L’incertitude entourant l’avenir du pétrole et du gaz s’accentue, notamment avec l’annulation de Keystone XL par le président Biden et la pression qu’exerce BlackRock sur les entreprises pour qu’elles clarifient leur plan carboneutre. Dans le parcours du Canada (parallèlement à celui de grandes économies mondiales comme les États-Unis et la Chine) vers la carboneutralité, quelle évolution se dessine pour la production pétrolière au pays? Notre dernier rapport, Vers un Canada carboneutre : s’inscrire dans la transition globale, donne quelques pistes de solutions.
L’avenir de la production pétrolière dans un monde carboneutre
Notre analyse de plus de 60 scénarios carboneutres au Canada fait ressortir trois possibilités pour la production pétrolière du pays (voir figure 1): 1) baisse marquée de la production au fil du temps; 2) stabilité (voire croissance) de la production à long terme; 3) stabilité ou croissance de la production à moyen terme, suivie d’une chute rapide.
La trajectoire qu’empruntera le Canada dépend d’une multitude de facteurs. Certains seront influencés par des choix de politiques internes. Mais les forces motrices principales échappent au contrôle du Canada; et aussi à celui de l’Alberta et de la Saskatchewan, d’ailleurs.
Figure 1 : Production pétrolière au Canada en fonction des prix (faibles et élevés) du pétrole à l’échelle mondiale selon les trajectoires vers la carboneutralité
Première trajectoire (vert) : chute de production avec le temps
Le prix mondial du pétrole est l’un des principaux facteurs qui influencent l’avenir carboneutre du Canada. Si la transition carboneutre du pays se produit en même temps qu’une accélération de la lutte contre les changements climatiques à l’échelle mondiale, la demande – et le prix – du pétrole pourrait chuter drastiquement. Dans nos scénarios où le pétrole est abordable, le prix du baril à l’échelle mondiale descend à 38 $ US en 2030 et encore un peu plus en 2050, à 36 $ US (basé sur Avenir énergétique du Canada en 2018 – Offre et demande énergétiques à l’horizon 2040). Selon nos projections, dans ces conditions, la production pétrolière canadienne diminuerait graduellement au cours des 30 prochaines années.
Même les facteurs influencés par les entreprises et les choix politiques du Canada ne changeraient pas la donne. Et un sabrage dans les émissions de la production tirée des sables bitumineux au Canada n’aurait pas d’incidence considérable sur cette issue non plus. Si de nombreuses installations d’extraction des sables bitumineux – étant donné leur faible coût marginal de production – pourraient poursuivre leurs activités encore plusieurs années, on verrait tout de même à une baisse marquée des nouveaux investissements.
Deuxième trajectoire (rouge) : stabilité (voire croissance) de la production à long terme
Par ailleurs, selon notre analyse, le secteur pétrolier pourrait avoir une production qui demeure stable ou même en augmentation dans la trajectoire vers la carboneutralité. Mais cela est possible seulement si quatre conditions bien précises sont remplies (voir figure 2).
- Premièrement, il faudrait que les prix mondiaux du pétrole augmentent et demeurent élevés. Nos scénarios de prix élevés utilisent comme valeur de référence une augmentation du baril à 63 $ US d’ici 2030 et à 87 $ US d’ici 2050. Cette situation ne se concrétiserait qu’en présence d’une faible action politique climatique mondiale ou d’une adoption répandue internationalement des technologies à émissions négatives (point abordé ci-dessous).
- Deuxièmement, il faudrait que les entreprises pétrolières et leurs bailleurs de fonds s’attendent à ce que les prix du pétrole restent élevés pour justifier leur investissement dans le maintien ou l’accroissement de la capacité de production.
- Troisièmement, pour demeurer compétitives, les entreprises pétrolières devraient investir des sommes considérables dans la réduction des émissions de leurs activités.
- Quatrièmement, il faudrait que les technologies à émissions négatives à l’étape de démonstration (ex. : captation atmosphérique directe et formes avancées de captation, d’utilisation et de stockage du carbone) s’avèrent rentables et reproductibles. Il faudrait qu’elles soient déployées à grande échelle au Canada. Au développement encore incertain de ces technologies s’ajoutent des obstacles non négligeables à leur déploiement massif. C’est notamment la cas de la construction d’infrastructures sans précédent, la mise en place d’un système mondial de comptabilisation et d’échange de droits des gaz à effet de serre, l’accès à un financement suffisant et l’atténuation des réticences de la population.
Compte tenu de ces conditions non négociables, miser sur cet avenir comporte des risques. Que faire si ces technologies aux multiples incertitudes, qui n’en sont qu’au stade de démonstration, ne se montrent finalement pas viables? Voilà qui nous amène à la troisième trajectoire.
Figure 2 : Production pétrolière et gazière au Canada
Troisième trajectoire (bleu) : stabilité ou croissance de la production à moyen terme, suivie d’une chute rapide
Si le cours du pétrole demeure élevé, la demande pour des produits du pétrole au Canada pourrait se poursuivre à moyen terme. Mais sans une commercialisation réussie et un déploiement massif des technologies à émissions négatives, notre analyse indique que la production entamerait une chute rapide dans les 10 à 20 prochaines années. Et cela peu importe les prix.
Si nous continuons de miser sur un avenir où la production du secteur pétrolier est élevée, nous risquons d’immobiliser industries, infrastructures et technologies polluantes. Cela nous priverait aussi de solutions propres. Ces choix se traduiraient par des « actifs délaissés », car la rentabilité d’importants investissements s’éroderait. Ce scénario risque également de compromettre une diversification nécessaire dans des régions où les économies sont étroitement liées à la production pétrolière. La vulnérabilité du secteur pétrolier canadien à des forces hors de notre contrôle met en évidence l’importance de regarder vers l’avenir et d’offrir du soutien aux communautés et aux travailleurs afin qu’ils ne soient pas laissés pour compte.
Parier sur un avenir incertain
Notre analyse mène à la conclusion que l’avenir de la production pétrolière au Canada est précaire. Les perspectives pour la production de gaz naturel au pays sont comparables. S’il est possible, à long terme, d’atteindre la carboneutralité au pays avec un secteur pétrolier florissant, une gestion du risque reposant sur cette prémisse se révélerait difficile étant donné les facteurs déterminants qui échappent au contrôle du Canada.
D’un côté, il est tentant de voir les technologies à émissions négatives (notamment la captation atmosphérique directe) comme une solution magique. Sans compter que les grandes avancées technologiques auraient des avantages significatifs, autant pour les régions pétrolières et gazières du pays que pour les efforts mondiaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais d’un autre côté, si nous minimisons les dangers de miser sur une production pétrolière maintenue à long terme, nous exposons les travailleurs et les communautés qui dépendent de ce secteur pétrolier à un risque accru de perturbations économiques et de pertes d’emploi. Il sera également plus difficile d’atteindre nos cibles climatiques si tous nos espoirs reposent sur une percée technologique à venir.
Mais il existe des façons de composer avec le risque et l’incertitude. La transition carboneutre ouvre de nouveaux débouchés pour ces régions : croissance de la demande en hydrogène, en biocarburants, en électricité propre, ou même développement de solutions à émissions négatives. Beaucoup de ces secteurs ont besoin des ressources, des infrastructures et des compétences de ces régions productrices de pétrole. Les possibilités sont là. Il ne nous reste maintenant qu’à les saisir pour que travailleurs, communautés et entreprises trouvent la voie de la prospérité dans un monde en évolution.