2024-2025, dans le cadre d’un plan d’immobilisations décennal de 15,3 milliards de dollars.

La requête d’Enbridge insiste sur une trajectoire diversifiée qui mise sur la maximisation de l’efficacité énergétique, l’optimisation et l’intégration de la planification des systèmes énergétiques, l’investissement dans le « gaz à faible teneur en carbone » et l’emploi de la captation, de l’utilisation et du stockage (CUSC) pour produire de l’hydrogène à faible émission de carbone.

Le plan, quant à lui, est basé sur une étude de Guidehouse qui, sans nier le vent favorable à un virage global vers l’électrification, préconise toutefois un scénario « diversifié » accueillant « un réseau réservé aux hydrogénoducs et quelques infrastructures gazières dans la province » et où « le chauffage au gaz, complémenté par la thermopompe, continue d’occuper une place essentielle dans le chauffage résidentiel », alimenté par du « gaz à faible teneur en carbone ou carboneutre ».

Selon Guidehouse, ce scénario diversifié représenterait pour les usagers des économies de 181 milliards de dollars d’ici 2050, attribuables en grande partie à la réduction des besoins en infrastructures électriques pour répondre à la demande de pointe. Il demeure controversé chez les acteurs concernés interrogés dans le cadre de la présente étude.

L’absence de consensus entourant le scénario recommandé par Guidehouse illustre la nécessité de mener une analyse plus exhaustive de la meilleure trajectoire sur le plan de la sobriété en carbone et des économies pour les consommateurs d’électricité et de gaz en Ontario, une analyse qui pourrait s’ancrer en grande partie dans la planification intégrée des ressources à l’échelle locale exigée aujourd’hui par la CEO.

Pour ce qui est de la probabilité de changements de cap majeurs, il sera important d’évaluer non seulement les trajectoires les plus économiques pour le développement et l’entretien des infrastructures, mais aussi le risque que les usagers se voient refiler la facture d’infrastructures vouées à être délaissées. « Le principal point d’achoppement de ce plan, c’est la transition énergétique », indique un des acteurs concernés.

Les réseaux gaziers dans un avenir incertain

L’avenir qui se dessine pour le système énergétique est encore inconnu; les transitions reposant sur une baisse de la consommation de gaz mettront du temps à se concrétiser et beaucoup d’analyses prévoient une certaine demande de gaz au milieu du siècle, ne serait-ce que pour répondre aux utilisations finales les plus difficiles à convertir. Il demeure donc légitime de maintenir un réseau gazier viable, surtout si ce dernier est appelé à laisser une plus grande place au biogaz et à l’hydrogène.

Si Enbridge a demandé cette étude de Guidehouse, c’est « en grande partie dû au fait que les baisses d’émissions sont désormais réduites à l’électrification », explique Malini Giridhar, vice-présidente du développement commercial et de la réglementation d’Enbridge. « De multiples trajectoires peuvent nous permettre de réduire nos émissions. Nous voulions tout particulièrement comprendre le rôle et les retombées des combustibles gazeux dans l’objectif de carboneutralité », ajoute-t-elle.

Toutefois, la construction d’actifs gaziers superflus qui finissent par être délaissés pourrait engendre un risque pour les usagers plutôt que pour les actionnaires. Selon un acteur concerné, les arguments d’Enbridge à l’audience de la COE sur le tarif quinquennal laissent croire que les usagers continueront de payer pour l’infrastructure pipelinière, nouvelles installations comprises, au moins jusqu’au milieu du siècle.

« Enbrige a répété que si elle construisait ces actifs pour les usagers, les usagers devraient en assumer les coûts, affirme-t-il. Les actifs ne seront pas délaissés. » L’audience tarifaire pourrait être le théâtre d’arguments voulant que, si Enbridge veut construire de nouvelles infrastructures, le risque doive être assumé par l’entreprise et non par les clients qui n’ont pas vraiment leur mot à dire sur la manière dont le service public dépense ses capitaux.

L’une des forces du modèle d’affaires d’Enbridge réside dans sa capacité d’offrir aux investisseurs le rendement stable et prévisible d’un service public réglementé. L’un des acteurs du milieu fait toutefois valoir que les retombées pourraient être de courte durée si l’on assiste à un véritable différend au sein de la COE sur la répartition des avantages et des coûts des investissements des services publics sur les usagers, comme on l’a vu ailleurs.

« La Commission de l’énergie va approuver les dépenses sur les gazoducs, renchérit une autre personne concernée. Elle n’imposera pas leur utilisation. Le problème lié à l’approbation de dépenses trop importantes pour les gazoducs se posera plus tard. Et donc à bien des égards, il s’agit d’un enjeu climatique, mais d’une portée financière non négligeable. »

Questions de transition

La saga du projet de remplacement du pipeline Saint-Laurent Ottawa Nord est certainement ouverte à plus d’une conclusion, étant donné le besoin d’une certaine quantité de gaz même dans les scénarios d’électrification les plus ambitieux et malgré la possibilité à long terme de voir arriver des gaz propres. Mais elle soulève une série de grandes questions chez les collectivités, les services publics et les autorités de réglementation qui tentent de négocier la transition vers un système énergétique carboneutre en Ontario et dans tout le pays.

  • Quelles options s’offrent aux municipalités qui prennent leurs engagements climatiques au sérieux et sont désireuses de se lancer dans une planification intégrée des ressources? « L’arène réglementaire n’est pas pour les âmes sensibles », nous prévient un des acteurs concernés. S’il est déjà difficile pour les villes qui disposent des ressources et du personnel technique compétent de défendre la planification intégrée des ressources, le défi est d’autant plus grand pour les collectivités, comme les petites municipalités, qui n’ont pas ou ont peu de moyens de mener des analyses indépendantes et de s’engager résolument dans la trajectoire de décarbonisation qui correspond le mieux à leurs besoins et priorités. Un des acteurs a souligné que Kingston, en Ontario, était mieux à même d’encadrer la distribution du gaz, car la municipalité était propriétaire d’un service public de gaz.
  • Quel est l’avenir des entreprises gazières dont le modèle d’affaires est menacé par l’impératif de décarbonisation, la baisse des coûts des solutions sobres en carbone et le potentiel souvent méconnu des solutions en aval du compteur? Les acteurs concernés ont suggéré qu’une entreprise comme Enbridge pourrait mieux se préparer à un avenir carboneutre en diversifiant ses activités vers l’électricité et les thermopompes, ou en s’inspirant du modèle qui se dessine au Québec, où les sociétés d’électricité et les entreprises gazières tentent d’intégrer leurs programmes d’approvisionnement et d’efficacité énergétique. Le principal obstacle concerne les affaires et les finances, et non les choix technologiques.
  • Quels sont les recours des parties prenantes qui considèrent qu’un service public ne s’est pas conformé à un mandat réglementaire? La COE a établi des attentes précises pour la planification intégrée des ressources en 2021, renforcées par la décision Saint-Laurent Ottawa Nord rendue en 2022. Certains ont fait valoir que ce type de mandat imposera un rôle de surveillance et d’application plus proactif qui pourrait être moins naturel pour une institution comme la COE. Leurs observations soulèvent d’importantes questions concernant le rôle de l’autorité de réglementation et son pouvoir – ou, à l’heure actuelle, sa capacité – de s’attaquer à une question essentielle et émergente dans la démarche vers un avenir carboneutre. Le Comité de la transition relative à l’électrification et à l’énergie de l’Ontario s’est penché là-dessus et sur bien d’autres questions connexes, et son rapport attendu cette année devrait jeter un éclairage utile sur la discussion.
  • Quels autres gestes devraient poser les gouvernements pour montrer le sérieux de leur démarche de décarbonisation et dissiper la méfiance suscitée par les engagements environnementaux passés? Et quels sont les recours des acteurs concernés entretemps? La planification des infrastructures à long terme est nécessairement un exercice d’anticipation et d’évaluation des impondérables, et tant que les émissions ne commenceront pas à baisser, les entreprises gazières pourront logiquement supposer qu’elles ne le feront pas – mais leurs plans d’expansion pourraient contribuer à ce que cette supposition devienne une dangereuse prophétie autoréalisatrice. Dans un système fédéral-provincial, le pouvoir des engagements carboneutres nationaux doit s’accompagner de gestes concrets et ambitieux des gouvernements provinciaux, souvent par des lois ou des règlements. Mais si l’on attend que les élus de tous les horizons et les bords politiques soient prêts à faire front commun et présenter une réponse intégrée à l’urgence climatique, il pourrait être trop tard pour la réduction des émissions. Si l’ensemble des acteurs sont en droit de s’attendre à une certitude politique, les entreprises gazières ont encore toujours plus de place pour composer avec l’incertitude de façon à saisir les possibilités qui s’offriront à elles dans un avenir carboneutre.
  • Quels sont les recours pour les usagers ainsi que tous les autres qui pourraient se retrouver devant d’importants coûts de délaissement des actifs si les entreprises gazières misent sur le mauvais scénario de décarbonisation? À défaut d’être anticipé et évité, ce problème risque de devenir un compromis entre deux enjeux de société : l’impératif de décarbonisation de l’ensemble de l’économie d’ici 2050 et le coût futur élevé, pour les ménages et les entreprises, d’infrastructures qui, avec le temps, pourraient s’avérer incompatibles avec leurs besoins.

Les thermopompes, en vogue dans les Maritimes

Introduction

La modeste thermopompe est un sujet chaud d’actualité.

Alors que la transition énergétique progresse à grands pas sur la scène mondiale, l’importance de l’électrification des systèmes de chauffage et de refroidissement est devenue une priorité pour les gouvernements poursuivant des objectifs plus ambitieux en matière d’émissions de gaz à effet de serre et de carboneutralité. En conséquence, la thermopompe a évolué à un rythme soutenu, passant des bas-fonds de l’efficacité énergétique au sommet de la planification des systèmes énergétiques dans le monde entier.

« Les thermopompes, alimentées par de l’électricité à faibles émissions, sont le catalyseur de la transition mondiale vers un chauffage sûr et durable », révélait l’Agence internationale de l’énergie (IEA, en anglais) dans son rapport technologique de novembre 2022 intitulé The Future of Heat Pumps (L’avenir des thermopompes). Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies et l’éminent cabinet de conseil mondial McKinsey se sont fait l’écho de ce soutien. L’invasion de l’Ukraine par la Russie ayant mis en évidence la dépendance de l’Europe à l’égard du gaz naturel russe, les ventes de thermopompes ont grimpé en flèche sur tout le continent, les ventes atteignant même le double dans certains pays européens au cours du premier semestre 2022 par rapport à la même période en 2021.     

Alors pourquoi les thermopompes ont-elles suscité un tel engouement ? Avant tout, parce que le chauffage intérieur représente une proportion importante de la contribution de la planète à la crise climatique — l’IEA estime que 10 pour cent des émissions mondiales de dioxyde de carbone proviennent du chauffage des bâtiments — et que les thermopompes sont généralement carboneutres et nettement plus efficaces sur le plan énergétique que les systèmes de chauffage par combustibles fossiles ou plinthes électriques. Comme l’a souligné l’Institut climatique du Canada dans un rapport de 2022, « les thermopompes sont cruciales à la transition énergétique du Canada pour plusieurs raisons. Comme les thermopompes consomment de l’électricité plutôt que des combustibles fossiles, elles constituent un important levier pour la transition du Canada vers une électricité propre. En outre, leurs bilans énergétiques sont jusqu’à 70 pour cent inférieurs à ceux des technologies conventionnelles de chauffage domestique, ce qui se traduit par des économies pour les propriétaires et les locataires. »

Notons également qu’un sixième du gaz naturel brûlé chaque année à travers le monde est destiné au chauffage, une proportion qui atteint même le tiers en Europe, où l’Union européenne fait figure de précurseur mondial de la croissance du marché des thermopompes. Toutefois, la demande de thermopompes a aussi fortement augmenté en Amérique du Nord, au Japon, en Corée et en Chine. À l’heure actuelle, les thermopompes assurent 10 pour cent du chauffage des bâtiments dans le monde, les plus fortes proportions étant observées en Norvège (où 60 pour cent des bâtiments sont équipés de thermopompes), en Suède et en Finlande (où cette proportion dépasse les 40 pour cent). Quant au Canada, il ne figure pas encore parmi les pionniers mondiaux de l’adoption des thermopompes, en dépit de ses hivers glacials et de son abondance d’électricité propre (plus de 80 pour cent de l’électricité produite dans le pays est carboneutre). À l’heure actuelle, seuls 6 pour cent du chauffage résidentiel du pays sont assurés par des thermopompes.

Néanmoins, une exception notable se dégage — une anomalie qui fait l’objet de la présente étude. Dans les trois provinces maritimes, plus de 20 pour cent des ménages ont déjà recours à la thermopompe comme principale source de chauffage. Le Nouveau-Brunswick arrive en tête avec 32 pour cent, suivi de l’Île-du-Prince-Édouard avec 27 pour cent et de la Nouvelle-Écosse avec 21 pour cent. Et ces proportions augmentent beaucoup plus rapidement que toute autre source de chauffage principal dans la région. En Nouvelle-Écosse, par exemple, la proportion de ménages alimentés par thermopompes est passée de 6 pour cent à 21 pour cent depuis 2013.

