Comment assurer la réussite du Fonds de croissance du Canada

L’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public devra partager des compétences qui vont au-delà de son savoir-faire financier.

Le budget fédéral de 2023 communique une nouvelle importante à l’égard du Fonds de croissance du Canada, la « banque verte » récemment créée pour catalyser les investissements privés dans l’économie verte du Canada. L’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public (Investissements PSP), une société d’État fédérale, gérera les actifs du Fonds de croissance afin de remplir son mandat, qui est d’attirer des capitaux privés pour investir dans l’économie verte du Canada.

C’est une bonne nouvelle qui favorise le démarrage rapide du Fonds de croissance. Investissements PSP dispose déjà d’une expertise et de ressources, et entretient une relation indépendante avec le gouvernement fédéral.

Mais voici le défi : pour réussir, le Fonds de croissance du Canada ne peut pas cibler seulement les rendements privés. Son objectif est d’investir dans des projets dans lesquels le marché seul n’investira pas. Sa mission consistera à trouver des projets qui n’offrent pas de rendement privé à l’heure actuelle, mais qui procureront des avantages plus importants et plus vastes à la société en débloquant des investissements privés supplémentaires. Il s’agit d’une fonction importante, mais qui se distingue de celle à laquelle Investissements PSP est habitué, et elle va probablement à l’encontre de l’instinct de ses stratèges en matière d’investissement.

Nous analysons les principales différences entre les fonctions du Fonds de croissance du Canada et celles d’Investissements PSP et nous en examinons les répercussions sur leurs stratégies d’investissement respectives. Nous abordons également trois moyens de contribuer à la réussite de la relation entre les deux organismes et de permettre au Fonds de croissance du Canada d’atteindre son objectif.

Le Fonds de croissance du Canada et Investissements PSP ont des responsabilités et des objectifs distincts

Organisme créé en 2000, Investissements PSP est l’un des plus importants gestionnaires de fonds pour des régimes de pension au Canada, avec 230,5 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Investissements PSP a pour mandat de gérer ces actifs dans l’intérêt des contributeurs et des bénéficiaires. Il a pour objectif « de placer ses actifs en vue de générer un rendement maximal, tout en évitant les risques de perte indus » et en tenant compte des politiques et exigences des régimes de pension concernés.

De son côté, le Fonds de croissance du Canada a été créé à la fin de 2022 et doté de 15 milliards de dollars provenant du budget fédéral. Son objectif est de faire « des investissements qui catalyseront d’importants investissements du secteur privé dans des entreprises et des projets canadiens pour aider à transformer et à faire croître l’économie canadienne à grande vitesse et à grande échelle sur la voie de la carboneutralité ». Le Fonds a été créé pour soutenir les objectifs de la politique économique et climatique, notamment la réduction des émissions et le bien-être économique futur du Canada. Doté de fonds publics et mis en place pour favoriser des objectifs de politique publique, il est responsable au bout du compte envers la population canadienne.

Ces fonctions distinctes signifient qu’il existe des différences en matière de stratégies d’investissement et de critères de décision (voir le tableau 1).

Le Fonds de croissance du Canada utilisera des outils de financement concessionnels qui permettront d’attirer des investisseurs du secteur privé pour lancer des projets de croissance propre dont la rentabilité économique ne présente pas d’attrait pour les investisseurs traditionnels (y compris Investissements PSP). Les projets de croissance propre sont souvent peu rentables pour les investisseurs privés, car ils reposent sur des technologies novatrices à risque élevé, qu’ils exigent d’importants investissements de capitaux initiaux et que leur horizon de rentabilité est lointain. Ces projets peuvent néanmoins générer des avantages considérables pour la société canadienne, en favorisant la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, en créant des emplois et en permettant aux entreprises, du même secteur ou d’autres, de tirer profit des retombées d’apprentissage. Mais les investisseurs privés ne sont pas en mesure de tirer parti de ces avantages qui profitent à la société dans son ensemble. L’objectif du Fonds de croissance est d’intervenir en réduisant suffisamment les risques des investisseurs privés pour rendre ces projets de croissance propre acceptables et procurer ainsi des avantages pour la société canadienne. Autrement dit, le fait d’assumer des risques plus élevés que les investisseurs traditionnels doit faire partie de la stratégie d’investissement du Fonds et est nécessaire à la réalisation de son objectif. Parallèlement, le Fonds de croissance du Canada cherche également à recouvrer son capital pour l’ensemble de son portefeuille d’investissement (donc pas nécessairement pour chaque projet individuel) et à recycler son capital à long terme (c’est-à-dire pas immédiatement).

