Face à la hausse des prix de l’énergie et aux préoccupations légitimes quant à l’abordabilité, le gouvernement fédéral se voit pressé d’accorder des exemptions à son système de tarification du carbone, principalement pour le chauffage des foyers ruraux du Canada atlantique.
L’abordabilité des biens essentiels comme l’énergie, au cœur des préoccupations, se doit d’être préservée. Mais les dérogations à la tarification au carbone ne sont pas la bonne façon d’y arriver. De meilleures solutions s’offrent à nous : des approches temporaires et ciblées pouvant fournir du soutien là où c’est nécessaire, sans toutefois nuire aux incitatifs de réduction des émissions.
Il est essentiel de garder les prix énergétiques bas. Le système de tarification du carbone cherche à régler ce problème, mais des mesures supplémentaires pourraient être nécessaires. Grâce au filet de sécurité fédéral, la majorité des revenus générés par la tarification du carbone est remise aux ménages sous la forme de remboursements trimestriels. Le montant est plus élevé en zone rurale. Ainsi, la plupart des ménages – surtout ceux à faible revenu – reçoivent plus qu’ils ne dépensent en carbone. Contrairement à l’opinion populaire, cette façon de faire ne vient pas miner l’efficacité du système. Les ménages qui prennent des mesures pour réduire leurs émissions n’ont pas à payer pour le carbone et reçoivent un remboursement.
La tarification du carbone est le meilleur outil dont le Canada dispose pour réduire les émissions de gaz à effet de serre à l’origine des changements climatiques. Les entreprises et les ménages de partout au pays disposent ainsi d’un incitatif puissant pour faire la transition vers des carburants propres et utiliser l’énergie plus efficacement, évitant ainsi de payer pour le carbone. Les données le démontrent : la tarification du carbone fonctionne. Mais c’est surtout vrai lorsqu’elle est appliquée uniformément à toutes les régions et à tous les secteurs de l’économie.
La tarification du carbone permet de réduire les émissions en envoyant des signaux à long terme aux commerces et ménages. Les prévisions quant aux prix du carbone sont importantes pour les familles qui considèrent investir dans des thermopompes permettant d’économiser sur l’énergie pour de nombreuses années, pour les entreprises qui planifient leur croissance et leur concurrentialité futures et pour les innovateurs qui créent de nouvelles technologies pour réduire les émissions à faible coût, puisqu’elles créent des marchés pour ce genre de produit.
En résumé, plus la certitude entourant les politiques sur les coûts du carbone et son avenir est grande, plus efficace sera la tarification pour encourager les investissements sobres en carbone à long terme nécessaires pour réduire les émissions.
Ce serait un manque de vision que d’accorder des exemptions qui ne feraient que neutraliser tous les avantages de l’initiative.
En accordant un passe-droit aux combustibles des bâtiments, par exemple, on éliminerait tout incitatif à réduire les émissions dans ce secteur, pourtant source importante et croissante d’émissions partout au pays. De telles exemptions compliqueraient donc l’atteinte des cibles climatiques du Canada.
En effet, il serait ainsi plus coûteux d’atteindre nos cibles. En étant moins proactifs pour réduire les émissions des bâtiments, par exemple, nous serions forcés d’être plus stricts par rapport aux émissions des autres secteurs et régions.
Pour finir, des dérogations créeraient un dangereux précédent d’ingérence dans les systèmes de tarification lorsque les conditions du marché deviennent difficiles. Cela rendrait les coûts du carbone moins prévisibles. Si le gouvernement ajustait le prix du carbone à chaque perturbation économique, le pays ne ferait pas beaucoup de progrès en matière de carboneutralité.
Le problème des changements climatiques ne s’estompe pas; il empire. Notre meilleure réponse stratégique se doit donc d’être immuable.
Cela ne veut pas dire que les gouvernements ne devraient pas tenir compte de l’abordabilité; ils doivent le faire. Mais il existe de meilleures politiques que les exemptions. Elles amèneraient un soulagement de courte durée, mais causeraient du tort à long terme.
Au lieu d’exempter certains types de carburants ou d’activités, les gouvernements pourraient réduire les coûts pour les ménages en créant des remises spéciales (comme le remboursement pour l’épicerie du budget 2023). Ces remises pourraient être clairement temporaires, conçues pour répondre aux problèmes causés par l’inflation et la hausse des coûts de l’énergie, ou encore viser directement les ménages à faible revenu plus vulnérables. Cette approche, abordable sur le plan fiscal, ne nuirait pas aux incitatifs de réduction des émissions établis qu’apporte la tarification du carbone.
La population canadienne ressent plus que jamais les coûts des changements climatiques – y compris au Canada atlantique. Il est donc d’autant plus urgent d’accélérer la transition vers l’énergie propre.
Il convient de féliciter le gouvernement fédéral d’avoir le courage d’instaurer de bonnes politiques climatiques ambitieuses.
Mais il devrait aussi avoir le courage de garder le cap. La dilution de la tarification du carbone par des exemptions entraînerait le pire scénario : politiques affaiblies et plus coûteuses, et incertitude pour les entreprises et investisseurs.