Tan’si, Sandra Lamouche nitsîkason, nîya nêhiyaw iskwew. Nation crie de Bigstone ochi nîya. Bonjour, je m’appelle Sandra Lamouche. Je viens de la nation crie de Bigstone.
Cette étude de cas a été inspirée par ma recherche de thèse, intitulée « Ê-Nitohnahk Miyo-Pimâtisiwin (Prendre le temps de vivre) grâce à la danse autochtone » et par la façon dont les individus sont liés et sont guidés par chaque direction de la roue de médecine nêhiyawak (en dialecte du cri des plaines). La roue comprend les quatre points cardinaux, les quatre éléments et les quatre aspects de l’être humain — spirituel, physique, affectif et mental (voir image 1) — et est holistique, nous aidant à vivre de manière saine et équilibrée. Elle comporte des cercles concentriques où l’individu occupe le centre, puis la famille et les amis, la communauté et la nation dans le cercle le plus éloigné. Elle symbolise la façon dont nos actes individuels influent sur notre monde et sur autrui.
L’aspect spirituel de la roue, qui est celui de la culture et de l’identité, est enseigné par le biais de contes et est particulièrement important, car il nous apprend la possibilité du changement et de la transformation. Il montre comment nous pouvons modifier notre comportement, tant personnel que collectif, pour nous harmoniser avec les leçons et les visions du monde des contes traditionnels, et incarner celles-ci. J’utilise une roue de médecine nêhiyawak comme cadre de référence pour expliquer un conte nêhiyawak et révéler ainsi les leçons qu’il offre pour modifier notre comportement envers l’action climatique et guider les changements politiques particuliers que nous demandons des entreprises, des gouvernements et de nos dirigeants. Les contes autochtones peuvent nous aider à réaliser des progrès efficaces et importants, car ils sont propres à la terre sur laquelle nous vivons et « pour accomplir ce que la crise climatique exige de nous, nous devons trouver des contes d’un avenir viable, des récits de pouvoir populaire, des histoires qui motivent les gens à faire ce qu’il faut pour créer le monde dont nous avons besoin » (Solnit, 2023).
Le racisme, un obstacle à l’intégration des Autochtones dans la politique en matière de changement climatique
La politique canadienne en matière de changement climatique bafoue les droits des Autochtones, car elle ne tient pas intégralement compte des opinions des peuples autochtones dans la recherche sur le changement climatique. Dans certains cas, on ne tient pas compte des points de vue autochtones, de leurs connaissances du changement climatique et de leurs méthodes à cet égard (Reed et autres, 2021), ce qui a renforcé le comportement colonial des populations non autochtones envers les populations autochtones. Ma propre expérience m’a appris qu’il existe un manque de connaissances et de compréhension des cultures autochtones, ce qui conduit à les dévaloriser et à les rejeter.
L’une des raisons pour lesquelles les peuples autochtones continuent d’être exclus des milieux où l’on conçoit et met en œuvre les politiques climatiques est que le racisme sous-jacent rejette les connaissances autochtones et la vision autochtone du monde au profit des connaissances et de la pensée occidentales et eurocentriques. Comme l’explique Charlotte Reading, « la science est devenue l’un des outils les plus efficaces de la domination coloniale, car les disciplines scientifiques ont créé et maintenu des distinctions raciales qui ont servi à isoler et opprimer les peuples autochtones » (Reading, 2020). Ce rejet a des racines profondes dans l’oppression coloniale, fondée sur la vision occidentale du monde selon laquelle les cultures et les connaissances autochtones étaient « non civilisées », « primitives » ou « inférieures ». Ce point de vue s’est traduit dans les politiques relatives aux pensionnats autochtones, car le système partait du principe que la civilisation européenne et les religions chrétiennes étaient supérieures aux cultures autochtones (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2017). L’appel à l’action 57 des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation du Canada montre que le travail de lutte contre le racisme est essentiel au changement transformationnel :
« Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de même qu’aux administrations municipales de s’assurer que les fonctionnaires sont formés sur l’histoire des peuples autochtones, y compris en ce qui a trait à l’histoire et aux séquelles des pensionnats, à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, aux traités et aux droits des Autochtones, au droit autochtone ainsi qu’aux enseignements et aux pratiques autochtones. À cet égard, il faudra, plus particulièrement, offrir une formation axée sur les compétences pour ce qui est de l’aptitude interculturelle, du règlement de différends, des droits de la personne et de la lutte contre le racisme » (Commission de vérité et réconciliation, 2017).