En revanche, Investissements PSP n’effectue pas d’investissements concessionnels. Il n’a pas pour mandat de tenir compte des avantages sociétaux dans ses décisions d’investissement, qui dépendent exclusivement de la rentabilité économique du projet, et des risques et rendements pour les investisseurs. Bien qu’Investissements PSP ait élaboré une stratégie climatique et se soit fixé des objectifs en vue de réorienter son portefeuille vers des actifs compatibles avec les objectifs de réduction des émissions du Canada, il n’a pas pour raison d’être de soutenir les objectifs climatiques du Canada. Tenir compte des risques liés au climat et à la transition s’inscrit simplement dans le cadre d’une gestion financière prudente visant à mieux servir les personnes envers lesquelles Investissements PSP doit rendre des comptes, à savoir les retraités actuels et futurs.

En résumé, le Fonds de croissance du Canada et Investissements PSP ont des mandats et des responsabilités qui se chevauchent, mais qui sont distincts (voir le tableau 1). Ces différences supposent des critères d’investissement différents, ou du moins une pondération différente des critères (par exemple, le rendement financier prévu d’un actif par rapport à son rôle anticipé dans la transformation de l’économie canadienne). Par conséquent, la gestion du Fonds de croissance du Canada devra adopter un état d’esprit différent (par exemple, un niveau différent de tolérance au risque) et une expertise différente (par exemple, en matière de politique climatique nationale et mondiale, de financement concessionnel, d’innovation technologique et de marchés des technologies à faibles émissions de carbone).

Le recoupement entre le rendement privé et le rendement social pourrait nuire à l’efficacité du Fonds de croissance du Canada

L’un des principaux risques que comporte cette nouvelle entente est que la fonction du Fonds de croissance du Canada soit érodée par la démarche habituelle d’Investissements PSP en matière de gestion de fonds.La mission du Fonds, qui est d’être axée sur les politiques, risque d’être confondue avec un souci du rendement privé, plutôt que social, que ce soit intentionnel ou non.

La bonne nouvelle est qu’il reste encore des détails importants à régler concernant la relation entre le Fonds de croissance du Canada et son nouvel organisme responsable, ainsi qu’entre le Fonds et le gouvernement fédéral. Et là sera l’occasion d’amoindrir les risques que nous avons décrits ici et d’assurer la réussite du Fonds.

Il y a trois moyens d’atténuer les risques liés à ces ententes :

  1. Le Fonds de croissance du Canada doit être doté d’une stratégie d’investissement claire et transparente.

Pour concrétiser la mission et l’objectif distincts du Fonds de croissance du Canada, il faut le doter d’une stratégie d’investissement explicite et transparente, qui comporte un ensemble de critères de rendement clairement établis et mesurables qui le distinguent des activités principales d’Investissements PSP.

La première lecture du projet de loi C-47 stipule qu’Investissements PSP « peut constituer une filiale dans le but de fournir au Fonds de croissance du Canada Inc., conformément à toute condition convenue par la filiale et le Fonds, des services de gestion de placements ». Le projet de loi propose également d’autres modifications à la Loi sur l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public qui exonèrent la filiale des principes, normes et procédures habituels d’Investissements PSP en matière de placements. Autrement dit, ce projet de loi propose une séparation claire entre les activités principales d’Investissements PSP et la gestion du Fonds de croissance du Canada, conformément à la présente recommandation.

La stratégie d’investissement du Fonds de croissance du Canada devrait être rédigée conjointement par des experts en politique et en finance, car le travail du Fonds doit concilier ces deux domaines. Les auteurs de la stratégie devront avoir une expertise en matière de politique climatique et de croissance propre, ainsi que dans le domaine financier.

Le Fonds de croissance du Canada doit viser les rendements sociaux en plus d’être financièrement rentable. Il doit financer des projets établis au Canada et qui sont avantageux pour la population canadienne. Ce n’est pas une mince tâche. Les marchés mondiaux de capitaux ne se concernent pas particulièrement des avantages localisés des investissements : l’argent va simplement là où les rendements financiers attendus sont les plus élevés.

