Le discours du Trône du gouvernement fédéral d’aujourd’hui visait d’abord et avant tout à aider les Canadiens à surmonter les défis liés à la COVID-19. Ce étant, les changements climatiques sont également apparus comme une priorité essentielle.
Ces deux thèmes sont séparés et distincts, mais présentent également des intersections importantes. Tout cela nous laisse avec une importante question: comment est-ce que le gouvernement peut mettre en oeuvre un plan d’action pour concrétiser ses ambitions et faire face à ces crises parallèles?
Prioriser à la santé
En fin de compte, le discours du Trône était tout d’abord un discours sur la COVID-19, puis en second lieu un discours sur le climat. Au risque de saper ma crédibilité de chercheur climatique belliqueux, c’est correct et même approprié.
Pour ceux d’entre nous qui passent la majeure partie de leur temps à réfléchir à la politique en matière de changements climatiques, il est parfois facile d’oublier la raison d’être de notre travail. Les changements climatiques ne sont pas un ennemi abstrait: nous devrions nous préoccuper du changement climatique et de la croissance propre, car ils ont tellement des répercussions importantes sur le bien-être des Canadiens et de l’économie canadienne.
Ce étant, nous ne pouvons pas lutter efficacement contre les changements climatiques si nous ne gérons pas d’autres menaces auxquelles font face notre économie et notre bien-être. S’attaquer à la COVID-19 est une priorité. Dans ce contexte, prendre les changements climatiques au sérieux ne signifie pas tisser chaque politique dans un cadre des changements climatiques. Parfois, faire deux coups requiert deux pierres.
Réduire la vulnérabilité
En même temps, il existe de réels chevauchements entre la COVID-19, la reprise économique et la lutte contre les changements climatiques. À son honneur, le discours du Trône a établi certains de ces liens de façon explicite – en soulignant les liens entre la santé, le bien-être et les objectifs environnementaux.
La COVID-19 et les changements climatiques ont une caractéristique commune: ils affectent de manière disproportionnée les Canadiens vulnérables. Pour le climat et la COVID-19, certaines personnes et communautés font face à des risques supérieurs à la moyenne, en particulier celles qui sont à faible revenu, autochtones, racialisées et marginalisées. Bien que la vulnérabilité n’implique pas de faiblesse, elle met en évidence le fait que certaines personnes au Canada ont plus de mal à se remettre de chocs comme une pandémie mondiale ou un climat changeant, souvent en raison d’iniquités préexistantes dans notre société.
Par conséquent, les efforts politiques qui soutiennent les Canadiens vulnérables sont essentiels. Cela comprend des mesures nommées dans le discours du Trône, comme investir dans des logements abordables, mettre fin à l’itinérance chronique, améliorer l’infrastructure des communautés autochtones, rehausser la qualité des soins de longue durée et lutter contre l’insécurité alimentaire. Ces mesures sont essentielles, non seulement en période de COVID, mais aussi pour améliorer la résilience de la société aux chocs climatiques à venir, qu’il s’agisse d’événements météorologiques extrêmes ou de changements structurels de l’économie.
Encourager la compétitivité
Le discours du Trône aborde également une deuxième intersection entre les changements climatiques et la reprise économique: il cherche à soutenir une nouvelle croissance économique de manière compatible avec nos objectifs climatiques.
C’est exactement l’objectif de notre récent rapport sur la mesure de la croissance propre. Comme le note l’auteur principal Rachel Samson dans le clip ci-dessous (en anglais), nous avons besoin d’une croissance économique pour soutenir le bien-être. Nous avons également besoin que cette nouvelle croissance soit conforme aux ambitions climatiques du Canada (par exemple, l’objectif du zéro émission nette d’ici 2050).
Comment le Canada peut-il réaliser cette intersection? L’engagement de réduire les impôts sur les sociétés des entreprises qui fabriquent des produits à zéro émission pourrait être un signal puissant, même si son impact final dépendra des détails.