Le racisme systémique sépare les récits autochtones du lieu en donnant la priorité à la vision occidentale du monde par rapport aux principes d’apprentissage et d’existence autochtones. Il est donc important de répondre à l’appel à l’action 57 pour que les connaissances autochtones soient reconnues pour leur expertise précieuse et la manière dont elles peuvent guider et offrir des solutions aux nombreux défis auxquels notre société est confrontée, et en particulier les enjeux liés au changement climatique. Les commissaires de la CVR indiquent également qu’ils ont entendu à maintes reprises le message selon lequel la réconciliation au Canada passe par une réconciliation avec la terre (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2017).
Le pouvoir que possède le récit autochtone pour changer notre comportement et éclairer l’action climatique
Le racisme contre les Autochtones a souvent eu pour effet d’exclure les connaissances et l’expertise précieuses des populations autochtones des décisions et/ou des politiques liées au changement climatique qui pourraient en fait les rendre plus fortes et plus efficaces (Reading, 2020). Braiding Sweetgrass nous demande de voir les récits autochtones « non pas comme un artéfact du passé, mais comme des instructions pour l’avenir » (Kimmerer, 2013). Jo-Ann Archibald parle de l’importance de comprendre le « storywork » (« le travail du récit » autochtone – un terme qu’elle a inventé), car il « signifie que nos récits et nos narrations doivent être pris au sérieux » (2008). Par exemple, l’un des problèmes des méthodes occidentales face au changement climatique est qu’elles visent les symptômes plutôt que les causes profondes (Reed et autres, 2021). Les récits autochtones peuvent contribuer à modifier cette approche, car ils sont liés à la pédagogie autochtone et à une vision du monde plus holistique qui reconnaît l’interdépendance du monde naturel.
Souvent, dans la pensée nêhiyawak, le passé sert de guide pour l’avenir – on dit souvent que celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va (Bell, 2006). Contrairement à la vision occidentale du monde, les récits autochtones offrent également des connaissances précieuses qui nous apprennent à vivre de manière durable et équilibrée avec la terre.
Pour démontrer et tirer profit des connaissances et de l’expertise tissées dans les récits autochtones, il faut les comprendre depuis une vision du monde autochtone, et c’est ce que la roue de médecine nêhiyawak nous aide à faire. Les contes nêhiyawak abordent tous les aspects de la roue, car ils véhiculent la sagesse (aspect mental dans la direction nord de la roue), expliquent le monde (aspect physique dans la direction sud), tout en enseignant les relations (aspect affectif dans la direction ouest), ainsi que notre culture et notre identité (aspect spirituel dans la direction est). L’utilisation de la vision holistique enseignée par la roue de médecine nêhiyawak nous aide à comprendre et à suivre les enseignements des récits et, dans le cas du conte que j’ai choisi, à prendre des mesures individuelles et collectives en matière d’adaptation à l’environnement et au changement climatique, et d’atténuation de ses effets.
Ce conte, intitulé Oiseaux de couleur : 2e partie, raconte comment le geai bleu a pris sa couleur. Il s’agit d’une histoire orale racontée par mon père, Micheal Sidney Lamouche, de la Première Nation Kapawe’no, et transcrite au cours d’une série de réunions. Il a recueilli de nombreuses histoires auprès d’amis et de membres de sa famille vivant dans des collectivités cries du nord de l’Alberta et m’a autorisée à utiliser cette histoire dans le cadre de cette étude de cas. Les histoires de Wesakechak, le personnage malicieux nêhiyawak, nous apprennent souvent à réaliser nos actes et leurs conséquences, nos valeurs et la genèse des choses. De nombreux peuples autochtones utilisent la narration orale pour transmettre leur savoir, leur histoire et leur culture. Dans ma culture nêhiyaw, les contes étaient réservés pour l’hiver.
