The three tragedies that challenge climate policy

Les politiques climatiques en trois tragédies

Comme les personnages de la tragédie grecque, la société moderne présente des failles inhérentes à l’être humain, qui freinent l’action et présagent la catastrophe.

Billet original publié sur Options politiques

Les changements climatiques sont la menace existentielle de notre ère : ils posent un risque pour nos économies, notre qualité de vie et notre existence même. Alors, pourquoi n’agissons-nous pas plus énergiquement pour lutter contre cette menace, malgré un consensus mondial sur la nécessité de le faire au plus vite? Le paradoxe s’explique par trois tragédies : celle de l’horizon, celle du patrimoine commun, et celle de la transition. Nous utilisons ici le mot « tragédie » au sens où l’entendait la Grèce antique, pour désigner des failles inhérentes à l’être humain présageant la catastrophe.

C’est Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, qui a d’abord parlé d’une tragédie de l’horizon dans un discours de 2015 pour décrire l’effet catastrophique des changements climatiques sur les générations futures, en soulignant que les générations actuelles ont peu de motivation pour agir. Ce n’est qu’une des trois tragédies qui freinent le Canada et le monde dans leur lutte contre les changements climatiques :

La tragédie de l’horizon : Tendance – ancrée au plus profond de l’être humain – à ne pas tenir compte des coûts et des bienfaits d’événements lointains.

La tragédie du patrimoine commun : Dilemme qui plane sur l’action collective, à cause du fait que les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont une incidence mondiale sur notre atmosphère à tous, mais que la tâche de limiter ces émissions revient aux nations souveraines, qui ne peuvent être forcées à agir.

La tragédie de la transition : Résistance inhérente aux bouleversements causés par un changement fondamental, pouvoir des acteurs qui profitent du statu quo, décideurs paralysés par une profonde incertitude, et ampleur des ressources – matérielles, financières et humaines – à mobiliser pour transformer le système énergétique planétaire et s’adapter aux dommages inévitables des changements climatiques.

Ces trois tragédies n’ont pourtant pas le même effet sur les mesures de lutte contre les changements climatiques que sont l’atténuation, l’adaptation et la croissance économique propre.

Par exemple, la tragédie de l’horizon ne nuira probablement pas aux mesures d’adaptation visant à atténuer les dommages actuels des changements climatiques. La motivation existe pour miser sur l’adaptation maintenant, et non dans un futur lointain. Il suffit de porter notre regard sur les phénomènes météorologiques extrêmes et les prévisions de risque localisées, toujours plus précises et plus fiables.

D’ailleurs, la tragédie mondiale du patrimoine commun n’empêche pas l’adaptation, car la responsabilité d’investir dans des mesures d’adaptation, comme des infrastructures de contrôle des inondations, est locale, tout comme les avantages découlant de tels investissements. Les coûts et les bienfaits s’équilibrent assez bien.

Mais la tragédie de la transition, elle, nuit à l’adaptation. Les gouvernements s’intéressent beaucoup moins à l’adaptation qu’à l’atténuation, en raison des coûts élevés à court terme de la première, qui accaparent des ressources financières déjà étirées pour couvrir des priorités concurrentes jugées plus urgentes. Certains défenseurs de l’atténuation craignent aussi qu’en allouant des ressources à l’adaptation, on mine la volonté d’adopter les politiques strictes nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction des émissions. La croissance propre est une possibilité, mais elle dépend d’une mobilisation contre les trois tragédies.

Vu les obstacles fondamentaux à la lutte aux changements climatiques, les politiques stratégiques doivent viser des mesures pratiques pour redéfinir les incitatifs qui sous-tendent chaque tragédie. Par exemple :

La tragédie de l’horizon : Il faut trouver des moyens de donner vie au futur dès à présent. Pour la finance, les obligations et actifs à long terme des assureurs, banques et investisseurs les incitent à prendre en compte les effets lointains des changements climatiques. Mais ils doivent être mieux équipés de renseignements et de règlements afin de prendre des décisions fondées sur les données probantes, uniformes pour tous les segments de l’industrie, et transparentes. Pour cela, l’action publique doit se renforcer et orienter les réactions du marché vers les risques climatiques persistants. Un barème strict des prix du carbone à long terme pourrait aussi avoir un effet profond sur les décisions d’investissement actuelles. Mais il y a un hic : le risque qu’un futur gouvernement change les règles. Selon des chercheurs, la Banque de l’infrastructure du Canada pourrait assurer les investisseurs contre ce risque politique.