Il est important que la stratégie du Fonds de croissance du Canada soit accessible au public. Pour renforcer la confiance du public dans le nouvel organisme, la transparence est de mise et elle établira le fondement qui tiendra le Fonds responsable de son rendement dans le cadre de son mandat.

En Australie, la Clean Energy Finance Corporation (CEFC), la plus grande banque verte du monde, est un exemple d’organisme guidé par le type de langage dont pourrait s’inspirer le Fonds de croissance du Canada dans sa stratégie d’investissement. La CEFC a pour objectif de contribuer à la fois à obtenir des résultats politiques et à transformer le secteur de l’énergie renouvelable en Australie. Tout comme le Fonds de croissance du Canada, le rôle de la CEFC est d’établir de nouveaux marchés en finançant des projets dans lesquels les marchés privés n’investissent pas. À l’instar du Fonds, la banque verte australienne investit au nom du gouvernement australien.

Le mandat d’investissement de la CEFC énonce expressément son double objectif. Le mandat établit un rendement de référence du portefeuille que la CEFC doit atteindre à moyen et long terme. Dans un même temps, le mandat stipule également qu’elle doit « tenir compte des externalités positives et des résultats des politiques publiques lorsqu’elle prend des décisions d’investissement et lorsqu’elle détermine l’envergure du financement concessionnel d’un investissement ». À titre d’exemple, le mandat d’investissement encourage fortement la CEFC à « accorder la priorité aux investissements qui soutiennent la fiabilité et la sécurité de l’approvisionnement en électricité ». Dans son rapport annuel, la CEFC doit rendre compte des résultats financiers et non financiers de tous ses investissements.

  1. Pour remplir l’objectif du Fonds, il faut réunir un ensemble diversifié d’expertises.

Le comité décisionnel et le personnel du Fonds de croissance du Canada devraient s’appuyer sur des expertises d’une variété de domaines, y compris la politique climatique nationale et mondiale, le fonctionnement des marchés du carbone au Canada, les outils de financement concessionnels, les voies de la transition vers la carboneutralité, les innovations technologiques et les marchés à faibles émissions de carbone. La consultation formelle d’experts politiques, de l’industrie, de la société civile et des gardiens du savoir autochtones permettrait à PSP d’intégrer des perspectives externes sur ces thèmes. Les décideurs doivent comprendre et savoir comment mettre en œuvre la fonction politique plus vaste du Fonds, en plus de la réalisation du rendement financier des projets. Les décideurs doivent comprendre et connaître comment investir dans des projets présentant des risques plus élevés et utilisant des technologies plus récentes que certains des placements habituels d’Investissements PSP.

De même, ils doivent comprendre le concept d’externalités et d’impacts locaux des projets et des investissements. Les meilleures décisions d’investissement du Fonds de croissance du Canada tiendront compte du potentiel d’un projet à produire des externalités positives pour la société canadienne. À titre d’exemple, les décideurs devraient être en mesure de répondre aux questions suivantes pour saisir pleinement les retombées du projet pour la société canadienne au-delà des considérations financières :

  • Où se situe la technologie sur la courbe d’apprentissage et quel est le potentiel de réduction des coûts de ce projet au fil du temps?
  • Comment le projet profite-t-il à la communauté locale, crée-t-il des possibilités d’emploi et de formation, et contribue-t-il au développement économique régional?
  • Comment le projet contribue-t-il à la réalisation des objectifs de réduction des émissions du Canada?

Pour en revenir à l’exemple de la CEFC en Australie, les décideurs en matière d’investissement doivent avoir une certaine connaissance des réseaux d’électricité pour être capables d’établir les incidences d’un projet donné sur la fiabilité et la sécurité de l’approvisionnement en électricité.

  1. Définir des responsabilités transparentes et différenciées pour les activités principales d’investissement PSP, le gouvernement fédéral et le public rendra le Fonds canadien de croissance plus efficace.

Le Fonds de croissance du Canada a besoin de mécanismes de responsabilité bien conçus pour gérer prudemment ses relations internes et externes.