Cela pourrait certainement aider à attirer les investissements et à améliorer la compétitivité du Canada dans les marchés émergents (mais importants) à faible émission de carbone. En revanche, il n’est pas clair si cela s’applique à l’entreprise ou à l’activité liée au produit zéro émission. Qu’arriverait-il si une entreprise produisait de nombreux produits à forte intensité de carbone et une seule technologie nette zéro? Ce sont des considérations importantes.
Garder le cap sur les engagements climatiques
Faisant fond sur l’engagement de la semaine dernière selon lequel le plan climatique d’Ottawa «n’a pas été mis de côté», le discours du Trône est allé plus loin. Il a promis que le gouvernement «présenterait immédiatement un plan pour dépasser l’objectif climatique du Canada pour 2030» et «légiférerait l’objectif du Canada de zéro émission nette d’ici 2050».
Ce ne sont pas de nouveaux engagements, mais le fait de les réaffirmer dans les circonstances actuelles donne la certitude – aux citoyens, aux entreprises et à nos pairs internationaux – que le Canada a l’intention de continuer à tenter d’atteindre ces objectifs. Légiférer l’objectif de 2050 contribuera à créer un lien entre l’action et l’ambition, surtout s’il s’accompagne d’un cadre de responsabilisation. Légiférer des jalons provisoires – tels que l’objectif de 2030 ou d’autres objectifs quinquennaux en route vers 2050 – pourrait en améliorer davantage la crédibilité.
C’est important parce que gérer une crise sans se préparer à la suivante ne soutiendra pas la croissance et la prospérité à long terme du Canada. Jetez simplement un œil à la vitesse vertigineuse des événements liés au climat de ces derniers temps. La semaine dernière, l’Ouest a été étouffé par des incendies de forêt dévastateurs exacerbés par le changement climatique. Ces feux sont un signe avant-coureur de certaines des menaces auxquelles nous sommes confrontés dans un climat changeant. Cette semaine, la Chine s’est engagée à la neutralité carbone. La Californie et le Royaume-Uni interdisent les moteurs à combustion interne plus tôt que prévu. Et les marchés écoutent. BP prévoit désormais le pic imminent de la demande de pétrole face à l’action climatique internationale.
Encore une fois, les détails importent. Les politiques ciblées mentionnées dans le discours, telles que les programmes de rénovation des bâtiments, la formation et les investissements pour soutenir l’innovation à faible émission de carbone dans le secteur de l’énergie, peuvent contribuer à une reprise économique et à réduire nos émissions. Mais en fin de compte, pour atteindre nos objectifs climatiques, le Canada aura besoin d’une combinaison de politiques réglementaires et de tarification plus ambitieuses.
Cela soulève des questions sur ce qui se passera ensuite avec le prix du carbone au Canada (actuellement sous examen à la Cour suprême) et le projet de norme sur les carburants propres. Il s’agit sans aucun doute de priorités difficiles à affronter au milieu d’une pandémie et de la récession qui en résulte, mais il est essentiel de clarifier davantage ces mesures pour fonder les engagements du Canada sur des actions concrètes.
De la vision à la mise en œuvre
Les discours du Trône doivent présenter des visions, pas des détails politiques – et la vision exposée dans le discours d’aujourd’hui est radicale. Elle met en place un mandat pour lutter contre la crise du COVID-19. Pour établir des politiques transformationnelles sur les changements climatiques et l’économie face à un monde en évolution rapide. Et pour s’attaquer aux obstacles fondamentaux qui nuisent au progrès, tels que l’inégalité entre les sexes, le racisme systémique et les droits et la réconciliation autochtones.
Pourtant, cette ambition est à double tranchant. Mettre en œuvre un programme à plusieurs volets sera une tâche difficile. Un gouvernement minoritaire peut-il jongler avec de multiples priorités – quoique interconnectées? Comment répondra-t-il aux préoccupations croissantes concernant les ressources budgétaires nécessaires pour réaliser ces ambitions? Peut-il passer de la vision à la mise en œuvre?
Nous sommes sur le point de le découvrir.