Alors que le reste du Canada s’efforce d’accélérer l’électrification de ses systèmes de chauffage, cette anomalie dans les provinces maritimes justifie un examen plus approfondi. Comment les provinces maritimes sont-elles devenues le fer de lance des thermopompes au Canada ? Quelles conditions, politiques et forces du marché ont favorisé cette adoption accrue, et quelles leçons sont à tirer pour inciter à l’adoption des thermopompes dans l’ensemble du pays ? Malgré le manque de données et d’analyses, la présente étude s’est appuyée sur la modeste documentation disponible, ainsi que sur des entretiens avec des fonctionnaires provinciaux et de services publics qui ont mis sur pied ces programmes d’avant-garde, pour brosser un tableau de référence du succès des thermopompes dans les Maritimes et dégager quelques leçons pertinentes à l’intention des décideurs politiques.

Après un survol de la technologie comme telle et une synthèse des tendances mondiales en matière de politique et de marché, la présente étude se penche sur les outils politiques, les forces du marché et les conditions sociales ayant favorisé l’émergence de l’adoption des thermopompes dans les Maritimes.

Concepts de base des thermopompes

Le marché des thermopompes est saturé de types et de marques différents qui fonctionnent tous, à peu de chose près, selon les mêmes principes. Les thermopompes sont essentiellement des systèmes d’échange de chaleur qui absorbent la chaleur d’un endroit et la transfèrent à un autre. Les climatiseurs fonctionnent selon ce même concept de base, mais les thermopompes ont l’avantage de fonctionner également en sens inverse — en plus de refroidir l’intérieur, elles peuvent absorber la chaleur de l’air extérieur, même froid, et la transférer à des espaces intérieurs.

Thermopompe installée sur une façade en bois.

Sur le marché canadien actuel, les principaux systèmes de thermopompes sont les thermopompes centrales à air,les thermopompes miniblocs sans conduit (« mini-split ») et les thermopompes géothermiques. Les thermopompes à air fonctionnent selon des concepts similaires à ceux des autres systèmes centraux de chauffage et de refroidissement : la thermopompe aspire la chaleur de l’extérieur vers une unité centrale, qui la diffuse ensuite dans le reste de l’intérieur par l’intermédiaire de conduits de chauffage. Le processus fonctionne également en sens inverse, aspirant la chaleur de l’intérieur d’un bâtiment et la diffusant à l’extérieur pour refroidir l’espace. Les miniblocs sont un autre type de thermopompe à air, mais ils conviennent mieux aux bâtiments qui ne disposent pas encore de systèmes de conduits. Dans ce cas, la chaleur est diffusée par un système de refroidissement vers et depuis des « éléments intérieurs » muraux. Les thermopompes géothermiques ont une technologie très similaire à celle des thermopompes à air, sauf qu’elles puisent la chaleur dans le sol-même au lieu de la puiser dans l’air.

Bien que tous les types de thermopompes puissent être configurés pour répondre aux besoins de chauffage de tout bâtiment ou presque, il est encore pratique courante au Canada de jumeler les thermopompes à un système d’appoint préexistant — soit une chaudière, soit un système de plinthes électriques (à ce jour, cette approche est la plus commune dans les provinces maritimes). Une nouvelle génération de thermopompes pour climat froid, introduites sur le marché depuis 5 à 10 ans, fonctionne à des températures aussi basses que -25 °C sans système d’appoint, et convient donc mieux aux hivers canadiens.

Contexte

Tendances mondiales

L’essor des thermopompes est d’envergure mondiale : les ventes ont grimpé de 15 pour cent dans le monde en 2021 et continuent leur ascension. L’Europe est le fer de lance, les pays de l’Union européenne ayant installé à eux seuls deux millions d’unités en 2021 — une augmentation annuelle de 34 pour cent — puis plus de trois millions en 2022, soit une augmentation annuelle supplémentaire de 40 pour cent. Si cet essor européen précède l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la tâche revêt aujourd’hui un caractère d’urgence beaucoup plus marqué.

Aux États-Unis, des incitatifs importants étaient aussi prévus pour les thermopompes dans l’Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation), qui offre des remises aux ménages à faibles et moyens revenus, ainsi que d’importants crédits d’impôt.

Tendances canadiennes

Au Canada, l’adoption des thermopompes a été plus sporadique et régionale, mais les plans fédéraux et provinciaux de réduction des émissions et d’électrification confèrent un rôle beaucoup plus important aux thermopompes à l’avenir.

Comme le rapportait l’Institut climatique du Canada en 2022, « Au cours des 15 dernières années, le nombre de thermopompes installées dans les foyers canadiens a augmenté de façon soutenue, à savoir de 400 000 à 850 000. Toutefois, au cours de la même période, la proportion de chauffage domestique assurée par les thermopompes a seulement augmenté de quatre à six pour cent. Pour atteindre les prévisions du plan de réduction des émissions, leur proportion dans la charge totale de chauffage devra doubler au cours des huit prochaines années, et assurer plus de 10 pour cent du chauffage domestique. » Pour y parvenir, il est indispensable d’adopter des politiques ciblées afin d’envoyer des messages clairs aux marchés et aux consommateurs canadiens.

Certains de ces messages sont d’ores et déjà en place. La ville de Vancouver et la province de Québec ont toutes deux introduit des interdictions partielles sur les systèmes de chauffage à combustible fossile. À Vancouver, ces interdictions visent toutes les installations, qu’elles soient nouvelles ou de remplacement, dès 2025; au Québec, elles visent toutes les nouvelles constructions dès la fin de 2023. Les plus récentes données sur les installations ont quant à elles révélé qu’en 2018, près de 80 pour cent des thermopompes en exploitation au Canada se trouvaient dans les deux provinces les plus peuplées, le Québec et l’Ontario, même si, proportionnellement, les thermopompes représentaient moins de 10 pour cent des systèmes de chauffage en général. (En 2021, les thermopompes étaient le principal système de chauffage de 11 pour cent des ménages québécois et de 2 pour cent des ménages ontariens). Au cours de la même période, une nouvelle tendance a émergé : l’anomalie des Maritimes. Les taux d’installation précurseurs au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard illustrent le mieux la façon d’intensifier l’adoption des thermopompes au Canada. Examinons ce tableau de plus près.

Anomalie des Maritimes

Origines et contexte

Le phénomène de l’adoption des thermopompes dans les Maritimes est une anomalie à la fois récente et rapide. Au Nouveau-Brunswick, les thermopompes étaient la principale source de chauffage de 17 pour cent des foyers en 2017, et de 32 pour cent en 2021. En Nouvelle-Écosse, la proportion est passée de 14 pour cent en 2017 à 21 pour cent en 2021. Enfin, à l’Île-du-Prince-Édouard, la progression la plus notable, la proportion est passée de seulement 9 pour cent en 2017 à 27 pour cent en 2021.

Ce graphique représente la part des ménages des Maritimes ayant une thermopompe comme système de chauffage principal (%). Cette part a triplé dans certaines provinces.

Bien que l’émergence des Maritimes comme précurseur du marché des thermopompes fût une réalité incontournable, cette région présentait des conditions de marché, de politique et de société qui jouaient en faveur de cette technologie. Selon le gouvernement fédéral, la pauvreté énergétique (la prévalence des ménages et des communautés confrontés à des défis financiers majeurs pour répondre à leurs besoins énergétiques domestiques) était très élevée dans cette région — soit au moins le double de la moyenne canadienne. De plus, le climat des provinces maritimes est des plus propices aux thermopompes, y compris les anciens modèles non spécialement conçus pour les climats froids; en effet, le climat modéré de l’océan Atlantique signifie que la région est rarement confrontée à des conditions de froid extrême. Enfin, les principales sources de chauffage domestique — chaudières au mazout et plinthes électriques — comportent des qualités qui rendent leur remplacement par des thermopompes avantageux ou relativement simple. Dans le cas du mazout, qui prédomine en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard, les prix sont volatils. Dans le cas des plinthes électriques, qui prédominent au Nouveau-Brunswick, de grands panneaux électriques existent déjà dans les maisons traditionnelles et peuvent être adaptés aux thermopompes sans qu’il soit nécessaire d’installer de nouveaux câbles ou de procéder à des mises à niveau dispendieuses.

Le récent essor des thermopompes s’explique également par un engagement institutionnel en faveur de l’efficacité énergétique en général, lequel précédait l’intérêt porté aux thermopompes. En effet, le Nouveau-Brunswick exploite des programmes d’efficacité énergétique en continu depuis 2008, aujourd’hui regroupés sous l’ombrelle de son Secrétariat des changements climatiques. De même, l’Île-du-Prince-Édouard a créé son Bureau de l’efficacité énergétique (aujourd’hui intitulé Efficacité Î.-P.-É. ) en 2008. Quant à la Nouvelle-Écosse, le gouvernement provincial a créé son agence indépendante d’écoefficacité, Efficiency Nova Scotia (aujourd’hui appelée EfficiencyOne), en 2010.

Ces bureaux et programmes de promotion de l’efficacité énergétique ont joué un rôle majeur dans la récente campagne en faveur de l’installation de thermopompes. Ils ont en outre assuré cohérence et continuité lors des changements successifs de gouvernement. Et puisqu’ils offraient déjà une variété d’audits, de programmes et d’incitatifs pour promouvoir l’efficacité énergétique des ménages, ils avaient établi des relations solides et durables avec les habitants, les entrepreneurs locaux de systèmes de chauffage, les régulateurs et les entreprises de services publics. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick, par exemple, disposait déjà d’une liste d’installateurs agréés avant d’intensifier ses programmes de thermopompes, et Efficacité Î.-P.-É. domine le pays au chapitre des audits énergétiques des ménages par habitant. En somme, les gouvernements des trois provinces avaient déjà l’expérience de la mise en œuvre de programmes d’efficacité énergétique avant l’essor des thermopompes, et les services publics, les organismes de réglementation, les entrepreneurs et les ménages s’étaient déjà engagés avec cohérence et continuité à améliorer, tant soit peu, l’efficacité énergétique de leurs foyers. Pour reprendre les propos d’un fonctionnaire provincial, la région s’était dotée d’une « forte culture » en matière d’efficacité énergétique avant l’adoption de politiques ciblées sur les thermopompes.

Essor des thermopompes : les incitatifs importent

Dans les trois provinces maritimes, de puissants incitatifs financiers sous forme de subventions et de remises ont été les principaux catalyseurs de la montée spectaculaire du nombre de thermopompes installées. Bien que les incitatifs à l’efficacité énergétique en général remontent aux premiers programmes d’amélioration de l’efficacité énergétique des maisons, lancés en 2007 par Ressources naturelles Canada, les incitatifs directs en faveur des thermopompes n’ont été mis en place que tout récemment.

Les premiers incitatifs ciblés importants ont rapidement démontré la forte demande pour les thermopompes dans la région. En 2015, Énergie NB, le principal service public d’électricité au Nouveau-Brunswick, a introduit une remise de 500 $ sur les thermopompes miniblocs. Quelque 13 000 ménages se sont inscrits au cours de la première année, après quoi l’incitatif a été considéré comme un succès dépassant son ambition initiale et a été revu à la baisse. En 2017, Énergie NB a lancé son Programme écoénergétique pour les maisons, qui offrait des subventions allant jusqu’à 4 000 $ pour une gamme d’améliorations de l’efficacité énergétique, y compris les thermopompes. La même année, EfficiencyOne, en Nouvelle-Écosse, a introduit des subventions d’efficacité similaires. Depuis, l’adoption des thermopompes a été rapide et soutenue dans ces deux provinces. L’Île-du-Prince-Édouard a pour sa part introduit ses premiers incitatifs directs pour les thermopompes en 2021, offrant des systèmes gratuits aux ménages dont le seuil de revenu annuel est inférieur à 35 000 $. Cette initiative a depuis revu ce seuil à la hausse, l’élevant d’abord à 55 000 $, puis à 75 000 $. En conséquence, l’adoption des thermopompes dans les trois provinces a connu une expansion rapide.

Dans les Maritimes, les incitatifs provinciaux ont depuis été « juxtaposés » à des programmes fédéraux pour stimuler davantage les taux d’adoption, en particulier après l’introduction de l’Initiative canadienne pour des maisons plus vertes en 2020, qui offrait des subventions allant jusqu’à 5 000 $ pour l’installation de thermopompes, et du Programme pour la conversion abordable du mazout à la thermopompe (OHPA) en 2022, qui offrait des remises de 5 000 $ sur les thermopompes aux ménages qui chauffent leur foyer au mazout (soit le système de chauffage le plus commun en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard). Les nouvelles subventions de l’OHPA s’ajoutent aux remises de 5 000 $ accordées par la Nouvelle-Écosse dans le cadre du programme EfficiencyOne, tandis que le Nouveau-Brunswick, où très peu de ménages utilisent des chaudières à mazout, offre désormais, dans le cadre de son Programme écoénergétique amélioré, des systèmes miniblocs gratuits aux ménages dont le revenu annuel est inférieur à 70 000 $. (Ce programme est un effort conjoint du gouvernement provincial et Énergie NB.)