L’histoire des Oiseaux de couleur : 2e partie démontre le pouvoir des récits autochtones et la manière dont ils peuvent éclairer la prise de mesures visant à améliorer l’approche à double perspective dans la recherche sur le climat et le débat politique, où le récit est le vecteur d’un changement transformationnel. Comme l’explique Albert Marshall : « L’approche à double perspective consiste à reconnaître d’une part les points forts des principes d’apprentissage autochtones, et de l’autre, les avantages des savoirs occidentaux, et de créer une symbiose entre des visions du monde différentes » (Bartlett et autres, 2012).
Oiseaux de couleur: 2e partie
Wesakechak a organisé un concours pour nommer les oiseaux et c’est l’oiseau qui a les plus belles couleurs qui sera le gagnant. Les oiseaux sont allés chercher leurs couleurs dans la nature. L’un d’eux avait du mal à en choisir une. Il a volé un peu partout, mais il n’arrivait pas à se décider parce que toutes les couleurs étaient belles; bientôt, il ne restait plus de couleurs à choisir parce que d’autres les avaient déjà prises. L’oiseau est allé voir Wesakechak et lui a expliqué pourquoi il n’avait pas de couleur :
« C’était par amour. »
Wesakechak lui dit : « Petit frère, souviens-toi que tu n’as parfois qu’une seule chance d’obtenir ou de faire quelque chose; la prochaine fois, souviens-toi que si tu veux quelque chose, va le chercher, car il se pourrait bien ne plus être là plus tard. Parfois, nous avons des pensées ou des sentiments qui nous poussent à bien faire, mais nous ne nous réalisons pas que c’est notre guide spirituel qui nous les a suggérés. »
Une fois que les oiseaux se sont rassemblés, ils arboraient de nombreuses couleurs. Wesakechak a décidé de ne pas choisir de gagnant, car ils étaient tous exceptionnels et avaient tous un rôle différent dans la nature. En voulant aider le petit oiseau à trouver une couleur, il a demandé à un oiseau au plumage d’un blanc étincelant comment il avait trouvé sa couleur. Ce dernier a répondu qu’en essayant de survoler la montagne, il s’était retrouvé pris dans une avalanche. Wesakechak a alors dit :
« Il y a toutes sortes de fleurs riches en couleurs de l’autre côté des montagnes. »
Le petit oiseau était tellement heureux qu’il s’est envolé, sans attendre que Wesakechak ait fini de parler. Alors qu’il volait vers les montagnes, il prit de l’altitude et, une fois au-dessus des nuages, il a regardé aussi loin qu’il pouvait voir, mais il n’a aperçu que d’autres montagnes.
L’oiseau s’est retourné rejoindre les siens, sans se rendre compte qu’il portait maintenant les couleurs du ciel – sa poitrine était blanche et son dos bleu. Wesakechak a alors déclaré qu’il serait connu sous le nom de
« l’oiseau qui porte le ciel sur son dos. Tu seras également connu comme l’oiseau qui n’a pas attendu d’entendre toutes les instructions. Tu devras donc apprendre à être patient et à écouter les instructions jusqu’au bout » (Lamouche, 2021).
L’étincelle intérieure : enflammer l’esprit pour agir contre les changements climatiques
Dans la roue de médecine nêhiyawak, nous commençons par l’est, là où le soleil se lève. Il est également associé à l’élément du feu (soleil), à l’enfance, au début du jour et à l’aspect spirituel, qui englobe la culture et l’identité. Celles-ci sont à la base de notre mode de vie, de notre comportement, de nos actes et de nos valeurs. On les enseigne souvent par le biais d’un récit qui peut devenir une étincelle d’inspiration et de motivation ou un feu intérieur qui enflamme une passion. En d’autres termes, la culture et l’identité sont notre raison d’être : « Ceux d’entre nous qui sont autochtones comprennent que c’est le fait de raconter des histoires, notre souffle même, qui fait naître l’identité et définit notre objectif » (Lucci-Cooper, 2003). Il s’agit d’une partie importante de l’apprentissage, « …nous apprenons mieux lorsque nous ressentons un fort lien spirituel intérieur avec tout ce qui nous entoure » (Anderson, 2017). Pour de nombreux Autochtones, la culture et l’identité sont directement liées à la terre sur laquelle ils vivent : « pour se connaître soi-même, il faut d’abord connaître la terre » (Cajete, 2000).
