Crédit d'image: PamelaJoeMcFarlane

Forêts boréales du Canada: de redoutables alliées dans la transition vers la carboneutralité

Une approche exhaustive, complexe et durable des feux et de la gestion forestière s’impose pour permettre aux forêts canadiennes de contribuer à enrayer les changements climatiques.

Le rôle des forêts canadiennes est déterminant (et à double tranchant) dans les efforts du Canada pour lutter contre les changements climatiques.

Les vastes forêts du nord du Canada s’étendent du Labrador au Yukon. On les considère souvent comme des atouts essentiels dans la régulation du climat. Les épinettes noires, les pins gris et autres espèces d’arbres boréaux rustiques, ainsi que le sol dans lequel elles poussent, séquestrent environ 28 milliards de tonnes de carbone, soit l’équivalent de quarante fois les émissions annuelles de gaz à effet de serre du Canada.

Pourtant, en dépit de leur remarquable potentiel de régulation, ces forêts émettent en général depuis vingt ans plus de dioxyde de carbone qu’elles n’en absorbent, selon les données de Ressources naturelles Canada. Le feu incontrôlé de 2018 en Colombie-Britannique a, à lui seul, généré trois fois plus d’émissions de carbone que toute la province en un an.

Comme on prévoit malheureusement des étés plus chauds et secs dans les années à venir, le risque de voir augmenter la fréquence et la gravité des feux de forêt est réel. Selon une étude récente publiée dans Science Advances, les forêts boréales du Canada et de l’Alaska pourraient relâcher douze milliards de tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère d’ici 2050 en l’absence de changement dans la gestion des feux de forêt.

Les stratégies actuelles de lutte contre les feux de forêt n’incluent pas la réduction des émissions de carbone; ils représentent pourtant depuis quelques années la principale cause des émissions issues des forêts canadiennes.

En fait, conformément à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, le Canada, dans ses rapports sur ses émissions de gaz à effet de serre, fait état de la séquestration du carbone lors de la repousse des forêts matures après les feux, mais pas des émissions causées par des perturbations naturelles comme les feux incontrôlés.

La saison des feux de forêt qui approche doit nous rappeler cet enjeu. Si le Canada veut pouvoir compter sur ses forêts et ses autres puits de carbone dans sa transition vers la carboneutralité, comme souligné dans le Plan de réduction des émissions pour 2030 récemment publié par le gouvernement fédéral, une approche exhaustive, complexe et durable des feux de forêt et de la gestion forestière s’impose. Des efforts de replantation à grande échelle comme la campagne 2 milliards d’arbres sont un bon début, mais ne suffisent pas.

Tout n’est pas perdu pour autant, car améliorer la gestion forestière pourrait être un moyen peu coûteux d’atteindre certains objectifs climatiques. Par exemple, selon Carly Phillips, autrice principale de l’étude publiée dans Science Advances, il est possible de mettre en place une politique de réduction de la gravité des feux et des émissions de carbone de la forêt boréale pour à peine douze dollars américains par tonne de CO2 non émise. Une telle stratégie reviendrait moins cher à la tonne que l’utilisation de panneaux solaires pour produire de l’électricité ou que le déploiement d’autres technologies visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme la captation, l’utilisation, et le stockage du carbone.

L’accélération des changements climatiques exacerbe les conditions qui rendent les étés plus chauds et secs; réduire autant que possible le nombre et la gravité des feux en forêt boréale devient de plus en plus crucial et implique des investissements plus lourds dans la surveillance et la suppression des feux. Ces dernières années, les coûts de la lutte contre les feux incontrôlés au Canada ont augmenté et dépassent désormais un milliard de dollars par an, une hausse que les changements climatiques ne peuvent que précipiter.

La lutte contre les émissions de carbone des espaces forestiers ne doit pas cependant pas se borner à la mise en œuvre de stratégies de gestion des feux.

Une gestion forestière respectueuse des cycles de culture et de récolte peut également jouer un rôle important dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Selon une étude en cours du Pacific Institute for Climate Solutions, on pourrait par exemple recycler les résidus de coupe et d’élagage, dont on dispose actuellement en les brûlant en tas, et mieux protéger les forêts primaires du bûcheronnage. Les politiques de protection de l’environnement et de la biodiversité profitent également aux forêts; elles leur permettent de mieux résister aux feux graves et de mieux s’en remettre.

En plus d’utiliser des sources d’énergie renouvelable au lieu de combustibles fossiles pour la production d’électricité et les transports, le Canada peut compter, avec ses forêts, sur de redoutables alliées dans la régulation du climat; afin que ces alliées de poids ne se retournent pas contre nous, il nous faut rapidement prendre conscience de l’étendue du risque et des bienfaits qu’elles représentent. Le Canada, qui vise la carboneutralité d’ici 2050, devra ainsi déployer tous les moyens à sa disposition pour désamorcer la potentielle bombe carbonique séquestrée dans ses forêts.

Publications liées