Leçons tirées de l’anomalie observée dans les Maritimes

La leçon la plus simple à tirer de l’anomalie des Maritimes est que rien n’importe plus que des incitatifs puissants, surtout s’ils sont destinés aux ménages à faible revenu pour qui l’obstacle du coût initial des systèmes de thermopompes est particulièrement intimidant. Par contre, l’argent seul n’est pas un gage de réussite. Dans les trois provinces, les incitatifs pour les thermopompes ont été intégrés à d’autres mesures d’efficacité énergétique ou introduits parallèlement à celles-ci. La réalisation d’audits énergétiques approfondis a certes permis de recenser les ménages qui bénéficieraient le plus de l’installation d’une thermopompe, mais aussi de nouer des relations entre les organismes publics et les habitants. Le fait d’offrir des remises sur l’isolation et d’autres initiatives d’économie d’énergie parallèlement aux remises sur les thermopompes a permis de s’assurer que les systèmes fonctionnent efficacement une fois installés — engendrant par là même des économies pour les habitants et une grande satisfaction chez les clients à l’égard des nouveaux systèmes de chauffage.

Vue aérienne de Bedford, une banlieue d’Halifax, Nouvelle-Écosse.

Les fonctionnaires des trois provinces ont également souligné l’importance d’une communication claire. Dans certaines régions, les économies réalisées grâce aux thermopompes sautent aux yeux. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, où Énergie NB répond aux besoins énergétiques de la plupart des ménages, les économies réalisées étaient bien en vue sur les factures d’électricité. Cependant, pour les clients qui passent d’une facture semestrielle de livraison de mazout à une facture mensuelle d’électricité plus élevée, une explication plus claire des économies réalisées s’avère utile.

Dans un contexte plus large, rappelons que le passage d’une source de chauffage éprouvée à une source nouvelle et peu familière est une décision majeure pour un ménage canadien. La psychologie comportementale de ce type de changement est sans équivoque : la plupart des gens ont tendance à surévaluer les systèmes dont ils disposent par rapport à une nouvelle approche (un phénomène connu sous le nom d’« effet de dotation ») et à résister à l’idée de devenir des adeptes précoces (en raison de la tendance au statu quo et de nombreuses autres aversions communes à la prise de risques). Tout obstacle ou problème imprévu en cours de route est susceptible de ralentir l’adoption de la technologie à plus grande échelle.

L’anomalie des Maritimes présente aussi bien des exemples de communications efficaces que d’omissions en matière de communication, tous riches d’enseignements.

Côté efficacité, les trois provinces semblent avoir bien réussi à recenser les fournisseurs et les installateurs fiables, et à communiquer les avantages évidents des thermopompes gratuites ou assorties d’une généreuse remise. Bien que ces mesures n’aient pas entièrement éliminé le problème des entrepreneurs peu scrupuleux qui installent des systèmes insuffisants (comme nous le verrons plus loin), elles ont sensiblement réduit le nombre de clients insatisfaits.

Dans le cas du Nouveau-Brunswick, le déploiement des thermopompes a été si efficace que les installateurs assument eux-mêmes une partie de la tâche — par exemple, en offrant leurs propres formules de financement et remises saisonnières, en plus de rabais et de subventions. En Nouvelle-Écosse, le déploiement des thermopompes dans un contexte de flambée des prix du pétrole a incité les propriétaires potentiels à promouvoir les thermopompes comme une caractéristique avantageuse de leurs immeubles locatifs. Le réchauffement climatique a également pesé dans la balance : dans une région où très peu de ménages ressentaient auparavant le besoin d’utiliser un climatiseur, la fonction supplémentaire de refroidissement intérieur des thermopompes est aujourd’hui très attrayante. (Dans les régions plus chaudes du pays, cet aspect de l’argumentaire de vente sera probablement encore plus attrayant).

Il y a cependant eu des erreurs et des omissions flagrantes, qui varient d’une province à l’autre. Un problème commun a été l’émergence d’installateurs « à la sauvette », peu fiables et empressés de profiter des généreux incitatifs. Les fonctionnaires de chaque province ont souligné l’importance de recenser les installateurs fiables et d’assurer une meilleure surveillance — l’ajout de normes de performance et d’installation aux codes de la construction est une recommandation répétée. Tous reconnaissent également qu’ils auraient pu consacrer davantage d’efforts à la consolidation et à la rationalisation des processus de demande et d’installation — à l’Île-du-Prince-Édouard, par exemple, les dernières modifications apportées au seuil de revenus minimums pour les systèmes de thermopompes gratuits ont généré une demande instantanée qui a rapidement dépassé la capacité de réponse de leur bureau, une omission qu’ils ont été contraints de corriger à la hâte. Aujourd’hui, la liste des demandeurs approuvés en attente d’une installation se chiffre en milliers. Enfin, les fonctionnaires du Nouveau-Brunswick ont noté que davantage d’efforts auraient pu être consacrés à l’explication des coûts et des exigences de l’entretien de routine.

Conclusion

Compte tenu de l’ensemble des mesures fédérales et provinciales mises en place au Canada pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments et électrifier le chauffage des locaux, l’anomalie des Maritimes sera sans doute bientôt considérée comme une avance plutôt que comme une aberration. Si les provinces du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard ont été les premières à intensifier l’adoption de cette technologie, on s’attend à ce qu’elle devienne un système de chauffage commun d’un bout à l’autre du pays, soit comme option indépendante, soit comme complément aux systèmes de chauffage classiques. La nouvelle génération de thermopompes pour climat froid, dont les performances peuvent être assurées sans appoint, sauf dans le cas des plus violentes vagues de froid canadiennes, devrait contribuer à faire valoir la viabilité de cette technologie dans tout le pays. D’ici là, leurs progrès constituent un modèle solide.

Dans l’ensemble, les thermopompes trouvent facilement preneur dans les provinces maritimes grâce aux limites des technologies existantes, aux avantages évidents qu’elles offrent, à l’efficacité de programmes incitatifs bien conçus et faciles d’accès, aux effets amplificateurs positifs du bouche-à-oreille et à l’attrait bien établi des remises importantes accordées par les gouvernements sous forme d’incitatifs. Le reste du Canada gagnerait à tirer des leçons de leurs succès et de leurs erreurs, et à suivre leur exemple.

La chaleur hybride au Québec

Déclaration de divulgation : COPTICOM, qui emploie les auteurs, agit comme consultant pour Énergir.

Le contexte énergétique particulier du Québec

Au Québec, deux entreprises régissent la quasi-totalité des infrastructures électrique et gazière. La société d’État Hydro-Québec détient le monopole du transport, de la distribution et de l’achat d’électricité, et produit ou achète plus de 90 % de l’hydroélectricité québécoise. Pour sa part, Énergir distribue 97 % du gaz naturel consommé au Québec. Cette entreprise est détenue à 80,9 % par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) – gestionnaire, entre autres, du régime de rentes du Québec – et par le Fonds de solidarité FTQ, un fonds d’investissement syndical qui gère également une partie de l’épargne-retraite de près de 735 000 travailleurs.

Au Québec, les émissions de GES associées au gaz naturel sont pratiquement toutes attribuables à la distribution et à la consommation des molécules livrées par Énergir, qui vise par ailleurs la carboneutralité de ses opérations d’ici 2050. Pour y arriver, l’entreprise compte miser sur le développement du gaz naturel renouvelable (GNR), l’amélioration de l’efficacité énergétique chez ses clients, mais aussi la complémentarité avec l’électricité[1].

Le gouvernement du Québec s’est fixé un objectif de réduction des émissions de GES de 37,5 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990, et vise la carboneutralité d’ici 2050. Pour atteindre ces objectifs, il mise sur l’électrification massive du transport routier, du chauffage des bâtiments et d’une bonne partie des usages industriels.

La consommation énergétique résidentielle au Québec

En 2019[2], le gaz naturel ne représente que 13 % de la consommation énergétique au Québec[3], contre 36 % pour le Canada dans son ensemble[4]. Il est consommé par les industries (55 %), les bâtiments institutionnels et commerciaux (28 %) et les bâtiments résidentiels (11 %), le reste étant consacré à d’autres usages de niche (5 %). Il est quasi absent de la production d’électricité : celle-ci est constituée à 99,6 % d’hydroélectricité et d’énergie éolienne.

La consommation énergétique résidentielle est principalement composée, au Québec, d’électricité (74 %) ; on compte 12 % pour les biocombustibles, 8 % pour le gaz naturel et 5 % pour des produits pétroliers comme le mazout. La consommation des bâtiments institutionnels et commerciaux est pour sa part majoritairement composée d’électricité (53 %) ; puis viennent le gaz naturel (27 %), le mazout (16 %), le propane et les biocombustibles (4 %). La consommation de gaz naturel dans les secteurs du bâtiment et de l’industrie a engendré l’émission de 12 Mt éq. CO2 en 2019, soit 14,2 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) du Québec.

L’entente sur la biénergie entre Hydro-Québec et Énergir

Le 13 juillet 2021, Hydro-Québec et Énergir ont conclu une entente sur la biénergie pour la période 2022-2045. Ce partenariat vise à convertir les systèmes de chauffage au gaz naturel des clients d’Énergir en systèmes alimentés à la fois à l’électricité et au gaz naturel. Pendant les périodes de grand froid, alors que les besoins en chauffage sont le plus élevés, le gaz naturel se substituera à l’électricité, ce qui permettra de réduire la pression sur le réseau d’Hydro-Québec. Hors des périodes de pointe, l’électricité assurera seule le chauffage des bâtiments. La biénergie est donc présentée comme un moyen de maximiser la part de l’électricité dans le chauffage des bâtiments – et donc la réduction des émissions de GES associées au chauffage –, tout en limitant les répercussions sur les pointes hivernales.

Neige tombant par une froide journée d’hiver sur des immeubles résidentiels à Montréal.

Au cours de la phase 1 de l’entente, environ 100 000 clients résidentiels ont été incités à se convertir à la biénergie[5]. Lors de la phase 2, l’offre de biénergie sera élargie aux sous-secteurs commercial et institutionnel[6]. Une décision concernant la mise en œuvre de la phase 2 devrait être prise au cours du printemps 2023 par la Régie de l’énergie. Notons que l’entente vise également à inciter les propriétaires de nouveaux bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels à choisir un système de chauffage biénergie[7].

L’entente est soutenue par le gouvernement du Québec, qui a clairement signifié à la Régie de l’énergie son désir d’encourager la conversion des systèmes de chauffage à la biénergie (électricité et gaz naturel[8]). L’entente s’inscrit ainsi pleinement dans le Plan pour une économie verte 2030, qui vise à réduire les émissions liées au chauffage de 50 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici la fin de la décennie[9].

Tout client d’Énergir, nouveau ou non, qui souhaite convertir son système de chauffage à la biénergie bénéficie de subventions[10] couvrant jusqu’à 80 % des coûts de conversion[11], de la part du gouvernement du Québec et d’Hydro-Québec.

La conversion à la biénergie permettrait de réduire la consommation de gaz naturel des clients résidentiels, commerciaux et institutionnels participants de plus de 70 %[12]. En contrepartie, l’électrification des bâtiments (résidentiels, commerciaux et institutionnels) convertis à la biénergie demanderait à Hydro-Québec de fournir une puissance additionnelle de 63 MW en 2030[13].

Selon Hydro-Québec, la mise en place de la biénergie lui permettrait d’économiser 1,682 milliard de dollars comparativement à ce que lui coûterait une électrification complète du chauffage des bâtiments[14], celle-ci demandant 2 070 MW de capacité installée supplémentaire d’ici 2030[15], à un coût estimé à 2,7 milliards de dollars (voir le tableau suivant).

Tableau récapitulatif comparant l'électrification totale du secteur du bâtiment (scénario "tout à l'électricité", TAÉ) à la mise en place de l'entente biénergie (scénario "biénergie")
Source : Régie de l’énergie du Québec, « Décision – Demande relative aux mesures de soutien à la décarbonisation du chauffage des bâtiments – Phase 1 (R-4169-2021) », Régie de l’énergie du Québec, 19 mai 2022.

De son côté, Énergir se voit offrir une compensation financière (appelée « contribution GES[16] ») d’un montant maximal cumulatif de 403 millions de dollars à l’horizon 2030[17] pour la perte de revenus associée au passage d’une partie de sa clientèle à la biénergie, dans le but d’équilibrer les incidences tarifaires pour les clientèles des deux distributeurs. Cette compensation couvrirait environ 80 % de la perte de revenus d’Énergir[18], mais est tributaire des quantités effectives de gaz naturel qui auront été remplacées par l’électricité d’Hydro-Québec.

Incidences tarifaires cumulées des scénarios "tout à l'électricité" et "biénergie"
Source : Régie de l’énergie du Québec, « Décision – Demande relative aux mesures de soutien à la décarbonisation du chauffage des bâtiments – Phase 1 (R-4169-2021) », Régie de l’énergie du Québec, 19 mai 2022.

La biénergie : une solution optimale pour décarboniser les bâtiments ?

À première vue, l’entente sur la biénergie entre Hydro-Québec et Énergir constitue une solution intéressante pour assurer la décarbonisation du secteur du bâtiment. Elle permet à la fois de mieux gérer l’appel de puissance de pointe sur le réseau électrique et d’accompagner un distributeur de gaz naturel dans la réduction de ses livraisons d’énergie. Elle s’avère aussi plus économique pour Hydro-Québec qu’une électrification complète du chauffage des bâtiments. Bref, elle permet à l’ensemble des parties en cause d’atteindre une série d’objectifs économiques, techniques et climatiques d’importance.