Le conte des Oiseaux de couleur : 2e partie est également centré sur l’identité, un aspect de l’esprit. Nous voyons les oiseaux avec leur propre « agentivité », ou puissance d’agir – ils choisissent différentes couleurs pour se donner un nom et une identité. Il s’agit là d’un aspect important des enseignements autochtones — favoriser l’autodétermination — qui est une motivation plus forte pour le changement que lorsqu’on se fait dicter quoi faire (Lamouche, 2022). Nous pouvons appliquer les leçons de l’histoire selon lesquelles nous avons notre propre puissance d’agir, pour faire des choix, pour nous motiver à prendre des mesures et à apporter des changements là où c’est le plus nécessaire, et dans le moment présent, c’est ce qui se rapporte aux changements climatiques. Pour lutter contre les effets du changement climatique, nous devons faire le choix conscient de modifier les comportements individuels et collectifs afin d’améliorer le monde de manière réelle et durable. Nous pouvons le faire en nous appuyant sur notre propre agentivité et sur la partie de notre identité (l’aspect spirituel de la roue de médecine) qui est liée à une meilleure « connaissance de la terre » – ce n’est qu’alors que nous pourrons prendre des mesures efficaces pour le climat, en fonction de cette connaissance profonde, de notre lien avec la terre et de notre motivation.
Dans de nombreuses cultures autochtones, le langage et les connotations sont également importants pour l’identité. Les récits autochtones mentionnent souvent des animaux particuliers en tant que membres non humains de la famille, en les appelant simplement par leur nom. Par exemple, nous dirons « Geai bleu volait » plutôt qu’« un geai bleu volait », comme le ferait la tradition occidentale. La façon dont le geai bleu est d’abord appelé « l’oiseau » plutôt qu’« un oiseau » constitue un autre aspect de la narration, car elle le personnifie en lui donnant un autre niveau de signification et d’identification : en examinant la définition de « un », on constate qu’il est utilisé devant un nom commun singulier, ce qui met l’accent sur l’individu. Par comparaison, « le » peut être utilisé pour un nom commun singulier, mais celui-ci doit être compris de manière générique (Miriam-Webster, 2023). Plutôt que de préciser un animal individuel de manière isolée, les conteurs autochtones préfèrent mettre l’accent sur l’ensemble, le groupe ou l’interdépendance. Il s’agit d’une compréhension spirituelle importante liée à l’identité et à la culture nêhiyawak (la partie orientale de la roue). La manière dont les histoires sont racontées, même en français, montre que la compréhension de nos relations et de notre interdépendance fondamentale avec les animaux, les plantes et l’ensemble du monde naturel est importante dans la vision autochtone du monde. L’intégration de cette compréhension plus profonde et fondamentale de l’interdépendance au sein du monde naturel — dont nous faisons partie — dans les conversations sur les cadres de référence et les politiques climatiques pourrait aider à orienter leur conception et leur mise en œuvre de manière à ce que leur approche soit plus holistique.
Lorsque nous voyons l’oiseau hésiter et dire « C’est par amour », Wesakechak répond en expliquant que la « connaissance intérieure » ou « ce que nous ressentons » sont nos guides spirituels. Cela souligne l’écoute plus profonde et les sens que notre corps éprouve en tant que connaissances utilisées par les principes d’apprentissage autochtones et la science autochtone (Cajete, 2000). Dans le sens des politiques de lutte contre les changements climatiques, cela pourrait conduire à une nouvelle compréhension de l’environnement et à la nécessité d’une vision plus holistique et plus équilibrée des changements climatiques et de l’environnement.
Personnification, prise de mesures et transformation du comportement en faveur de l’action climatique
Nous nous déplaçons autour de la roue de médecine nêhiyawak dans le sens des aiguilles d’une montre, ce qui revient souvent à suivre le mouvement du soleil. Cela nous amène à la direction sud qui est associée à ce qui est physique, à la jeunesse et à l’élément de la terre. Elle est liée à notre forme physique, à notre corps et à l’environnement. Le physique, c’est le mouvement, l’acte, la personnification et la transformation de notre vie grâce à un changement de comportement.