En raison de son objectif précis, il est essentiel de protéger la séparation entre le Fonds de croissance du Canada et Investissements PSP, tout en gardant la communication suffisamment ouverte pour permettre au Fonds de bénéficier des connaissances spécialisées d’Investissements PSP en matière de placement.

La relation entre le Fonds et le gouvernement fédéral doit éviter à la fois, de la part du gouvernement, une ingérence dans les décisions d’investissement et, de la part du Fonds, un manque d’imputabilité. L’équilibre est délicat, mais des structures de responsabilité robustes peuvent servir de garde-fou efficace.

En ce qui concerne la relation entre le Fonds de croissance du Canada et le public, la transparence et la communication proactive seront déterminantes. À court terme, la publication d’une Déclaration sur les priorités et sur la responsabilité délivré par le Ministère des Finances pour le Fonds contribuerait à une plus grande clarté et transparence. De plus, en établissant une relation harmonieuse avec Investissements PSP et avec le gouvernement fédéral, le Fonds peut instaurer un climat de confiance auprès du grand public.

Conclusion

Comme c’est le cas pour tout investissement, pour que cette entente soit fructueuse, elle doit maximiser les rendements tout en équilibrant les risques. Le Fonds de croissance du Canada peut tirer parti de l’expertise et de la force institutionnelle d’Investissements PSP sans pour autant perdre de vue son objectif particulier et les différences en matière d’expertise et de prise de décisions qui sont nécessaires à sa réussite.

Le Fonds de croissance du Canada a un mandat ambitieux et un rôle important à jouer dans la stratégie politique de croissance propre du Canada. Il sera essentiel d’établir des structures institutionnelles et des mécanismes de responsabilité adéquats pour prendre des décisions d’investissement qui renforcent l’avenir du Canada en matière de faibles émissions de carbone.

Tableau 1 : Principales différences entre le Fonds de croissance du Canada et Investissements PSP

Fonds de croissance du CanadaInvestissements PSP
Raison d’être« Le FCC fera des investissements qui catalyseront d’importants investissements du secteur privé dans des entreprises et des projets canadiens pour aider à transformer et à faire croître l’économie canadienne à grande vitesse et à grande échelle sur la voie de la carboneutralité. »
 
Soutenir les objectifs nationaux en matière de politique économique et climatique :
Réduire les émissions, accélérer le déploiement de technologies à faible teneur en carbone, faire prendre de l’expansion aux entreprises qui stimulent la croissance propre, assurer le bien-être économique et environnemental futur du Canada (source)
« Gérer les montants qui lui sont transférés dans le meilleur intérêt des cotisants et des bénéficiaires en vertu des lois relatives aux régimes. » (source)
Objectifs/stratégie d’investissement« Pour atteindre ses objectifs stratégiques, le FCC utilisera des instruments d’investissement qui absorbent certains risques afin d’encourager l’investissement privé dans des projets, des technologies, des entreprises et des chaînes d’approvisionnement à faibles émissions de carbone, y compris des investissements qui faciliteront l’expansion des entreprises canadiennes de technologies propres. » (source)
 
« Il visera à atteindre ses objectifs stratégiques tout en recouvrant son capital pour l’ensemble de son portefeuille d’investissement et en recyclant son capital à long terme. » (source)
 
« Le FCC apportera un financement concessionnel en acceptant, au besoin, des rendements inférieurs au rendement du marché par rapport au risque qu’il encourt. » (source)
 
La prise de risques s’inscrit dans la stratégie d’investissement et sera nécessaire pour que le Fonds de croissance du Canada puisse s’acquitter de son mandat.
« Placer ses actifs en vue de générer un rendement maximal, tout en évitant les risques de perte indus et en tenant compte de la capitalisation et des politiques et exigences des régimes, ainsi que de la capacité de ces régimes à s’acquitter de leurs obligations financières. » (source)
 
Engagement en faveur de l’investissement durable et des valeurs ESG, action climatique, engagement à investir en contribuant à la transition mondiale vers des émissions carboneutres, taxonomie des actifs verts, augmentation des investissements dans les actifs verts et de transition, diminution des investissements dans les actifs à forte intensité de carbone.
Responsabilité envers qui?« Pleine reddition de comptes auprès de la population canadienne » (source)« Responsabilités envers les contributeurs et les bénéficiaires » (source)