Il s’agit également d’une solution audacieuse, rendue possible par une série de circonstances qui se renforcent mutuellement. Elle implique d’abord deux entreprises en situation de contrôle monopolistique qui se sont donné d’importants objectifs de décarbonisation. L’actionnaire d’Hydro-Québec, l’État québécois, s’est lui-même engagé sur une trajectoire de décarbonisation aux horizons 2030 et 2050, tandis que ceux d’Énergir – la Caisse de dépôt et placement du Québec et le Fonds FTQ – procèdent de manière délibérée à la décarbonisation de leurs portefeuilles d’investissements. L’entente elle-même est souhaitée et directement appuyée par le gouvernement du Québec. Finalement, elle permettrait de modérer les incidences tarifaires pour les clients des deux entreprises, comparativement à une électrification totale du chauffage des bâtiments.

En outre, cette façon de faire assure que la contribution GES versée par Hydro-Québec à Énergir demeure dans la sphère publique (par l’intermédiaire de la CDPQ) ou à tout le moins dans celle du bien commun (pour les centaines de milliers de Québécois dont une partie de l’épargne-retraite est gérée par le Fonds de solidarité FTQ).

Il convient toutefois de souligner les limites de l’entente. Tout d’abord, celle-ci ne concerne que le secteur du bâtiment (qui représente 35,9 % des volumes de gaz naturel distribués). Le secteur industriel, avec 64,1 % des volumes distribués, n’est pas visé par l’entente.

En outre, l’entente en soi n’intègre pas d’instruments ni de politiques complémentaires pouvant contribuer à décarboniser encore davantage le secteur du bâtiment et à modérer les répercussions sur les pointes du réseau électrique[19]. Bien que de telles mesures soient envisagées ou même en partie déployées par le gouvernement, Hydro-Québec et Énergir, elles ne forment pas une approche cohérente et intégrée[20]. Une telle approche aurait permis d’évaluer si les 30 % résiduels de la demande en chauffage que continuera à assumer Énergir selon l’entente sur la biénergie auraient pu être comblés, en tout ou en partie, par ces moyens complémentaires.

L’entente sur la biénergie pourrait aussi mener à un certain « verrouillage carbone » du secteur du bâtiment au Québec. En effet, le remplacement des systèmes de chauffage en fin de vie ainsi que le raccordement de nouveaux clients au réseau d’Énergir (et par extension, l’offre de biénergie) d’ici 2030 fixent un certain niveau de consommation de gaz naturel jusqu’en 2045, les contrats avec les clients étant d’une durée de quinze ans. Cela est d’autant plus préoccupant que cette situation va à l’encontre des recommandations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), notamment celle d’interdire l’installation de nouvelles chaudières consommant des combustibles fossiles dès 2025, si l’on souhaite atteindre la carboneutralité d’ici la moitié du siècle[21].

Finalement, Énergir souhaite remplacer par du GNR les 30 % résiduels de gaz naturel qui seront nécessaires selon l’entente, pour décarboniser entièrement le secteur du bâtiment à l’horizon 2050. Néanmoins, rien n’indique pour le moment que le GNR sera disponible en quantité suffisante pour remplacer complètement ces 30 % résiduels. À titre d’exemple, en 2022, le GNR représentait seulement 0,6 % du gaz naturel distribué par Énergir[22].

Un modèle innovant, reproductible ailleurs au Canada ?

L’entente biénergie entre Hydro-Québec et Énergir renforce l’idée voulant que la diminution rapide de la production et de la consommation de combustibles fossiles implique inévitablement une intervention publique structurante, ce que procure ici, directement et indirectement, l’intervention et le soutien de l’État québécois.

L’entente s’inscrit dans un contexte d’affaires, réglementaire et politique particulier. La propriété des deux partenaires relève en grande partie du domaine public ; chacun d’eux s’est placé sur une trajectoire de décarbonisation ; et le gouvernement du Québec a pris des engagements vigoureux en faveur de la lutte contre les changements climatiques et d’une réduction radicale de la place des carburants fossiles. Il est possible que d’autres entreprises d’utilité publique ailleurs au Canada trouvent un intérêt à s’en inspirer en l’adaptant à leur propre réalité.

En définitive, Hydro-Québec et Énergir, appuyées par le gouvernement du Québec, adoptent à travers cette entente une approche proactive relativement à la transition énergétique, plutôt que passive ou réactive. C’est peut-être là une des leçons les plus intéressantes à tirer de cette étude de cas.


Comparaison des incitations financières canadiennes et américaines pour le CUSC dans le secteur pétrolier

Sept recommandations pour mobiliser les investissements publics et aider le canada a être compétitif dans la transition énergétique mondiale

Examen des obstacles aux projets inédits de combustibles propres au Canada

Les crédits d’impôt pour l’hydrogène dans la loi américaine sur la réduction de l’inflation

Introduction

En août 2022, les États-Unis adoptaient la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act). Cette loi historique prévoit environ 369 milliards de dollars pour la sécurité énergétique et la lutte contre les changements climatiques – un pari sans précédent sur l’hydrogène propre –, en instaurant un nouveau crédit d’impôt à la production, et en étendant le crédit d’impôt à l’investissement existant aux projets d’hydrogène et aux technologies indépendantes de stockage d’hydrogène.

On utilise les crédits d’impôt partout dans le monde. Ils servent à diriger le capital privé vers les projets voulus, subventionnant en quelque sorte une part des coûts des biens ou comportements dont on veut favoriser l’adoption. Au Canada, il existe par exemple des crédits pour les dons de bienfaisance des particuliers et la recherche scientifique des entreprises. Bien que le concept soit souvent confondu avec les déductions du revenu imposable, les crédits d’impôt remboursables sont plutôt des paiements directs qui, comme les subventions, sont puisés dans les fonds publics.

Les crédits d’impôt ont le pouvoir de rendre la production d’hydrogène propre plus attrayante que les autres options : ils peuvent réduire les coûts des investissements, augmenter le rendement du capital investi, et même stimuler la demande lorsqu’ils subventionnent des applications finales comme des véhicules utilitaires lourds à l’hydrogène.

Cette étude de cas examinera divers effets de l’application de crédits d’impôt au pays et à l’international sur les secteurs privé et public, y compris l’incidence sur la concurrence mondiale. Depuis l’adoption de la loi sur la réduction de l’inflation au sud de la frontière, les entreprises canadiennes réclament un soutien supplémentaire de l’État, craignant que les projets et les investissements migrent là où les avantages économiques sont les plus grands.

Dans l’Énoncé économique de l’automne 2022, le gouvernement du Canada a réitéré son intention de créer un crédit d’impôt à l’investissement pour l’hydrogène propre, un engagement du budget 2022. Ce crédit couvrirait un maximum de 40 % du coût des projets – une hausse par rapport au 30 % proposé au budget du printemps précédent –, selon les retombées climatiques et les conditions de travail. On peut s’attendre à ce qu’il serve trois visées, comme le montre la figure 1.

Figure 1 : Le crédit d’impôt pour l’hydrogène du Canada servirait trois visées stratégiques

Cliquez pour élargir

La présente étude de cas se penche sur les crédits pour l’hydrogène aux États-Unis et tire des leçons de leur conception pour orienter le soutien aux combustibles à hydrogène et l’application plus générale des crédits d’impôt au Canada.

Description de la politique

Les crédits d’impôt de la loi sur la réduction de l’inflation sont destinés aux projets d’hydrogène « propres », c’est-à-dire qui produisent moins de 4 kg d’équivalent dioxyde de carbone (éq. CO2) par kilogramme d’hydrogène, mesuré sur tout le cycle de vie. Aux fins de comparaison, l’hydrogène « gris » – à base de gaz naturel, le plus couramment produit aux États-Unis – émet de 10 à 12 kg d’éq. CO2 par kilogramme.

Puisque la définition ne précise pas le processus, de nombreuses technologies, comme l’électrolyse d’énergie renouvelable (hydrogène vert) ou le reformage du méthane à la vapeur avec captation du carbone (hydrogène bleu), sont admissibles aux crédits, tant que leurs émissions demeurent inférieures au plafond de 4 kg.

En plus d’encourager l’investissement et la production, la loi prévoit des crédits pour d’autres éléments de l’écosystème de l’hydrogène, notamment l’énergie propre, le stockage d’énergie, les véhicules à pile à combustible et les infrastructures de ravitaillement en carburants de remplacement.

Crédit d’impôt à l’investissement

Selon la loi sur la réduction de l’inflation, les installations de production d’hydrogène propre sont admissibles au crédit d’impôt à l’investissement pour l’énergie propre (article 48). Les promoteurs de tels projets peuvent donc recevoir un crédit équivalent à un maximum de 30 % des coûts, selon l’intensité d’émission des processus employés. La proportion du crédit maximal reçue pour l’année d’entrée en service des installations dépend de l’intensité d’émissions et des exigences concernant les salaires et l’apprentissage; le montant est multiplié par cinq lorsque certaines exigences sont remplies.

Tableau 1: Part des coûts du projet admissibles au crédit selon les émissions sur tout le cycle de vie (du puits à la porte)

Kg d’éq CO2 par kg d’hydrogène proprePart des coûts du projet admissibles au créditCrédit d’impôt si les exigences de salaire et d’apprentissage sont respectées
2,5 à 41,2%6% des coûts du projet
1,5 à 2,51,5%7,5% des coûts du projet
0,45 à 1,52%10% des coûts du projet
0 à 0,456%30% des coûts du projet

Le crédit d’impôt à l’investissement aide aussi les entreprises à obtenir du capital initial, un gros morceau du développement de projets. En effet, les banques et autres investisseurs tiennent compte des crédits accordés dans leurs décisions de financement. De plus, selon la loi américaine, les crédits pour l’hydrogène peuvent être transférés à des personnes non liées par une vente au comptant non imposable.

Crédit d’impôt à la production

Le nouveau crédit d’impôt à la production (article 45V) prévoit une subvention sur 10 ans en fonction de la quantité d’hydrogène produit. Sa valeur varie de 0,60 $ à 3,00 $ par kilogramme d’hydrogène propre, selon l’intensité d’émissions de gaz à effet de serre tout au long du cycle de vie; plus les émissions sont faibles, plus la subvention est élevée. Les chiffres du tableau 2 reflètent un scénario où toutes les exigences de salaire et d’apprentissage sont respectées.

Kg d’éq CO2 par kg d’hydrogène proprePourcentage du crédit d’impôt maximalCrédit d’impôt
2,5 à 420%0,60 $ US/kg
1,5 à 2,525%0,75 $ US/kg
0,45 à 1,533,4%1,00 $ US/kg
0 à 0,45100%3,00 $ US/kg

Avantages et limites de la politique

Il est encore trop tôt pour savoir si les crédits d’impôt américains arriveront à placer la production d’hydrogène propre au-dessus des processus plus polluants. Ainsi, les avantages et les limites du présent exposé de politique se basent sur la théorie économique générale et les expériences passées des États-Unis en matière de crédits d’impôt à la production d’énergie renouvelable. Nos voisins du sud utilisent de tels crédits avec succès depuis l’entrée en vigueur de la loi sur les politiques énergétiques (Energy Policy Act) de 1992. Le taux actuel de crédit à la production s’élève à 2,75 cents par kilowattheure pour les centrales éoliennes, solaires, géothermiques et de biomasse à circuit fermé.

Avantages

  1. Les crédits d’impôt sont conçus pour stimuler l’investissement privé.

Les crédits d’impôt réduisent les coûts privés du développement et de l’exploitation pour rendre les projets plus intéressants sur le plan financier et attirer des flux de capitaux locaux et étrangers. La prise de conscience que la transition énergétique impliquera de rediriger l’investissement privé dans la croissance propre tout en captant de nouvelles sources d’investissement étranger viendra dynamiser la croissance économique de façon générale.

  1. La politique encourage la croissance du secteur de l’hydrogène propre et fera baisser les prix.

De nouveaux investissements et un intérêt renouvelé du privé permettront de développer le secteur de l’hydrogène propre et d’en améliorer les processus et l’efficacité pour réduire les prix. Aux États-Unis, la croissance du secteur a fait chuter les coûts de la production de l’énergie solaire et éolienne, grâce aux économies d’échelle notamment engendrées par les crédits d’impôt et à une optimisation fondées sur les courbes d’apprentissage ou d’expérience. Résultat : sur le cycle de vie complet des projets, le solaire et l’éolien ont un coût de plus en plus concurrentiel par rapport aux méthodes de production d’électricité plus polluantes.

  1. La politique aide la production d’hydrogène propre à rivaliser avec les options plus polluantes.

En l’absence de subventions, les acteurs privés se tourneront vers l’option la plus économique pour produire et transporter l’hydrogène. Aux États-Unis, ce sera souvent les gaz fossiles. Les crédits d’impôt pour l’hydrogène propre recentrent le marché sur les moyens de production moins polluants. Les crédits à l’investissement encouragent le secteur privé à assumer les risques associés aux projets d’hydrogène propre, tandis que les crédits à la production assurent un rendement du capital investi additionnel à la valeur marchande. L’hydrogène propre est ainsi plus apte à rivaliser avec les options polluantes – un facteur crucial pour la décarbonisation profonde – et à contribuer à la croissance et à l’emploi dans le secteur de l’énergie propre.

  1. Le secteur visé par les crédits d’impôt recèle un fort potentiel d’exportation.

Comme on prévoit une forte demande de combustibles à base d’hydrogène avec la décarbonisation mondiale, l’hydrogène présente un potentiel d’exportation internationale. Le développement d’une économie locale capable d’y répondre constitue une stratégie d’avenir judicieuse, qui prépare le pays à la transition énergétique mondiale tout en lui permettant de contribuer à l’approvisionnement en combustibles propres pour combattre la crise climatique.