Le conte nous montre l’importance de l’acte physique lorsque Wesakechak explique à l’oiseau que nous n’avons parfois qu’une seule chance d’agir, soulignant ainsi qu’il est parfois important d’agir lorsque nous le pouvons. En ce qui concerne les changements climatiques, nous pouvons considérer qu’il s’agit d’un message nous invitant à agir maintenant, parce que nous en avons la possibilité, alors qu’à l’avenir nous ne l’aurons peut-être pas. Cela confirme également l’idée que de nombreux récits autochtones sont des « instructions pour l’avenir ». Si nous comprenons ce conte sous cet angle, nous pouvons clairement entendre le message qu’il est nécessaire d’agir maintenant pour lutter contre les changements climatiques.
Dans cette histoire, différents aspects de l’environnement — qui font également partie de la direction sud de la roue de médecine nêhiyawak — sont mis en évidence : la couleur des oiseaux, le ciel, les plantes et les fleurs, l’image des montagnes et l’avalanche. Nous constatons que chaque élément de la nature joue un rôle important et l’on y souligne la diversité de la nature. On peut y voir une instruction sur la manière d’observer le monde qui nous entoure et, même si nous n’en comprenons pas tous les rôles et toutes les significations, d’apprécier toutes les choses du monde naturel, y compris la biodiversité. Ces enseignements devraient s’étendre à la politique sur le climat afin d’encourager les décideurs à comprendre que nous devons protéger la biodiversité du monde naturel, même si nous ne comprenons pas quel rôle tous les êtres et les non-êtres jouent dans ce monde. L’approche occidentale compartimente souvent de manière peu utile, par exemple en considérant les enjeux de biodiversité et de climat comme des sujets distincts (Atlas climatique du Canada).
Le milieu physique devient également un rappel de la relation de notre corps (qui fait également partie de la direction sud de la roue) avec le monde naturel et de sa dépendance à l’égard de ce dernier. Lorsque nous comprenons cela, la nécessité de protéger le milieu physique devient soudain plus urgente. Nous voyons qu’il s’agit de nous protéger nous-mêmes et, en regardant les choses à travers le prisme de la roue de médecine nêhiyawak, de protéger nos familles, nos collectivités et nos nations. Il s’agit d’une perspective différente de celle de la science occidentale, qui considère souvent le monde physique et les solutions à travers des silos et sous un angle économique (Cajete, 2000). Cette compréhension plus profonde peut nous aider à modifier notre comportement et l’approche que nous adoptons à l’égard des politiques et des solutions visant à protéger ce monde.
Établir des liens avec le cœur pour se soucier du climat
Dans la direction ouest de la roue de médecine nêhiyawak se trouve l’étape de l’âge adulte. Il se caractérise par des responsabilités, des relations et des aspects affectifs. Son symbole est celui de l’eau, qui est considérée comme guérisseuse : ma mère disait que verser des larmes est salutaire, et les enseignements nous le disent aussi. Bâtir des relations est un aspect important du bien-être, de la vision du monde et des connaissances nêhiyawak. Les cercles concentriques de la roue de médecine nêhiyawak représentent cet aspect. Contrairement à la société occidentale, de nombreux peuples autochtones ne considèrent pas que leur vie se déroule de manière linéaire, isolée et individuelle. Bien au contraire, les cultures autochtones voient la vie comme holistique et communautaire, et reposant fondamentalement sur des relations communautaires solides. Ce fondement s’étend également à la formation de relations respectueuses avec le monde naturel (Cajete, 2000; Anderson, 2017; Archibald, 2008), une relation qui se distingue souvent de celle d’une vision occidentale du monde. Cela signifie que les peuples autochtones ont une approche différente à l’égard de la protection de l’environnement et peuvent donc avoir des idées différentes sur les solutions et les mesures efficaces liées aux changements climatiques, un facteur important dans l’élaboration conjointe des politiques.