La tragédie du patrimoine commun : Comme un pays ne peut freiner seul les changements climatiques, pourquoi devrait-il subir seul les répercussions d’une réduction importante des émissions? L’action collective est nécessaire, mais aucune autorité internationale ne peut l’imposer aux nations souveraines. Ensemble, ces dernières – malgré nombre de pieuses promesses – se montrent pour l’instant peu disposées à imposer des mesures domestiques suffisantes pour atteindre les objectifs énoncés. Comment sortir de cette impasse?

La pression populaire, surtout celle des jeunes, sera utile, mais pas du tout suffisante. Un grand incitatif économique collectif est nécessaire. Heureusement, un tel incitatif existe : le coût des énergies propres – notamment des énergies éolienne et solaire – est à beaucoup d’endroits déjà plus bas que celui de nouvelles sources fossiles, même sans tarification du carbone, et les perspectives ne font que s’améliorer. Cette réalité du marché oriente les incitatifs mondiaux dans la direction voulue. Les pays finiront par voir qu’il est dans leur intérêt économique de remplacer la majorité de leur énergie fossile par des sources non polluantes.

La tragédie du patrimoine commun tirerait ainsi à sa fin, mais trop lentement, si on prend en compte les centrales alimentées à l’énergie fossile existantes et planifiées. La transition s’accélérera sans doute quand même et mènera à une inévitable révolution de l’énergie propre mondiale. Voilà une rare situation où la concurrence géopolitique grandissante, notamment entre la Chine et les États-Unis, peut pousser le monde entier dans la bonne direction. Actuellement, la Chine est le chef de file mondial de la fabrication d’équipement de production d’énergies éolienne et solaire et de véhicules électriques. Pendant combien de temps encore le gouvernement et l’industrie des États-Unis laisseront-ils la Chine les devancer dans la transition vers l’énergie propre, la plus grande occasion économique de tous les temps? La concurrence stratégique – et pas seulement la volonté d’assurer l’habitabilité de la planète – finira par orienter les décisions des deux géants, et celles du reste du monde, vers la production et l’utilisation d’énergies non polluantes.

Pendant ce temps, on assiste à une version locale de la tragédie du patrimoine commun : la difficulté de mettre en place des réseaux électriques interprovinciaux pour accommoder des sources d’électricité décentralisées et intermittentes comme l’éolien et le solaire. Une solution plus efficace pour tous exige une coopération entre les provinces. C’est l’occasion pour le gouvernement fédéral de faire concorder les incitatifs pour maximiser les avantages collectifs. Cet enjeu et d’autres feront l’objet d’un rapport de l’Institut climatique du Canada sur le secteur de l’électricité, cadré par quatre documents d’experts qui font une analyse sophistiquée de la question, pouvant mener à des recommandations précises et applicables.

La tragédie de la transition : Nous savons déjà que d’ici 2030, il faut réduire d’au moins 40 % les émissions de GES (comparativement à 2005) pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Il existe un cadre pancanadien guidant la collaboration fédérale, provinciale et territoriale, une législation fédérale enchâssant dans la loi l’objectif de carboneutralité ainsi qu’un mécanisme de responsabilisation, et un échéancier de tarification croissante des émissions de CO2. Étant donné les objectifs climatiques du Canada, l’heure n’est plus au débat : minuit a déjà sonné.

La transition est beaucoup trop complexe pour s’effectuer en une seule étape… ou deux, ou trois. Elle repose sur une série de changements fondamentaux dans plusieurs dimensions. Un rapport de l’Institut – Vers un Canada carboneutre : s’inscrire dans la transition globale – présente plusieurs aspects du problème, et en décrit les répercussions en relevant des valeurs sûres et des coups de dés qui prennent notamment la forme de technologies prêtes à la mise en œuvre, ou alors prometteuses mais nécessitant davantage de recherche et développement avant un déploiement à grande échelle.

Le plus dur est devant nous : le moment est venu pour les gouvernements, les entreprises et les Canadiens de faire des choix audacieux quant aux détails de la stratégie de carboneutralité, et de décider où et quand miser.

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