  1. La politique s’accompagne de strictes exigences visant des conditions de travail pour garantir l’appui du public et répondre aux objectifs sociaux.

Aux États-Unis, l’admissibilité aux crédits d’impôt pour l’hydrogène propre dépend entre autres de critères de salaire et d’apprentissage favorisant la création de bons emplois et le développement des talents, notamment par l’offre du salaire courant à certains employés et l’embauche d’un nombre minimal d’apprentis inscrits. Cette mesure contribue aux objectifs d’équité sociale en maintenant une norme locale plus élevée pour les salaires, la formation et la qualité du travail. Ce faisant, elle garantit l’appui soutenu du public, puisque les entreprises comme les travailleurs en bénéficient directement.

Limites

  1. La politique puise dans un budget public limité.

Les subventions financent des activités privées à même les fonds publics, ce qui entraîne un coût de renonciation, par exemple des dépenses en santé sacrifiées. Il arrive que le public critique ces orientations, leur opposant des besoins à plus court terme. De plus, la prise d’un pari technologique audacieux par le gouvernement peut être risquée; la capacité d’expansion, la compétitivité mondiale et le résultat d’une solution sobre en carbone demeurent incertains. Par ailleurs, comme les crédits d’impôt visent à stimuler l’adoption, leur coût augmentera à mesure que la technologie se répandra. Ainsi, pour éviter les dépassements budgétaires futurs, il pourrait être nécessaire d’imposer un plafond sur les dépenses totales (ou le coût de renonciation) de la politique.

  1. L’investissement public dans des crédits d’impôt peut créer des pressions inflationnistes réelles ou perçues.

En novembre 2022, le taux d’inflation du Canada s’élevait à 6,8 %, ce qui représente une diminution par rapport au 8,1 % de juin 2022 – le plus haut niveau en 39 ans –, mais demeure bien au-dessus du 1 à 3 % visé par la Banque du Canada. Dans ce contexte macroéconomique, les interventions doivent être mûrement réfléchies. Toute dépense supplémentaire du gouvernement peut avoir un effet inflationniste, réel ou perçu. Devant cette crainte, une opposition politique importante a obligé les États-Unis à prévoir le financement complet de la loi sur la réduction de l’inflation, partiellement en coupant dans d’autres secteurs, mais surtout en augmentant l’impôt pour les entreprises hautement profitables. Il demeure bien sûr possible qu’une dépense publique n’entraîne aucune inflation si elle augmente la productivité ou atténue les difficultés d’approvisionnement en énergie ou en main-d’œuvre, facteurs à ne pas négliger dans la conception de la politique canadienne.

  1. La conception de crédits d’impôt efficaces requiert des connaissances techniques sur le secteur et une confiance en des projections incertaines.

Des connaissances techniques seront nécessaires pour définir des subventions et des critères d’admissibilité adéquats : un crédit d’impôt trop généreux risquerait de créer un système parasitaire, dans lequel les investisseurs auraient accepté un taux bien moindre, mais un montant trop faible ne permettrait pas à l’hydrogène propre de faire concurrence aux formes plus polluantes d’hydrogène ou aux autres solutions énergétiques. Pour trouver l’équilibre, il faudra connaître les coûts actuels de la technologie et des projets, mais aussi avoir des projections fiables des coûts futurs. On recommande souvent aux gouvernements d’éviter les politiques qui requièrent moult connaissances sur une technologie ou un secteur précis, ou encore la contribution majeure de consultants spécialisés. Même les plus grands experts ne pourront fournir que des estimations incertaines, car les circonstances futures comme le prix des autres solutions énergétiques demeurent changeantes.

  1. Les seuils des incitatifs risquent d’avoir un effet pervers.

Pour obtenir les plus grands crédits d’impôt selon la loi américaine, il suffit de ne pas dépasser 4 kg d’éq. CO2 par kilogramme d’hydrogène produit. Or, un tel plafond peut nuire à l’innovation, car il n’offre aucun incitatif au développement de méthodes encore plus propres. Plus les critères d’admissibilité sont prescriptifs, plus le risque de conséquences indésirables est grand. La théorie économique veut que les subventions non ciblées créent moins de distorsion. Il est aussi important de souligner que les coûts de la production d’hydrogène varieront grandement d’une région à l’autre, de sorte que l’application d’un programme unique dans tout le pays avantagerait disproportionnellement certaines régions.

Leçons pour le Canada

Le secteur de l’hydrogène est mûr pour un essor de la demande mondiale; plusieurs régions revendiquent une plus grande part du marché international de la production. L’Agence internationale de l’énergie estime d’ailleurs que l’hydrogène pourrait représenter jusqu’à 10 % de la consommation d’énergie finale d’ici 2050.

De plus, le Canada est naturellement avantagé sur le marché international en raison de ses abondantes ressources en eau, qui lui confèrent une bonne capacité de production d’énergie propre pour l’électrolyse et augmentent le potentiel de production d’hydrogène vert à grande échelle. Le Canada dispose aussi d’une expertise établie dans des domaines connexes, comme la production de piles à combustible et la captation et le stockage du CO2. Tout autant de facteurs qui viendront jouer sur les leçons à tirer de la politique américaine.

  1. Tenir compte de la tarification canadienne du carbone au moment d’examiner les coûts relatifs de la production au pays.

Pour que la production d’hydrogène propre soit une option attrayante au Canada, elle devra être au moins aussi rentable que les solutions plus polluantes. Le coût de l’hydrogène vert est largement dicté par le coût de l’électricité renouvelable, et celui de l’hydrogène gris, par le coût du gaz naturel. Aux États-Unis, les politiques ne ciblent que le coût de l’hydrogène vert, utilisant des crédits d’impôt pour réduire les coûts des projets ou améliorer le rendement de la production. Mais au Canada, on travaille aussi en sens inverse, en imposant une tarification du carbone sur les combustibles fossiles pour augmenter le coût de l’hydrogène gris et en faire une option comparativement moins désirable. Ainsi, contrairement aux États-Unis où la pollution n’est pas imposée à l’échelle fédérale, le Canada devra tenir compte de cette tarification au moment d’évaluer les différences de coûts relatives.

Dans les faits, au Canada, la tarification du carbone réduit la taille des crédits d’impôt nécessaires pour stimuler efficacement le développement voulu; c’est là une différence majeure avec le contexte américain, qui doit entrer en ligne de compte dans la politique nationale.

  1. Prendre en considération la concurrence internationale pour fixer le montant des crédits d’impôt.

Rien ne garantit que l’hydrogène vert sera préféré aux hydrogènes plus sales sur la scène internationale. Aussi le succès des exportations canadiennes dépendra-t-il largement des ambitions climatiques des marchés importateurs. Un crédit d’impôt conçu spécifiquement pour faire de l’hydrogène vert une option alléchante au pays n’assurera pas automatiquement à cette forme d’énergie un avantage concurrentiel sur le marché mondial, et l’augmentation de ce crédit ne constituerait pas nécessairement une façon efficace ou pratique d’y remédier. De plus, les coûts pour transporter l’hydrogène jusqu’aux marchés étrangers sont de plus en plus grands. Le Canada devra donc étudier soigneusement ses options et cibler les régions les plus susceptibles d’instaurer des politiques favorisant les formes d’hydrogène propres – par exemple l’Union européenne –, où il pourra plus facilement exploiter son avantage comparatif en matière d’électricité propre.

  1. Imposer des critères de rendement pour l’octroi des subventions.

Les crédits d’impôt à la production sont considérés par les économistes comme plus efficaces que les crédits d’impôt à l’investissement, particulièrement lorsqu’il est question de technologie et d’énergie propres, parce qu’ils contribuent davantage aux objectifs finaux, soit, ici, la production d’hydrogène propre. Les crédits d’impôt à l’investissement ne visant que les coûts des projets entraînent parfois un usage inefficace des fonds publics, car certains projets échouent, et les coûts peuvent varier grandement pour un même résultat. Bien que le Canada semble prêt à aller de l’avant avec un généreux crédit à l’investissement de 40 %, il lui faudra relier cet incitatif au rendement final : la quantité d’hydrogène propre produit et, éventuellement, d’autres indicateurs en lien avec la santé de l’écosystème, comme la formation et la croissance régionales.

  1. Soutenir et prioriser l’écosystème de l’hydrogène dans son entièreté.

Les États-Unis s’attaquent aux trois obstacles à la croissance de l’hydrogène propre : les investissements risqués, les coûts de production élevés et le manque d’infrastructures pour répondre à la demande (p. ex., infrastructures de stockage et de transport). En plus des crédits d’impôt à l’investissement et à la production, ils ont adopté en novembre 2021 une loi bipartite sur les infrastructures qui consacrait 1 milliard de dollars américains à la recherche sur l’électrolyse, 0,5 milliard à la recherche et au développement pour la production et le recyclage d’hydrogène propre, et 8 milliards pour la création de pôles régionaux de l’hydrogène propre. Un soutien continu pour la recherche, le développement et les démonstrations sera probablement aussi nécessaire au Canada, puisque l’hydrogène propre n’a toujours pas atteint sa pleine maturité technologique. Des politiques d’appoint pourraient venir stimuler la demande nationale, par exemple des programmes pour les véhicules utilitaires lourds à l’hydrogène propre et les infrastructures connexes.

Conclusion

Les crédits d’impôt ont le potentiel d’attirer des investissements privés qui favoriseront la croissance économique, y compris des investissements directs étrangers. Des crédits pour l’hydrogène propre viendraient renforcer le secteur en permettant une optimisation grâce aux économies d’échelle et en contribuant à la production d’un combustible essentiel à l’atteinte des cibles climatiques du Canada. Ils faciliteraient aussi l’exportation éventuelle de combustible propre, une commodité qui risque d’être de plus en plus courue dans un monde en décarbonisation. Cependant, les coûts pour les contribuables doivent être soigneusement soupesés, et il pourrait être judicieux de faire appel à une expertise technique pour fixer des incitatifs qui n’encourageront pas les comportements parasitaires. Par ailleurs, le Canada pourrait devoir s’en remettre aux ambitions climatiques de ses partenaires pour l’exportation de son hydrogène propre. Parallèlement, il devra développer son propre marché en soutenant les applications finales et les infrastructures de transport et en créant des conditions propices à l’essor du secteur, notamment avec une tarification croissante du carbone.

La politique de contrats sur différence encadrant la production d’électricité renouvelable du Royaume-Uni

Introduction

Instaurés en 2014, les contrats sur différence (CfD) du Royaume-Uni sont des mesures financées par l’État pour soutenir les projets d’énergie renouvelable d’envergure. Conçue pour protéger les promoteurs de projet contre les fluctuations du prix de gros de l’électricité, la politique de CfD vise les investissements dans l’énergie propre (surtout l’énergie éolienne en mer, jusqu’à présent).

Dans le cadre de son nouveau Fonds de croissance, le Canada reconnaît l’efficacité des politiques de CfD pour procurer une assurance sur les prix ou les revenus au secteur privé. Il envisage aussi des façons d’améliorer la prévisibilité de son calendrier de tarification du carbone à l’aide de contrats carbone sur la différence, une stratégie semblable à celle des CfD britanniques, mais qui touche le prix du carbone plutôt que celui de l’électricité.

En fait, la politique de CfD du Royaume-Uni comble l’écart entre le prix dont un producteur d’énergie propre a besoin pour que l’investissement soit intéressant et le prix dicté par la dynamique de l’offre et de la demande sur le marché fluctuant de l’énergie. Les CfD apportent donc la garantie d’une source de revenus constante, ce qui atténue le risque financier pour le secteur privé et crée un contexte plus favorable aux investissements que celui entourant d’autres formes d’énergie.

Grâce à la certitude apportée par les CfD, les promoteurs bénéficient d’un taux d’intérêt moins élevé, ce qui attire de nouveaux acteurs qui stimulent la concurrence et contribuent à réduire les coûts. Ces conditions d’investissement favorables, combinées aux progrès technologiques et aux économies d’échelle, ont permis une diminution considérable du coût public par kilowatt des CfD au fil des années.

Figure 1 : Les CfD du Royaume-Uni réduisent les coûts pour l’État en améliorant la prévisibilité des prix pour le secteur privé

Ce schéma montre que la certitude des prix provoque une confiance accrue des investisseurs, ce qui permet aux capitaux d'affluer, créant une concurrence accrue entre les investisseurs, causant des taux d'intéret et taux de rendement minimal plus bas.
Source : Évaluation du programme de contrats sur différence (Evaluation of the Contracts for Difference scheme)

Axés sur des subventions, les CfD du Royaume-Uni ont une structure financière unique. En effet, même si l’un de leurs objectifs à long terme est de stabiliser les tarifs d’électricité à la consommation, ce sont les consommateurs d’énergie qui les paient, au bout du compte. Le paiement des CfD est financé par une taxe prévue dans la loi pour tous les fournisseurs d’électricité autorisés, qui en refilent les coûts dans la facture d’électricité des particuliers et des entreprises.

Les décideurs ont justifié l’intervention dans le marché privé par trois objectifs : réductions d’émissions de gaz à effet de serre, sécurité énergétique et abordabilité de l’énergie à long terme. Concernant le premier, le Royaume-Uni vise la carboneutralité d’ici le milieu du siècle, s’engageant à décarboniser d’ici 2035 son réseau électrique qui compte aujourd’hui plus de 40 % de combustibles fossiles.