L’histoire de Geai bleu nous enseigne autre chose. Par exemple, dans le récit, l’oiseau va voir Wesakechak et lui explique qu’il n’a pas choisi de couleur parce qu’elles sont toutes belles. Wesakechak lui-même déclare qu’il ne peut pas choisir un gagnant parce que toutes les couleurs sont belles. Du point de vue du conte, cela mène à la question de ce qui se passerait si chacun et chacune d’entre nous « voyaient les couleurs » en matière de race comme une belle chose qui reflète la diversité de la nature. Nous aurions ainsi une relation plus respectueuse entre les différentes races et cultures, ainsi qu’un respect et une appréciation accrus de différentes connaissances et de points de vue différents. Sur le plan de l’antiracisme, la « cécité » à la couleur est considérée comme une microagression (Reading, 2020). Respecter les différences chez autrui nous aide à avoir des relations saines. Le récit nous enseigne que la diversité est un élément précieux de la nature et qu’il faut la protéger dans les discussions et la mise en œuvre des politiques de lutte contre les changements climatiques.
Il explique comment les caractéristiques physiques des oiseaux et leurs différentes couleurs proviennent de l’environnement naturel, des fleurs, des plantes, de la neige et du ciel. Il nous permet de voir que les oiseaux sont liés à la nature; en voyant la relation qui unit toutes choses, nous avons un rappel important qui nous apprend à établir un lien plus profond avec toute la création et à vouloir en prendre soin. Maintenant que vous connaissez ce conte, lorsque vous voyez Geai bleu, vous penserez au ciel bleu, à l’air, aux montagnes et aux journées ensoleillées, ce qui vous permet de mieux comprendre à quel point le monde naturel est interdépendant. Ce lien affectif plus profond crée et encourage une relation respectueuse avec le monde naturel, plus profonde et plus étendue que celle de la science occidentale.
La sagesse des aînés pour veiller à ce que les récits perdurent pour influer sur les changements climatiques
L’aspect mental de la roue de médecine nêhiyawak est représenté par la direction du nord et l’étape de vie des aînés. L’aspect mental englobe la connaissance, la sagesse, les pensées et l’élément de l’air. Les récits et les enseignements, combinés à l’expérience, confèrent aux aînés des connaissances approfondies et multidimensionnelles; ils transmettent ces connaissances à leurs enfants (direction est), et ils contribuent à ce que le cercle du bien-vivre se poursuive et se perpétue à travers les générations. À la fin du conte de Geai bleu, nous entendons la leçon qui nous enjoint à la patience et à écouter les instructions avant d’agir. Dans un contexte plus large, nous constatons que les récits et les enseignements jouent un rôle essentiel pour guider nos actes et notre comportement. Elle nous rappelle qu’il faut écouter nos aînés et souligne l’importance des récits, de la sagesse et de l’expérience qu’ils possèdent et la manière dont cette sagesse peut guider nos propres actes. Le conte souligne l’importance d’écouter les aînés, qui sont « les premiers enseignants, formateurs et guides dans l’apprentissage de la science autochtone » (Cajete, 2000).
Par exemple, lorsque les aînés utilisent des expressions telles que « castor nageait » au lieu d’« un castor nageait », on pourrait l’interpréter comme une expression manquant d’éducation ou comme n’étant pas du « bon français », plutôt que de réfléchir au sens plus profond de ces expressions découlant d’une vision plus profonde du monde.
En faisant preuve de patience, en écoutant et en respectant le savoir et les enseignements (ou instructions) des aînés, nous veillons à ne pas négliger une source précieuse de sagesse.
Voir et connaître Geai bleu comme l’oiseau qui porte le ciel sur son dos change notre manière de penser. Cela nous fait penser au récit des couleurs des oiseaux et nous apprend la patience, à apprécier tous les oiseaux dans leur diversité, à écouter notre intuition et à passer à l’acte. Il s’agit d’enseignements qui nous rappellent des conseils précieux tout au long de la vie. En partageant cette sagesse, les aînés veillent à ce que les visions du monde, les instructions et les valeurs qui façonnent les comportements en faveur de la durabilité soient transmises. La sagesse et l’expérience des aînés nous donnent les moyens de réfléchir sérieusement au monde et nous incitent à prendre des mesures en matière de changement climatique et de développement durable.
