Cet éditorial a d’abord paru dans le Toronto Star.
Même si on peut affirmer sans équivoque que les véhicules électriques sont des « valeurs sûres » dans la quête de la carboneutralité, le parc de véhicules du Canada ne s’électrifiera pas par magie. Pour atteindre ses objectifs climatiques, le pays doit se donner des politiques qui redistribuent les cartes afin de transformer le secteur du transport.
C’est pour les conducteurs que cette transformation aurait le plus de retombées : de récents sondages montrent en effet que près de la moitié des acheteurs de voiture du pays prévoient que leur prochain véhicule sera électrique. Il ne s’agit pourtant pas d’écologistes militants exagérément altruistes : ils ont simplement compris que cela les mettrait à l’abri de la hausse du prix de l’essence.
Une norme sur les véhicules zéro émission (VZE) peut servir de base solide à une transition soutenue et régulière du parc de véhicules canadien vers la carboneutralité. Si de telles normes ne sont pas toujours appréciées des fabricants d’automobiles, ce sont des politiques efficaces, aussi bien pour la réduction des émissions que pour le portefeuille des conducteurs.
Le principe est simple : les fabricants d’automobiles se voient imposer un quota de vente de véhicules zéro émission. Comme cette proportion augmente au fil du temps, les ventes de VZE augmentent aussi, au détriment des véhicules à combustion. Une norme de plus en plus contraignante permettrait ainsi au Canada d’atteindre le but qu’il s’est donné pour 2030, c’est-à-dire que les VZE représentent 60 % des véhicules légers vendus au pays.
La demande croissante de véhicules électriques s’explique notamment par les économies potentielles pour les particuliers. Le coût des batteries continue de décroître à mesure que leur conception et leur autonomie s’améliorent. Devant la flambée du prix de l’essence, la baisse du coût d’utilisation d’un véhicule électrique et la grande stabilité des tarifs d’électricité sont de plus en plus attrayantes. Mais pour que les économies promises se concrétisent, il doit y avoir des véhicules électriques à vendre. Dans certains cas, l’attente prévue atteint trois ans. La demande écrase l’offre. C’est en partie à cause des problèmes d’approvisionnement, mais aussi parce que les vendeurs se sont lourdement trompés dans leurs prévisions, produisant trop de machines à polluer la planète et trop peu de véhicules propres.
C’est là qu’intervient la norme VZE. Selon des données du International Council on Clean Transportation, la pénétration des véhicules électriques sur le marché est bien meilleure là où une telle norme est en vigueur, et le choix de modèles y est plus grand. Les cinq premières villes américaines à ce chapitre se trouvent en Californie, là où a vu le jour la toute première norme VZE des États-Unis en 1990. La Colombie-Britannique et le Québec se sont dotés de normes semblables en 2019 et en 2016 respectivement, et c’est là que les ventes de VZE sont les plus importantes au Canada.
Une norme VZE favorise également l’abordabilité des véhicules électriques. En effet, pour atteindre le quota de voitures électriques imposé dans la norme (sous peine de payer d’importantes pénalités pour chaque voiture à essence vendue au-delà du seuil fixé), les vendeurs doivent en réduire le prix; ils y arrivent en augmentant leur marge de profit sur les véhicules à combustion haut de gamme. Quant à ceux qui ne vendent que des VZE, comme les concessionnaires Tesla, ils dépassent le quota imposé et ramassent donc de précieux crédits qu’ils peuvent revendre aux vendeurs moins performants.
Une norme VZE a aussi des avantages pour les fabricants, parce qu’elle facilite la transition en la rendant plus prévisible. En présence de fortes pénalités en cas de non-conformité, les fabricants peuvent être assurés que s’ils font un virage rapide vers la production de véhicules électriques, la demande suivra. Au lieu de s’inquiéter de voir un éventuel effondrement du prix de l’essence miner cette demande, ils peuvent se rassurer : les ventes de véhicules électriques continueront de grimper sur une trajectoire qui correspondra au moins aux quotas imposés par la norme VZE en 2025, en 2030 et en 2035.
Tout cela se combine pour entraîner des retombées positives. Dans l’ensemble, le California Air Resources Board estime les économies nettes générées par sa norme VZE à 49 milliards de dollars sur toute la durée de celle-ci. Selon ses estimations, les acheteurs d’un véhicule électrique 2026 économiseraient 3 200 $ sur 10 ans, et ceux d’un modèle 2035, 7 600 $ sur la même période.
Une norme VZE contribuerait à l’abandon des véhicules à essence tout en protégeant la population canadienne de la hausse des coûts. Pour être efficaces, les politiques publiques sur les véhicules électriques n’ont pas besoin de réinventer la roue.