Parallèlement, la crise énergétique actuelle de l’Europe a hissé la sécurité énergétique et l’abordabilité de l’énergie au sommet des préoccupations politiques. Bien que certains observateurs aient suggéré de mettre la poussière sous le tapis en augmentant la production de combustibles fossiles, plusieurs chefs du gouvernement du Royaume-Uni consécutifs ont fait remarquer que l’énergie renouvelable protège de l’instabilité le cours des combustibles fossiles, qui sont fixés par les marchés internationaux.

Le comité indépendant sur les changements climatiques, conseiller officiel du gouvernement en la matière, estime que la carboneutralité demandera un investissement de 50 milliards de livres (81 milliards de dollars canadiens) par année d’ici 2030, dont une grande part servira à remplacer les infrastructures énergétiques désuètes. Le Royaume-Uni a indiqué son intention d’obtenir 90 milliards de livres (146 milliards de dollars canadiens) de bailleurs de fonds privés jusqu’en 2030.

Avec ces objectifs clairement définis, le gouvernement du Royaume-Uni donne le coup d’envoi à sa politique de CfD en février 2022, s’engageant à lancer des enchères annuelles à partir de mars 2023, plutôt que les enchères bisannuelles prévues, afin d’attirer des capitaux privés et déployer l’énergie renouvelable plus rapidement.

Description de la politique

Au Royaume-Uni, les producteurs d’énergie vendent leur électricité dans un marché libre ou parfois dans le cadre d’un accord d’achat d’énergie. Le prix courant fluctue selon la dynamique de l’offre et de la demande; le prix reçu est fixé en fonction du coût d’approvisionnement de la dernière unité d’électricité vendue. C’est le coût marginal de la production d’électricité à partir de combustibles fossiles qui sert actuellement de barème pour le prix de gros dans l’ensemble du marché. Puisque le prix des combustibles fossiles dépend du marché international, les prix de l’électricité peuvent varier considérablement, et sont actuellement très élevés en raison de l’instabilité géopolitique du pays.

Les CfD sont conçus pour combler l’écart entre le prix de gros courant et le prix d’exercice du producteur. Le prix d’exercice est déterminé au moment de la mise aux enchères, et une fois fixé, demeure stable pour la durée du contrat, actuellement fixée à 15 ans. Les producteurs sont assurés de recevoir le prix d’exercice pour chaque unité d’électricité produite.

Durant la mise aux enchères, les producteurs d’énergie renouvelable soumettent une offre secrète, qui correspond au prix du kilowattheure qu’ils souhaitent obtenir pour que le projet soit profitable. Une limite administrative est établie par le département des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie du Royaume-Uni, l’entité responsable de la politique. L’exploitant du réseau britannique, le National Grid, dirige les enchères et classe les offres par prix à l’unité. Il accepte ensuite les meilleures offres jusqu’à ce que les plafonds de budget ou de puissance soient atteints. L’offre secrète du dernier projet accepté fixe le prix d’exercice que tous les fournisseurs retenus recevront, pourvu qu’ils soient dans le même groupe d’année ou de technologie. Bien qu’il s’applique aux 15 années du contrat, le prix d’exercice est indexé à l’inflation au moyen de correctifs annuels.

Même si la politique est chapeautée par le département des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle, les contrats sont quant à eux administrés par la Low Carbon Contracts Company, une société d’État. Celle-ci est aussi responsable de récupérer les coûts du programme au moyen d’une taxe aux fournisseurs d’électricité – c’est-à-dire les intermédiaires qui livrent le produit final aux consommateurs.

Un aspect important de la conception des CfD est le caractère bidirectionnel des paiements. Si le prix de gros moyen (le prix de référence) est inférieur au prix d’exercice, la Low Carbon Contracts Company paie la différence au producteur. À l’opposé, si le prix de référence est supérieur au prix d’exercice, le producteur paie la différence à la Low Carbon Contracts Company (figure 2).

Jusqu’à récemment, le prix de référence avait toujours été inférieur au prix d’exercice des projets, et la Low Carbon Contracts Company payait la différence aux producteurs. Toutefois, le déclenchement de la crise énergétique dans l’Union européenne et la hausse vertigineuse du prix des combustibles fossiles ont fait grimper le prix de gros de l’électricité au-delà du prix d’exercice. Résultat : les producteurs ont dû verser des paiements à la Low Carbon Contracts Company.

Figure 2 : Dans un CfD bidirectionnel, les entreprises versent ou reçoivent des paiements selon le prix sur le marché.

Ce graphique montre le caractère bidirectionnel des paiements des CfD. Si le prix de gros moyen (le prix de référence) est inférieur au prix d’exercice, la Low Carbon Contracts Company paie la différence au producteur. À l’opposé, si le prix de référence est supérieur au prix d’exercice, le producteur paie la différence à la Low Carbon Contracts Company.
Source : Note d’information : introduction aux CfD et leur rôle dans la crise énergétique (Briefing: An introduction to the CfD and its role in the energy bill crisis).

Les CfD continuent de susciter un intérêt considérable dans le secteur privé, qui investit massivement dans le marché. Les résultats de la quatrième ronde d’allocation de la politique, publiés en juillet 2022, indiquent la venue de 93 nouveaux projets, soit davantage que les trois dernières enchères réunies, ce qui porte à 168 le total de CfD administrés. Il est prévu que cette ronde d’allocation apportera près de 11 gigawatts de puissance supplémentaire provenant de l’énergie solaire, de l’éolien en mer, de l’éolien terrestre, de l’éolien en zone insulaire éloignée et – pour la toute première fois – de projets d’énergie marémotrice et d’éoliennes flottantes. Lorsque tous ces projets entreront en activité, l’ensemble des projets liés aux CfD comblera environ 30 % des besoins en énergie du Royaume-Uni. La cinquième ronde, prévue pour mars 2023, rehaussera encore cette proportion.

Avantages et limites de la politique

Grâce aux ajouts considérables à la puissance d’électricité renouvelable et à une conception innovante axée sur des enchères, la politique de CfD du Royaume-Uni est largement reconnue comme une réussite. Elle comporte plusieurs avantages par rapport au programme précédent, le système d’obligation d’énergies renouvelables (Renewables Obligation system), qui contraignait les fournisseurs à s’approvisionner d’une plus grande part d’énergies renouvelables, un peu comme le ferait une norme de portefeuille renouvelable. Puisque ce système aurait pu mener aux mêmes résultats en matière de puissance d’électricité renouvelable que les CfD, il est pertinent d’examiner les caractéristiques précises qui ont fait la réputation mondiale de la politique de CfD du Royaume-Uni, sans toutefois ignorer ses limites.

Avantages

1. La politique de CfD du Royaume-Uni est conçue pour offrir une assurance de prix tout en demeurant une solution économique qui réduit au maximum le fardeau sur les fonds publics. Les programmes de subventions sont souvent critiqués pour leur inefficacité, notamment lorsque des paiements financés par l’État, plus élevés que ce qu’il faudrait pour susciter l’intérêt du secteur privé, encouragent le resquillage. Ce phénomène peut s’avérer problématique, car l’augmentation des paiements publics ne s’accompagne pas d’une augmentation des investissements. La politique a permis d’enrayer ce phénomène grâce à la nature concurrentielle des enchères, qui ont su inciter la concurrence et profiter de la baisse des coûts des technologies d’énergie renouvelable.

Les coûts par kilowattheure d’énergie éolienne en mer ont diminué considérablement à chaque ronde de CfD, totalisant une baisse importante de 65 à 75 % depuis les premières enchères en 2015.

Comme seules les plus petites offres sont retenues, les acteurs du privé doivent rivaliser d’inventivité pour trouver des moyens de faire baisser les coûts et, au bout du compte, alléger la facture des contribuables.

2. Compte tenu du caractère bidirectionnel de la politique, les paiements peuvent être reçus ou versés, ce qui limite le risque que les fonds publics financent de généreux bénéfices.

La bidirectionnalité, qui fait en sorte que les producteurs versent des paiements lorsque le prix de gros de l’électricité est élevé, a été particulièrement importante pour l’efficience, mais aussi pour gagner l’appui du public. Depuis septembre 2021, le sommet atteint par les prix de l’énergie a obligé les producteurs d’énergie sobre en carbone à verser des paiements pour contrebalancer les excès de revenus par rapport au prix d’exercice établi. Puisque la nature des CfD empêche en grande partie de rafler des profits exceptionnels lorsquve le prix de gros atteint des sommets, les producteurs sont exemptés de la taxe de 45 % sur les profits imprévus que le Royaume-Uni imposera à d’autres fournisseurs d’énergie de janvier 2023 à mars 2028. Cette politique représente aussi des économies pour les contribuables, en plus d’un milliard de livres (1,66 milliard de dollars canadiens) en revenus provenant des paiements des producteurs prévus d’avril 2022 à mars 2023.

3. Le programme est administré par un organe indépendant du gouvernement, ce qui réduit le risque politique.

L’administration des CfD par une société indépendante protège l’intégrité du programme contre les fluctuations politiques. Les promoteurs de projets d’énergie renouvelable retenus signent un contrat de droit privé avec la Low Carbon Contracts Company, qui s’occupe de rédiger les contrats, de les administrer pendant les phases de construction et de livraison, et de verser les paiements de CfD. Le gouvernement est le seul actionnaire de la Low Carbon Contracts Company. Il siège donc au conseil et est tenu de produire certains rapports au département des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle. Toutefois, les CfD sont conçus comme des contrats de droit privé, selon lesquels la Low Carbon Contracts Company est la partie contractante, et ne peuvent être résiliés sans conséquences juridiques. Ces dispositions protègent la politique des interférences politiques ou de l’annulation, favorisant la confiance des investisseurs.

Limites

1. La politique est régressive, au sens qu’elle touche plus durement le pouvoir d’achat des ménages à faible revenu.

Étant donné que la politique de CfD est payée par les consommateurs par l’intermédiaire d’une taxe à l’unité, plus on consomme d’électricité, plus on paie cher pour le programme. Bien que le volume d’électricité consommée augmente habituellement avec le revenu – rendant les paiements du programme plus élevés pour les plus nantis – les personnes à faible revenu consacrent généralement une plus grande proportion de leur revenu aux coûts d’énergie, ce qui rend la politique régressive. C’est pourquoi il est préférable de mettre en place des politiques complémentaires pour réduire le fardeau disproportionné de la taxe sur les ménages à faible revenu. Le programme de réductions sur le chauffage du Royaume-Uni (Warm Home Discount Scheme), les bons de carburant et les allocations par temps froid (Cold Weather Payments) sont tous des exemples de politiques complémentaires offrant des mesures d’appui ciblées.

2. Il faut un certain temps avant d’obtenir des résultats mesurables, aussi bien sur le plan des ajouts de puissance d’énergie renouvelable que sur celui des réductions d’émissions qui en découlent.

Bien que toutes les politiques prennent du temps à montrer des résultats, l’exemple du Royaume-Uni montre clairement le long délai entre la mise en œuvre de la politique et l’atteinte des objectifs de production d’énergie renouvelable. Les projets des contrats octroyés en octobre 2019 seront complètement en service d’ici 2027 seulement. Il y aura toutefois une montée graduelle de la capacité renouvelable à partir de 2024. Les décisions d’investissement industriel du secteur privé peuvent prendre des années à se concrétiser, et la certitude financière offerte par les CfD est nécessaire avant que la plupart des projets puissent commencer à toucher des capitaux et les procédures d’approbation comme la diligence raisonnable. Les réductions d’émissions peuvent se mesurer après de nombreuses années.

3. La structure de rendement n’est pas sans compter des lourdeurs administratives.

Depuis septembre 2021, les prix de gros de l’énergie dépassent les prix d’exercice des CfD, ce qui oblige les producteurs à verser des paiements à la Low Carbon Contracts Company. Dans ce cas, la taxe pour les fournisseurs est levée, parce que les règlements de l’entreprise ne l’autorisent pas à imposer une taxe négative. À la place, les flux inverses ont lieu à des points de rapprochement trimestriels, où l’entreprise paie le montant accumulé des paiements aux fournisseurs. Le problème, c’est que ces paiements trimestriels ne se traduisent pas par des réductions équivalentes dans la facture des consommateurs. Les fournisseurs peuvent en faire ce qu’ils veulent, et il est difficile de dire dans quelle mesure ces paiements aident à réduire les factures d’électricité, c’est-à-dire que le lien entre l’économie financière et les frais imputables n’est pas toujours connu.

Leçons pour le Canada

Globalement, la politique de CfD peut être appliquée à d’autres technologies d’atténuation des changements climatiques envisagées au Canada, comme la captation et le stockage du CO2 et la production d’hydrogène propre. Il y a ainsi plusieurs leçons à tirer de la politique britannique des CfD, qui pourraient être bénéfiques au développement de positionnements du pays, notamment vu l’intérêt du Canada pour ce modèle financier comme levier de décarbonisation industrielle, notamment dans le cadre de son nouveau Fonds de croissance.

1. Favoriser la certitude sur les prix ou les revenus pour amoindrir le risque financier et favoriser les investissements à long terme.