Conclusion
Les peuples autochtones ont été marginalisés et exclus de la politique de lutte contre les changements climatiques, bien que les « terres autochtones représentent environ 20 % du territoire de la planète et abritent 80 % de la biodiversité restante, signe que les peuples autochtones sont les gardiens les plus efficaces de l’environnement » (Institut international du développement durable). Les récits autochtones sont liés à la terre et particulièrement imprégnés des valeurs et des visions du monde qui ont permis à la terre, aux animaux, aux plantes, et aux hommes et femmes de l’île de la Tortue (Amérique du Nord) de survivre. Les exemples ci-dessus, qui illustrent la profondeur et la diversité des enseignements contenus dans ce seul récit nêhiyawak, montrent l’étendue des connaissances et de l’expertise véhiculées par les cultures et les enseignements autochtones, et la manière dont elles peuvent guider notre stratégie en matière de mesures et de politiques climatiques. La colonisation et la supériorité européenne ancrée dans l’idéologie raciste ont exclu et opprimé ces récits. La science et les systèmes occidentaux ont renforcé ce comportement, y compris les conversations sur les changements climatiques, et cette exclusion signifie que des leçons et des points de vue importants ne sont pas pris en compte lors de la mise en œuvre des mesures et des politiques relatives au climat.
Comme le montrent les contes nêhiyawak, les récits autochtones contiennent des connaissances et des enseignements inhérents qui peuvent nous aider à aborder l’action climatique, notamment parce qu’ils nous aident à comprendre l’interdépendance du monde naturel et nos relations avec la terre. Le conte de Geai bleu encourage la responsabilité, l’autodétermination et l’écoute attentive de la sagesse des aînés. Il nous enseigne notre interdépendance et notre relation directe avec la terre. Lorsque nous avons une relation plus étroite, fondée sur le respect et la compréhension, grâce aux enseignements selon lesquels la terre et tout ce qu’elle contient sont apparentés, nous adressons l’action climatique avec une attention et une compréhension plus profondes des meilleures approches pour tous et toutes.
J’offre en conclusion une liste de recommandations de politiques à l’intention des spécialistes du climat au sein des gouvernements fédéral et provinciaux pour améliorer les politiques sur le climat en étant plus holistiques et plus compréhensives de la vision autochtone du monde qui englobe les récits, dans le but de faire progresser la réconciliation :
- Ce sont les peuples et les nations autochtones qui devraient mener la politique sur le climat (Reed et autres, 2021) tant au niveau provincial que fédéral, car elle comporterait une cocréation équitable des politiques sur le climat.
- Le discours politique à l’égard du climat devrait englober les conteurs, les artistes, les aînés spirituels et les détenteurs du savoir culturel, ainsi qu’un financement qui leur permettra de partager leur travail.
- Pour que les décideurs politiques puissent comprendre la vision autochtone du monde et travailler à une élaboration conjointe des politiques et de la recherche avec les peuples autochtones, les fonctionnaires devraient recevoir une formation axée sur la lutte contre le racisme envers les personnes autochtones (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2017).
- L’accessibilité, la protection et le transfert générationnel des récits eux-mêmes par le biais de financement, de programmes pour les artistes et les conteurs autochtones, ainsi qu’une garantie de l’accessibilité aux plantes, aux animaux, aux points de repère, aux sites culturels et spirituels qui portent ces récits devraient être une priorité politique.
- Dans le cadre des discussions sur la politique à l’égard du climat, il faut respecter, accepter et inclure les récits traditionnels, le savoir et les enseignements autochtones sans avoir à les faire valider par des études scientifiques occidentales; ou encore, il faudrait établir un financement pour la recherche conjointe entre les chercheurs, les artistes et les conteurs autochtones et non autochtones dans le domaine du climat.
- Il convient de financer la préservation et l’enseignement des langues autochtones, car elles sont essentielles à la compréhension et à l’interprétation des récits en tant qu’instructions pour l’avenir.
- Les gouvernements fédéral et provinciaux et les décideurs politiques devraient collaborer avec les nations autochtones afin d’inclure les modèles de gouvernance et les modes de fonctionnement autochtones comme cadre de référence (c’est-à-dire la roue de médecine) pour garantir un point de vue holistique qui tient compte de l’approche à double perspective en matière d’élaboration conjointe de la politique sur le climat.
- Il faut mettre en œuvre un processus de lutte contre le racisme autochtone dans tous les secteurs de la société canadienne, en particulier à l’égard des décideurs politiques aux niveaux provincial et fédéral dont les décisions ont un impact sur les peuples autochtones, et sur les terres et les eaux auxquelles notre identité est inextricablement liée par notre histoire.
Références
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