Les CfD peuvent susciter des investissements privés grâce à la gestion des risques, notamment en procurant de la certitude quant aux revenus d’un projet. La politique de CfD du Royaume-Uni confie aussi l’administration des contrats à une société indépendante, la Low Carbon Contracts Company, ce qui la met à l’abri des fluctuations de soutien politique et du risque de démantèlement. L’entreprise pourrait être un modèle pertinent pour l’administration des 15 milliards de dollars du Fonds de croissance. Le Fonds, dont le lancement est prévu d’ici la fin de l’année, promet de comporter une structure « indépendante permanente », qui sera établie dans la première moitié de 2023. Bien que les modalités ne soient pas encore connues, le gouvernement a clairement indiqué que le Fonds de croissance allait passer d’une filiale supervisée par la Corporation de développement des investissements du Canada à une institution disposant d’une autonomie opérationnelle.

2. Aider les investisseurs privés à absorber les coûts d’emprunt pour réduire le coût global des projets, ce qui diminue les subventions nécessaires pour encourager le développement de projets.

Les coûts en capital peuvent représenter une part importante des coûts d’un projet et un indicateur de la réalisation du projet, et les coûts augmentent généralement avec le profil de risque du projet. L’assurance que procurent les CfD rend un projet plus intéressant pour les investisseurs, en diminuant les taux d’intérêt et ainsi le coût total pour les promoteurs de projet. Au-delà de l’assurance d’un programme solide et viable, la politique nécessite des établissements de crédit sophistiqués, et les programmes gouvernementaux pourraient être développés pour assurer la capacité à cerner correctement les effets d’atténuation du risque de la politique.

3. Cibler des technologies abouties et établies si on utilise la même structure de CfD que le Royaume-Uni.

La politique de CfD britannique a été appliquée au moment où la production d’énergie renouvelable, en particulier l’énergie éolienne en mer, était à maturité. Pour arriver à ce point, les politiques du gouvernement se sont d’abord concentrées sur l’investissement dans la recherche et le développement et la croissance de la chaîne d’approvisionnement. Les politiques de CfD sont peut-être plus utiles pour des technologies éprouvées déployées à grande échelle, plutôt que pour des innovations aux premiers stades.

4. Exiger plusieurs soumissionnaires durant chaque enchère pour favoriser une saine concurrence.

Par sa conception axée sur les enchères, les CfD du Royaume-Uni ont réussi à faire baisser davantage les coûts que d’autres formes de subvention. Les acteurs privés sont encouragés à trouver des moyens plus économiques de produire de l’énergie propre pour remporter les contrats, ce qui entraîne une réduction des coûts. Toutefois, pour être efficaces, les enchères doivent impliquer de nombreux acteurs privés, qui ne doivent pas agir de connivence sur les mises. Il faut une série de projets solides et une bonne escouade de promoteurs pour que ce modèle réussisse.

5. Envisager des chaînes d’approvisionnement made in Canada et l’optimisation de la main-d’œuvre d’ici pour favoriser la capacité concurrentielle.

La transition vers la sobriété en carbone présente une occasion économique considérable, mais la concurrence mondiale s’annonce féroce. De nombreux pays empruntent une approche stratégique pour leurs politiques d’aide au secteur industriel. Le Royaume-Uni a récemment établi comme critère d’admissibilité aux CfD que les turbines soient faites de matériaux locaux, un aspect que le Canada pourrait envisager dans ses exigences de chaîne d’approvisionnement. D’autres modalités du genre pourraient être considérées, comme la consolidation d’une main-d’œuvre intérieure au moyen de stratégies de recrutement liées à la structure de soutien de la politique.

Conclusions

La politique de CfD du Royaume-Uni est un modèle de réussite, qui a su générer une plus grande puissance d’énergie renouvelable, inciter l’investissement privé et entraîner une réduction des coûts des technologies immédiatement profitables. La reproductibilité de ce succès dans le contexte canadien dépend toutefois de plusieurs facteurs. De manière importante, le modèle britannique convient le mieux à des technologies éprouvées dont le marché jouit d’une robuste concurrence qui assure des enchères fructueuses. La garantie de prix doit ensuite être donnée sur une longue période (ex., 15 ans) et administrée par une instance adéquate et imperméable aux fluctuations politiques.

Projet Longship : captation et stockage du CO2 sous la mer du Nord en Norvège

Introduction

Le projet Longship prendra la forme d’un réseau de projets de captation et de stockage de CO2. L’un des pionniers européens pour la décarbonisation à échelle industrielle, il vise ainsi à faciliter la réduction des émissions des industries lourdes, secteur où le remplacement de combustible et l’électrification sont impossibles. Ce mégaprojet reçoit un grand soutien technique, opérationnel et financier du secteur public norvégien; le gouvernement couvrira environ les deux tiers des coûts totaux de la première phase, qui dépasseront les 3,5 milliards de dollars canadiens.

Le réseau Longship combinera initialement dans une installation de stockage sous la mer du Nord deux sous-projets de captation de carbone dans une cimenterie et une usine de valorisation énergétique des déchets. Forts d’une expérience considérable en stockage de CO2 dans des réservoirs de gaz vides, l’entreprise pétrogazière publique de la Norvège, Equinor, et les deux géants pétroliers Shell et Total apporteront une contribution précieuse au volet Northern Lights du projet – l’infrastructure de transport et de stockage –, dont la construction a commencé en 2021. La première phase devrait se terminer d’ici la mi-2024, avec une capacité de stockage initiale de 1,5 Mt par an sur 25 ans. La phase deux devrait faire passer cette capacité à 5 à 7 Mt par an d’ici 2026.

Le premier de ces deux sous-projets vise la captation du carbone dans une cimenterie de Brevik appartenant à Norcem-Heidelberg, une filiale de l’entreprise allemande HeidelbergCement. Il vise à utiliser la chaleur excédentaire pour capter 400 000 t de CO2 par an, soit le tiers des émissions liées à la production annuelle de 1,2 Mt de ciment. Le deuxième opère dans la capitale, à Oslo, dans une usine de valorisation énergétique des déchets appelée Hafslund Oslo Celsio (anciennement Fortum Oslo Varme). Ses objectifs sont semblables : capter 400 000 t de CO2 chaque année à même le processus d’incinération des déchets. Il a fait l’objet d’une demande de financement supplémentaire au Fonds pour l’innovation de l’Union européenne, qui a été rejetée. Le gouvernement norvégien a dû intervenir pour pallier l’insuffisance de l’investissement.

Le CO2 des deux usines sera transporté par bateau jusqu’au terminal de réception de Northern Lights, dans la municipalité d’Øygarden. Il sera ensuite acheminé par pipelines jusqu’au puits d’injection, où il sera stocké sous le plancher océanique. L’idée est d’éventuellement commercialiser cette portion du projet (l’infrastructure de transport et de stockage) en offrant des services de transport et de stockage payants aux sociétés émettrices.

Figure 1: Le projet Longship comprend une chaîne complète de sous-projets de captation du carbone, qui relient le carbone capté aux installations de stockage

Le carbone capté des usines d'Oslo et Brevik est transporté par bateau jusqu'au terminal de réception de Northern Lights à la municipalité d'Øygarden, puis par pipelines jusqu'au puit d'injection où il est stocké sous le plancher océanique.
Source : Leçons sur les règlements tirées de Longship (Regulatory Lessons Learned from Longship).

Le projet Longship est un exemple de mesure concrète ciblée pour réduire les émissions à grande échelle. La conception, la construction, la mise en œuvre et le marketing sont une œuvre collaborative du gouvernement et de ses partenaires du secteur privé. Par ailleurs, bien que l’État subventionne la part du lion de la première phase, il maintient que la phase deux et toute expansion ultérieure devront être financées au privé. Le consortium des partenaires présente déjà Northern Lights comme une initiative commercialement viable ayant l’ambition d’offrir des services de stockage de carbone pour les sites industriels de partout en Europe.

Description de la politique

La Norvège mise depuis longtemps sur l’étatisation dans les secteurs stratégiques, un modèle économique qui l’a propulsée au palmarès des 10 pays les plus riches du monde. Elle est aussi connue pour ses bonnes politiques de redistribution de la richesse – y compris entre les générations –, ce qu’elle doit à son fonds souverain qui administre les revenus pétroliers de l’État. Pour concilier cette dépendance aux abondantes ressources en combustibles fossiles et ses grandes ambitions climatiques (réduction des émissions d’au moins 50 % sous le niveau de 1990 d’ici 2030), le pays montre depuis une vingtaine d’années un intérêt marqué pour la captation et le stockage du CO2. La Norvège se lance aujourd’hui, armée de son expertise, de son accès à la mer du Nord et de la conviction que le marché de la captation et du stockage prendra de l’ampleur à mesure que s’accéléreront la tarification du carbone et les autres politiques climatiques régionales.

Le gouvernement a présenté le projet en septembre 2020, dans un livre blanc où il s’engageait à fournir 16,8 milliards de couronnes norvégiennes (2,32 milliards de dollars canadiens) sur les 25,1 milliards (3,47 milliards) du budget projeté. Le Parlement a approuvé la proposition à la fin de l’année, prévoyant une répartition du financement de 2021 à 2034 pour couvrir les coûts d’immobilisation et d’exploitation. Le gouvernement norvégien n’avait jamais investi autant d’argent dans un même projet climatique, et son appui n’est pas que financier : il travaille aussi à lever divers obstacles potentiels, comme des défis réglementaires.

Fondée en 2005 pour avancer la recherche et le développement en captation et en stockage du CO2, l’entreprise publique Gassnova agit aujourd’hui comme conseillère technique du gouvernement pour le projet Longship. Elle se charge de l’étude de préfaisabilité, des activités de planification générale et de la gestion des contrats avec les partenaires du secteur. Elle s’occupe aussi de la communication des résultats et fait des retours sur les leçons apprises des processus réglementaire et développemental pour faciliter les démonstrations. Plusieurs autres organismes publics norvégiens jouent un rôle actif dans le projet, dont des agences et des directions étatiques qui assument des fonctions réglementaires, et des municipalités et des gouverneurs de comtés. Le gouvernement est aussi l’intégrateur du projet, responsable de coordonner les différents partenaires publics et privés.

Même si, à la première phase, l’infrastructure de Northern Lights ne sera reliée qu’à deux installations norvégiennes de captation de carbone, on prévoit une expansion du réseau dans les années suivantes. La deuxième phase consistera en la commercialisation de l’infrastructure; les entreprises émettrices de partout en Europe pourront débourser des frais de service pour le transport et le stockage de leur CO2. Les sites industriels qui choisiront de capter ce gaz pourront l’acheminer sous forme liquéfiée, par pipeline ou autre, jusqu’à des bateaux à destination du plateau continental norvégien, où il sera ensuite injecté dans l’un des sites de stockage permanent situés à 2 600 m sous le plancher océanique. Northern Lights a recensé plus de 90 sites de captation potentiels, et des usines industrielles de secteurs divers (acier, biomasse, hydrogène) dans huit pays ont déjà signifié leur intérêt.

La Norvège voit le projet comme une façon de dynamiser le marché européen de la captation et du stockage du CO2. Bien que le gouvernement ne financera pas la commercialisation du projet, il continuera d’assurer les relations bilatérales; une entente intergouvernementale préalable sera donc nécessaire à la négociation d’une entente de stockage avec Northern Lights. Le ministère du Pétrole et de l’Énergie est d’ailleurs déjà en pourparlers avec plusieurs gouvernements et a signé des protocoles d’entente avec la Belgique et les Pays-Bas, permettant à la première entente commerciale transfrontalière de voir le jour. Conclue en septembre 2022, cette dernière prévoit le transport et le stockage d’un maximum de 800 000 t de CO2 par an d’ici 2025 de Yara Sluiskil, un fabricant néerlandais d’ammoniaque et d’engrais, assuré par Northern Lights.

Parallèlement à la conception et la subvention d’une grande partie du projet, le gouvernement norvégien œuvre à stimuler la demande de captation du carbone à long terme. À cette fin, il a prévu une tarification du carbone croissante pour les produits d’énergie fossile (pétrole, diesel, gaz naturel). Fixée à 590 couronnes norvégiennes (81 dollars canadiens) par tonne en 2021, celle-ci atteindra 2 000 couronnes (275 dollars) par tonne en 2030. Cette tarification s’applique à la fois dans les secteurs couverts par le Système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne et dans les autres, les entreprises des premiers devant couvrir la différence avec les seuils nationaux.

Si cette tarification du carbone incitera les secteurs du pays à capter leurs émissions, on ne peut en dire autant de la tarification appliquée ailleurs dans l’Union européenne. La capacité ciblée pour Northern Lights – 5 à 7 Mt par an d’ici 2026 – n’équivaut qu’à une fraction de la capacité totale nécessaire pour décarboniser l’Europe : selon une étude du University College London Energy Institute, il faudrait stocker 230 à 430 Mt de CO2 par année d’ici 2030 et 930 à 1 200 Mt d’ici 2050 pour éviter que le réchauffement dépasse la barre du 1,5 °C. C’est ce qui explique la popularité croissante des politiques subventionnaires auprès de la Commission européenne, qui a approuvé un appui étatique supplémentaire pour les activités de captation du carbone et finance ses propres projets de captation et de stockage par l’intermédiaire du Fonds pour l’innovation.

Avantages et limites de la politique

Premier projet de captation et de stockage du CO2 à grande échelle dans la région, Longship se trouve à remplir un rôle de démonstration; il prouvera le fonctionnement, l’efficacité et le potentiel de modulation de cette technologie comme solution climatique pour en légitimer le financement gouvernemental. Ce genre d’investissement public dans les technologies propres favorise les innovations profitables pour l’État, notamment par le développement des connaissances et compétences connexes (la « diffusion des connaissances »). L’avantage d’être le premier acteur européen à offrir l’importation transfrontalière de carbone à des fins de stockage a aussi permis au projet d’établir des partenariats en amont et de se forger une bonne réputation sur le marché. Les leçons tirées pourraient également réduire les coûts ou éliminer d’autres barrières pour les prochains promoteurs.

Bon nombre des réussites soulignées jusqu’ici se rapportent aux obstacles financiers et non financiers surmontés pour lancer le projet Longship. Outre les lourds coûts d’immobilisation initiaux, le gouvernement a éliminé des freins au développement de la captation du carbone au privé, notamment en réduisant les formalités administratives régionales. Ainsi, il a ouvert la voie à de nouveaux modèles de partenariats public-privé et à un processus réglementaire plus efficace.

Avantages

  1. Le projet est un investissement stratégique ciblé aux résultats mesurables.

Contrairement aux politiques publiques très larges, comme les mesures d’allégement fiscal et les remises sur les coûts d’énergie, Longship offre un investissement public ciblé avec un potentiel de profit et des résultats mesurables, notamment la promotion de la captation pour décarboniser la région et l’exploitation de l’intérêt régional pour le stockage du CO2. En tant que projet public, il a aussi pu surmonter des enjeux du marché qui l’auraient fait avorter au privé, comme des coûts d’immobilisation initiaux importants, une tarification du carbone insuffisante et des risques technologiques. Longship se concentre sur un type et un volume donnés pour l’atténuation des changements climatiques (1,5 Mt de CO2 capté chaque année) et favorise l’innovation en matière de technologies propres. De plus, le choix des technologies à financer est fondé sur la science; la captation du carbone fait partie des mesures de tous les scénarios mondialement reconnus pour garder le réchauffement climatique sous la barre des 1,5 à 2 °C.

  1. Le gouvernement contribue au financement, à la conception et à la gestion du projet sur toute la chaîne de captation et de stockage du CO2.

Étant donné que la captation du carbone est inutile sans option de stockage fiable, le projet a été conçu pour développer simultanément l’ensemble de la chaîne de captation et de stockage. Chaque volet de l’initiative est considéré comme un sous-projet distinct, et le gouvernement établit des ententes indépendantes avec les différents acteurs, ce qui protège ses partenaires privés des risques d’interférence entre les sous-projets. Bien que ces risques demeurent pour l’État, cette façon de procéder protège les partenaires des maillons faibles ailleurs dans la chaîne. Par exemple, si l’un des projets de captation devait échouer, Northern Lights pourrait trouver d’autres fournisseurs de CO2, et si c’était Northern Lights qui échouait, les projets de captation pourraient probablement trouver une autre solution de stockage sans perte catastrophique.

  1. Le projet s’attaque à une barrière précise au développement de la captation et du stockage de CO2 comme solution climatique : la disponibilité des infrastructures.

Parmi les obstacles aux projets de captation du carbone en Europe, on note une incertitude quant aux coûts de transport et aux options de stockage à long terme. Le projet Longship vise à mettre fin à ce cycle où, comme l’œuf et la poule, les sociétés émettrices attendent une solution de stockage pour investir dans la captation, et les entreprises attendent des projets de captation pour investir dans un site de stockage. Il assurera aux sociétés émettrices une option de transport et de stockage fiable pour les motiver à se lancer dans la captation du carbone. Plusieurs acteurs de l’Europe du Nord ont déjà témoigné un intérêt marqué.

  1. Le projet reconnaît le caractère mondial de la lutte contre les changements climatiques, proposant une solution aux pays avoisinants et tirant parti d’un marché émergent.

En 2021, il y avait plus de 50 projets de captation du carbone annoncés en Europe, totalisant un potentiel d’atténuation annuelle de 80 Mt de CO2. Bon nombre de ces projets envisagent de recourir aux services de stockage de Northern Lights, notamment parce que le site sera prêt plusieurs années avant les autres en construction sur le continent, dont celui du projet Porthos au port de Rotterdam. Ainsi, si toutes les ententes se concrétisent, la capacité de stockage initiale de Northern Lights sera déjà dépassée. Longship ouvre aussi la porte à l’hydrogène bleu, produit par combustion de gaz naturel avec captation du carbone. Par exemple, Equinor produit déjà de l’hydrogène bleu à Hull, en Angleterre, dans le cadre du projet de captation et de stockage Zero Carbon Humber. Northern Lights sera une option de stockage viable pour de telles initiatives. Néanmoins, la concurrence augmente dans la région; le Royaume-Uni investit actuellement 1 milliard de livres (1,66 milliard de dollars canadiens) dans un fonds d’infrastructure de captation qui sera utilisé pour deux projets de regroupement et d’établissement de pôles dès 2025.

  1. Le projet aide à éliminer les obstacles réglementaires.

Le caractère incomplet des cadres réglementaires ressort comme obstacle aux projets de captation du carbone partout dans le monde. La coopération étroite du gouvernement fédéral a permis à Longship de traverser le processus réglementaire en priorité, et l’agilité dont l’État a fait preuve en adaptant le système pour favoriser la réussite du projet est rassurante pour la prochaine vague de projets de captation. Les retours de Gassnova sur les leçons apprises du processus réglementaire ont aussi aidé à démystifier les étapes et à faire la lumière sur les écueils potentiels du contexte norvégien. L’une des principales leçons à retenir est l’importance de collaborer avec les autorités locales tôt dans le processus, compte tenu de la complexité et de l’ampleur des projets de captation et de stockage du CO2. L’expérience a aussi mis de l’avant et dénoué certaines impasses en lien avec les permis de zonage, le consentement pour les pipelines et les autorisations de transport des quais aux sites extracôtiers. Axé sur l’amélioration continue, le projet Longship a déjà mené à la création d’un nouveau système de permis pour le stockage du CO2, et à la précision des exigences redditionnelles en matière de captation pour faciliter la reddition de comptes sur les changements climatiques à l’international.

Limites

  1. Le projet utilise des fonds publics limités pour subventionner une technologie qui ne fait pas l’unanimité chez les contribuables.

Longship a été critiqué par certaines parties qui considèrent le financement public du projet comme une forme de subvention des combustibles fossiles, car ils craignent que les infrastructures de transport et de stockage servent d’outils commerciaux au consortium pétrogazier. Les détracteurs soulignent que le secteur a récemment enregistré des profits records et ne devrait donc pas être subventionné par des fonds publics limités. Ils estiment qu’il vaudrait mieux instaurer des règlements ou une tarification du carbone pour inciter les entreprises à capter leurs émissions. Certains remettent aussi en question l’efficacité de la captation dans la course vers la carboneutralité, soutenant que les émissions devraient plutôt être réduites à la source. Enfin, même si le gouvernement continue d’affirmer que la captation du carbone est « absolument nécessaire » à l’atteinte des objectifs climatiques, il admet aussi qu’il n’y a « aucune garantie » que le projet soit une réussite sur ce plan.

  1. Les résultats ultimes dépendront des politiques climatiques nationales et internationales.

Puisque la tarification du carbone est actuellement insuffisante pour encourager la captation en Europe, un financement public supplémentaire est nécessaire. Le succès commercial du projet Longship dépendra de la rigueur des règlements et des programmes de subventions dans les autres pays. En effet, pour que le marché décolle, la tarification du carbone et le soutien gouvernemental devront tous deux se poursuivre et s’accélérer. La tendance est toutefois prometteuse, car quatre des sept grands projets financés par le Fonds pour l’innovation de l’Union européenne en 2021 s’intéressent aux services de stockage du CO2 de Northern Lights, et sept des dix-sept projets bénéficiaires du concours 2022 comprennent un volet de captation du carbone. De plus, le troisième concours disposera d’une enveloppe considérablement majorée, la Commission européenne ayant prévu d’investir 3 milliards d’euros (4,3 milliards de dollars canadiens) dans des projets de technologies propres.

Leçons pour le Canada

Le secteur pétrogazier du Canada est un précurseur de la captation du carbone; plus de 3 Mt de CO2 sont déjà captées chaque année par le projet Quest de Shell, l’Alberta Carbon Trunk Line et le projet de la centrale Boundary Dam de SaskPower. Le Plan de réduction des émissions du gouvernement canadien vise la captation d’au moins 15 Mt de plus par an d’ici 2030, prévoyant à cet effet un généreux crédit d’impôt à l’investissement dès l’année d’imposition 2022. Quoi qu’il en soit, les leçons à tirer du projet Longship vont bien au-delà de la captation et du stockage du carbone, plusieurs d’entre elles s’appliquant à tout grand projet directement financé par le gouvernement.

  1. Choisir les projets les plus rentables pour aller chercher l’appui du public.

Les projets publics les plus rentables font tous appel aux investissements privés. Par exemple, en Norvège, le secteur privé couvrira le tiers des coûts initiaux du projet, puis assumera les coûts d’exploitation et d’expansion après la première phase. La Norvège a aussi jumelé son investissement dans la captation à une promesse d’augmentation rapide de la tarification du carbone. Cette stratégie aidera à faire diminuer le soutien à la captation nécessaire pour la suite des choses, venant ainsi rentabiliser l’investissement initial en stimulant la demande de stockage du CO2. Le gouvernement voit aussi des avantages économiques à long terme dans le potentiel de création d’emploi du projet Longship et le capital étranger généré par le service de stockage transfrontalier.

  1. Lever tous les freins au développement de projets, et non seulement les obstacles financiers.

L’expérience de Longship démontre que les obstacles non financiers sont tout aussi importants que les obstacles financiers. Même si le consortium des grands pétroliers de Northern Lights possédait déjà le capital pour lancer des projets de captation du carbone, il estime essentiel son partenariat avec le gouvernement norvégien, qui facilite la navigation dans le processus réglementaire. Dès lors, si le gouvernement canadien espère favoriser l’adoption de cette technologie, il lui faudra œuvrer à abattre les barrières non financières au développement de projets, notamment en ce qui a trait aux infrastructures comme les réseaux de transport du CO2.

  1. Tirer parti des avantages comparatifs du Canada et du bassin existant de talents, de compétences et d’expérience.

Si l’on dit souvent que Longship est un projet modèle, il n’en demeure pas moins bâti sur plus de 20 ans d’expérience en captation et en stockage du carbone. En effet, c’est depuis 1996 que la Norvège capte du CO2 pour le stocker sous le plancher océanique continental dans des réservoirs de gaz extracôtiers vides, si bien que son expertise technique et son savoir-faire sectoriel répondaient déjà à plusieurs des conditions de réussite. Le Canada dispose lui aussi d’une bonne base d’expérience et d’expertise en captation du carbone, mais peut en plus se targuer d’avantages majeurs sur d’autres plans, dont une abondance d’hydroélectricité propre, un accès privilégié au marché américain et une profusion de ressources naturelles telles des minéraux critiques. Ces avantages naturels devront être pris en compte dans tout projet à grande échelle financé par l’État.

  1. Faciliter la captation pour toutes les industries lourdes du Canada, pas juste le secteur pétrogazier.

La cimenterie et l’usine de valorisation énergétique des déchets intérieures de la première phase du projet n’ont actuellement d’autre option viable que la captation et le stockage pour survivre à la décarbonisation de l’économie. Or, les services de Northern Lights, visant le marché européen, seront offerts à toutes sortes de clients. Ainsi, malgré le fait que le projet s’appuie sur les forces et l’expertise du secteur pétrogazier, il aura des répercussions dans bien d’autres secteurs du pays et de la région. Cependant, puisque le pétrole et le gaz continuent d’être une importante source d’émissions au pays – soit environ le quart des gaz à effet de serre relâchés –, la Norvège travaille à établir une stratégie pour réduire la pollution du secteur. Cette stratégie comprendra la mise hors service de certains champs pétrolifères, des initiatives de captation et de stockage du CO2 et l’électrification des opérations lorsque possible.

Conclusion

Longship est un exemple de projet climatique recevant un soutien gouvernemental holistique et adapté à grande échelle dans un contexte de collaboration directe avec des partenaires privés. Ce partenariat public-privé est mis à profit dans la conception, la construction, la mise en œuvre et le marketing. La participation du gouvernement est considérée comme un investissement stratégique pour tirer parti des compétences et des avantages acquis sur plus de deux décennies de captation et de stockage du CO2. Ce projet repose sur le pari que le marché de la captation du carbone prendra de l’expansion avec l’augmentation graduelle de la tarification du carbone au pays et dans la région, et que l’Union européenne offrira de plus en plus de financement à ses États membres pour des projets de captation et de stockage.

L’expérience de la Norvège nous indique que le Canada devra miser sur ses avantages comparatifs dans ses investissements stratégiques dans la lutte contre les changements climatiques et la captation du carbone. Ses subventions devront aussi tenir compte des règlements et politiques de tarification du carbone en vigueur, qui incitent déjà les émetteurs à investir dans les technologies propres; il ne faudrait pas décourager les investissements privés. Au bout du compte, ce sont la portée et l’ampleur des politiques climatiques complémentaires qui orienteront les marchés pour donner le ton à la transition canadienne et mondiale vers l’énergie propre.